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Le square des oubliés
Le square des oubliés
Le square des oubliés
Livre électronique229 pages2 heures

Le square des oubliés

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À propos de ce livre électronique

Louis aime se rendre au square où il retrouve ses amis dont l’existence semble avoir été oubliée par le reste du monde. Personne ne fait attention à eux, ils se fondent dans le décor et ne dérangent pas. Ceux-ci, Mr Charles, Mr Léonard, Jeff, Petite et tous les autres, créent des liens sincères, solides et surtout sans jugement. Seulement, le passé ressurgit et bouleverse tout...


PROPOS DE L'AUTEURE


Des grands classiques aux livres découverts en chinant, la lecture a toujours été une fidèle compagne pour Marie Jat-Belle-Isle. Quelques nouvelles écrites au fil du temps apportaient un support à son imagination. Puis le temps vint où elle couchait sur le papier les mots d’une vie passée à voyager, à observer, à comprendre les « autres » et à aimer leurs différences. Tous ses voyages ont aiguisé sa curiosité tout en lui apprenant le rapport aux gens de tous horizons et la richesse qui en découle.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie20 sept. 2022
ISBN9791037770455
Le square des oubliés

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    Aperçu du livre

    Le square des oubliés - Marie Jat-Belle-Isle

    I

    Louis

    Il restait assis, bien droit, devant la table vide. La lumière du soleil couchant commençait à pénétrer dans la cuisine et jouait sur les motifs floraux de la toile cirée. Les rideaux en dentelle étaient restés ouverts. Ils avaient les mêmes motifs que la toile cirée mais de couleur blanche. La vaisselle finissait de sécher sur le bord de l’évier. Il ne bougeait pas, les mains bien à plat sur ses genoux. Rien ne bougeait dans la pièce. Le bruit des casseroles qui s’entrechoquent, de la porte du frigidaire qui se referme, du gaz qui s’échappe de la gazinière et du feu qui ensuite s’en échappe avait disparu. Le silence était presque absolu, interrompu par le battement de l’horloge qui rythmait le temps de ses tic-tac imperturbables, indifférent au récent changement intervenu dans la maison, totalement ignorant des évènements de ce jour étrange. Louis ne les comprenait pas non plus.

    Son estomac commençait à émettre un bruit étrange, inconnu même. Il se souvint soudain que « maman » lui avait expliqué ce genre de phénomènes, ceux-là mêmes qui arrivaient quand quelqu’un avait faim. Donc il avait faim. La conclusion était évidente.

    Il repoussa la chaise qui émit un grincement crissant sur le carrelage, se leva et se dirigea vers le frigo. Il était rempli de toutes sortes de victuailles, et de plats tout préparés qu’il lui suffirait de réchauffer au micro-ondes. Maman avait eu du mal à se décider avant d’acheter cet engin bizarre, qui tournait tout seul, qui n’émettait ni chaleur ni fumée et qui sonnait quand tout était prêt. Elle lui avait expliqué le fonctionnement, et ce fut un jeu d’enfant d’apprendre à s’en servir. Il était devenu le « maître du micro-onde », seul autorisé à l’utiliser. Il était très fier de cette prérogative. À l’évocation de son apprentissage au côté de « maman », un sourire apparut sur ses lèvres.

    — Tu vois, maman, je sais bien faire. J’ai fait exactement comme tu m’as expliqué et ça marche !

    Il n’avait pas très faim, et se choisit un plat léger de légumes mijotés avec une légère pointe d’huile d’olive, à peine salé, ce qui permettait de ressentir toute la saveur des légumes. « Maman » ne cuisinait qu’à l’huile d’olive, seule matière grasse habilitée à accueillir les plats amoureusement préparés.

    Après avoir fini de dîner, il replia consciencieusement sa serviette, débarrassa la table, fit la vaisselle puis s’assit de nouveau sur la chaise qu’il occupait depuis son enfance. La seule différence aujourd’hui était que la chaise en face de lui était vide mais il continuait à lui sourire.

    Son esprit vagabonda un moment sans s’attacher à rien de particulier. Il réalisa brusquement qu’il n’avait pas allumé la télévision alors que c’était un rite établi entre « maman » et lui. Ils nettoyaient leur vaisselle ensemble, puis il avait l’autorisation de manier la télécommande pour déclencher l’arrivée d’images extérieures à leur vie sur l’écran placé devant leur fauteuil respectif. Ce manquement était inhabituel, et l’incita à en trouver la raison. Son esprit rembobina le déroulement de la journée.

    Ce matin, quatre messieurs bien habillés avaient sonné à la porte. Il avait ouvert car ils étaient justement bien habillés avec leurs costumes noirs, leurs chemises blanches et leurs cravates noires assorties au costume. Maman disait toujours : « si les hommes sont bien habillés, ils sont respectables », donc il pouvait les faire entrer. Il les avait suivis dans la chambre, où se trouvait le lit sur lequel « maman » se reposait. Son visage était si doux, un léger sourire ornait sa bouche, ses doigts étaient délicatement entrelacés sur sa poitrine. Il regardait ses ongles si parfaitement recouverts d’une légère couche de vernis « rouge cerise », comme c’était écrit sur la petite bouteille. Il adorait la regarder étaler cette jolie couleur avec un minuscule pinceau. Il fallait deux couches pour que ses ongles restent « impeccables » comme elle disait. Entre chaque couche, et après la deuxième, elle secouait ses mains pour faire du vent et permettre au vernis de sécher plus rapidement. Elle soufflait aussi sur ses ongles pour accélérer le phénomène. C’était un véritable travail d’orfèvre et le résultat était à la hauteur du temps passé. « Parfait », finissait-elle par dire.

    Seulement, les quatre messieurs ne semblaient porter aucune attention particulière à ses si jolis ongles, quel dommage ! Tout à l’observation des mains délicates, il ne les avait pas vus monter une grande boîte en bois clair qui sentait encore un peu le vernis. Ils soulevèrent sa maman, qui ne se réveilla pas, et la déposèrent dans la boîte. Il les suivit quand ils descendirent au rez-de-chaussée, puis sortit avec eux jusqu’à la voiture dans laquelle ils posèrent la boîte. Avant de descendre, le plus âgé d’entre eux lui avait expliqué à nouveau le déroulement de la cérémonie, c’est le mot qu’il avait utilisé, avec le suivi de la voiture noire jusqu’au cimetière. Il commença donc à marcher seul puis s’aperçut qu’un petit nombre de personnes s’était joint à lui. Il reconnut la voisine qui lui donnait des bonbons quand il était petit, l’épicier qui discutait toujours avec ses clients, et puis d’autres qu’il ne connaissait pas. Ah si, il y avait aussi le monsieur qui habitait dans une tente à l’abri des buissons du jardin public, Monsieur Charles. Sa maman lui apportait régulièrement une part de leur repas.

    — Le cercueil est simple et semble léger.

    — Il est comme était cette dame si discrète.

    — Mais que va devenir son fils ?

    — Vous croyez qu’il va pouvoir se débrouiller seul ?

    Grâce à ces commentaires, il sut ainsi que cette boîte s’appelait un cercueil, drôle de nom. Il faudra qu’il trouve ce mot dans le dictionnaire. C’était sa passion. Chercher les mots nouveaux entendus au fil des conversations, à la télévision ou à la radio. Il était plongé dans ses pensées concernant cette nouvelle recherche, quand il vit arriver le curé habillé tout en blanc. Il le connaissait, il le voyait à la messe car sa maman ne ratait jamais ce moment, et ils allaient à l’église tous les dimanches. Il ne comprenait pas grand-chose, ou plus exactement, il n’écoutait pas vraiment. Il préférait observer les peintures, les sculptures et les gens. Tout comme eux, il s’asseyait, se relevait, se mettait à genoux, penchait la tête pour regarder ses pieds, faisait un signe sur sa poitrine avec sa main droite. Et puis, il écoutait la musique qui emplissait l’église. C’était un moment magique, envoutant. Tout bien réfléchi, c’était comme le cours de gymnastique qu’il regardait parfois le matin à la télévision. La musique était différente, les tenues vestimentaires aussi mais tout comme à l’église, les gens se levaient, s’asseyaient, se mettaient à genoux, faisaient des mouvements avec leurs bras, presque tout pareil mais plus rapidement et ils semblaient beaucoup plus fatigués. Le « Amen » un peu appuyé du curé le ramena à la réalité. Le cercueil disparut dans le trou préparé à l’avance, tout le monde lui serra la main en marmonnant des « courage », « soyez fort », bref des paroles bizarres, puis il se retrouva tout seul. Le lieu était calme, apaisant. « Maman » devait être contente de dormir ici, personne ne la réveillerait, elle allait être tranquille. Cette pensée réconfortante l’accompagna durant son retour à la maison. Ce n’est certainement pas ce cercueil qui l’empêcherait de lui parler quand il en aurait envie. Il savait pertinemment qu’elle serait toujours là pour l’écouter, le réconforter, voire l’encourager, quand il rencontrait des difficultés à réaliser quelque chose de nouveau.

    Il décida donc, après dîner, de faire comme d’habitude ; allumer la télévision et choisir un programme, confortablement installé dans son fauteuil un peu déformé par son postérieur qui était devenu plus imposant au fil des ans. Après avoir regardé un western, il adorait les grands espaces et les chevauchées à travers l’immensité des paysages américains, il monta dans sa chambre, enfila son pyjama, et se glissa sous sa couette. Il chevauchait un grand cheval alezan à travers le grand canyon, la poussière volait autour de lui, seul le bruit des sabots sur le sol résonnait entre les montagnes, il s’endormit ainsi un sourire accroché à ses lèvres, heureux.

    II

    Premier jour d’après

    Quel rêve étrange ! Le cheval s’était emballé, il s’était précipité dans le cimetière, avait stoppé brusquement devant la tombe de « maman » et s’était soudain agenouillé laissant glisser Louis délicatement de son dos pour lui permettre de glisser des fleurs sauvages dans le vase posé sur les gravillons blancs. Il ouvrit les yeux sur une nouvelle journée. Un super petit déjeuner l’attendait certainement sur la table de la cuisine, et c’est avec impatience qu’il enfila son peignoir puis descendit l’escalier qui grinçait sous son imposante carrure. La surprise fut grande ! Rien n’était préparé. Il réalisa soudain que « maman » était partie, et elle n’avait donc pas eu le temps… ah non, la possibilité de lui chauffer son chocolat chaud et de beurrer sa tranche de pain. Cela ne le découragea pas. Il fit chauffer le lait, le versa sur le chocolat en poudre dans son bol, mélangea puis prépara sa tartine de beurre.

    Quelle fierté ! Il avait réussi à tout faire seul, mais il savait que « maman » l’avait guidé. Tout en prenant son petit déjeuner, il regardait par la fenêtre. Jusqu’à présent, il n’avait guère porté attention à ce qu’il se passait à l’extérieur. Mais, là, seul, la chaise vide en face de lui, l’absence de babillages entre « maman » et lui, le silence juste troublé par le bruit de ses mâchoires et de la petite cuillère dans son bol, il prenait le temps de l’observation. Il voyait la rue bordée d’une rangée d’arbres, sur laquelle quelques personnes passaient. Les unes marchaient lentement, d’autres courraient presque. Certains gardaient la tête baissée, le regard fixé sur leurs chaussures ou sur le bitume, d’autres, le téléphone collé à leur oreille, parlaient sans porter aucune attention à ce qui les entourait. Ce spectacle humain le tétanisait. Il n’arrivait plus à éloigner son regard de cet écran de télévision réelle.

    Une fois par jour, ils sortaient tous les deux pour leur promenade quotidienne. Ils allaient presque toujours au jardin public. Ils s’asseyaient toujours sur le même banc. Les enfants jouaient dans le bac à sable, sur les jeux installés spécialement pour eux. Lui aussi, il avait joué ici quand il était petit mais les autres ne venaient pas vers lui. Il était plus grand, plus fort, sa taille était décalée par rapport à celle des autres enfants de son âge. Puis il avait grandi, et avait continué à jouer sur les mêmes jeux malgré son âge. Et les regards portés sur lui avaient changé, il ne s’en apercevait pas, totalement étranger au malaise qu’il pouvait provoquer. Encore maintenant, il ne s’apercevait pas des regards étranges qui le fixaient.

    « Maman » lui disait toujours qu’elle était là, et c’était le plus important. Mais aujourd’hui, sa chaise était vide. Une ombre de tristesse traversa son regard mais ne s’attarda pas. Il l’entendait encore lui parler de la journée passée, de celle à venir, des informations du jour, du chien de la voisine. Tout était sujet à discussion.

    Le petit déjeuner terminé, il rangea soigneusement le beurre et la confiture dans le frigidaire, nettoya son bol et sa petite cuillère, les essuya et les remit dans le placard habituel. Maman lui disait toujours que chaque chose avait sa place, que l’ordre dans la maison aidait à mettre de l’ordre dans ses pensées. Chaque objet à sa place, chaque pensée à sa case. Cette méthode aidait Louis dans son mode de fonctionnement, et lui permettait d’appréhender la vie comme une page blanche. Il alluma la radio pour écouter les informations qu’il se mit à commenter tout seul, il faisait les questions et les réponses, puisque son interlocutrice était absente, et ce nouveau jeu l’amusait beaucoup. Un sourire sur les lèvres, il entendit que la pollution prenait de l’ampleur et que des mesures indispensables devaient être mises en œuvre pour stopper l’hémorragie. Il devra vérifier la signification exacte des mots « pollution » et « hémorragie » pour bien comprendre cette nouvelle. La recherche de mots était son plus grand plaisir, il sortait délicatement le dictionnaire de l’étagère comme un bien fragile, passait délicatement sa main sur la couverture, et après l’avoir déposé sur le bureau en bois, il l’ouvrait à la page du mot jusqu’alors inconnu. Le livre allait lui livrer le secret de ce mot nouvellement entendu, l’attente qui précédait la découverte lui provoquait des frissons. En tremblant, il ouvrit le dictionnaire et se plongea dans la lecture des mots nouveaux. Il savourait chaque nouvelle découverte comme une sucrerie. Cette sensation lui remettait en mémoire le sucre d’orge coloré que « Maman » lui achetait une fois par semaine à côté du petit jardin public, dans la boulangerie de Madame Doucette. Il regrettait le temps de ce bonbon qu’il pouvait déguster pendant des heures lors de son enfance, enfin, quand il était petit et que « Maman » pouvait encore le prendre sur ses genoux pour lui raconter une histoire. Mais il avait trop grandi, il n’était plus allé sur ses genoux et n’avait plus eu de sucre d’orge. Pourtant il en avait toujours envie, des deux, des genoux et du sucre d’orge. C’est vrai qu’il était devenu très grand, il avait alors pu regarder le haut du crâne de « Maman » qui attachait méticuleusement ses cheveux en un chignon bien serré planté au sommet de sa tête. Il aimait bien observer l’escargot formé de fils bruns parsemés de fibres grises puis blanches au cours des années qui passaient.

    « Pollution : Dégradation d’un milieu naturel par des substances chimiques, des déchets industriels ou ménagers. »

    « Hémorragie : Écoulement de sang hors des vaisseaux qui doivent le contenir. fig : Perte importante en vies humaines. » C’est cette explication qui retint son attention.

    Il réfléchit longuement afin de relier les deux explications. Le déclic se fit. Quelle horreur ! La nature se vidait de son énergie à cause de déchets produits par l’homme. Comment

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