Sous les eaux de la mémoire
Je pourrais rester là des heures, installée dans le canapé du salon, à écouter religieusement ma mère jouer du piano. Colette est toujours si belle et pimpante que j’ai peine à croire que nous allons fêter ses 77 ans dans sept mois, en septembre. Elle a toujours été belle et je ne dis pas cela parce qu’elle est ma mère. Dans sa jeunesse, elle fut une pure beauté brune avec d’immenses yeux verts.
Elle en a fait battre des cœurs, elle en a eu des prétendants !
Mais un seul a trouvé grâce à ses yeux : Paul, mon père.
Quand elle joue, c’est pour lui, et je sais qu’il l’entend là où il se trouve, de l’autre côté du miroir, derrière cette porte qu’elle franchira un jour pour le rejoindre.
Aujourd’hui, les notes sont tristes sous ses doigts et c’est à cause de moi. Je suis venue remuer le passé afin d’écrire un article sur cette sinistre année 1952 où tout un village savoyard fut noyé sous les eaux d’un barrage. Tignes. On s’en souvient ici, de triste mémoire.
Oh bien sûr, on l’a rebâti un peu plus haut, mais ce n’est plus le même village.
Les eaux ont emporté beaucoup de souvenirs. Des âmes aussi. – Certaines nuits, je revois les animaux affolés, me raconte ma mère, interrompant Vivaldi. On se préoccupe toujours des humains, mais des animaux, jamais.
Certains ont réussi à s’enfuir, mais d’autres ont connu une mort abominable.
Aujourd’hui, on parlerait de catastrophe écologique et c’en était une. Ses mains glissent à nouveau sur le clavier : le printemps des Quatre saisons, ma préférée.
La semaine dernière, quand je lui ai téléphoné pour lui parler de mon projet, elle ne m’a pas répondu tout de suite.
Elle avait besoin d’y réfléchir, elle a promis de me rappeler. Sur le moment, j’ai regretté, l’idée d’abandonner m’a traversé l’esprit.
Je pouvais parler d’autre chose, ce ne sont pas les idées qui me manquent.
Je trimballe toujours dans mon sac à main un
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