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En attendant Emma: Par l'auteur du best-seller "La maison au bout du village"
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En attendant Emma: Par l'auteur du best-seller "La maison au bout du village"
Livre électronique235 pages3 heures

En attendant Emma: Par l'auteur du best-seller "La maison au bout du village"

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À propos de ce livre électronique

Pour essayer de comprendre une ancienne histoire familiale et rabibocher son couple, un Londonien s'exile dans le Périgord. Sa femme viendra le rejoindre "plus tard".

Les nouveaux sont des Anglais ! Jeanne est intriguée, parce que, pour atterrir dans ce hameau de deux maisons, il faut aimer la solitude. Et James s’installe seul en attendant l’arrivée de sa femme. Tout sépare les deux voisins, à commencer par leur différence d’âge. Pourtant, ils éprouvent immédiatement de la sympathie l’un pour l’autre. Encore plus intrigant, un des cartons de déménagement contient une importante collection de faïences ornées du célèbre « rouge de Thiviers ». James confie à Jeanne que cette vaisselle est dans la famille depuis deux siècles et qu’il y tient énormément. Comment a-t-elle pu voyager jusqu’au Royaume-Uni ?
Pour le sortir de la mélancolie qui peu à peu l’envahit, Jeanne emmène son ami écumer les vide-greniers alentour. Ils découvriront ainsi d’autres pièces de Thiviers, mais ils en apprendront aussi beaucoup sur les Donadieu, les faïenciers qui ont mis au point ce rouge qui résiste au grand feu. Mystères, disparitions et meurtres… De quoi lancer les deux solitaires dans une enquête pour démêler les indices glanés ici et là en attendant qu’Emma arrive. Mais, à vouloir réveiller les fantômes du passé et percer les énigmes historiques, finiront-ils par la faire venir ?

Plongez dans ce roman, laissez-vous emporter par son enquête palpitante, et suivez l'histoire d'un homme qui court après l'amour de sa vie. Evasion, découvertes et suspense sont au rendez-vous !

EXTRAIT

La chaleur, inhabituelle pour un mois d’avril, se faisait soudain difficile à supporter. On ne l’avait pas prévue, et tous les visiteurs, bien trop habillés, commençaient à transpirer. Vers onze heures, les rues se vidèrent subitement au bénéfice de l’unique bar du village, qui fit éclore soudain une rangée de parasols multicolores, devant sa porte. Les deux habitants de Pierrebrune mirent à profit ce répit inattendu pour flâner parmi les stands non encore explorés. Sanders discuta avec une compatriote qui proposait des poupées de chiffons qu’elle réalisait elle-même. On le sentait heureux de pouvoir parler sa langue, enfin. Jeanne finit par le tirer par le bras pour poursuivre leur déambulation qui s’accéléra quelque peu, car les casseroles en cuivre succédaient aux cafetières émaillées et aux moulins à café à manivelle. Soudain, James s’arrêta et tendit le bras vers une caisse où s’entassait un lot de vieilleries poussiéreuses. Il y plongea la main et en extirpa une saucière dont aucune personne sensée n’aurait donné bien cher. Il sortit un mouchoir en papier de la poche de sa veste et essuya l’objet. Jeanne comprit : il venait de découvrir une pièce ancienne de faïence de Thiviers.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Institutrice à la retraite, Nelly Buisson vit à Saint-Martin de Fressengeas en Périgord Vert. Elle s’est prise au jeu de l’écriture, motivée par le succès qu’a rencontré son premier roman, La Maison au bout du village. Elle écrit comme elle peint, c’est-à-dire, par petites touches successives, qui avec le recul, donneront une histoire captivante et intrigante. Elle puise son inspiration romanesque dans toutes les histoires que ses grands-parents lui racontaient mais aussi, plus simplement, dans l’observation assidue de la vie et du quotidien des gens qui l’entourent ! Elle est l’auteure de précédents romans parus aux éditions Lucien Souny, dont La Théière anglaise qui a reçu le prix du conseil des Sages de la Foire du livre de Brive 2018.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie8 nov. 2019
ISBN9782848867939
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    Aperçu du livre

    En attendant Emma - Nelly Buisson

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    Les nuages avaient envahi le ciel rapidement et le chemin se trouva soudain plongé dans une étrange pénombre. Aussitôt, l’averse éclata en grosses gouttes crépitant sur le sol, créant des ruisseaux minuscules qui entraînaient les graviers vers le bas de la pente. Jeanne se mit à courir jusque chez elle en se protégeant comme elle le pouvait, les deux mains au-dessus de sa tête. Elle maudit mars et ses giboulées, et elle s’engouffra dans sa maison dont elle referma vivement la porte. Son image dans le miroir de l’entrée la fit sourire : ses cheveux dégoulinants, la perle d’eau au bout de son nez lui donnaient un air de sauvageonne. Elle ôta sa veste devenue lourde, se sécha prestement, se fit couler un café et alluma son ordinateur. Aucun nouveau message. Ce serait peut-être pour plus tard… Il ne fallait pas s’alarmer. Le week-end débutait et elle ne laisserait aucune contrariété assombrir son humeur. Elle s’approcha de la fenêtre, attirée par un rayon de soleil qui perçait maintenant les nuages, faisant scintiller les herbes mouillées en bordure du chemin. Elle n’aimait pas le printemps ; son indécision l’agaçait. La chaleur d’août ou le froid parfois glacial de février lui convenaient mieux. Elle pouvait s’en accommoder facilement : la maison se trouvait à l’ombre de grands chênes et le chauffage fonctionnait parfaitement. Elle avait encore le nez collé à la vitre lorsqu’on frappa. Trois coups si timides qu’elle se demanda s’il ne s’agissait pas d’une branche cognant contre le volet de bois. Les coups retentirent à nouveau, plus précis cette fois. Elle vérifia d’un regard rapide l’ordre de la pièce et ouvrit la porte, intriguée. Un homme à la chevelure d’un blond délavé, aplatie par l’averse qui avait repris, se tenait sur le seuil, engoncé dans un manteau un peu râpé. Elle hésita un instant, puis, jugeant son air inoffensif, recula pour lui permettre de se mettre à l’abri. Il entra, un peu gêné, et sourit en tendant la main.

    — Bonjour, madame. J’espère ne pas déranger vous, je suis venu me présenter : je suis James Sanders, votre nouveau voisin.

    Il n’avait nul besoin de préciser son origine, son accent britannique parlait pour lui. Jeanne répondit à son salut et lui montra une chaise.

    — Asseyez-vous, je vous en prie. Nous allons faire connaissance autour d’un café ; à moins que vous ne préfériez du thé ?

    — Un café sera très bien.

    Il répéta :

    — Madame…

    — Jeanne. Je m’appelle Jeanne Chabert.

    — Jane Tchabeur ! J’ai un peu de mal encore avec votre langue, excusez-moi.

    — Vous vous débrouillez très bien !

    — Si je peux dire cela, votre prénom est ancien, plus joli que beaucoup de ceux que l’on donne maintenant…

    — C’était celui d’une de mes grands-mères. J’ai eu de la chance… L’autre s’appelait Zéphirine !

    — Je suis heureux de vous connaître, madame Jane !

    — Mademoiselle ! Mais « Jeanne » tout court sera parfait…

    Elle le laissa se débarrasser de son manteau et s’occupa du café. Lorsqu’elle revint vers lui, elle s’aperçut que le loden défraîchi cachait un pull de cachemire, comme si le vieux vêtement n’était là que pour donner le change, pour permettre à James Sanders de se fondre dans le décor de cette campagne où les efforts vestimentaires étaient réservés aux jours d’exception. Elle se demanda si l’air modeste de l’homme remplissait le même office que le manteau et cachait des origines aristocratiques. Elle aurait juré que oui.

    Elle posa les tasses sur la vieille table et s’assit à son tour.

    — Dites-moi tout, monsieur Sanders ! Ainsi, vous êtes mon voisin ! Vous êtes le propriétaire de la maison qui est en travaux depuis plusieurs mois ?

    Of course ! Et je viens de m’installer !

    — Comment l’avez-vous dénichée ? Elle est loin de tout !

    — C’est ce que je souhaitais… Je ne supportais plus Londres, son brouillard, son trafic…, sa circulation…

    — Effectivement ! Ici, le bruit ne vous dérangera pas !

    — Puis-je demander à vous, à mon tour, comment vous vous êtes retrouvée ici ? C’est étrange pour une jeune dame !

    Jeanne rit franchement.

    — Le plus grand attrait de cette demeure est le montant de son loyer ! La propriétaire y était très heureuse, mais elle a dû la quitter, la mort dans l’âme, pour s’occuper de son père malade. Il ne voulait pas s’installer à Pierrebrune. Cécile Ravel me loue sa maison pour une somme très raisonnable. Mais, même si elle est isolée, je ne voudrais pas vivre ailleurs et je redoute le moment où il faudra que je trouve un autre logement.

    — Je comprends… J’ai été… attrapé, non…, conquis moi aussi dès ma première visite. Pourtant, je savais que vous êtes la seule habitante du hameau. Pardonnez-moi, c’est très indiscret, mais… vous vivez seule ? Vous n’avez pas peur, ici, toute seule ?

    — Peur ? Mais de quoi ? Non, je ne suis pas d’un naturel craintif. Personne ne s’aventure jusqu’ici, à part quelques chevreuils ! Je n’ai pas encore trouvé l’âme sœur, mais je ne désespère pas ! Et vous ? Qui va abriter votre jolie demeure ?

    Il eut un sourire triste et doux.

    — Pour l’instant, moi tout seul. Ma femme viendra plus tard, mais elle travaille encore.

    Jeanne s’étonna.

    — Mais jusqu’à quel âge travaille-t-on en Angleterre ? Pardon… Je ne veux pas dire que…

    — Que je suis vieux ? Cela n’a pas d’importance : je suis ! J’ai soixante-douze ans. Emma, mon épouse, n’en a que soixante. Je me suis marié assez tard et nous avons eu deux enfants : Benedict et Emmy, qui ont trente-cinq et trente-sept ans. Emmy est mariée, mais pas Benedict.

    — Pourquoi venir en France maintenant ? Vous n’y aviez pas pensé avant ?

    Il baissa les yeux et ses joues rosirent. Il soupira et prit tellement de temps pour répondre que Jeanne jugea qu’elle était allée trop loin et elle s’en voulut. Il posa délicatement la tasse qu’il tournait et retournait entre ses mains et il regarda son hôtesse.

    — Vous comprendriez si vous avez trente-huit ans de mariage, jeune demoiselle ! Notre couple s’essouffle, pris par la routine, comme cela arrive souvent. Je ne veux pas la perdre, comprenez-vous… La nature a donné à moi le corps de mon père et le visage de mon grand-père. J’aurais préféré le contraire… Je me suis toujours étonné qu’elle est tombée amoureuse de moi. Nous avons connu quelques difficultés ces dernières années et nous avons décidé de prendre un nouveau départ. Pour cela, nous avons choisi la France. Au printemps dernier, nous sommes venus ensemble acheter la maison et décider des travaux à faire. Beaucoup de travaux. Vous n’étiez sans doute pas là, à ce moment. Le temps était superbe et nous avons été… séduits. On peut dire cela ?

    — On peut le dire… Les printemps sont pluvieux dans la région. Vous avez eu de la chance.

    Un éclair de malice passa dans les yeux un peu délavés de James Sanders et il parut plus jeune, l’espace d’un instant.

    — S’il avait plu comme aujourd’hui, peut-être que je ne suis pas votre voisin ! Avouez que ce serait dommage !

    — Ce doit être difficile de quitter son pays pour un autre, bien différent, et une grande ville pour Pierrebrune…

    — Ce matin, je vous avoue que j’étais… désorienté. Ce mot est correct ? Il est très agréable d’entendre le chant des oiseaux à la place du bruit de la circulation, mais j’ai perdu tous mes repères. Il faut prendre la voiture pour aller acheter du pain, se passer du journal du jour… Je serai obligé aussi d’utiliser le GPS pour aller jusqu’à Périgueux ou plus loin, pendant quelque temps ! Parfois, je me dis, en m’éveillant, que je vais aller promener à Richmond Park dans la journée et je me rends compte, en ouvrant les yeux, que je suis en France ! Il ne me reste que les quelques objets de la famille, apportés avec moi, qui me rattachent encore à ma vie d’avant.

    Jeanne s’étonnait : le désir d’une existence nouvelle justifiait-il la détresse qu’elle percevait chez cet homme ? Quels démons fuyait-il ? Elle se sentit tout à coup très proche de celui qu’elle ne connaissait pourtant que depuis quelques minutes, et elle lui assura qu’elle l’aiderait du mieux qu’elle le pourrait. Elle orienta la discussion sur Londres, le Périgord, la manière de vivre des gens d’ici et d’ailleurs. Un autre café fut servi, le troisième pour la jeune femme, et, à l’heure de se séparer, les deux habitants du hameau s’appelaient par leur prénom et promettaient de se revoir sans tarder. Ils se dirent ravis d’avoir fait connaissance, même si Jeanne aurait préféré un voisin plus jeune. Elle fut touchée quand il confessa :

    — Je vous ai fait plus de confidences qu’à personne d’autre, et je ne vous connais pas !

    Elle avait bien remarqué que l’ancienne maison des Maurin était en travaux depuis quelques mois. Elle avait supposé qu’elle abriterait une famille le temps des vacances d’été, rien de plus. Aussi était-elle contente de savoir qu’elle ne serait plus seule à Pierrebrune. Elle rêva un instant que le hameau pourrait renaître, mais ce n’était qu’utopie : les autres demeures étaient dans un état lamentable et c’était grâce à cela qu’elle avait pu louer la sienne pour un prix plus que raisonnable.

    Sitôt ses études terminées, elle avait trouvé un emploi dans une agence bancaire d’un village charentais. Rapidement, elle avait souhaité partir et elle avait postulé pour la Dordogne, où elle n’était venue que rarement, mais qui lui semblait accueillante. Elle n’avait jamais avoué à personne qu’elle voulait surtout s’éloigner de son père violent et de sa mère qui prenait systématiquement fait et cause pour son mari, par peur sans doute. Elle ne les rencontrait plus qu’en de rares occasions : mariages, obsèques ou fêtes familiales, lors desquels les trois donnaient le change et présentaient l’image d’une famille unie. Elle avait pensé que vivre seule serait un apaisement, un baume sur les plaies de l’enfance et de l’adolescence. Cela s’était avéré exact la première année, puis la solitude s’était faite de plus en plus pesante. Étrangement, elle avait choisi l’isolement de Pierrebrune. Elle avait senti qu’elle ne risquait rien ici, que la peur ne la dénicherait pas dans cet endroit perdu. Elle avait un peu hésité, mais Cécile, la propriétaire de la maison, lui avait vanté la paix bienfaisante du lieu, et c’est les larmes aux yeux qu’elle lui en avait remis les clés. Le charme avait opéré. Elle était contente de retrouver tous les matins ses collègues, surtout Laurie, devenue son amie. Elle les invitait parfois chez elle : elle aimait la compagnie des personnes de son âge et elle ne se privait pas de sortir avec eux en fin de semaine. Pourtant, chaque soir, elle regagnait sa maison avec plaisir et elle ne se lassait pas des longues promenades dans la campagne. Mais le bonheur n’était pas complet. Comme elle l’avait expliqué à James Sanders, elle était seule, et le temps qui passait l’angoissait, car elle venait de fêter ses trente-cinq ans. Elle se trouvait plutôt jolie, pourtant. Ses cheveux bruns encadraient un visage fin et sa fossette au menton lui donnait un air d’adolescente. Les gens étaient surpris, généralement, lorsqu’elle donnait son âge. Mais, jusqu’à présent, aucun amoureux sérieux ne s’était présenté.

    Quand la porte se fut refermée sur l’Anglais, Jeanne se précipita vers son ordinateur : elle n’avait toujours pas de messages.

    Elle jeta un coup d’œil à la grande pendule : il n’était que seize heures. Elle avait encore du temps devant elle avant de se préparer. Comme souvent, le samedi soir, elle retrouverait ses amis. Ils passeraient la soirée ensemble, refaisant le monde et essayant de recréer l’ambiance étudiante qui leur semblait si loin déjà… Laurie et elle avaient sympathisé dès leur première rencontre. Laurie était vive et gaie, d’un optimisme qui faisait parfois défaut à Jeanne. C’était elle qui lui avait présenté les autres : quelques célibataires, garçons et filles, et un jeune couple qui ne les rejoignait que rarement, lorsqu’il avait réussi à trouver une baby-sitter pour son petit garçon.

    Elle sortit et se dirigea vers le groupe d’habitations qui constituait le hameau, sa maison se situant un peu à l’écart. Elles étaient toutes inoccupées, excepté celle de James maintenant. Elle sourit. Elle avait pensé « James » et non « M. Sanders ». Elle était rassurée de le savoir là, tout près, et voir la bâtisse reprendre vie la réconfortait. Elle en avait suivi la transformation au fil des semaines : on avait installé un toit neuf qui ne laissait plus s’infiltrer les eaux de pluie, puis le lierre des murs avait été arraché, les menuiseries avaient été changées. Le travail des ouvriers avait empli l’air de cris, de coups, de ronflements d’engins, et avait sorti Pierrebrune de son silence de village fantôme. Maintenant, la maison de pierre avait retrouvé une nouvelle jeunesse ; seuls les volets au bois encore brut attendaient d’être peints. Son occupant n’était pas visible, occupé sans doute à achever son installation. Elle profita encore un peu du soleil revenu, puis regagna sa demeure.

    Plus tard, elle se rendit chez Laurie, comme prévu. Chacun des membres de la bande avait apporté un plat à partager et ils discutèrent jusque tard dans la nuit. À son habitude, Jeanne amusa la galerie. Laurie qui était une mère pour eux, selon l’avis général, veilla à ce que personne ne bût au-delà du raisonnable. Jeanne se coucha heureuse, ragaillardie par la gaieté de la soirée, se disant que sa solitude n’allait pas durer, ne pouvait pas durer. Un nouvel arrivant dans la bande de copains, une rencontre fortuite, elle ne savait pas vraiment, mais elle le pressentait. Dehors, le bruit du vent dans les arbres ressemblait à celui de la mer, et elle s’endormit, rêvant d’une plage blanche où viendraient mourir les vagues.

    Le dimanche, James ne se montra pas plus que lors de la soirée de la veille et la jeune femme aurait pu penser avoir rêvé le vieux monsieur au regard un peu triste si un filet de fumée ne montait vers le ciel nuageux. Ce ne fut que le samedi suivant qu’elle le vit, perché sur une échelle, peignant les volets d’un bleu lavande qu’aucun autochtone n’aurait sérieusement envisagé d’utiliser. Il aperçut Jeanne et agita son pinceau, faisant voler quelques gouttes colorées autour de lui. Il descendit et s’avança à sa rencontre dans le chemin. Il avait enfilé de vieux vêtements usés et sales pour travailler, et l’on aurait pu le prendre pour un paysan périgourdin. Il tendit la main à la jeune femme qui ne put retenir un sourire en constatant que le salut de tout à l’heure avait laissé sur sa joue une tache violacée. Il avait l’air heureux et elle lui demanda si le beau temps revenu était la cause de cette joie.

    — Non. Enfin, pas seulement… Emma, ma femme, a annoncé à moi qu’elle avait demandé pour deux postes en Dordogne ! Je suis très content… Je ne suis là que depuis quelques jours, et, déjà, je m’ennuie un peu. Je me demande si je n’ai pas fait un bêtise en m’installant ici…

    — Une bêtise, James…

    — Ah ! Vous voyez, vous trouvez, vous aussi !

    — Non, ce n’est pas cela… On dit « une bêtise », et pas « un bêtise ».

    — Bêtise tout de même ! Heureusement, vous êtes là !

    — Je vous ferai découvrir la région, et nous ferons en sorte que le temps passe vite en attendant Emma !

    Il hocha la tête, visiblement peu convaincu… Soudain, son visage s’éclaira.

    — Je crois que j’apprécierai la vie ici, finalement, quand ma femme sera là. J’aime votre pays, votre Périgord. Vraiment. Je voudrais qu’il m’adopte aussi.

    Il avait dit cela sans cet air de certitude et de conquête que l’on trouve parfois chez les nouveaux arrivants. De l’humilité. Rien de plus, et de l’amour dans ses yeux. Il semblait presque s’en excuser.

    — J’aimerais connaître mieux la région, son histoire…

    — Je ne vous serai peut-être pas d’un grand secours… Je suis Charentaise, mais nous pourrons nous renseigner ensemble !

    — Pouvez-vous dire pourquoi le village a été abandonné ?

    — Certains habitants sont partis dans des endroits moins isolés, et les derniers, un vieux couple, sont morts sans que leurs descendants souhaitent revenir ici. Les maisons se sont dégradées au fil du temps… Celle que j’habite a été la première rénovée. Je ne sais pas ce qu’il adviendra des trois autres…

    Leurs regards se perdirent vers l’entrée du hameau, vers les ruines mangées par le lierre et impossibles maintenant à relever. Comment imaginer la vie ici ? Les fenaisons éreintantes ; les charrettes remontant le chemin, lourdes du fourrage doré ; les femmes en chapeau de paille et les hommes, mouchoir noué sur la tête, ruisselants de sueur ? Avait-on servi les fastueux repas de battage sur cette aire maintenant envahie par les ronces ? Et les murs croulants de l’ancienne maison Malmanche conservaient-ils la mémoire des cris et des chants des convives ? Comment la rumeur des activités quotidiennes avait-elle peu à peu fait place au silence ? En fait, Jeanne ne le savait pas. Pourquoi un village meurt-il ? Avant James, elle ne s’était jamais vraiment posé la question. Cécile en avait amorcé la résurrection, l’Anglais l’avait poursuivie… L’histoire se continuerait-elle, ou la végétation, devenue maîtresse des lieux, et l’ampleur du travail à fournir l’emporteraient-elles ? Dans ce cas, les enfants des enfants d’aujourd’hui sauraient-ils que des gens avaient vécu, aimé, travaillé ici, près d’un ruisseau sans nom ? Jeanne et James poussèrent au même moment un soupir de fatalité, et ils surent qu’ils éprouvaient la même peine.

    Les jours qui suivirent, Jeanne prit l’habitude de grimper le chemin jusque chez James chaque soir afin de s’assurer qu’il n’avait besoin de rien. Lui, se rendait chez sa nouvelle amie en fin de semaine, la chargeant parfois d’un achat au marché du samedi matin. Elle lui proposait souvent de l’y accompagner, mais il n’aimait pas quitter sa maison, prétextant qu’il avait encore beaucoup de travail, ce qu’elle savait inexact. Il ne manquait que quelques aménagements et un peu de décoration pour recevoir dignement Emma. Il restait cependant plusieurs cartons entassés dans un coin du salon. Ils n’avaient pas été ouverts et Jeanne se demandait pourquoi James, si méticuleux, ne s’en était pas encore occupé. Il avait éludé la question lorsqu’elle le lui avait fait remarquer. Sans doute le manque de temps… Elle avait avoué qu’elle trouvait maintenant sa propre demeure un peu triste, par comparaison. Il s’était récrié, soutenant qu’elle présentait beaucoup plus d’authenticité. Il avait froncé les sourcils, comme il le faisait souvent quand il réfléchissait. « Je ne connais pas le passé de votre région. Je ne

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