Victoire et les pensionnaires du Manoir

Je soulève péniblement les paupières et grimace. La lumière du jour exacerbe mon mal de tête. J’ai l’impression qu’une famille de pics-verts a trouvé refuge à l’intérieur de mon crâne et qu’elle s’en donne à cœur joie. J’ai la gorge sèche et la langue pâteuse. Ça m’apprendra à faire la fête un dimanche soir! Enfin, la fête, si je peux dire. Je n’aurais jamais dû suivre Mina à cette soirée. Mais elle a tellement insisté pour que je l’accompagne que j’ai fini par céder. Histoire d’avoir la paix. Une fois encore, je me suis fait avoir. Je suis tombée dans l’un de ses pièges attrape-nigauds. De ceux où elle m’a présentée à l’une de ses connaissances masculines, avant de nous laisser en plan tous les deux. C’est son truc à elle de vouloir me caser coûte que coûte. Elle ne peut pas s’en empêcher.

– Il est grand temps pour toi de trouver chaussure à ton pied, Victoire, me serine-t-elle depuis deux ans.

Deux ans, c’est-à-dire depuis qu’elle file le parfait amour avec son Peter, un type bien sous tous rapports, style gendre idéal. Du coup, comme elle est heureuse dans son couple, elle s’est mis en tête de me dégoter la perle rare. Afin que, moi aussi, j’aie une vie amoureuse épanouie, selon ses propres mots. Je ne compte plus toutes les rencontres et les plans tordus qu’elle m’a organisés. À chaque fois, on est cependant bien loin de la perle rare dont elle me rebat sans cesse les oreilles ! Je dirais plutôt que, pour le moment, j’ai à mon actif une collection de cailloux tous plus minables les uns que les autres. Aucun ne sort du lot. Et celui d’hier soir est carrément à mettre en haut de la liste. Son bavardage ininterrompu et nombriliste m’a flanqué le bourdon.

Alors, pour me changer les idées, je me suis requinquée avec une première coupe de champagne, très vite suivie d’une seconde. Et puis j’ai perdu le compte. Habituellement, je me comporte en grande fille raisonnable. Or là, c’était loin d’être le cas. Leçon à tirer de cette soirée miteuse : dire de toute urgence à Mina de cesser de jouer les agences matrimoniales avec moi !

Avec précaution, je pose les pieds par terre et tente de me décoller du lit. Aïe ! ma pauvre tête ! C’est affreux comme ça résonne à l’intérieur. Je me demande bien l’heure qu’il est. Coup d’œil du côté du radio-réveil. Pétard ! Huit heures trente passées. Je devrais déjà être au boulot. C’est ce que me fait comprendre mon cerveau, mais mon corps, lui, a du mal à s’activer. Il fonctionne à l’économie. J’entends d’ici la Pie-grièche prendre son ton de sergent-major et me faire tout un sermon sur mon retard.

– Sachez