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La route de Rocamadour: Tome 2
La route de Rocamadour: Tome 2
La route de Rocamadour: Tome 2
Livre électronique332 pages4 heures

La route de Rocamadour: Tome 2

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À propos de ce livre électronique

Double intrigue en Dordogne.

Elle courut sur le sable, fourra en vrac ses vêtements dans son sac et, toujours en bikini, rejoignit en hâte sa voiture. Là, elle verrouilla les portières en même temps qu'elle pensait que c'était stupide et inutile et que ses yeux affolés vérifiaient tout autour que personne ne l'avait suivie. Elle se répétait : Ça recommence ! Mais pourquoi maintenant ? Pourquoi ça recommence ?
Qui poursuit Nancy White qu'il devait normalement retrouver à Camaret, pendant que J.G. Toirac est appelé dans le Quercy, non loin de Rocamadour, pour tenter de démêler une affaire criminelle ?

Après Brume sur la Presqu'île, Jean-Pierre Farines nous propose son nouveau roman policier passionnant !

EXTRAIT

Elle entra dans le parking de l’hôtel où la petite Peugeot se glissa entre deux grosses voitures : une belge et une allemande. Et, enfin, elle se sentit arrivée. Avec un grand sourire, Anne-Marie s’approchait d’elle.
— Bonjour Nancy. Alors pas trop fatiguée ? La traversée a été bonne ? Je suis contente de vous revoir. Vous voulez que je vous aide à monter vos bagages ?
— Je veux bien, merci. Naturellement, j'ai beaucoup trop de choses, je pourrai pas tout porter. Je veux dire, je mettrai sûrement pas tout ce que j’ai emporté…
— Bah, c’est toujours comme ça. Alors vous avez fait bon voyage ?
— Toute votre famille va bien ?
C’était Léo qui posait la dernière question comme il venait à leur rencontre. Elle l’embrassa aussi. Il empoigna la plus grosse des deux valises et gravit les escaliers, suivi des deux femmes avec le reste des bagages. Nancy reconnaissait l’atmosphère feutrée de l’hôtel empreinte d’un parfum léger de lavande. Et elle se rappelait avoir monté ces étages avec JG quand tous les deux tremblaient de peur et de froid. De désir aussi. Elle revoyait des images qui se précisèrent encore quand Léo ouvrit la porte de la chambre.
— Voilà, vous êtes chez vous…
Elle rougit en acquiesçant. La dernière fois, ils avaient deux chambres au lieu d’une mais se rejoignaient dans celle-ci. Maintenant, il n'y avait plus aucune ambiguïté.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Pierre Farines vit en Auvergne et en Allemagne. Poète, éditeur d'une revue de poésie et homme de théâtre, il est aussi amoureux de la presqu'île de Crozon. La route de Rocamadour est son deuxième roman policier.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
LangueFrançais
Date de sortie13 déc. 2016
ISBN9782355503528
La route de Rocamadour: Tome 2

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    Aperçu du livre

    La route de Rocamadour - Jean-Pierre Farines

    Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

    À Marie Delbreil

    et à Maryse,

    à Laurence,

    à Sonja

    toujours.

    REMERCIEMENTS

    Les personnages de ce roman sont imaginaires mais les lieux existent bel et bien. Je tiens à remercier Pierre Wagner-Autesserre qui m’a aimablement autorisé à situer une partie importante de l’action dans son château de Larroque-Toirac. Et à redire mon amitié pour Noël, Marie-Claude, Yves, Joël, et tous les Cormorans

    I

    Firmin Lacombe sortit sur le pas de sa porte en faisant claquer sur ses épaules les bretelles de son pantalon. Il s’était levé, comme d’habitude, avec le soleil, ou presque, parce qu’il aimait cette heure fraîche où des écharpes de brouillard s’étirent encore sur les méandres paresseux de la rivière, en bas, dans la vallée. Il avait pris aussi l’habitude, pour laquelle sa femme le rabrouait régulièrement, d’aller pisser sous les arbres, à côté de la maison, en contemplant le paysage paisible, immobile comme une carte postale. Quand Lucienne rouspétait « quand même, tu vois bien que c’est pas convenable », il répondait seulement « tu parles, à cette heure, y a personne » et il continuait ainsi tous les matins à abreuver les roses trémières qui ne s’en portaient finalement pas plus mal.

    Ce matin-là cependant, son attention fut d’abord attirée par un large envol d’hirondelles, en même temps qu’un bref éclat de soleil, qui avait dû se refléter dans une fenêtre du château, parcourait les feuillages des chênes verts plus loin sur la falaise. Il eut aussitôt le réflexe de se cacher, mais la curiosité l’emporta et, se reboutonnant en hâte, il observa ce qui se passait là-haut.

    Presque au sommet de la tour la plus élevée, une petite fenêtre à meneaux s’était ouverte en effet et une scène étrange se déroulait. Quelqu’un s’efforçait de faire passer par l’étroite ouverture carrée une chose que le père Lacombe prit d’abord pour un vieux matelas ou quelque autre objet gonflable qui lui parut blanc verdâtre. On aurait dit quelque chose de répugnant comme un gros ver sortant d’un fruit, mais finalement il pensa bien reconnaître un mannequin. Il y avait de belles armures là-haut, dans les salles, que l’on astiquait probablement très tôt le matin afin de les rendre plus étincelantes pour les premiers visiteurs. Et l’on avait dû, pour le coup, remplacer ce jour-là un mannequin fatigué. Le père Lacombe trouva que, tout de même, c’était une curieuse manière de faire le ménage mais ne s’en inquiéta pas outre mesure. Après tout, ça ne le regardait pas, et on voit des choses tellement bizarres. Finalement, il vit l’objet s’extraire tout à fait. Et tomber. Comme une grosse poupée qui sembla se désarticuler en heurtant plusieurs fois la muraille avant de rester accrochée, coincée entre la roche, au pied de la tour, et les branches des premiers arbres « Hé bé miladiou ! C’est sûr qu’ils vont s’amuser pour le récupérer ! C’est une blague ou bien quoi ? » Il n’avait rien entendu mais, en haut, la fenêtre se refermait renvoyant dans les arbres de la falaise un nouvel éclat doré.

    Firmin rentra chez lui où se répandait l’odeur du café que sa femme venait tout juste de préparer. Il chercha d’abord dans le tiroir du buffet son appareil auditif qu’il installa tranquillement tandis qu’il s’asseyait à la longue table de la cuisine et il appela :

    — Lucienne !

    — Oui ! Eh bé, crie pas comme ça, je suis pas sourde, moi !

    Il cherchait ses mots pour décrire la scène à laquelle il venait d’assister quand il se dit que, tout compte fait, il valait bien mieux se taire que de s’attirer encore quelque remarque désagréable sur ses vilaines manies etc. Il se versa un grand bol de café.

    — Non, rien, je voulais dire que je vais aller voir le tabac.

    — Eh bé oui, dit-elle seulement tandis qu’elle préparait à son tour son petit-déjeuner. Il but son café lentement, sans plus rien dire, en mangeant une tranche de pain qu’il avait d’abord tartinée d’une moitié de cabécou. Et réglant son appareil qui sifflait désagréablement, il ressortit bientôt, traversa la rue et grimpa dans sa camionnette sans penser davantage à regarder vers le château. Il chercha son paquet de cigarettes dans le vide-poches, alluma une Gauloise, puis, desserrant seulement le frein à main, il prit la descente, brinquebalant à travers le village, en roue libre pour ne pas réveiller le voisinage.

    II

    « Walk on the wild side… » Elle s’arrêta à Sizun, en plein centre du bourg, sur un large parking encore à moitié désert. Elle soupira profondément, de soulagement parce qu’elle était presque arrivée, se laissa aller contre le dossier, alluma une cigarette mentholée et resta encore un moment assise dans la voiture pour écouter la fin de la chanson de Lou Reed. Puis elle éteignit l’autoradio. Nancy était heureuse de retrouver la Bretagne malgré toutes les épreuves qu’elle y avait vécues quelques mois plus tôt. Heureuse tout simplement parce qu’il faisait beau et parce que c’était là qu’elle avait rencontré Jean-Gabriel Toirac, même si sa liaison avec lui était loin d’être simple. Elle était heureuse aussi parce qu’elle retrouvait sous ce beau soleil matinal le pays de sa grand-mère paternelle. Marie, sa Mamy, qui lui avait si souvent parlé du pays de son enfance, surtout depuis les événements du mois de février qui avait libéré la vieille dame d’un silence forcé. Silence de plusieurs dizaines d’années pendant lesquelles elle et son mari avaient dû disparaître et changer d’identité pour survivre.¹

    Marie lui avait recommandé encore la veille, juste avant qu’elle embarque pour la France, de s’arrêter à Sizun pour visiter l’enclos paroissial dont elle avait gardé un souvenir plein de reconnaissance et de tendresse. Marie White, née Lanval, toute une histoire. Elle n’avait pas revu sa Bretagne natale depuis la Seconde Guerre mondiale et prenait un plaisir plein de nostalgie à en parler avec sa petite-fille. Marie aimait aussi beaucoup Jean-Gabriel qui le lui rendait bien, et elle s’étonnait toujours d’entendre Nancy l’appeler JG. « S’il t’appelait « N » qu’est-ce que tu dirais ? Nancy riait et taquinait sa grand-mère en lui expliquant que JG c’est bien plus court et plus pratique. À quoi Marie répondait invariablement :

    — Vous êtes donc si pressés ?

    Nancy éteignit sa cigarette et l’écrasa dans le cendrier avant de quitter la voiture pour faire quelques pas sur la place. S’orienter dans le village était très facile, et elle renoua aussitôt le fil de ses pensées. Elle adorait sa Mamy qui était restée très jolie malgré son âge. Elle l’aimait encore davantage depuis qu’elle connaissait la véritable histoire de sa rencontre avec un soldat allemand, Willy, son mari depuis 1945, et de leur amour qui avait résisté aux épreuves de la guerre et aux longues années écoulées depuis. Marie lui avait raconté comment ils s’étaient cachés, à Sizun précisément, en 1944, chez des amis de la Résistance, en attendant que la paix revenue leur permît de s’embarquer pour l’Angleterre. Là, ils avaient refait leur vie, comme on dit. Ils s’étaient installés à York où les bombardements avaient détruit toutes les archives. Et ainsi, ils avaient pu assez facilement se faire une nouvelle identité. Willy Weiss était devenu Willy White et lui avait aussitôt demandé sa main, mais ça, c’était une autre histoire.

    Nancy visitait donc ce matin-là l’enclos paroissial parce que Marie lui avait avoué que, par deux fois, là et dans la chapelle de Rocamadour, à Camaret, elle avait fait le vœu de revenir en pèlerinage après la guerre. Pour lors, ce vœu était resté un rêve, Willy ne voulait pas risquer de se heurter à des haines tenaces. De vieilles rancunes à peine oubliées. Il ignorait quelle forme prendrait le danger mais il gardait au fond de lui comme une idée fixe, la certitude que le risque restait réel malgré le temps écoulé. Les événements de l’hiver dernier lui avaient donné amplement raison et Marie se reprochait amèrement depuis d’avoir failli provoquer la mort de sa petite-fille « Mais tu as rencontré Jean-Gabriel », disait-elle comme pour se faire pardonner, « Tu vois comme l’Histoire se répète. » Et en quelques semaines, Nancy en avait appris davantage sur ses grands-parents que pendant tout le reste de ses vingt-six années. Marie était intarissable, sans doute parce qu’elle avait dû garder si longtemps le silence sur sa jeunesse et son enfance dont elle n’avait, jusque-là, presque rien dit. Maintenant, elle se rattrapait avec une joie communicative. Ne se privait pas d’interrompre Nancy dans son travail les après-midi pour boire le thé et lui parler de ses parents. De ses premières années à Brest. Des dimanches quand elle avait seize ans où on prenait le bateau en famille pour aller à Quélern, puis à la plage de Trez Rouz pour pique-niquer. Et il y avait parfois des sorties avec les gens du syndicat, ses parents levaient le poing et on chantait tous en chœur.

    — Ma mère me faisait lever le poing aussi. Elle était institutrice comme mon père, et comme moi plus tard, mais tout ça tu le sais bien, je radote.

    Marie riait. Nancy s’étonnait d’entendre sa grand-mère parler encore avec tant d’enthousiasme de ces années trente et en particulier des pique-niques sur le sable de Trez Rouz où elle-même, soixante-dix ans plus tard, avait bien failli mourir assassinée. Elle comprenait mieux cependant pourquoi la vieille dame s’était si fort intéressée à la thèse d’Histoire de sa petite-fille sur leur ancêtre anglais qui avait débarqué là en 1694. Évidemment, tout cela se superposait, s’embrouillait un peu parfois. L’Histoire bégayait. Marie riait encore, puis redevenait soudain plus grave en évoquant ses parents disparus, à la fin de la guerre, dans les bombardements de Brest, avant même d’avoir pu rencontrer Willy et de l’avoir accepté : « C’était difficile d’aimer un soldat allemand à cette époque. Mais je suis sûre, ma chérie, qu’ils l’auraient aimé si seulement ils l’avaient connu. » Son regard se noyait de larmes où se reflétaient les images du passé, sa voix tremblait un peu. « Tu te rends compte, les parents de Willy sont morts sous les bombes à Hambourg, et les miens, presque au même moment… Parfois, on dirait bien qu’il y a une force là-haut qui décide de tout ça. » Alors Nancy s’étonnait que l’on puisse avoir levé le poing pendant le Front Populaire et croire encore à une volonté d’en haut. Mais elle parlait d’autre chose. Promettait d’aller visiter l’enclos paroissial à Sizun où elle penserait très fort à sa Mamy. Et elle l’embrassait.

    Maintenant, elle était là, recueillie devant le calvaire. Sous les voûtes fraîches, elle pensait à ses grands-parents. À elle-même et à JG aussi, se demandant quel était leur avenir à tous deux. Il était si tendre, mais si compliqué, incapable encore de penser à sa femme et ses filles sans culpabiliser.

    Elle regarda l’heure et vit qu’elle devait maintenant se dépêcher un peu.

    Elle était partie de Roscoff tôt le matin, après avoir débarqué du bateau qui l’avait amenée d’Angleterre dans la nuit.

    La traversée avait été parfaitement calme. La nuit splendide, où on croisait des navires dans tous les sens. D’immenses pétroliers et quelques paquebots illuminés comme des buildings.

    À Roscoff, elle avait trouvé la voiture de location qui l’attendait. Une belle petite Peugeot rouge, un peu voyante à son goût, mais qu’elle avait pris plaisir à conduire sur les routes étroites à travers les Monts d’Arrée.

    Elle ressortit de l’enclos paroissial avec une dernière pensée attendrie pour ses grands-parents et rejoignit sa voiture sur le parking voisin. Le soleil était déjà très haut. Elle fit glisser le toit ouvrant, ravie de pouvoir profiter du ciel bleu, et démarra en direction du Faou qu’elle avait déjà repéré sur sa carte quand elle avait décidé d’éviter l’autoroute. Tout allait bien, mais une légère appréhension s’installait en elle tandis qu’elle se rapprochait de la presqu’île de Crozon. Il était déjà dix heures.


    1 Lire Brume sur la Presqu’île, même collection, mêmes éditions.

    III

    À la même heure, Jean-Gabriel Toirac venait de se lever. Il était en vacances et cette perspective ne suffisait pas à lui ôter l’angoisse avec laquelle il s’était réveillé. Depuis qu’ils s’étaient séparés, sa femme et surtout ses filles lui manquaient. Il ignorait toujours quand leurs situations respectives allaient se stabiliser, quand il pourrait les revoir. Il le désirait et il en avait peur en même temps. Presque tous les matins avaient ce goût d’inquiétude et de remords. Il pensa à Nancy qu’il devait rejoindre le lendemain et une partie de son malaise se dissipa. Elle devait être en route pour Camaret. Il regarda sa montre et calcula qu’elle avait dû quitter le bateau depuis deux ou trois heures déjà. Il l’appellerait quand il serait sûr qu’elle était arrivée à l’hôtel Vauban. En attendant, il allait préparer son petit-déjeuner. Sa table était encombrée de courrier auquel il devait absolument répondre dans la journée avant de l’expédier à la dernière levée. Il partirait comme convenu le lendemain, le plus tôt possible.

    L’image de Nancy qui se forma dans sa pensée le fit sourire enfin et il imagina avec plaisir, et déjà une sorte de gourmandise, le moment où ils allaient se retrouver. Il vit ses yeux et sa silhouette et considéra qu’il avait quand même beaucoup de chance. Il se disait cela chaque fois qu’il pensait à elle, et c’était souvent. Une vague de désir le parcourait. Puis à nouveau les questions l’emportaient. Il se raisonna : « Vingt-quatre heures, encore un peu de patience… » Il avait parlé tout haut et, cependant qu’il versait de l’eau bouillante sur le thé, il se revit chez Nancy, à York, tandis qu’ils prenaient ensemble leur breakfast.

    Elle habitait un petit appartement qui sentait toujours un peu la cigarette mentholée, près de chez ses parents et de Willy qui vivaient tous dans la même grande bâtisse dont le rez-de-chaussée était occupé par la maison d’édition que Willy White avait fondée après la guerre et que son fils dirigeait maintenant. Une belle famille, équilibrée, joyeuse. Ce qui avait presque toujours manqué à JG. C’était devenu, dans son psychisme, une zone d’ombre où il n’aimait pas s’aventurer.

    Il se versa un peu de lait et du thé qu’il but presque bouillant, en circulant d’une pièce à l’autre. Depuis le départ de Julia, il habitait au deuxième étage d’un petit immeuble, pas loin de Clermont-Ferrand, un trois-pièces envahi par les livres et qu’il devrait sûrement quitter pour un plus grand si Nancy décidait de venir s’installer avec lui. Pour l’heure, et d’un commun accord lui semblait-il, ils n’avaient pas encore osé aborder ensemble cette question. À nouveau, il se la représenta et se surprit à penser qu’il ne l’avait encore jamais vue en bikini. Cette idée le fit sourire derechef, sur quoi il alla chercher son slip de bain pour être sûr de ne pas l’oublier. Sa valise béante gisait depuis deux jours sur le canapé du salon, déjà à moitié remplie. Il y jeta le slip et se dirigea vers la cuisine pour commencer à traiter ce qui restait de son courrier, en continuant à boire son thé.

    Parce que l’image de Nancy ne le quittait pas, il pensa aussi à Marie Lanval qu’il avait vue à York où les White l’avaient invitée après l’affaire de Trez Rouz. Dans son imagination, elle était restée jusqu’alors la jeune fille très belle dont il avait lu l’histoire dans les lettres de guerre de Willy Weiss. Puis elle avait disparu. Et tandis que tout le monde la croyait morte, elle était devenue Marie White, la grand-mère de Nancy. Jean-Gabriel avait eu peur, avant de la rencontrer, de voir avec tristesse disparaître l’image idéalisée de l’héroïne qu’il gardait en mémoire. Mais il avait, avec bonheur, découvert une dame, âgée évidemment, mais élégante, gracieuse, mince, coquette aussi, avec un sourire si jeune qu’il l’avait aimée aussitôt. Marie n’était pourtant pas tout à fait comme il l’avait imaginée. Très jolie, ainsi que la lui avaient décrite tous ceux de Camaret qui l’avaient connue, elle avait gardé, malgré les années, une finesse et une grâce étonnantes. Cependant, elle était un tout autre personnage que la femme fragile qu’il s’attendait à rencontrer. Elle était toujours très féminine mais les épreuves n’avaient fait que forger plus solidement son caractère. Avec sa fragilité apparente, elle était restée une femme de conviction, aux idées progressistes, que son goût pour la poésie n’avait fait que renforcer. Il pensait à elle presque aussi souvent qu’il pensait à Nancy et se disait avec plaisir que la petite-fille serait sans doute un jour comme la grand-mère dont elle avait les yeux.

    À onze heures trente, il se refit du thé. Il avait presque fini son courrier tout en faisant la liste de tout ce qu’il ne voulait pas oublier. La veille, quand il avait téléphoné à Camaret, à l’hôtel Vauban, c’était Léo qui lui avait répondu que tout était prêt pour les accueillir, lui et Nancy, leur chambre était bien réservée, pas d’inquiétude à avoir. En écoutant la voix amicale de Léo, il avait eu l’impression de se retrouver au bar de l’hôtel, de voir le ciel matinal et d’entendre les cris éraillés des goélands. Puis il avait réalisé qu’il ne connaissait Camaret qu’en hiver et que l’image qu’il s’en faisait n’était pas de saison. Léo l’avait aussitôt rassuré : « Il fait très beau, presque trop chaud et la météo est parfaite. Pas idéale pour la voile, il n’y a pas beaucoup de vent, mais tous les plaisanciers sont en mer. Haute pression pour au moins une semaine. » JG revint sur terre et se remit à son courrier. L’envie de se baigner avec Nancy, de la serrer presque nue dans l’eau contre lui, de goûter le sel sur ses lèvres, il était très amoureux… Impossible de se concentrer sur ce qu’il écrivait dans ces conditions. Il se leva et empila encore quelques vêtements dans sa valise. Sans pouvoir préciser pourquoi, il s’aperçut qu’il était très inquiet.

    IV

    À onze heures trente, Firmin Lacombe, un mégot éteint et brun de salive aux lèvres, remontait la ruelle qui zigzague à travers le bourg, en regardant la haute silhouette du château. Il faisait déjà très chaud et il avait soif mais il était plutôt content, le tabac serait beau cette année, plus beau sans doute que l’année passée où les orages avaient gâté une bonne partie des plants. En se rappelant soudain, sans raison bien définie, la scène étrange du matin, il regarda la fenêtre en haut de la tour. Rien de particulier, la fenêtre était fermée comme la plupart du temps. Il gara la camionnette et, tandis qu’il claquait la portière dans un grand bruit de ferraille, il jeta un coup d’œil au pied de la paroi où il avait vu tomber le mannequin. Étonné et un peu mécontent, il maugréa en jetant son mégot

    « Eh bé miladiou, il est encore là celui-là ! » Il s’approcha du rocher, écartant les branches d’arbres. « J’espère qu’ils vont pas le laisser là. C’est quand même pas à moi de… » Il s’interrompit soudain en voyant la tête renversée qui le regardait fixement avec des yeux exorbités. Lentement, Firmin se tordit le cou pour mieux voir en face le visage tuméfié. Alors, il commença à reculer sans pouvoir détacher son regard du cadavre.

    Persuadé d’abord de faire un cauchemar, il voulut appeler sa femme, trébucha comme un homme ivre et faillit tomber en se retournant vers sa maison, mais aucun son ne sortit de ses lèvres jusqu’à ce qu’il se mît à crier : « Lucienne ! Ho ! Lucienne, viens voir par ici, vite ! » Elle dévalait presque aussitôt les marches du perron, accourait en pensant d’abord qu’il avait peut-être un malaise « Eh bé quoi ? Qu’est-ce que tu as à crier comme ça ? Tu m’as fait peur ! » Puis elle vit la main tendue de son mari qui tremblait en lui montrant quelque chose. Elle se retourna, hésitant à comprendre quand elle écarta une branche pour mieux voir et se trouva nez à nez ou presque avec un corps désarticulé, complètement nu. Elle remarqua alors, sur un bras qui se tendait vers elle, une profonde blessure aux lèvres livides. Et comme elle tirait convulsivement sur la branche qu’elle ne parvenait plus à lâcher, le cadavre d’un homme glissa lentement et tomba à ses pieds avec un bruit mou. Une main glacée se posa sur sa jambe. Elle s’évanouit sans un cri.

    V

    Nancy arriva à Camaret un peu avant midi et elle aurait bien voulu s’arrêter en haut de la rue des Quatre vents pour admirer la baie, la tour Vauban et la chapelle de Rocamadour sous le soleil, mais elle eut à peine le temps de ralentir que le conducteur du camping-car qui la suivait klaxonnait en se rapprochant dangereusement. Elle leva donc le pied de la pédale de frein et descendit vers le port qu’elle n’avait encore jamais vu aussi encombré. Dans l’eau, par les bateaux, et plus encore, de tous côtés sur les quais, par les piétons en short qui fourmillaient sans but apparent et traversaient la chaussée n’importe où, sans rien regarder. Les automobilistes s’arrêtaient, sans prévenir et en double file, pour admirer le point de vue ou pour attendre une place où se garer. Ce n’était plus le port à moitié désert qu’elle avait connu en hiver mais une station touristique envahie par une nuée de voitures de toutes nationalités. Avec un petit pincement de jalousie, elle se dit qu’elle le regrettait presque. Comme si cette foule de vacanciers lui volait quelque chose de cette ville qu’elle connaissait autrement, avec qui elle se sentait désormais des liens profonds et privilégiés comme on peut en avoir avec quelqu’un qu’on a appris à aimer dans l’épreuve.

    Elle longea les quais et le port de plaisance, jetant un coup d’œil rapide à la succession multicolore des vitrines qu’elle avait vues fermées en février et qui offraient maintenant tout au long du trottoir des étalages de souvenirs et de vêtements de plage devant lesquels se bousculaient les curieux. En ralentissant devant le Vauban, elle vit, par les grandes baies largement ouvertes, Léo derrière le bar de l’hôtel, il avait eu le temps de la reconnaître et lui faisait signe de faire le tour du pâté de maisons pour entrer dans le parking. Aux tables de la terrasse, on buvait déjà l’apéritif en exhibant des bras et des jambes nus, plus ou moins bronzés ou carrément écarlates. Elle continua sur le quai du Styvel, contournant les hôtels et les restaurants déjà surpeuplés, slalomant entre les baigneurs affamés qui remontaient de la plage de Corréjou. Un jeune type en bermuda, avec une planche à voile qu’il tenait à bout de bras au-dessus de sa tête, traversa juste devant son capot et lui décocha un grand sourire et un clin d’œil. Elle allait protester mais elle eut envie de rire soudain. L’inquiétude l’avait quittée et laissait place au désir de s’étendre au soleil à son tour, de nager, de dormir, de retrouver son amant, de le caresser et de faire l’amour.

    Elle entra dans le parking de l’hôtel où la petite Peugeot se glissa entre deux grosses voitures : une belge et une allemande. Et, enfin, elle se sentit arrivée. Avec un grand sourire, Anne-Marie s’approchait d’elle.

    — Bonjour Nancy. Alors pas trop fatiguée ? La traversée a été bonne ? Je suis contente de vous revoir. Vous voulez que je vous aide à monter vos bagages ?

    — Je veux bien, merci. Naturellement, j’ai beaucoup trop de choses, je pourrai pas tout porter. Je veux dire, je mettrai sûrement pas tout ce que j’ai emporté…

    — Bah, c’est toujours comme ça. Alors vous avez fait bon voyage ?

    — Toute votre famille va bien ?

    C’était Léo qui posait la dernière question comme il venait à leur rencontre. Elle l’embrassa aussi. Il empoigna la plus grosse des deux valises et gravit les escaliers, suivi des deux femmes avec le reste des bagages. Nancy reconnaissait l’atmosphère feutrée de l’hôtel empreinte d’un parfum léger de lavande. Et elle se rappelait avoir monté ces étages avec JG quand tous les deux tremblaient de peur et de froid. De désir aussi. Elle revoyait des images qui se précisèrent encore quand Léo ouvrit la porte de la chambre.

    — Voilà, vous êtes chez vous…

    Elle rougit en acquiesçant. La dernière

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