La pelisse de Marthe
Pour Marthe, l’hiver est une sorte de cocon dans lequel elle se replie avec délice. Elle adore voir le soleil se coucher à quatre heures de l’après-midi, être enrobée de nuit le plus longtemps possible. De chez elle, la lueur orangée des réverbères enveloppe la place, le tronc de l’arbre, un banc vide… d’une douceur qui n’aveugle pas, ne brûle pas, ne dessèche pas. Une clarté humble, qui permet seulement de trouver son chemin dans l’obscurité. Marthe aime l’humilité.
Le matin, ouvrir ses volets sur la place endormie est son meilleur moment. Elle hume la nuit finissante comme d’autres un bouquet de fin d’été. Le nez collé au carreau, elle observe longuement son petit monde reprendre place autour de la fontaine : un chien qui promène son maître, le tourbillon d’une page de journal échappée de la main de son lecteur, une élégante ajustant son écharpe tout en marchant hardiment vers son devenir. Derrière sa fenêtre, la vie bat et l’émeut. Marthe aime les pulsations de vie.
L’après-midi, lorsque le temps est beau, ses mèches blanches impeccablement arrangées autour de son front, elle prend ses lunettes de lecture, traverse la place, son petit coussin en main, s’installe confortablement sur un banc et plonge dans les profondeurs d’un livre. Mais si les nuages encombrent le ciel, elle se promène dans sa bibliothèque, s’arrête sur une couverture comme devant un paysage. De la fenêtre de ses souvenirs, il y a tant à voir ! Trop contents de retrouver leurs couleurs, les personnages ressuscités l’entraînent, consentante, et l’enivrent de belles histoires jusqu’au soir. Marthe aime la délicatesse des mots.
Sa vie sentimentale est dense. Remparts de richesse, sources de lumière, rencontres passionnantes… Auprès d’elle vivent, par centaines, par milliers, et pour qui elle trouve toujours de la place, même s’il n’y en a plus beaucoup: des livres. Des livres qu’elle niche partout, empilés, suspendus, sur toute surface capable de les accueillir, et même collés sur les murs, les portes, tableaux vivants
