Le chien aux yeux couleur miel: Roman
Par BARTHEL
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Anne Barthel est romancière et nouvelliste. Née à Nîmes. Toujours fidèle à la réalité historique, elle envoûte les lecteurs avec des histoires passionnantes où se mêlent des personnages fictifs et réels. Une écriture claire et limpide, une intrigue vivante et rythmée et une atmosphère. L’auteur vit aujourd’hui à côté de Toulon.
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Aperçu du livre
Le chien aux yeux couleur miel - BARTHEL
d'Azur
PREMIER CHAPITRE
Campé, les jambes légèrement écartées sur le promontoire de schiste gris argenté veiné de rouille, il contemplait le Tarn grossi par les orages de la nuit qui charriait des eaux boueuses en dessous dans la vallée. Il y aurait peut-être une sortie de champignons dans quelques jours, pensa-t-il. Son imposante silhouette se découpait sur le ciel qui roulait des nuages poussés par le vent du Sud et son regard aux reflets doux du miel des Cévennes parcourait lentement l’étendue désertique du grand Causse de l’autre côté des gorges. Il huma l’air à pleins poumons en retrouvant des senteurs bien connues. Ils avaient roulé une partie de la nuit et sitôt les bagages déchargés il était venu se réfugier là pour éviter leurs moqueries de citadines incapables de comprendre son attachement à cet endroit sauvage. Jamais il n’aurait dû les amener là, à la source de ses souvenirs ! Mais qu’est-ce qu’il lui avait pris ?
Il était venu seul parfois, roulant toute la nuit pour entrevoir de loin au petit matin, ses enfants ou sa femme après leur divorce. Il avait découvert par hasard ce gîte au fond d’une faïsse proche de la maison familiale dont sa femme avait hérité après la mort de sa Grand-mère. Lors-que le passé se faisait trop présent, il faisait seul une escapade pour sentir à nouveau les genêts en fleurs au printemps ou contempler la houle mauve des bruyères sous le vent à la fin de l’été. Il ne dérangeait personne, ne se montrait pas, mais observait de loin que rien n’avait changé, sinon qu’il ne faisait plus partie du décor.
Tôt ce matin, ils avaient atteint le vallon où se niche la ferme transformée en gîte rural où il trouvait parfois refuge. C’était la première fois qu’il y venait accompagné et déjà il le regrettait. Elles se lançaient des plaisanteries concernant le paysan Cévenol qui les avait accueillies et dont elles avaient ignoré la main tendue crevassée et terreuse, à leur arrivée. Lâchement il avait fui et avait rejoint le promontoire les laissant à leurs critiques acerbes concernant le manque de confort, de boutiques et de voisinage. Il tourna la tête et regarda derrière lui ; il lui suffirait de monter le raidillon et il retrouverait sans peine les souvenirs des jours heureux où les enfants sur les talons et sa femme fermant la marche le suivaient comme on suit un guide. Il était loin déjà, ce temps où toute la famille retrouvait avec bonheur la vieille maison pour des vacances ou des fêtes de fin d’année.
Jamais il n’avait osé dire à sa jeune maîtresse que ce coin des Cévennes était beaucoup plus pour lui qu’un en-droit plaisant où se désintoxiquer de la pollution parisienne, et encore moins que la maison familiale riche de tant de souvenirs était cachée plus haut à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau.
À contrecœur il tourna les talons ; on ne revient pas sur son passé ! et se dirigea vers le vallon avant qu’elles ne découvrent et n’envahissent son refuge.
Il avait dû accepter que sa meilleure amie les accompagnât, seule condition qu’elle avait posée pour passer quelques jours dans ce trou perdu, loin des odeurs de la ville avec ses encombrements.
Comment lui faire comprendre ce que ces paysages et cette solitude représentaient pour lui ?
Vainement, à plusieurs reprises il avait tenté de lui faire admettre qu’avant leur liaison il avait eu une vie, toute une vie ! Elle ne voulait rien entendre, rien savoir, rien comprendre. De l’âge de sa fille aînée, elle balayait tout son passé d’un coup de cul callipyge qu’elle pensait irrésistible et du moment qu’il la désirait, tout lui semblait simple. De son côté à lui, retombé en sueur auprès d’elle, tout était beaucoup plus compliqué ! Les tensions un instant effacées par ces instants fugitifs lui donnaient une impression d’invincibilité, puis lucide, il se prenait à regretter comme aujourd’hui, le passé, et un sentiment d’échec absolu le submergeait. Enfuie, la satisfaction de plaire à une aussi jeune femme et le regard d’envie des autres hommes, qui pour quelques instants lui faisait penser que cela l’empêchait de vieillir. Il en était là de ses réflexions suivant la pente avec attention, les pierres de schiste sont glissantes après la pluie, et rejoignit le gîte songeant à l’ennui mortel du long week-end qui l’attendait et qu’il avait eu le tort d’espérer semblable à ceux du passé. Il ne pensait plus maintenant qu’à son retour à Pa-ris, incapable qu’il était de communiquer l’amour pour la terre de son enfance et la première partie de sa vie d’homme.
DEUXIÈME CHAPITRE
Enfin, elle était débarrassée de lui ! Les marronniers en fleurs embaumaient dans l’air du soir et les promeneurs flânaient sous les fenêtres de l’hôpital.
Le souffle régulier de la climatisation emplit la chambre, étouffant les bruits extérieurs qui parvinrent assourdis jusqu’à elle. Elle éprouvait une envie irrésistible d’ouvrir la fenêtre, de crier sa délivrance, attendit encore un peu, les yeux fixés sur son visage enfin détendu et serein, doutant que ce fût son dernier souffle. Le mois de juin touchait à sa fin, la nuit étoilée couvrait la grande ville au-dessus du halo fluorescent des enseignes lumineuses. Sur la colline de Montmartre en fête, un feu de la Saint-Jean léchait de ses flammes claires les cuisses blanches des filles. Leurs robes légères se soulevaient à chacun de leur saut par-dessus le brasier. Plus elles sautaient haut, plus leur chance de se marier dans l’année était grande. Elle les enviait mourant d’envie de les rejoindre. À cette idée les battements de son cœur s’accéléraient. Toutefois elle n’osa pas, un reste de pudeur l’en empêchait ! Elle devrait se montrer prudente, patienter encore quelques jours pour n’éveiller aucun soupçon !
Toute petite, à peine de la taille d’une enfant de treize ans, le haut du corps menu à la poitrine effacée d’adolescente, lorsqu’elle marchait, on ne voyait d’elle qu’un derrière charnu aux hanches larges qui contrastait avec son allure juvénile et qui attirait le regard des hommes. Elle avait aimé alors qu’il l’appelât sa Vénus Callipyge. Elle devait être raisonnable, jouer la comédie, donner le change et se lamenter encore en présence de ses amis qu’elle avait fini par séduire avec ses mines de fillette. Pendant sa maladie dont elle espérait et pour cause, l’issue fatale, elle avait discrètement soldé à son profit le compte en Suisse dont, imprudemment il lui avait confié le numéro un jour, où, lassé de ses pleurnicheries parce qu’il ne lui faisait pas confiance, elle avait réussi à force d’agaceries et de mouvements lascifs de croupe, à le faire céder. Elle possédait à présent une somme suffisamment conséquente pour assurer son avenir durant les quelques mois qui suivraient sa disparition.
Avec cet argent et la somme de l’assurance vie qu’il avait contractée à son nom elle serait à l’abri du besoin, le temps de lui trouver un remplaçant sur le retour qui, lui aussi, lorsqu’elle en aurait tiré tout le profit possible, serait abandonné ou éliminé d’une manière ou d’une autre ; elle n’était jamais à court d’idées ! Dans quelques jours elle serait libre, elle prendrait alors un amant jeune à la peau ferme et souple, au sexe assuré, et son désir assouvi, elle repartirait à la chasse à l’homme mûr.
Elle allait d’abord se donner du bon temps !
— Rien, je ne regrette rien, pensa-t-elle sans l’ombre d’un remords.
Au début de leur relation, elle avait été sincère, séduite par son charme d’homme mûr et sa situation confortable. Ignorant tout de son père, sa mère éludant toute question à son sujet elle découvrait en cet homme, le Pygmalion et le protecteur qui lui avaient toujours manqué.
Pendant quelques mois elle admira sa culture et sa finesse qui la fascinaient, elle s’en imprégnait comme une véritable éponge. Apparemment docile, souvent capricieuse elle le rendait fou de désir, le manœuvrant alors comme elle l’avait prévu. Parfois, il lui arrivait d’émettre un avis dans les conversations sans fin où lui et ses amis intellectuels refaisaient le monde, la conversation un instant suspendue, reprenait alors exactement au point où elle les avait interrompus, comme si elle n’avait rien dit, comme si elle n’existait pas. Chaque jour blessée davantage, mortifiée, elle n’en laissait rien paraître accumulant les griefs et la rancœur.
Des jours, des mois passèrent ainsi et quand elle pensa en avoir tiré le bénéfice qu’elle pouvait en espérer, c’était décidé ! Elle allait rompre.
— Fini, fini, n, i, ni ! répétait-elle les dents serrées, le regard lourd de menaces chargé de haine. Sa décision prise, elle se précipita chez sa meilleure amie, celle des bons et des mauvais jours, la complice de tous les instants, celle qui savait tout d’elle sans jamais en tirer avantage, celle qui connaissait son enfance hasardeuse de petite fille de la rue et de sa misère affective. Elle avait en elle une confiance absolue et lorsque celle-ci ouvrit la porte après son bref coup de sonnette, elle s’effondra en pleurs dans les bras amis.
— Je le plaque, cette fois-ci, je le plaque, je peux plus l’encaisser, qu’est-ce que je suis pour lui ? Je l’amuse c’est tout ! J’en ai marre de jouer à la fillette en culotte « petit bateau » et en socquettes blanches, il peut se les mettre au cul ses accessoires ! Fini j’te dis ! Fini la jupe fendue et la moue aguicheuse ! Qu’il crève !
Dans la colère elle retrouvait le langage de la rue qu’elle avait abandonné depuis quelques mois.
— Aide-moi ou je vais faire une connerie ! Y mériterait que ça, que je le bute ! Seulement, j’ai pas envie d’aller en taule ! Affectueusement son amie la guida vers le lit qui servait de canapé dans la journée, la fit asseoir, enserra ses épaules et l’attira à elle.
— Calme-toi, on va trouver une solution, ce serait trop con, tu peux pas tout lâcher comme ça ! Laisse-moi réfléchir, on va bien trouver une solution j’te dis !
Quand elle eût séché ses larmes et que le tremblement qui l’agitait eût cessé, dans un dernier hoquet elle dit :
— J’ai bien une idée, mais j’ai besoin de toi. Il faudrait m’en débarrasser, mais sans laisser de trace. Tu sais qu’il a pris une assurance-vie ? Eh ben, tant pis pour sa gueule, j’ai assez payé, il va casquer maintenant, je lui dois plus rien !
L’autre réfléchissait, et quand elle réfléchissait son front se plissait et ses yeux roux se rétrécissaient jusqu’à n’être plus que deux fentes.
— Laisse-moi un peu de temps, je vais bien finir par trouver !
Le lendemain à la première heure c’est-à-dire en fin de matinée, il fallait bien la laisser récupérer la pauvre petite ! Elle laissa sonner un long moment le téléphone et enfin, son amie, la voix ensommeillée décrocha.
— Ah, c’est toi ? Je croyais que c’était encore l’autre, il m’appelle toujours pour voir si j’ai préparé à bouffer avant de rentrer, sinon il bouffe à son boulot.
T’as réfléchi ? Alors, quelle nouvelle ?
— Fringue-toi et rapplique dare-dare. On a rendez-vous, magne-toi. J’peux pas t’en dire plus au bigophone.
A la hâte elle enleva le tee-shirt qu’elle mettait pour dormir, enfila un slip, pas besoin de soutien-gorge elle n’avait rien à mettre dedans, enfila sa minijupe préférée qui lui arrivait au ras des fesses, un petit pull moulant et par dessus, son petit manteau d’écolière aux épaules étroites qui accentuait son allure gracile, enfantine. Il pleuvait, une pluie fine et froide comme on la trouve à Londres. Elle pénétra dans la bouche de métro, midi sonnait à l’église voisine. Elle n’eut pas besoin de carillonner comme elle le faisait d’habitude, son amie ouvrit la porte dès qu’elle entendit l’ascenseur sur le palier.
— Grouille-toi, on a rendez-vous à une heure, je t’expliquerai en chemin, une copine m’a filé une adresse. Y paraît que c’est un mec super, un vrai marabout de son pays, on peut lui faire confiance.
Elle avait bien fait de mettre son petit manteau qui ne payait pas de mine, ça limiterait peut-être ses honoraires. Dans une petite rue du quartier de la Goutte d’Or, une ruelle étroite et sale où des hommes et des femmes