Il faut prendre le taureau par les contes
Par Fred Pellerin
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Avis sur Il faut prendre le taureau par les contes
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Aperçu du livre
Il faut prendre le taureau par les contes - Fred Pellerin
histoires…
AVANT-PROPOS
Ce n’était pas littéraire, mais c’était d’une grande sagacité. Comme quoi la littérature mène à tout pourvu qu’on ne s’en serve pas.
Yves Thériault
Je suis entré en contact avec le conte par la bouche de ma grand-mère. Elle m’avait dit : « Va me les laver, je vais t’en conter un autre ». De la main, elle me tendait ses dentiers. Moi, malgré mes onze ans, je ressentais l’ampleur du geste. Une passation ? Encore vague comme symbole, mais je me plaçai au ras la chaise berçante. Solennel. Le corps droit, comme à ma première communion. Les mains en coupe, et Amen ! Elle y déposa sa relique. Ça n’est arrivé qu’une seule fois, et pourtant on dirait que c’est hier. Il me semble que ses dents souriaient dans mes mains. Je les caressai doucement, avec mon pouce : « Reposez-vous un peu ! »
Je marchai lentement jusqu’à la salle de bien. Je disposais d’un bijou de famille datant de la huitième génération avant moi. Et je rêvais de les essayer. Je pensais à toutes les histoires chiquées par cet appareil dans des bouches aux mœurs libérées, nudistes de la gencive. Parce qu’on dira ce qu’on voudra, mais il y a toujours eu quelque chose de rose dans le sourire de ma grand-mère. Puis là, à mon tour, spontanément et à onze ans seulement, j’entrais en salle d’eau avec le susdit râteau. J’en tremblais de survoltage.
À onze ans, dans mon pays, la culture ne nous a pas encore appris à nous brosser les dents. Ça ne vient que sur le tard. Le dentifrice est une chose à laquelle on accède avec la majorité. En plus qu’à l’âge où je me trouvais, je venais tout juste d’avoir mes dents d’adulte. Dans mon pays, on mange beaucoup de pommes qui, comme on le sait, ont des propriétés lavantes. Alors, rien n’est véritablement sale. Sans expérience d’hygiène, avec cette bouche de mémère à m’occuper, j’étais dépourvu.
J’en tremblais, donc. Debout au milieu de la pièce. À mi-chemin entre le bain et le lavabo. Par quoi commencer ? Les secondes paraissaient une éternité, comme en pareil cas. Figé. Jusqu’à ce que les dents se tournent vers moi. Elles me regardèrent puis, en claquant, elles prononcèrent distinctement : « Tire la chaîne, l’eau va être propre ! » Sagesse proverbiale de prothèses, je repris le dessus sur l’émotion. Flusher un grand coup, le dentier au fond de la bolle. À onze ans, on écoute sa grand-mère.
Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. Je vous demanderais juste de ne pas parler de ce qui suit à qui que ce soit. Ce n’est pas tout le monde de la famille qui est au courant, faudrait pas qu’ils apprennent ça trop sec. Alors, voilà : j’ai pris des bouteilles dans l’armoire sous le lavabo. J’ai mis la quantité d’un bouchon de chaque blanchissant dans mon mélange. J’ai pris la petite brosse arrondie qui traînait là, puis j’ai spiné autant que je pouvais. J’ai rincé en double, essuyé les mords dans la serviette à la débarque du bain, puis je suis revenu dans la cuisine. Ma grand-mère ne se berçait plus. Immobile. Figée sur le bout de l’élan. Arrêtée dans l’action. Pause/still.
Je m’approchai de la chaise, j’insérai l’héritage dans la bouche de mémère, puis elle repartit de plus belle. Le buccal net, elle s’élança dans une histoire inédite. Cette histoire-là, je m’apprête à l’écrire pour vous. C’est la légende d’un homme qui a vécu… Mais j’ai déjà à moitié peur d’avoir l’orthographe qui flanche. Car un récit comme celui-là, sur les touches d’une grammaire — et ça aura beau être le modèle le plus open —, ça risque toujours de pas être à la hauteur. Soit dit entre parenthèses : (je ne m’attends pas à tout dire parce qu’il y a bien des bouts qui ne s’écrivent pas). Ça me prendrait un alphabet de soixante-deux lettres pour m’en tirer. Puis encore. Il y a les mots qui manquent quand ça devient trop… Alors, plutôt que de me mettre à sacrer, à barbouiller, j’en tairai des miettes. Et pour compenser, en guise de contrepartie aux coupures, j’en ajouterai un peu dans certains passages. Permettez-moi. Puis ceux qui prétendent les savoir, les mots manquants ou de trop, n’ont qu’à bien dire et laisser faire. Cet homme-là dont je m’apprête à vous raconter l’histoire, dans la bouche de ma grand-mère, appartenait à la race de ceux qui vont bien au-delà de la parole. Cet homme-là, il a vécu et il en est mort. Puis on s’en ressent encore aujourd’hui.
LES TROIS PETITS POINTS
Avant d’ouvrir la bouche, assure-toi que ce que tu vas dire est plus beau que le silence.
Confucius
Saint-Élie de Garnotte, sortie 166 de l’autoroute 40, à droite au T puis à gauche à la troisième lumière, toujours tout droit ensuite, malgré les portions de terre battue, c’est mon village. Saint-Élie de Garnotte : quand t’es perdu, t’es rendu ! When you’re lost, you’re là !
Dans mon village, sans vouloir me vanter, ce fut comme dans tous les autres : il y eut pendant longtemps un fou du village. Tenue par le ministère de la Colonisation à procéder ainsi, chaque municipalité avait son fou, et l’inverse. T’avais pas de fou, puis on t’accordait une subvention salariale pour t’en engager un. Chez nous, contexte aidant, le fou bénévolait. Il s’appelait Babine et faisait du mieux qu’il pouvait.
Il naquit un jour sans date parce qu’aucun signe astrologique ne le voulait dans son équipe. De toute manière, il n’était pas superstitieux. Puis on sait bien que l’important, c’est de naître. Peu importe le moment. En plus qu’il a vu le jour la nuit. Moi, ça ne me dérange vraiment pas. D’ailleurs, je n’ai rien à dire là-dessus. Je fais juste répéter les affaires comme je les ai entendues. Si tout ça est vrai, ça ne me regarde même pas. C’est parce que c’est arrivé comme tel et rien d’autre. Alors on ne va pas s’arrêter chaque fois que les informations sont floues parce qu’on n’en finira pas.
Cette mère, donc, ou celle qui s’apprêtait à le devenir pour être plus exact, neuve en la matière es natum, criait si fort en crevant les eaux que les voisins crurent au déluge. Ou à un incendie. En plus qu’il pleuvait. Elle hurlait tant que les gouttes de pluie reviraient de bord.
Armés de seaux, pour le déluge ou pour le feu, ça importe peu, les hommes des alentours retontissaient chez la bonne femme et la trouvaient là, étendue dans sa flaque, flasque. Elle gisait, suante et même plus. Chez Brodain Tousseur, le seul abonné au téléphone, on avait essayé de rejoindre le docteur Cossette. L’orage avait dû briser les fils parce que la ligne ne donnait rien de mieux que du néant qui griche. Comme quoi la carte-soleil ne brillait pas pour tout le monde. Chose sûre, et elle n’en doutait pas : elle souffrait énormément-ment-ment. Puis ça suffisait à la convaincre que c’était vrai. Elle avait si mal que ça en devenait plus difficile à supporter pour les autres que pour elle-même.
— Madame, je pense qu’il se présente par le siège !
Accroupi dans l’angle du conduit natif, c’est M’sieur Tousseur qui, secouriste à l’improviste, assistait de plus près. À pleine face dans l’entrejambe de la débouleuse. Personne ne savait où donner de la rescousse, étant donné que la sage-femme elle-même s’affairait à accoucher. L’équipe improvisée, comme un corps médical sans tête, cherchait moyen, mais il n’y avait pas de place pour penser. Elle gueulait trop.
— Madame, je pense qu’il se présente par le siège !
En fait, l’enfant souriait. Il entra dans la vie de l’avant, malgré les apparences. Le devant comme un derrière. Parce