Marthe: Roman
Par Pierre Pouget
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Pouget est sensible aux émotions que peut dégager un vécu. Avec Marthe, après bien des recherches, il retrace la vie émouvante de sa grand-mère, morte tragiquement 32 ans avant sa propre naissance.
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Aperçu du livre
Marthe - Pierre Pouget
Pierre Pouget
Marthe
Roman
© Lys Bleu Éditions – Pierre Pouget
ISBN : 979-10-377-5464-6
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À mes parents
La mémoire est l’avenir du passé.
Paul Valéry
I
Narbonne, 25 janvier 1911
Toute la nuit, d’énormes bourrasques avaient balayé les places et les rues de la cité, jouant avec les nerfs des habitants inquiets de cette furie climatique inhabituelle. Sur le matin, le calme était subitement revenu, restait une petite bruine fine, pénétrante, apportée par le vent de mer qui s’accrochait aux branches des platanes puis s’égouttait sur la promenade des barques jonchée de branches brisées et de feuilles.
La ville se réveillait doucement. En certains endroits, les premières lueurs du jour peinaient à se frayer un passage dans l’obscurité tenace.
À travers la grisaille, on apercevait quelques halos diffus de chandelles se déplaçant derrière les vitres noires des maisons voisines. Le ciel bas et sombre restait menaçant et il faisait froid. Il suffisait de lever les yeux et regarder la direction que prenaient les nuages pour comprendre que cela durerait plusieurs jours.
Chancelante, Marthe, le dos contre un mur, tentait de reprendre son souffle, ses jambes ne la portaient plus et ses poumons brûlaient. Elle était presque arrivée au débarcadère, dans un élan du haut du corps elle s’élança et traversa la rue. Le claquement de ses bottines résonna sur les pavés longeant le quai du canal de la Robine. Trop essoufflée pour continuer à ce rythme elle ralentit progressivement son allure. Elle marchait maintenant prudemment de peur de glisser sur le sol humide. Quelques rares passants, frileusement emmitouflés et courbant l’échine, se pressaient sans même jeter un regard à cette femme seulement vêtue d’un ensemble sombre, les cheveux ruisselants, paraissant se promener le long de la berge.
En sautillant sur place, un chiot affamé s’approcha d’elle, mais souvenirs sans doute de quelques tentatives ultérieures infructueuses et détestables, se tint à distance respectable, puis ne détectant aucun signe encourageant, il disparut aussitôt en s’engouffrant dans une ruelle avoisinante.
Un peu plus loin, un muletier s’était abrité à l’entrée d’une remise au bord du chemin de halage. Tranquillement assis, cigarette plantée au coin des lèvres, il attendait avec indifférence un marinier affairé sur le pont d’un chaland amarré en contre bas qu’il était chargé de remorquer. Ce dernier, les doigts gourds, en proie à un énervement grandissant malgré les grands renforts de jurons adressés à Nicolas son Saint patron, avait toutes les peines du monde à dégager un cordage raidi par le froid et l’humidité d’un amas de lourdes chaînes. Des bruits de casseroles et un fumet odorant de soupe aux choux s’échappaient par la porte entre-ouverte de la cabine où une femme serrée dans un chaud lainage réchauffait le repas du matin.
Dégoulinant malgré son suroit et son ciré, le col largement ouvert sur sa poitrine velue, le vieil homme, accaparé par sa tâche ne tirait plus de sa grosse pipe éteinte depuis longtemps qu’un suspect bruit de succion glougloutant. Redoublant d’efforts, il se pencha en avant tout en ouvrant la bouche pour prononcer un ultime blasphème, c’est alors qu’une malicieuse coulée d’un jus noirâtre en profita pour s’échapper de ses lèvres, elle sinua un instant sur son menton avant de se perdre dans le fouillis de sa barbe. Dans un bruit d’aspiration désespérée, il tenta sans succès de retenir le flot de liquide perfide. Vaincu il s’essuya la bouche d’un revers de manche et envoya par-dessus le bastingage un jet de salive qui alla s’écraser sur un sac de jute, puis, dans un mouvement de souffrance il se redressa en se tenant les reins, il sursauta en apercevant à la hauteur de son visage, sur le quai à quelques pas de lui, la jeune femme qu’il n’avait pas entendu arriver.
— Qu’est-ce qu’elle fout ici celle-là à une heure pareille ? Elle a rien sur le dos par ce fichu temps ! pensa-t-il.
Il observa un instant cette femme seule. Une grande lassitude se lisait sur les traits de son visage fatigué, elle avançait d’un pas hésitant en évitant les chaînes et les merlins encombrant l’appontement.
Cette présence insolite avait bien de quoi étonner le vieux soutier, plus habitué à voir les passants flemmarder par ici les après-midi ensoleillés que les matins d’hiver.
— Elle a pas l’air d’aller bien, faudrait peut-être voir…
Mais il n’osa pas lui adresser la parole.
D’un coup de pouce, il releva son couvre-chef sur sa nuque et fit un mouvement de tête interrogatif à l’adresse du muletier, il ne reçut pour toute réponse qu’un vague geste d’ignorance. Il haussa les épaules, puis sans y penser davantage lui lança le cordage enfin libéré en jurant de nouveau contre ce métier de misère.
En aval, serrés les unes contre les autres, leurs corps fumants sous les embruns glacés, les mules attendaient impassibles les coups de bâton et les cris qui leur donneraient le signal du halage quotidien vers Port la Nouvelle.
La pluie inondait le visage de Marthe, elle distinguait à peine ces fugitives et fantomatiques silhouettes et avançait les yeux fixés sur le sol.
II
Mende 1900
Onze ans auparavant, comme toujours lors de ses retours dans la ville, Henri, le cœur battant singulièrement ce soir-là, toquait, à la porte de la demeure