Une Tombe trop bien fleurie
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Avis sur Une Tombe trop bien fleurie
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Aperçu du livre
Une Tombe trop bien fleurie - Premier collectif de l’Académie Balzac
Une Tombe trop bien fleurie
Premier collectif de l’Académie Balzac
Une Tombe trop bien fleurie
LES ÉDITIONS DU NET
22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
Équipage du navire
Magali Aïta
Pierre Bannier
Stéphanie Bénoliel
Daphnis Boelens
Rabah Bouguerra
Yves Cornudet
Sarah-Nio Coulibaly
Philippe Dal Molin
Fredleborgne
Christelle Goffinet-Maurin
Lea Golder
Anne-Sophie Guénéguès
Dominique Lemaire
Pierre Paul Nélis
Estelle Penain
Pascale Marie Quiviger
Sandra Rastoll
Théophile Marcelin Téhé
Krystin Vesterälen
Capitaine du navire
Michel Dansel
© Les Éditions du Net, 2014
ISBN : 978-2-312-03172-9
Chapitre 1
Il y a des jours plus propices que d’autres pour s’exhumer de la Comédie humaine.
Roger suit les saisons en barrant des dates sur le calendrier comme on barrerait des routes désormais impraticables. Le seul avantage ou inconvénient, c’est que ça limite les possibilités. Et un matin, par la force des choses, il se réveille avec le sentiment qu’aucun chemin n’a été tracé pour lui.
Roger ajuste son rétroviseur, vérifie qu’il a bien repris le masque du fabuleux architecte d’intérieur qu’il est. Le moteur de l’Audi rugit dans le garage, contrastant avec le silence intérieur de l’homme au volant. En lui, il ne subsiste plus que des murmures, des chuchotements. Il n’est rien de plus redoutable qu’une saturation de vide, parce qu’elle absorbe tout ce qui passe alentour. Jusqu’à l’oxygène au fin fond des poumons.
L’Audi s’engage dans la valse des automobilistes pressés en ce début de matinée. À la radio, Yves Montand chantonne Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, et Roger se surprend à fredonner avec lui, tandis que les rues et les ronds-points se succèdent sous les pneus de sa voiture.
Roger regarde Paris, ville de lumière, tandis que les lampadaires ferment leurs paupières. Il croise des travailleurs de l’aube côtoyant des afternautes plutôt éméchés. À l’heure cruciale, entre chien et loup, les uns débutent leur journée alors que d’autres terminent leur soirée. Cependant, indifférent à ce chassé-croisé entre diurnes et noctambules, le fabuleux architecte ne songe qu’à son propre portrait illustrant la manchette du journal. Il fera la une, à l’évidence. Cela dit, la vérité pourrait ne jamais se savoir…
La sonnerie de son portable envahit l’habitacle.
– Claudine ?
– Tu vas à ton bureau directement ?
– En principe, oui. Pourquoi ?
– Si tu as le temps, peux-tu passer chez Gibert récupérer ma commande ?
– Ce n’est pas du tout mon chemin !
– Je t’en prie. J’attends ces cahiers d’exercices pour mes élèves depuis plus d’un mois ! J’ai pris du retard sur le programme !
Roger peste en silence, puis finit par accepter. Il ne peut rien refuser à sa femme, d’autant plus que dans quelques jours, il ne sera plus en mesure de lui rendre le moindre service ! Et pour cause ! Le ton joyeux de Claudine vient chatouiller ses oreilles :
– Merci, tu es un ange ! Si tu le peux, par la même occasion prends-moi le tome 3 de Millénium. J’ai presque terminé le premier cette nuit, et je ne voudrais pas tomber en panne. Tu devrais les lire. Cette trilogie est vraiment palpitante.
– Je verrai, répond Roger. Ce ne sera pas pour ce soir, j’ai un rendez-vous tardif. Ne m’attends pas pour dîner.
Une fois l’appel terminé, le son de la radio emplit de nouveau l’espace. Roger en profite pour se replonger dans le scénario qu’il peaufine depuis quelques jours, un scénario macabre où le héros termine au cimetière. Son impératif de la journée consiste en l’élaboration d’un plan parfait afin de quitter cette vie devenue insipide, morne, sans saveur… tellement inutile ! Le répit est de courte durée. Son téléphone le tire de ses turpitudes. Il lit le nom qui s’affiche sur l’écran et se voit dans l’obligation de répondre. Décidément, on jurerait que quelque chose veut l’empêcher de mettre en place son ultime projet. L’appel dure quelques minutes, juste le temps pour Roger de rajouter un imprévu à son planning déjà bien surchargé. L’Audi change de direction et file vers ce rendez-vous inopiné.
Quarante minutes plus tard, il arrive au domicile de sa cliente. Il sonne à la porte qui s’ouvre dans un grand élan théâtral.
– Anita ! s’exclame-t-il.
– Roger, mon ami ! répond la cliente en faisant mine de lui envoyer un baiser de loin.
Anita, grande dame excentrique de la bourgeoisie parisienne, exige que les bises et autres marques d’affection à son égard se limitent tout bonnement à l’évocation du geste. Elle n’aime pas qu’on la touche, ne supporte pas le contact physique, excepté avec Oscar, son chat persan. Roger se garde bien de l’approcher à moins de vingt centimètres et se prête au jeu du mime, feignant l’esquisse d’un baiser tendrement envoyé vers les joues fripées de la dame. Anita est d’autant plus excentrique qu’elle est riche. Chacun se plie sans rechigner à ses quatre volontés, de peur de tomber en disgrâce.
– Anita, je suis venu aussi vite que j’ai pu… Quel est donc, selon tes propres mots, le « désordre visuel » qui te met dans un état pareil ?
– Roger, mon ami. Tu es un décorateur de talent ! Lorsque j’ai acheté ce loft, je ne croyais pas que je pourrais m’y sentir bien un jour. Et toi, tu as su me donner envie de m’y installer.
– Anita, je te remercie pour ces compliments, mais…
– Ne m’interromps pas ! Ce matin, j’ai découvert… une horreur… un séisme dans la voilure de mon lit… bref, une aberration oculaire que je ne peux supporter…
Roger sent son esprit divaguer. Il a du mal à se concentrer sur les propos d’une banalité affligeante de sa cliente un tantinet loufoque. Son cerveau bouillonne de mille informations, bien plus importantes que les jérémiades de cette illuminée. Anita poursuit son monologue, accompagné de grands gestes faisant voleter sa cape de mousseline rose derrière elle tel le voile défraîchi d’une mariée sur le retour. La tête de Roger est comme sur le point d’exploser, polluée par cette vie aux reliefs toxiques… Le malaise le guette à chaque pas… Il a besoin d’air frais, de calme. Il tâtonne nerveusement à la recherche d’un quelconque objet sur lequel s’appuyer un instant. Ses doigts devinent ce qui lui semble être l’assise d’une chaise, et il se laisse tomber lourdement. Anita ne prête pas la moindre attention à son moment de faiblesse. D’un geste ample, elle l’incite à se relever, puis l’entraîne à sa suite vers le lieu du « désastre visuel » qui lui a gâché son petit déjeuner.
– Je t’assure Roger mon ami, cette abomination m’a déclenché un haut-le-cœur, au point qu’il m’était impossible d’avaler quoi que ce soit ! Je suis catastrophée et je compte sur toi pour m’arranger ce désastre dans les plus brefs délais, cela va de soi ! Regarde par toi-même, conclut-elle en entrebâillant la porte de sa chambre. Je… te laisse y aller seul…
Roger entre dans la pièce et entend le claquement sec de la porte qui se referme derrière lui. Il profite de cette courte pause pour s’allonger sur la méridienne. Il surélève ses jambes et essaye de se détendre, autant qu’il le peut. Moins de cinq minutes plus tard, la voix d’Anita se fait entendre.
– Alors ? Penses-tu pouvoir m’arranger cela ?
– Oui, oui, balbutie Roger, sans même ouvrir les yeux.
– Tu en as pour longtemps ? Mon thé refroidit ! insiste la grande affolée.
Roger se fiche éperdument du thé d’Anita et du drame oculaire qu’elle s’évertue à lui décrire à travers la porte. Ses préoccupations sont bien plus impérieuses, bien plus existentielles qu’un voile de lit en partance. Il commence à se demander si ce n’était pas un prétexte pour autre chose.
Marre de ce jeu d’hypocrite, marre de ces clients pleurnichards, marre de cette comédie sans fin !
Soudain, elle actionne la poignée de la porte. Il se redresse d’un bond, s’agenouille et s’affaire à réordonner les plis du jeté de lit lorsque Anita franchit le seuil. Elle se cache les yeux d’une main tremblante.
– Tu peux ouvrir les yeux, Anita. Tout est rentré dans l’ordre, la rassure Roger. Ces vilains faux plis sont partis…
Il a repris le masque du fabuleux architecte d’intérieur qu’il est, aménageant les appartements des plus grands noms de Paris avec talent et élégance. Happé par un irrésistible néant, il s’engage dans le rond-point de la Bastille, conduisant machinalement. Soudain, une moto lui coupe la route sans crier gare et l’extirpe de sa torpeur. Il freine brutalement et s’immobilise à l’issue d’un long crissement de pneus, abandonnant des empreintes de gomme sur le macadam. Les klaxons grognent, s’expriment dans tous les tons. Exaspéré, Roger a juste le temps de se retourner pour voir arriver sur lui un bus lancé à vive allure. Le chauffeur freine à outrance. Il est trop tard… Roger se recroqueville sur son siège, attendant l’impact. Tout à la fois terrifié et pétrifié, sa vie défile devant ses yeux en un éclair. L’adrénaline prend le dessus sur la peur. Le tocsin sonne le départ imminent… C’est aussi bien comme ça. Un véritable accident… ce serait tellement plus simple ! Peu importe… Plus rien ne lui importe ! Les secondes s’égrènent. Pas de choc. Roger rouvre les yeux, et constate, dépité, que le bus s’est arrêté à seulement quelques centimètres de sa portière. La carrosserie de l’Audi n’a même pas une éraflure. Les avertisseurs sonores reprennent de la crécelle. Roger se réinstalle au volant et reste bouche bée en apercevant le motard stationné un peu plus loin. L’homme casqué, vêtu de cuir, lui adresse un signe évocateur, et s’en va dans un bruit assourdissant. Un signe… le pouce levé…
Fin de la Comédie !
Il fait un crochet par Gibert et décide d’annuler tous ses rendez-vous de la journée. Il a besoin de temps pour élaborer son plan. Ces secondes qui lui filent entre les doigts à vouloir maintenir ce faux-semblant d’entrain, l’éloignent inexorablement du rendez-vous le plus important de sa vie.
L’heure a