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Le Boulet
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Livre électronique208 pages2 heures

Le Boulet

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "– M. le comte Roland de Puymirol ne vous laisse que des dettes, mademoiselle ! Maître Lescande avait articulé cette phrase sèche comme un arrêt de voix hésitante, presue timide et, d'un mouvement instinctif, il serra dans ces doigts la petite main inerte de Germaine."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie22 janv. 2016
ISBN9782335151091
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    Aperçu du livre

    Le Boulet - Ligaran

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    À

    EDMOND ET JULES DE GONCOURT

    NOS MAITRES

    R.M.

    À Madame ***

    C’est à vous aussi, mon amie Floride, que je dédie ce livre où j’ai tenté d’analyser les sensations d’une femme comme marquée par quelque loi fatale pour l’éternel amour et les lamentables déchéances. Ainsi que les dévots qui écrivent aux premières pages de leurs eucologes la mystique formule d’une prière, je mets mon roman sous l’invocation de votre adorable beauté, de vos yeux plus doux que les étoiles des nuits d’avril, de vos lèvres hautaines et câlines à la fois qui, si longtemps, ne voulaient plus sourire. Et je serai heureux, j’aurai touché au but, si, pendant seulement une heure, j’ai pu par cette succession de chapitres passionnels, vous distraire de votre spleen morose et mouiller parfois d’une larme vos longs cils noirs qui semblent des ailes.

    Respectueusement :

    RENÉ MAIZEROY.

    Paris, 10 mai 1886.

    Première partie

    I

    Monsieur François

    – M. le comte Roland de Puymirol ne vous laisse que des dettes, mademoiselle !

    Maître Lescande avait articulé cette phrase sèche comme un arrêt d’une voix hésitante, presque timide et, d’un mouvement instinctif, il serra dans ses doigts la petite main inerte de Germaine.

    Il était cependant accoutumé à ces dégringolades soudaines et comparait parfois les dossiers accumulés dans les cartons de son étude aux archives d’une façon de Bureau Véritas.

    S’apitoyer sur les maladroits qui ne savent pas gouverner leur barque parmi les remous houleux de la vie parisienne, qui se jettent à la côte ou coulent à pic ; plaindre les imbéciles qui s’engluent aux jupes d’une femme et ne la considèrent pas seulement comme un objet de luxe précieux et rare ; regretter les pèlerins de Thélème qui ne finissent point l’étape, n’eût-ce pas été pour lui du temps perdu ?

    Le blasement absolu du cœur transparaissait dans tous les plis de ce masque rusé d’avoué mondain, le sourire figé des lèvres minces et le regard aigu qui pétillait au fond des prunelles sans cesse en éveil.

    Mais, malgré lui, en voyant la pâleur de cette jeune fille qui se raidissait contre le dossier de son fauteuil, comme blessée et si jolie avec ses lourds cheveux blonds noués d’un ruban dans la hâte du départ, son costume de pensionnaire et ses larges yeux emplis de stupeur, il souffrait de jouer ce rôle cruel, d’exécuter ainsi les illusions heureuses d’un enfant, de leur donner le coup de grâce. Il devinait l’effarement de cette frêle cervelle d’oiseau rappelée au réel. Il n’osait pas continuer, achever son énumération pénible, montrer à la déshéritée toute l’étendue du désastre qui l’accablait.

    Les jalousies baissées enveloppaient le salon d’une obscurité vague et les reflets jaunes des cierges qui brûlaient devant le lit du mort dans la chambre voisine frissonnaient sous la portière de peluche, rayaient le tapis de barres lumineuses. Une persistante odeur de phénol flottait, mêlée à des parfums fades de bouquets entassés.

    Ils se turent un instant.

    Germaine écoutait machinalement le roulement des voitures qui allaient et venaient dans la cour de l’hôtel, des portes qu’on refermait, des chuchotements qui bruissaient le long des escaliers. Et comme un écho entêté, bourdonnait dans ses oreilles l’accent chevrotant de la supérieure qui l’avait embrassée au parloir :

    – Pauvre petite ! pauvre petite !

    Elle répéta tout bas, mot par mot, comme récitant une leçon :

    – Que des dettes !

    Alors, rien n’était vrai de ce roman tragique que le valet de chambre de son oncle lui avait raconté tout à l’heure avec des sous-entendus, dans le coupé qui la ramenait du Sacré-Cœur, de cette aventure passionnante où, en pleine nuit, M. de Puymirol avait couvert la retraite de la femme qu’il adorait, servi de cible à un mari jaloux. Ni le duel inégal, les adieux affolés tandis qu’on enfonçait la porte, le retour par les rues désertes pour sauver l’honneur de sa maîtresse et ne pas mourir dans la petite maison de Passy où ils se cachaient, ni le billet griffonné d’une écriture d’agonisant, ni les cendres de lettres amoncelées dans la cheminée, ni le pantalon déchiré aux genoux comme par des chutes fréquentes. Tout cela se réduisait à un suicide vulgaire de décavé, à un coup de désespoir devant les échéances qu’on ne peut payer et la misère menaçante. Le clubman élégant qui entretenait la Fiocchi à l’Éden et Rosa Veilleur à la Comédie-Française avait voulu plastronner jusqu’au dernier moment et finir dignement avec de la mise en scène, comme il avait vécu. Il s’en était allé sans trop de regret vers l’inconnu après avoir jeté son cigare et réglé cette comédie posthume. Il avait calculé le temps qui lui restait, la poignée de louis que dans sa partie malchanceuse il avait encore en banque et tenu à garder son cadre. L’enterrement passé, qui s’occuperait de ce krack pareil aux autres, qui assisterait au pillage de l’hôtel, à la vente des meubles, au départ des chevaux et des voitures pour le Tattersall ?

    La supérieure avait eu bien raison de larmoyer sur le sort de sa pensionnaire, de la serrer contre sa poitrine, de lui marmotter des phrases onctueuses. Germaine retombait plus bas qu’à la mort de son père, de cet autre viveur parti aussi les mains vides comme si toute la famille était condamnée à subir une inexorable loi d’hérédité qui l’enlisait dans le même gouffre.

    Où mendierait-elle un gîte aujourd’hui ? Qui recueillerait cette orpheline sans le sou ? Qui lui ouvrirait les bras ? Que diraient ses amies de pension quand on ne la reverrait plus, quand on apprendrait la cause de sa brusque disparition ?

    Elle en était là, elle qu’on enviait, qu’on enveloppait de gâteries, qui menait le couvent, qui pesait avec des dédains de millionnaire les mariages annoncés, elle dont les parents disaient à mi-voix, de chaise à chaise, le jeudi : « – Est-elle assez jolie, cette petite Puymirol ! Avec cela une centaine de mille livres de rentes, ni père, ni mère ; ce qu’elle sera demandée ! », elle, l’enfant heureuse qui conduisait son village-cart dans l’allée des Acacias, les jours de sortie, que Mme Rodrigues habillait pendant les vacances, qui emportait pour un mois à Deauville toute une cargaison de malles comme la princesse de Sarlys et la comtesse Wanowska, que son oncle élevait en dépit du bon sens, dressait à avoir tous les caprices, à parler argot, présentait à ses maîtresses, traitait en camarade, en gamin drôle !

    Son orgueil saignait.

    Elle était prise d’une impatience fébrile de connaître sa destinée, de fuir les conseils inutiles où perce une joie ironique, de se terrer quelque part, d’éviter l’humiliante curiosité qu’on dissimule sous des consolations factices.

    Elle toussa.

    Les larmes retenues la serraient à la gorge. Et, d’un ton fatigué de malade qui interroge le médecin, elle reprit :

    – Et que me réserve-t-on dans tout cela, monsieur ?

    – On vous envoie en province, mademoiselle, dans le Midi, où vous avez des parents, Mme Eudoxie de Séméac, la sœur aînée de votre mère. Voici d’ailleurs la lettre où M. de Puymirol me transmet ses suprêmes volontés. – Lescande relut rapidement les quatre pages noircies d’une fine écriture serrée, s’arrêtant à quelques passages qu’il ne parvenait pas à déchiffrer. – C’est à Saint-Martéloux ou Saint-Martéjoux…

    – Saint-Martéjoux, corrigea-t-elle distraitement. J’y ai passé huit jours après ma première communion et l’on ne s’amusait guère, mais la vie aura peut-être changé depuis lors !

    Elle se rappelait une petite ville calme avec de nombreuses églises, des rues pavées de galets polis, la ligne neigeuse des montagnes courant sur un ciel bleu ; puis, dans l’ombre des hauts clochers, une très vieille maison en briques, au porche sculpté d’un blason qui s’effritait, de vastes chambres froides où elle avait peur, un jardin humide où fleurissaient de larges roses pâles qu’on ne pouvait cueillir sans les effeuiller, où croupissait une pièce d’eau verdâtre à demi comblée par les feuilles mortes de platanes, où des merles s’égaillaient à travers les allées obscures. Elle voyait se détacher sur une alignée de portraits presque pareils, la silhouette d’une femme maigre qui l’embrassait au front avec des lèvres minces et froides, qui malmenait son mari et ses domestiques et avait au bout d’une chaîne d’argent un trousseau de clefs.

    Elle entendait à nouveau l’exclamation envieuse dont ils harcelaient leur beau-frère : « Vous avez de la chance, vous, plus de chance que nous ! » leurs plaintes, leurs criailleries acerbes où ils étalaient comme une guenille leur peu de fortune.

    Comment recevraient-ils cette bouche de plus ? Par quelles exigences, quelles humiliations lui feraient-ils payer leur hospitalité obligatoire ? Allaient-ils même consentir à lui accorder une place auprès d’eux, à se souvenir qu’elle était leur nièce, à recueillir l’héritage inattendu des Puymirol ? Ne lui fermeraient-ils pas leur porte comme aux quêteuses opiniâtres dont on ne parvient pas à se débarrasser ?

    Et comme ils battraient des mains, comme ils se réjouiraient de cette tragique fin de fête, comme ils déchiquetteraient le mort qui les avait si longtemps écrasés de son bonheur, qui ne leur léguait qu’une charge lourde, comme ils lui cracheraient à la mémoire le fiel de leurs cœurs aigris !

    Germaine prit un écran et s’éventa d’un geste énervé.

    Le craquement sec des roues sur le sable continuait comme une incessante rumeur dans la cour assoupie au plein soleil et l’on percevait maintenant les accords cuivrés d’une musique militaire qui jouait une polka sautillante, tout près, sous les arbres du Ranelagh.

    – Et ma tante a-t-elle été prévenue du deuil qui nous frappe ?

    – Oui, mademoiselle, il était de mon devoir de télégraphier à vos parents toute la vérité et ils se conformeront aux derniers désirs du défunt.

    – Quand partirai-je ?

    – J’aurai l’honneur de vous accompagner demain à la gare d’Orléans. Il me semble inutile que vous retourniez au Sacré-Cœur où l’on vous importunerait de questions oiseuses, et que vous assistiez à la cérémonie… Cependant, si vous l’exigez…

    – Vous avez raison, monsieur. Je partirai demain pour Saint-Martéjoux, interrompit-elle en se levant et, à bout de forces, ayant peur, si l’avoué ne se retirait pas, d’éclater en sanglots, de ne pouvoir plus longtemps maîtriser l’angoisse qui la torturait, elle le remercia d’un artificiel et fugace sourire.

    Mais, la porte refermée, tandis que Maître Lescande descendait les escaliers, tout heureux d’avoir accompli si facilement son ennuyeuse mission, comparant aux défaillances lâches de la plupart de ses clients l’énergie de la pensionnaire maigriotte qui n’avait pas versé une larme, qui ne pliait pas le front sous l’écroulement de tous ses rêves, Mlle de Puymirol s’affala comme une masse parmi les coussins japonais qui couvraient le divan et, jusqu’au déclin du jour, où l’on apporta les lampes dans le salon, elle demeura inerte à la même place, les dents serrées, les prunelles atones et fixes, les poings crispés comme après une bataille enragée, s’acharnant à ne pas penser, à ne pas se souvenir, à s’idiotiser, à prolonger cette torpide sensation d’anéantissement où son être agonisait.

    Les religieuses qui priaient tour à tour au chevet du mort, entraient et sortaient d’heure en heure, – glissant plutôt qu’elles ne marchaient au travers de la pièce silencieuse, – et, dans l’angle de la portière soulevée, l’on distinguait alors le lit blanc, jonché de bouquets, sur lequel les candélabres allumés étendaient des plaques de lumière.

    L’oncle semblait dormir du sommeil éreinté d’un lendemain de noces où les rides se creusent plus profondes, entaillent le front, où les lèvres déformées retombent pendantes, marquant les années qui comptent double.

    Et les prunelles glauques de Germaine se rallumaient alors ainsi que des flambeaux à demi éteints qu’attise une soudaine rafale, dévisageaient avec une colère haineuse ce masque insoucieux de beau viveur comme si la jeune fille eût voulu troubler le repos où il se prélassait et maudire jusque dans la mort toute cette famille dégringolée qui l’entraînait dans son désastre, qui la livrait avant l’âge aux hasards incléments du combat pour vivre et la jetait par-dessus bord comme une épave dédaignée.

    II

    Les nombreuses malles de Germaine suivaient la voiture, ballottées à chaque ornière dans une massive charrette que de grands bœufs roux traînaient d’un pas lent et égal. Il faisait si chaud que M. de Séméac avait abaissé les vitres des portières et malgré le courant d’air qui charriait l’arôme vanillé des acacias près de passer fleur, les exhalaisons éparses des prairies irriguées, – l’intérieur de la berline avec ses coussins usés, sa tenture de cretonne déteinte à laquelle pendaient de profondes poches bourrées de paquets, sentait le rance comme les chambres longtemps closes, la remise malpropre où les guimbardes familiales se rouillent côte à côte, dorment dans la poussière accumulée qu’on n’essuie plus.

    Mlle de Puymirol, brisée par ce long voyage d’une nuit et d’un jour, se penchait au dehors, regardait sans intérêt ces paysages pareils déroulés dans une sorte de fumée blonde, les ruisseaux coupés d’écluses, les lignes frissonnantes de peupliers qui rayaient les herbages d’un treillis d’ombre violette, les champs de maïs, les villages étagés sur les collines, les vergers qu’assaillaient des nuées de guêpes, les côtes raides où les chevaux anhélaient, où le cocher sautait de son siège et elle répondait par des bouts de phrases, des monosyllabes brefs aux questions curieuses de son oncle.

    M. de Séméac ne cessait de parler, gesticulait, s’épongeait le front dans un mouchoir à carreaux et guindé, cérémonieux sur l’embarcadère de la gare, s’était bientôt ravisé, avait déboutonné son gilet d’alpaga.

    Sanguin, les joues pleines et rouges, les lèvres et le menton rasés à l’ancienne mode, ayant de gros membres solides et noueux et de la malice soupçonneuse sous ses épais cils noirs, il avait néanmoins dans les mains, dans le redressement de sa tête, dans certaines expressions de sa figure déformée, une finesse de race, une distinction vague comme la patine d’une médaille féodale que la terre n’a pas complètement effacée.

    – Ce pauvre bougre de Roland ! répétait-il

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