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Watusi: Puzzle recto verso
Watusi: Puzzle recto verso
Watusi: Puzzle recto verso
Livre électronique169 pages2 heures

Watusi: Puzzle recto verso

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À propos de ce livre électronique

La mort de Franck Bergerat, un acte aussi tragique que mystérieux, laisse Ève et Pierre déconcertés. Comment cet homme, qui chérissait la vie, a-t-il pu en arriver là ? Aucun indice dans son passé n’avait préfiguré ce geste désespéré. Ève et Pierre, plongés dans l’incrédulité, commencent à assembler les pièces d’un puzzle complexe qui semble posséder deux visages. Néanmoins, un rêve pythique d’Ève viendra ouvrir la porte à une compréhension des multiples facettes de cette histoire énigmatique.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Pour Patrick Chevalier, l’écriture, revisitant une mythologie en constante évolution, permet de transmettre aux lecteurs une histoire, une saga qui ne serait, sans elle, que simple fait divers ou anecdote.
LangueFrançais
Date de sortie5 mars 2024
ISBN9791042213725
Watusi: Puzzle recto verso

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    Aperçu du livre

    Watusi - Patrick Chevalier

    Partie I

    Recto

    Chapitre I

    Le téléphone émit un de ces habituels borborygmes depuis qu’il était doté de ces mauvaises mélodies plus aptes à vous dégoûter à tout jamais de la vraie musique qu’à adoucir vos mœurs.

    Avec agacement, Pierre décrocha le combiné en se demandant qui pouvait bien encore l’importuner en ce samedi après-midi :

    « Allô », maugréa-t-il, s’attendant à être invité à venir retirer dans un quelconque magasin la ménagère ou la rôtissoire qu’il venait de gagner suite à une loterie, s’amusant tout de même, au passage, de la taille de l’entrepôt qu’aurait nécessité le stockage de tous les lots qu’il n’avait jamais retirés.

    Il acceptait mal l’indécence intrusive de cet instrument qui s’octroyait toutes les priorités : celle de le troubler dans un moment de quiétude, celle d’interrompre une conversation avec l’un de ses proches ayant pris la peine de lui rendre visite au lieu de se contenter de la paresseuse composition d’un numéro sur son cadran, celle d’instituer la désuétude de la prise de rendez-vous d’un client chez son banquier puisque seraient servis en priorité ceux qui useraient du « coup de fil » pour contourner la file d’attente en demandant d’un air faussement ingénu : « Je ne vous dérange pas, j’espère ! »

    « Coup de fil » ; pour Pierre, cette expression était à envisager au sens propre, car c’était bien, chaque fois, un coup qu’il recevait, que seule la muflerie des utilisateurs de cette invention estimait seulement « de fil ».

    La pire horreur résidait pour lui dans cette sonnerie annonciatrice de malheur qui le tirait en pleine nuit d’un sommeil profond pour découvrir, avec un soulagement qui avait du mal à s’installer tant la tension avait été forte, qu’elle était l’œuvre d’un distrait ayant oublié de verrouiller le clavier de son téléphone portable et qui ne se rendait même pas compte que sa maladresse venait de générer un stress aussi insoutenable que, fort heureusement, relativement éphémère.

    « Allô, répéta-t-il, plus calmement.

    — Bonjour, c’est Étienne à l’appareil, je ne te dérange pas, j’espère ?

    — Bien sûr que non, tu es toujours le bienvenu.

    — J’ai pourtant eu l’impression que…

    — Non, non, je t’assure, c’est mon maudit téléphone qui déraille ; je t’écoute.

    — Connais-tu Franck Bergerat ?

    — Bien sûr, pourquoi ?

    — Il est mort.

    — Comment ça ? Ce n’est pas possible. Je l’ai encore croisé la semaine dernière chez le marchand de matériaux. Il commandait des émaux pour réaliser une mosaïque au fond de sa piscine, il m’a paru en pleine forme.

    — Écoute, j’ai croisé sa femme Joëlle en fin de matinée en sortant du bureau de Poste et c’est elle qui me l’a annoncé.

    — Comment est-ce que c’est arrivé, quand est-il mort, quand sont prévues les obsèques ?

    — Le mieux serait que tu appelles Joëlle ; j’ai cru comprendre qu’il était dépressif et suicidaire depuis un moment, qu’il avait disparu depuis plusieurs jours et qu’il s’est suicidé, mais je n’ai pas osé lui poser trop de questions, car elle semblait vraiment affectée. Pour les obsèques, c’est trop tard, il a été incinéré ce matin à la première heure, car son corps a été retrouvé seulement hier après-midi et en très mauvais état.

    — Merci de m’avoir prévenu, Étienne ; j’appellerai Joëlle. Embrasse Caroline pour moi. À bientôt. »

    La disparition d’une personne affectait toujours Pierre, même si, comme dans le cas de Franck, il ne s’agissait pas d’un intime ; en une fraction de seconde, il revoyait défiler les meilleures images de leur relation, une sorte de « best of », terme qu’il exécrait, mais qui s’imposait à chaque fois, asséné qu’il était par la langue dévoyée des médias qui devaient ignorer l’existence de l’adjectif « meilleur », ignorance inquiétante compte tenu de la longueur des études de journalisme. Pierre se disait que, après tout, certains, linguistiquement et donc intellectuellement paresseux, devaient réussir à passer entre les mailles de la sélection et décrochaient leur carte professionnelle par accident ; il leur restait à compenser leurs lacunes par l’importation de termes anglo-saxons qui sonnaient moderne. Cette réflexion lui rappela l’un de ses professeurs de faculté qui répétait à l’envi : « Je connais même des imbéciles agrégés » ; formule destinée à rassurer ses étudiants affligés d’un complexe d’infériorité ou confondant le savoir et la véritable intelligence, celle qui a permis à l’homme d’être là où il est après des millénaires d’épreuves et de chausse-trappes.

    Le téléphone venait de retrouver, avec étienne, un peu de son humanité.

    Chapitre II

    Un point turlupinait Pierre : il ne concevait pas qu’un homme suicidaire et dépressif continuât à conduire sa vie apparente comme si rien ne se passait à l’intérieur de lui qui justifiât ou excusât une métamorphose ô combien compréhensible ; pourquoi commander des émaux si on a décidé d’en finir, pourquoi échafauder des projets, pourquoi rire ? Il ne se pardonnait pas non plus de n’avoir rien perçu de la probable et secrète détresse de Franck même si, en y repensant, il lui semblait parfois, sans pour autant que cette sensation remontât explicitement à sa conscience, qu’avait disparu de son regard cette étincelle qui l’animait lorsqu’ils s’étaient connus vingt ans plus tôt.

    Tels des sinusoïdes superposées, répondant chacune à une fonction différente, leurs chemins s’étaient croisés à plusieurs reprises.

    À leur arrivée dans le Midi, Ève et Pierre s’étaient empressés d’acquérir une maison et Franck fut l’unique commercial qui les démarcha pour leur vendre un système d’alarme ô combien indispensable dans la région détentrice d’un record du nombre de cambriolages méritant une inscription au Guinness World Records ; démarche d’ailleurs sans succès, puisque son offre ne leur convint pas. Ils avaient néanmoins apprécié le dynamisme de ce fonctionnaire en disponibilité qui, à la recherche quelque peu juvénile de son pays de cocagne, tentait sa chance loin de son statut protecteur sans, d’ailleurs, vraiment le quitter, ainsi muni d’un parachute qui n’était certes pas doré, mais disait-il : « Tout de même, on ne sait jamais ! ».

    Quelques années plus tard, ils le connurent dynamique dirigeant bénévole d’une association qui se consacrait à promouvoir la diffusion de l’espéranto. Il se plaisait à citer Cavanna qui, dans La Belle fille sur un tas d’ordures, avait écrit : « Vous ne voulez pas de l’espéranto ? Vous aurez l’anglais. Bien fait pour vos gueules ! » L’espéranto, c’était pour Franck, l’eldorado, une porte ouverte sur le monde.

    Il se plaisait à rappeler que plusieurs millions de personnes, réparties dans cent vingt pays, parlaient cette langue et que, même, pour un millier d’entre elles c’était leur langue maternelle, magnifique preuve que l’amour n’a pas de frontières et que la barrière des langues n’est qu’une construction idéologique ou nationaliste. Lui qui, au lycée, fut piètre anglophone et germanophone, vantait la simple efficacité de cette langue avec l’argument imparable que, s’il fallait consacrer deux mille heures d’étude à l’allemand et mille cinq cents à l’anglais, il en suffisait d’une centaine à l’espéranto pour atteindre le niveau du baccalauréat ; « CQFD », se réjouissait-il en guise de conclusion.

    Il était bon avocat pour les causes qu’il défendait.

    Beaucoup plus tard, Pierre découvrit que Franck était client de la banque dans laquelle il exerçait son activité. Lui consentir un crédit à l’occasion d’un achat de biens de consommation offrit l’opportunité d’un nouveau contact chaleureux, mais tout aussi bref que les précédents. Comme s’il était écrit, depuis leur première rencontre, qu’il ne servait à rien d’envisager une amitié durable puisque la vie abandonnerait Franck à quarante-trois ans.

    C’est en établissant son dossier de financement que Pierre apprit, au moment de compléter le bordereau d’adhésion à l’assurance décès-incapacité de travail, l’existence de séquelles douloureuses d’un accident de la route condamnant cet agréable client à un traitement antidouleur assez lourd probablement pour le restant de ses jours, mais fort heureusement, ne remettant pas en cause, moyennant une surprime tout de même, l’économie du dossier.

    La banque doit avoir souvent l’apparence d’un confessionnal, sans doute le secret bancaire ; Franck évoqua ses problèmes professionnels qui ne permettaient pourtant pas de cocher une seule case au dossier. Seule la sécurité de son emploi de fonctionnaire le raccrochait aux branches de son poste de travail. Il débita les habituelles litanies des hommes de bonne volonté qui, quand ils ne font preuve d’aucune initiative, sont méprisés, dévalorisés par une hiérarchie qui voit dans ses galons la preuve, ô combien niable, de ses compétences managériales et qui, dès qu’ils mettent au service de leur Administration leur créativité trop longtemps étouffée, sont rabroués, moqués, laminés par un chef de service lui-même à la recherche du sens qu’il doit donner à son propre emploi. L’une de ses propositions, l’amélioration du système de classement de documents, n’eut point l’heur de plaire à son responsable, sans doute dépité de ne point avoir pensé plus tôt à une mise en œuvre aussi simple et efficace. Son dossier, qui lui avait valu quelques soirées de travail non rémunérées, rejoignit la cohorte des autres propositions jalousées par le chef, aux archives du sous-sol.

    Franck vivait comme un harcèlement cette double contrainte qui consistait à exiger de lui des idées novatrices que son grade subalterne ne l’autorisait pas à soumettre au crâne d’œuf, sans commettre un crime de lèse-chefaillon.

    Pierre, constatant que l’heure tournait et que son prochain rendez-vous était imminent, tenta de le réconforter en lui faisant remarquer que ce qu’il vivait était le propre de toute société hiérarchisée et que lui-même subissait la pression de son directeur régional qui eût été plus à son aise dans un endroit lui convenant mieux : l’hôpital psychiatrique.

    Pour détendre l’atmosphère, Pierre, oubliant sa montre, lui raconta comment il avait, un jour d’affrontement avec ce tyranneau, décoché un ace historique. Déplorant que leurs relations fussent loin d’être au beau fixe, le grand chef omniscient se plaignit de la mauvaise qualité de leur communication. L’occasion était trop belle ; Pierre admit, se réjouissant intérieurement de la suite, qu’un problème se posait effectivement et qu’il pensait que l’un des deux avait besoin de consulter un psychiatre en s’empressant d’ajouter que, lui-même, se sentait parfaitement bien dans sa tête. Pour la première fois depuis des années, le directeur régional ne put rien répliquer, sans doute touché en plein front par ce service assassin et convaincu que Pierre avait peut-être raison.

    Fort heureusement, Franck connaissait, à l’en croire, bien plus de satisfactions dans sa vie personnelle, car il existait aussi une madame Bergerat, infirmière de son état, et deux fils à charge, Gaël et Yannick. Pour la première fois, Pierre prit conscience que Franck n’était pas seul au monde ce qui le surprit tant son rayonnement, sa joie de vivre hors du travail pouvait indiquer qu’il remplissait sa vie de ses seules ressources internes et qu’il n’avait pas besoin de puiser ailleurs les bienfaits nécessaires à son équilibre.

    Cette ineptie l’accabla, tant il lui parut incongru de pouvoir imaginer une telle situation : lui-même

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