le moteur de l’antique Peugeot ronfle doucement. A travers le pare-brise, sur la coque noire de la nuit, les étoiles comme des rangs de hublots. Appareillage. J’ai baissé la vitre. Un filet d’air m’effleure la joue, le faisceau des phares déshabille des clôtures, des murs de fermes. La chaussée luit timidement, phosphorescente. Un grand silence. Ma fatigue de la soirée s’est envolée, j’ai envie de rouler, de rouler sans m’arrêter. Mata Hari est assise près de moi, en combinaison blanche, serrant d’une main le châle noir jeté sur ses épaules. De l’autre, elle tient du bout des doigts une cigarette.
Mata Hari : 23 à 25 ans, blonde, une jeune femme qui a l’air de sortir tout droit des années 1920, ou d’une forêt nordique. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de l’appeler Mata Hari. Avec sa voix rauque et ses yeux gris vert, elle me fait penser à une héroïne de légende : Mélusine, Lili Marlène, Mata Hari.
Elle m’a trouvé un nom : Corto Maltese. Malheureusement, je ne ressemble pas à ce héros de BD. Pour commencer, je n’ai pour ainsi dire jamais voyagé… Mais peut-être le blazer marine, le foulard et la mine flegmatique que j’arbore ce soir favorisent-ils la ressemblance ? Nous roulons dans la campagne endormie. La nuit est tiède et il est trois heures du matin. Je suis bien. Dire que je pourrais être au lit. Les événements sont imprévisibles.
J’ai terminé mes études en mai et je suis toujours sans travail : qu’espérer d’une licence de lettres ? Pour tuer le temps je prépare des concours. J’ai commencé à écrire un roman et rédigé douze pages. Je lis un peu. Des activités insatisfaisantes. Je m’ennuie à la maison, entre le frère et la sœur que je n’ai pas et mes parents absents : père en déplacement, mère en ville…
Il me prend parfois l’envie, au bout d’une journée sans fin, de sortir ma vieille voiture du garage