Nous ne sommes pas des fées
Par Ouanessa Younsi et Louise Dupré
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À propos de ce livre électronique
Ouanessa Younsi
Née en 1984, Ouanessa Younsi est poète, autrice et médecin psychiatre. Elle a publié cinq recueils de poésie chez Mémoire d’encrier : Prendre langue, Emprunter aux oiseaux, Métissée, Nous ne sommes pas des fées (coécrit avec Louise Dupré) et Quand je vis. Elle a également codirigé le livre collectif Femmes rapaillées. Elle a aussi publié un essai qui retrace son parcours comme soignante : Soigner, aimer, maintenant disponible dans la collection de poche Legba.
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Aperçu du livre
Nous ne sommes pas des fées - Ouanessa Younsi
Vivre ?
Est-ce parler du cœur ?
Martine Audet
Nous venons d’une enfance
que nous ressuscitons ensemble
le temps d’un thé
ou d’une promenade
quand la mémoire
se dérobe à ses images
ne laisse qu’un cerne
à la surface des yeux
un noir aussi rouge
qu’une mère
que nous confions
aux mots
nous n’avons pas fini
de colorier
la mort
d’épeler l’espérance
avec des fautes
écrire est ce visage
qui nous lie
et nous délivre
de nos vieilles promesses
écrire est une audace
de l’amitié
chaque fois que la nuit
veut nous coudre
les paupières
et nous trouvons la force
d’affronter
les vents coupables
qui versent leurs seaux
de cendres
sur nos têtes
nous cherchons
le vrai nom
de la peur
comme deux femmes
qui n’ont rien à perdre
scrutent
avec amour
la détresse
jusqu’à la joie
les souvenirs sont comme des cartes postales,
sans date,
que l’on change capricieusement de lieu.
Silvina Ocampo
C’est une ville fantôme, l’enfance. Je n’en garde qu’un tatouage au creux de la paume, une constellation de lignes inextricables, quelques photos dans un album. Les années m’ont filé entre les doigts. On a vendu la maison, l’église a donné sa vierge, l’école est devenue un collège, et je me suis habituée à regarder droit devant. Je me rappelle la femme de Loth. Une vieille mémoire surgit au détour du sommeil, le cœur se met à cogner dans sa cage, et il me vient des mots d’une autre langue, catéchisme, confession, communion. La nuit ouvre alors ses fenêtres, les morts se lèvent dans leur voix. Ils me racontent leurs histoires. Il était une fois une vie où habitait une petite fille brune avec une mère, un père, des grands-parents. Et une tante, dont elle avait très peur.
Je la contemple, cette ville. La secoue tel un globe de neige. Flocons du souvenir : la cour d’école, les ballons défonçant les murs, les cloches. Innocence tachée de bruits. Petits doigts tenant le monde. Certains sont sous terre. D’autres continuent à caresser. Les épées poussent sous les têtes : on voudrait le nier. Je ressuscite la petite fille brune. Me demande ce qui, en la plus grande, subsiste d’elle. J’écoute l’outre-langue. Qu’avaient été ses décennies ? Combien de mots avait-elle posés sur le papier pour nous délivrer du mal ? Je marche avec toi dans les rues du passé, là où exister deviendra écrire. C’est modeste, une vie. Promettre : on reviendra, dans vingt ans. Ajuster au temps : on reviendra, dans dix ans. Souhaiter, oui, retrouver cette ville fantôme où nous sommes toujours. Angoisser : lorsque je serai démente, j’oublierai mon enfance. Et je t’oublierai.
Souvenirs qui virevoltent sous mon crâne comme une nuée de papillons surpris par le froid. C’est sans commencement ni fin,