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Belgiques: Recueil de nouvelles
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Livre électronique127 pages1 heure

Belgiques: Recueil de nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Le plat pays comme source d'inspiration...

Cet ouvrage se compose des textes suivants :

- La drache
- Tintin, lettres perdues
- Tombe la neige
- 1831
- Pays de fous
- Divagations pour les peintres
- Monsieur Delbouille
- Le temps assis au bord de l’eau
- Conte en pays noir
- Jacques

Un recueil de récits courts consacrés aux lieux, personnages et concepts emblématiques de la Belgique. Retrouvez également les textes d'Alain Dartevelle et Vincent Engel sur le même thème !

EXTRAIT DE LA DRACHE

— Tu sais que je préfère boire ma tasse de café dans un bol, disait-il.
— Oui, oui, je sais, répondait lentement Louise.
Elle se gardait bien d’expliquer qu’on ne boit pas une tasse dans un bol, et que le café refroidit plus vite dans le bol. Fernand voulait tremper ses tartines sans toucher les bords, très bien, elle l’aimait aussi pour les détails, les gestes choisis qui ciselaient un quotidien sans étonnements. En somme, il offrait son amitié aux petites choses, à tout ce qui le nourrissait.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Luc Baba, né en 1970 à Liège, est un écrivain belge. Il est également comédien, animateur d’ateliers d’écriture, chanteur, et professeur de langues germaniques dans une école de promotion sociale, à Liège.
LangueFrançais
ÉditeurKer
Date de sortie1 oct. 2017
ISBN9782875862167
Belgiques: Recueil de nouvelles

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    Aperçu du livre

    Belgiques - Luc Baba

    La drache

    — Tu sais que je préfère boire ma tasse de café dans un bol, disait-il.

    — Oui, oui, je sais, répondait lentement Louise.

    Elle se gardait bien d’expliquer qu’on ne boit pas une tasse dans un bol, et que le café refroidit plus vite dans le bol. Fernand voulait tremper ses tartines sans toucher les bords, très bien, elle l’aimait aussi pour les détails, les gestes choisis qui ciselaient un quotidien sans étonnements. En somme, il offrait son amitié aux petites choses, à tout ce qui le nourrissait.

    Ce jour-là, elle avait servi le café dans les tasses rapportées d’Italie par leur petite Jeanne, parce que c’était un peu triste de ne pas utiliser son cadeau.

    Fernand se plaignait toujours d’une voix très douce, afin qu’elle ne se fâche pas.

    — En plus, avec le dessin de la tour de Pise, quand je dépose la tasse, on dirait que le café va verser. Hein ?

    — Ben oui, c’est juste.

    Alors, elle avait rangé la tasse et ressorti le bol de grès rose. Depuis la mort de Fernand, elle y boit à son tour en évitant de toucher les bords avec le pain. Mais elle ne s’est pas mise à parler au fantôme. Son homme se tait, loin sous la terre, elle ne va pas jouer les vieilles sottes et lui raconter ses journées. D’ailleurs, aucune d’entre elles n’est digne d’intérêt.

    Aucune, sauf peut-être ce samedi de juillet, quand le petit Hollandais pleura sur la pierre du seuil, dans un sanglot agaçant, rauque, oui, ils ont le droit de pleurer, les gamins, mais ça irrite, voilà, c’est pour ça qu’on leur explique qu’ils ne devraient pas, on dirait des veaux, mais soit, il s’était perdu, le pauvre…

    *

    — Entre hein, m’fi, ne reste nin là, tu vas cuire.

    Il est entré, toujours en pleurs, il s’est assis à la table les bras ballants, et Louise a servi de l’eau dans la tasse tour de Pise.

    — Tu parles français ? Flamind ? Anglish ? Nederlands ?

    — Nederlands.

    — Ben oui. Nous voilà bien.

    Blond, huit ou neuf ans, randonneur de poche en habits chers, les yeux un peu froids sous le rouge et le voile de pluie.

    — Vakantie?

    — Ja.

    Comme tant d’autres, surtout depuis que le manoir est devenu un hôtel de 120 chambres. Elle a voulu le lui dire, au gosse.

    — Comment tu t’appelles ?

    — Jeroen.

    Elle a voulu lui dire : « Jeroen, vous avez tué le village, tu sais ? »

    Mais il n’y pouvait rien, et les autres non plus, qui viennent où c’est beau pour respirer la pierre, le bois, le feu, lire le panneau sur le mur du lavoir tari, toucher la source et manger des cailles, contempler le séchoir à tabac que l’on aurait détruit si ce n’était pour eux, marcher sur une terre en pente et s’étonner là-haut, prendre une photo de la chapelle fleurie, sentir que les pas sont plus vivants quand ils peuvent monter et descendre. Le souffle aussi.

    — Jeroen…

    — Ja?

    Elle a montré la tasse en disant :

    — Tour de Pise, répète !

    Il a fait oui de la tête et il ne pleurait plus, il attendait que la vieille le sauve et la regardait hésiter, boire au bol, réfléchir, verser quelques soupirs dans l’air vide.

    Soudain, son œil s’est allumé, elle a levé l’index comme pour chercher le vent et lui a dit de rester là, de ne pas bouger. Il comprenait le geste clair, à défaut de comprendre un seul mot, et quand Louise est revenue poser un ordinateur à côté du bol, il a souri en sortant les dents.

    — C’est mes petits enfants qui m’ont offert ce computer. Notre petite Jeanne est toujours à bourlinguer pour son travail. Elle est allée en Italie en Erasmus et depuis, c’est Italie par ci, Italie par là. Tu reviendras en Erasmus chez la vieille Louise pour apprendre le français ? Hein ? Italie, nom di djû, c’est pas l’même en flamand ? Tour de Pise. Répète.

    Elle a de nouveau montré le dessin sur la tasse, pendant que l’écran s’allumait.

    — Alors on fait Skype, avec ma fille, vois-tu ? Skijp ! Eh ben, il a du gouda dans le cervelet, ce petit. Hein, t’as du gouda ? a-t-elle demandé plus fort en montrant son crâne.

    Jeroen a fait oui de la tête.

    — Ben oui. Alors, la carte. Ça, c’est la carte. Viens voir si tu reconnais quelque chose.

    L’enfant s’est approché, bouche ouverte, les doigts mâchant le bas du t-shirt. Les chemins qu’il voyait n’éveillaient rien de connu. La vieille a montré une courbe, agrandi l’image et posé le doigt en disant :

    — Ici chez moi. Thuis! Et toi ? Cherche. Hôtel ? Hein ? Village ?

    Elle l’a laissé explorer les plans, visiter d’un œil hagard les environs de la Semois, et il a fini par crier d’une voix qui refusera longtemps la mue :

    — Ja! Village ! Hier, hotel!

    Louise l’a applaudi trois fois, puis elle a éteint l’ordinateur et s’est levée sans hâte.

    — Bon, ben on n’a plus qu’à se mettre en route.

    Bien sûr, elle pouvait appeler l’hôtel et la police, attendre que les parents viennent cueillir leur Jeroen ramolli par la marche et les sanglots, merci madame pour la tasse d’eau, mais cela l’aurait privée d’une mission, des pas sur le chemin, du souffle, d’un pèlerinage qu’elle avait refusé jusque-là par absence de courage, un rien d’arthrose, une paresse du cœur, un doute sur le sens d’un aller-retour sans rien à faire là-haut sinon déposer quelques violettes devant le grillage de la chapelle.

    Louise ne ferme jamais sa porte à clé.

    — Il fait bien noir derrière le bois. M’étonnerait pas qu’il drache. Hein ?

    Elle a pris un bâton appuyé au mur, dehors, entre deux roses trémières et une sculpture étrange, une pierre où un œil peint semblait regarder le ciel entre deux branches d’acier. Elle a soulevé le bâton pour indiquer la direction à l’enfant, en disant : « Allez, corèdje ! »

    Elle a marché en silence, le regard bien haut, léger. Pourtant, le souffle manquait, et ses genoux la faisaient claudiquer, tanguer parfois. Après la troisième boucle de la route, elle a de nouveau soulevé le bâton lourd.

    — C’est là. C’était là…

    Jeroen l’a regardée longtemps, sans oser lui dire qu’elle oubliait le but de cette randonnée, qu’elle l’oubliait lui !

    — Je n’aimais pas revenir seule. Il y a des maudits souvenirs, si tu es seule, ils te paralysent, ils te clouent comme ça sur la route, et tu n’arrives nin à repartir, tu voudrais bien penser à autre chose, mais c’est plus fort que toi. Mais vu que t’es là dans mes pattes, faudra bien qu’on se remette en route.

    *

    La colère ne coulait pas dans le sang de la famille. Tout le monde avait, de tout temps, porté la tranquillité de la terre, avec en chaque saison des nuances dans le regard, chercheur de lumière en décembre, patient à la fonte des neiges, parce qu’aux derniers gels de mars, il fallait reprendre le travail. Le printemps réveillait les os. Quand les gars s’étiraient à l’aube et se levaient vite sans bougonner, dans les champs c’était pareil, ils le savaient, la terre se chaufferait le ventre aux rayons de midi, tu pourrais la toucher, sentir la chair noire alourdie par les fruits et les feuilles de l’automne.

    Fernand et son père se chargeaient d’étendre le terreau de couche, puis Fernand seul, puis Fernand et leur fils Pierre, pendant quatre ans, avant que la ville ne lui fiche deux néons de bureau sous les paupières, et des chiffres de vente. Ensuite Fernand avec d’autres hommes du village, des femmes aussi. Avec les dix-huit mille plants qu’ils comptaient alors, il y avait de l’ouvrage pour toute la commune.

    Cet été-là, Pierre était venu en villégiature au bras de sa bourgeoise, avec aux talons la gamine et ses douze ans capricieux, son maquillage rose, et les premières boucles d’oreille. « Regarde ! Elles sont belles ? » Haussement d’épaules. « Oui. » Pierre prenait des nouvelles qu’il écoutait à peine et le second soir, il y eut cette dispute, pour une question de brouillard que le vieux épiait à la fenêtre, pas uniquement pour fuir. Il serinait qu’il n’avait pas l’air bon, écartant d’une main crispée la tenture trouée par les mites. Et le fils, claquant des talons sur les dalles, s’était mis à parler du tabac.

    — C’est très bien, le brouillard, affirmait-il. Pour le tabac.

    Et sa jolie blonde aux ongles vernis le trouvait charmant. Des certitudes lissaient leurs cheveux, leur peau, leur voix.

    — C’est chose connue ! Le brouillard de la Semois, c’est le secret des arômes, ajouta Pierre.

    Alors, Fernand s’était retourné vers lui, plus vieux que jamais, et il se frottait douloureusement la poitrine comme s’il devait en sortir une lame.

    — Qu’est-ce que tu sais encore, donc, toi ?

    Louise rit de son rire qui rafraîchissait la maison, quand il y traînait une électricité noire.

    — Vous n’allez pas vous chamailler, tous les deux ?

    Ils ne répondirent pas. Fernand s’assit, le dos appuyé, les paumes sur la table et les yeux loin dans le paysage d’un tableau mal fini, mais beau, avec des fleurs complices en points d’or.

    — Mais non, mais qu’est-ce qu’il sait ! gronda-t-il.

    L’air désolé par trop de bêtise, Pierre prit sa place à la fenêtre, il observa le brouillard et confirma en longs signes de tête que c’était bien, le brouillard.

    — Bon, je vous sers une petite goutte ?

    Pas plus de réponses, ils avaient un duel à vivre, leur duel de père et fils, qui serait sans issue.

    — Mais le brouillard, c’est pas une chose, grand Dieu ! T’en as des sortes et des sortes, enfin ! Y a ceux qui retombent en drap, puis ceux qui se lèvent et qui vont se mettre en pluie, et t’as ceux qui fertilisent, et ceux de

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