L' OR DES MELEZES
Par Carole Labarre
5/5
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À propos de ce livre électronique
Carole Labarre
Née en 1966, Carole Labarre est originaire de la communauté innue de Pessamit sur le bord du Saint-Laurent. Sans cesse inspirée par l’histoire de son peuple, elle cherche, par son écriture et sa poésie, à donner la parole aux Innus, particulièrement aux Aînés. En 2021, Carole Labarre est lauréate de la première résidence d’écriture dédiée aux Premières Nations et Inuit organisée par la Maison de la littérature à Québec, en collaboration avec Kwahiatonhk! L’or des mélèzes est son premier roman.
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Aperçu du livre
L' OR DES MELEZES - Carole Labarre
La terre
Je ne me souviens pas du temps ni du moment de notre arrivée en cette terre que nous avons nommée Nutshimit. Les ancêtres nous disent que les ossements des anciens, éparpillés partout sur ce territoire, ont nourri les forêts que tu vois, enrichi le sol où pousse le lichen qui nourrit le caribou qui, depuis toujours, nous nourrit. Ils nous disent qu’à la fin de leur voyage, certains se sont couchés le long des portages pour soutenir les vivants dans leur remontée vers le nord. Nous ne nous souvenons pas du temps ni du moment de notre arrivée ici. Entends-moi, nous appartenons depuis toujours à cette terre.
Nous sommes nomades. Tant qu’il y aura forêt, nomades nous resterons. N’entends-tu pas dans le chant de notre langue, le souffle du vent et le soupir de la terre ? Notre peuple a nommé ce territoire, il a nommé ses eaux et ses montagnes. Il a nommé tous les arbres qui ont souhaité prendre racines en ces terres. Il a prié avec tous les animaux et les a étreints avant de les consacrer pour sa survivance. Nous sommes les gardiens de savoirs immémoriaux. De savoirs aux odeurs de glace et de glaise. De la glace pour façonner le galbe du paysage, de la glaise au parfum tout en genèse pour enfanter la voix de ce pays. Nos connaissances se couchent dans le berceau du rythme des saisons et la forêt constitue la base de notre culture, de notre langue, de notre mode de vie.
Nous sommes enfants de la rivière. Nous connaissons ses rapides, son énergie vive, ses dangers, ses endroits tranquilles. C’est là que je veux t’emmener. Accompagne-moi dans ce périple.
Écoute ce que te dit la brise. Elle te racontera les histoires et les légendes de notre peuple.
Écoute ton cœur résonner dans Teueikan, notre tambour sacré.
Écoute ce que te dit Atiku, le caribou :
Sous de vastes shaputuans, les âmes vagabondent dans un voyage sans fin à la recherche du souvenir des grandes chasses et des bois de caribous que l’on accrochait sur l’arbre d’espérance.
Il reviendra le temps des ombres lumineuses et des chemins marqués sur mon omoplate.
Surgissant du cœur de la Terre, tu les retraceras par l’ardeur de ta flamme, car mes os, enfouis dans le territoire, se sont couchés auprès de tes Ancêtres.
Adèle le ventre rond
À l’intérieur des terres, l’air est doux, en ce début d’automne de l’année 1942. Adèle frissonne un peu. Assise dans un canot d’écorce, elle regarde la berge sur sa droite. Elle entrevoit un loup derrière les bouleaux. Elle n’a pas peur. Le corps abandonné au courant, elle hume à pleins poumons les odeurs de terre et de résine. Son regard se tourne vers un homme qui se tient à la poupe. Accroupi sur ses talons, Isaac pagaie, l’eau glissant en silence sur la rame. Il a les yeux bridés, les pommettes bien hautes, la peau mate. Elle sent son énergie, sa force s’ancrer en elle. Il tourne la tête et la regarde. Elle en rougit de plaisir tout en effleurant le ventre rond qu’elle porte bas. Adèle caresse la tête de son bambin, Shushep, assoupi entre ses jambes. Les cheveux du garçon s’éparpillent sur le ventre plein de sa mère tel du varech ondoyant dans la mer.
L’euphorie, père et fils
Les nuages à l’horizon annoncent un temps chaud et sec et la brise du matin transporte avec elle les parfums de la nuit. À l’horizon, le soleil émerge d’Upessamiu shipu, la rivière Bersimis. Tout près, rompant le silence, des bruants à gorge blanche font entendre leur chant. Du campement, des bruissements s’élèvent et l’odeur réconfortante d’un feu de poêle se répand dans l’air. Un rire d’enfant éclate dans l’une des demeures, immédiatement suivi par les cris d’alarme d’un écureuil effarouché. Tout près de la tente d’Adèle, un geai gris se tient sur une branche de mélèze en attente d’un bout de bannique.
Sur la plage, un homme, la jeune trentaine, s’assoit sur une bûche. Nerveux, il boucane sa pipe de manière exagérée. Il se lève puis se rassoit aussitôt en se grattant le menton dont la barbe râpeuse le démange. Il se relève et se dirige vers une tente plantée un peu plus haut. Après un moment, il en ressort avec un bout de bois dans une main et son couteau croche dans l’autre. Il se met à sculpter sur le sable dans l’air fin du matin. Il manie le couteau avec adresse et de fins copeaux de bois virevoltent avant de se poser à ses pieds. À la fin de l’automne, lorsque les ours seront bien gras, il façonnera le même couteau que celui de son grand-père Antale. Il forgera la lame dans l’os d’une patte d’ours. Sculpter l’empêche de penser et calme cette agitation qui lui tord l’esprit.
À l’écart du campement, la brise magnifie des gémissements résonnant plus loin sur la berge. L’homme se lève vivement en se mordant les lèvres. Il tourne son regard bleu vers une femme qui en revient, des linges maculés de