Les Veillées des chaumières

Par-delà la tourmente

Une brusque averse de printemps fit s’ouvrir les grands parapluies noirs à la sortie de la messe, et la jeune Antoinette s’amusa de voir l’assemblée des fidèles, les femmes relevant leurs longues jupes et les messieurs assurant sur leur tête leurs chapeaux que le grand vent taquinait, se hâter vers leurs logis, délaissant les bouts de conversation habituels qu’on tenait toujours sur le parvis de la petite église avant le déjeuner dominical.

Antoinette avait quant à elle discrètement quitté l’office avant la fin, sous les regards courroucés de sa mère. Elle en avait assez des sermons pontifiants et confus du vieux curé, ânonnés d’une voix morne. Elle avait préféré se promener dans le cimetière qui entourait l’église, et rester un moment sur la tombe de ses grands-parents chéris, sur laquelle elle déposa les premières primevères. Puis la pluie l’avait surprise et elle s’était réfugiée sous le lavoir qui jouxtait l’arrière de l’église. Là, elle avait laissé errer ses yeux sur les maisons environnantes, ravie par les fleurs naissantes qui pointaient dans les jardinets. Elle goûtait le calme du quartier déserté par les habitants qui étaient tous en train de se morfondre à l’église. Mais un bruit attira son attention. On tapait, on martelait tout près d’elle. Son châle sur la tête, elle sortit de son refuge et se trouva nez à nez avec un énorme bloc de pierre, aussi grand qu’elle, sur lequel s’ébauchaient des formes confuses. Tentait-on de sculpter un arbre dans ce grès grossier, une immense fleur, une tour ?

– Ça vous plaît, mam’zelle ?

Elle n’avait pas entendu arriver le jeune homme, qui sortait de la maison toute proche en enfilant une pèlerine.

– Je… je ne vois pas trop ce que cela représente.

– Un arbre, ce sera un arbre, dit l’ouvrier en reprenant ses outils laissés à terre.

– Vous travaillez le dimanche ? demanda Antoinette, tentant de distinguer ses traits sous le grand capuchon.

– Et pourquoi pas? J’aime ce que je fais et j’honore aussi bien le bon Dieu en sculptant qu’en allant écouter votre vieux radoteur de curé !

La jeune fille éclata de rire et ils se regardèrent en face. Elle, étonnée des yeux francs qui la fixaient hardiment, lui, intimidé au fond par cette belle fille rousse en robe de moire et bottines vernies qui le toisait de ses yeux clairs un peu rêveurs.

– Revenez un de ces jours, lui dit-il en essuyant des gouttes de pluie qui coulaient sur son front, ce sera sans doute bien avancé et…

Des cris perçants l’interrompirent.

– Mademoiselle ! mademoiselle Antoinette ! amenez-vous donc ! Vos parents vous cherchent partout !

– Oui, oui, Mélie, je viens !

Le jeune homme la regarda s’éloigner à grandes enjambées légères pour rejoindre l’imposante Mélie qui la mena par la main jusqu’à un couple tout en noir qui se serrait sous un parapluie un peu plus loin. « Sans doute des bourgeois du coin et leur bonne », pensa l’ouvrier en reprenant sa gouge. Il souriait dans le vague : sa matinée avait été illuminée par le passage de cette belle jeune fille aux boucles trempées par la pluie.

Dans quel état tu t’es encore mise… Ce n’est pas une tenue pour paraître à table ! dit la mère d’Antoinette en voyant sa fille s’asseoir devant son assiette, les cheveux et le bas de la robe encore mouillés.

Son ton était faussement sévère, car elle et son mari adoraient leur fille unique, née sur le tard alors qu’on n’y croyait plus, dix-huit ans auparavant. Mélie apporta la soupière fumante et la conversation s’engagea, à propos de tout et de rien, comme chaque dimanche, avec l’oncle d’Antoinette, qui était l’associé de son père dans une importante manufacture de la région. On parla du temps,

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