Le dernier appel
Devant son café, il avait fait depuis son téléphone un petit tour sur sa boîte mail et les différents réseaux sociaux qui hébergeaient ses divers profils. Il y avait déjà, à cette heure-ci, recueilli bon nombre de Happy birthday, Laurent ! La plupart de ses correspondants étant australiens, il les imaginait heureux de pouvoir écrire son prénom plutôt que d’avoir à le prononcer. C’était là le sort de pas mal de Français exilés : les sonorités natales de leurs patronymes en prenaient souvent pour leur grade. La journée était déjà planifiée. Janet serait absente pour la journée. Mais dès son retour, ils s’habilleraient comme deux oiseaux en pleine parade nuptiale et iraient prendre possession de la table qu’il avait réservée dans l’un des meilleurs restaurants de Canberra pour une soirée romantique qui leur rappellerait, comme chaque fois, leurs premiers rendez-vous à Paris, à l’époque où c’était elle, Janet, l’exilée, et qu’il lui faisait découvrir les subtilités d’un bordeaux ou les saveurs sauvages d’un bœuf bourguignon. Cinq ans plus tard, alors qu’il avait très vite choisi de tout lâcher pour la suivre au pays des koalas, il ressentait toujours quelques bouffées de nostalgie. Mais il ne regrettait rien. Surtout quand, chaque matin en actionnant le volet coulissant, il était ébloui par la vue, celle de la rivière Molonglo qui s’assoupissait paresseusement sous le barrage pour former le lac Burley Griffin, criblé du noir des plumes de ses cygnes et, en été, du blanc de ses planches à voile. Belle, croisée d’un labrador et d’un père de passage, aimait à l’observer de loin, depuis le balcon, reconnaissant sans doute les rives sur lesquelles elle aimait s’ébattre en liberté en faisant mine de ne pas entendre les rappels de Janet et Laurent.
Le seul petit nuage noir de ce matin était la voix du journaliste à la radio qui annonçait des vents violents qui pouvaient se transformer en tempête et menaçaient les côtes sud du pays. Janet, comme souvent, s’apprêtait à rejoindre l’aéroport pour gagner Melbourne, ainsi qu’elle le faisait fréquemment pour l’agence publicitaire dans laquelle elle travaillait,
