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La maison des furies
La maison des furies
La maison des furies
Livre électronique366 pages5 heures

La maison des furies

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À propos de ce livre électronique

Seule et effrayée, elle vient juste de fuir une école avec pension brutale où les châtiments sont la leçon quotidienne. Lorsqu’elle rencontre une vieille femme qui lui offre un emploi de servante dans une maison de pensionnaires, Louisa pense qu’elle est sauvée.

Mais peu après son arrivée à Coldhistle House, Louisa se rend compte que le mystérieux propriétaire de la maison, monsieur Morningside, offre bien plus que l’hébergement à ses pensionnaires. Loin d’être un lieu de repos, la maison est un lieu de jugement, et monsieur Morningside et son personnel sont désignés pour appliquer leur propre type de justice implacable à ceux qui ne peuvent plus être sauvés.

Louisa commence à craindre pour un jeune homme nommé Lee qui ne ressemble pas aux autres pensionnaires. Il est charismatique et bienveillant, et Louisa sait qu’il lui reviendra peut-être à elle de le sauver d’un jugement prématuré. Mais dans cette maison de falsifications et de mensonges, à qui Louisa peut-elle faire confiance?

Dans ce premier tome de la nouvelle série d’horreur gothique de Madeleine Roux, les illustrations et les photographies donnent vie à une maison que vous voudrez visiter — et fuir — encore et encore.
LangueFrançais
Date de sortie26 mars 2019
ISBN9782898032035
La maison des furies
Auteur

Madeleine Roux

Madeleine Roux is the New York Times and USA Today bestselling author of the Asylum series, which has sold over a million copies worldwide. She is also the author of the House of Furies series and several titles for adults, including Salvaged and Reclaimed. She has made contributions to Star Wars, World of Warcraft, and Dungeons & Dragons. Madeleine lives in Seattle, Washington, with her partner and beloved pups.

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    Aperçu du livre

    La maison des furies - Madeleine Roux

    House.

    Chapitre 1

    Malton, Angleterre. Automne 1809

    La route qui menait à Coldhistle House était sombre et dangereuse. C’est ce que disait la femme qui m’y emmenait. La pluie anglaise tombait aussi lentement et calmement qu’avançait notre chariot.

    Elle m’avait trouvée au marché de Malton, où je disais la bonne aventure en lisant dans les paumes pour des pennies. Cela me valait des claquements de langue et des regards noirs de la part des passants, des gens très religieux qui alerteraient le pasteur de la communauté et me feraient expulser de leur ville. Mais les pennies, même mal acquis, apportent de la nourriture.

    Dire la bonne aventure n’est pas une chose aisée. Cela peut sembler facile, mais pour prédire l’avenir de façon convaincante, il faut que les faits soient aussi naturels et coulants qu’une rivière suivant son cours. À dire vrai, cela se résume à lire ce qui se trouve dans le regard des gens, la façon dont ils respirent et dont leurs yeux se promènent, la manière dont ils s’habillent, marchent et tiennent leur monnaie.

    J’en étais à ma dernière consultation de la matinée lorsque la vieille femme était apparue. Le jour de marché se tenait beau temps, mauvais temps, et c’était un autre jour de pluie dans une longue séquence de journées bruineuses et ennuyeuses. Personne ne s’attardait — sauf moi, à ce qu’il semble. Et je n’avais pas les motifs respectables des fermiers et des artisans qui vendaient leurs marchandises.

    La fille en face de moi rougit et garda sa tête cachée sous un épais foulard de laine. Il était assorti à sa robe solide et unie et au manteau boutonné par-dessus. De petites touffes de laine jaune et grise s’échappaient du tissage. Elle avait une drôle de mèche de cheveux. Une rêveuse. Ses joues rougeâtres devenaient de plus en plus rouges pendant que je lui disais la bonne aventure.

    — Ah, je vois, maintenant. Il y a un amour dans votre vie, fis-je d’une voix douce qui reflétait son expression.

    C’est un vieux truc facile, mais qui donna des résultats. Elle ferma les yeux et hocha la tête. Les enseignantes de Pitney School m’avaient pratiquement battue pour éliminer mon accent, mais je le laissai reparaître maintenant, permettant aux douces inflexions irlandaises de donner aux mots une couleur qui conviendrait à cette fille. Des teintes de rose et de mauve aussi vibrantes que ses joues.

    — Mais il n’y a rien de garanti, hein ?

    — Comment savez-vous ça ? murmura-t-elle, ses yeux s’ouvrant tout grands.

    Je ne le savais pas.

    Une rêveuse. Une fille qui ne visait pas dans son milieu social. Les vraies filles de cet âge — le mien — étaient comme des livres ouverts pour moi. J’échangeais des consultations comme celle-là contre des sucreries et des livres à Pitney, risquant la baguette — ou pire.

    — Sa famille désapprouve le mariage, ajoutai-je en l’étudiant attentivement.

    Son expression se décomposa, ses mains gantées se crispant dans la mienne pendant qu’une nouvelle vague de désespoir la submergeait.

    — Ils pensent que je ne suis pas recommandable à cause de la porcherie. Mais nous ne souffrons jamais de la faim ! Un tel snobisme, et au sujet de cochons !

    — Mais c’est votre véritable amour, hein ?

    Je ne pouvais m’en empêcher. Tout comme j’avais besoin de pennies pour manger — et de manger pour vivre —, j’avais besoin de ça. Le pouvoir. Est-ce que ça fonctionnait à tous les coups ? Non. Mais lorsque ça arrivait… La fille hocha la tête, humectant ses lèvres en cherchant mon regard.

    — Je ferais tout pour lui. Tout. Oh, si seulement vous pouviez voir Peter ! Si vous pouviez nous voir ensemble ! Il m’apporte des pommes au déjeuner, des pommes qu’il achète avec sa propre monnaie. Et il m’a écrit un poème, le plus doux des poèmes.

    — Un poème ?

    Eh bien, ils étaient pratiquement mariés. Je lui adressai un sourire complice.

    — Je sens un avenir pour vous deux, mais il ne sera pas facile.

    — Non ?

    — Non. C’est une route difficile qui se présente, mais si vous prenez des risques, vous ferez la plus grande des récoltes.

    Sa bouche s’ouvrit un peu, pauvre fille désespérée, et je laissai mon sourire s’estomper pour dévoiler son sort.

    — Une fugue amoureuse est votre seul espoir.

    Prendre la fuite. Un choix qui conduirait probablement les deux amoureux à être reniés et rejetés. Lui, il aurait peut-être la chance de se refaire une vie et de prendre une femme, mais pas elle. Les mots restèrent un peu pris dans ma gorge après coup. Pourquoi as-tu dit ça à la fille, Louisa ? Ça ne me laissait plus la même impression ; ça semblait même mal. Et dire qu’avant, lorsque je roulais mes camarades de classe hautaines à Pitney, je le prenais comme une victoire personnelle.

    Les yeux de la jeune fille s’écarquillèrent avec une lueur d’alarme.

    — Nous en-enfuir ?

    C’était comme s’il s’agissait d’une malédiction, alors elle avait hésité à le dire.

    — Ou trouver un autre amour, ajoutai-je avec empressement.

    Voilà. Assez bien. Je lui avais offert une autre solution, et cela m’aidait à me sentir moins coupable à l’idée de prendre les pennies de la fille. La façon désinvolte dont je lui avais offert la solution de rechange la fit grimacer. Contrairement à moi, elle ne croyait pas que l’amour véritable était quelque chose qu’on pouvait délaisser.

    — Mais vous le saviez déjà, conclus-je.

    — Bien sûr, murmura la fille. J’avais simplement besoin de vous entendre le dire.

    Elle déposa dans ma paume deux pennies réchauffés dans sa poche, puis elle leva les yeux vers les nuages gris, sinistres.

    — Vous avez le don, n’est-ce pas ? Vous pouvez voir l’avenir, dire la bonne aventure. Je le vois dans vos yeux. Si sombres. Je n’ai jamais vu d’yeux aussi noirs ni aussi perspicaces.

    — Vous n’êtes pas la première à le dire.

    — Je souhaite bien être la dernière, lança la fille en fronçant les sourcils. Vous devriez trouver une voie plus honorable. Une voie pieuse, qui vous permet d’avancer dans la crainte du Seigneur. Cela ramènerait peut-être un peu de lumière dans ces yeux.

    Comment la crainte pourrait-elle éclairer mon regard ? Je ne saurais le dire. Je doutais également que la fille soit en mesure de le dire. Je refermai mon poing sur la monnaie et fis un pas en arrière.

    — J’aime mes yeux exactement comme ils sont, merci beaucoup.

    La fille haussa les épaules. L’éclat de ses joues avait diminué. Haussant les épaules, elle se dissimula sous son foulard et s’enfuit du marché, ses bottes bien usées pataugeant dans les flaques entre les pavés.

    — Elle ne t’oubliera pas de sitôt ; ça, c’est sûr.

    La voix de la vieille femme, aussi fluette qu’un roseau, n’eut pas l’effet attendu. Je l’avais vue se cacher, après tout, et m’attendais à ce qu’elle rebondisse à un moment ou un autre. Je pivotai au niveau de la taille, regardant la vieille bique sortir de sous l’auvent détrempé d’un stand du marché. Moins d’une dizaine de dents jaunes et des gencives pâles se dévoilèrent dans le sourire d’une pauvresse. Des cheveux jaillissaient en couettes séchées de sous son bonnet usé, comme s’ils avaient été légèrement roussis au-dessus d’un feu.

    On percevait quand même le squelette de la beauté sous la peau affaissée, l’écho d’un charme sauvage que le temps — ou la malchance — avait essayé d’effacer. Un teint aussi foncé que le sien trahissait une vie de labeur sous le soleil ou bien des origines étrangères. Quel que soit son lieu de naissance, je doutai qu’il se trouve près du Yorkshire du Nord.

    — Avez-vous l’habitude de suivre les jeunes filles ? demandai-je d’une voix affectée.

    Mon véritable accent avait disparu. Je souhaitai que la voix que j’utilisais en classes ait au moins la moitié de la sévérité de ces enseignantes qui m’avaient forcée à l’adopter.

    — Je pensais que tu avais peut-être besoin d’aide, répliqua-t-elle en penchant la tête de côté. Un petit encouragement dans cette morne journée.

    J’aurais dû me douter qu’elle attraperait ma main et l’argent qu’elle contenait. Les voleurs étaient aussi courants que les marchands lors des jours de marché. Je récupérai brusquement ma main et la glissai sous mes jupes pour dissimuler la monnaie sous le tissu mouillé.

    La vieille bique ricana et s’approcha, m’observant avec son œil valide. L’autre nageait dans une chassie laiteuse. Ses vêtements, tels qu’ils étaient, empestaient la fumée de bois.

    — Je n’ai pas l’intention de te dévaliser.

    — Laissez-moi tranquille, grommelai-je, pressée de me débarrasser de cette nuisance.

    Lorsque je me détournai, sa main osseuse se tendit vers moi à une telle vitesse que ça me fit penser à une illusion d’optique. Sa prise sur mon poignet était aussi ferme que celle d’un maréchal-ferrant.

    — Ce ne serait pas mieux si cette petite somme insignifiante était bonifiée ? Je ne parle pas de monnaie pour des restes et d’un lit infesté de punaises, mais de revenus d’une bonne journée.

    Avec cette même poigne d’une force surnaturelle, elle ouvrit brusquement mes doigts et posa sa main sur la mienne. L’espace entre nos paumes devint soudainement brûlant, et lorsqu’elle retira sa main, je ne tenais plus de pennies, mais bien de l’or.

    Comment était-ce possible ?

    J’eus le souffle coupé, puis je repensai à mon métier et à cette femme. Si elle avait passé sa vie à dire la bonne aventure, je n’aurais pas dû être surprise de son penchant pour les tours de passe-passe. La pièce était sans aucun doute cachée dans sa manche, prête à servir pour ce tour éblouissant.

    — Vous devez attendre quelque chose de moi, lâchai-je en plissant les yeux. Sinon, vous ne vous montreriez pas aussi généreuse avec une étrangère.

    — C’est juste un cadeau, répondit-elle en haussant les épaules, déjà prête à repartir.

    De pareils moments de chance me semblaient improbables ; de telles richesses avaient sûrement un prix.

    — Reste au chaud, jeune fille, ajouta la vieille bique en repartant d’un pas mal assuré. Et prends soin de toi.

    Je la regardai disparaître derrière un kiosque aux couleurs joyeuses où l’on vendait des poissons. Le bas usé de son manteau traînait derrière elle comme un linceul. Il n’y avait plus de raison d’attendre. Si cette vieille folle avait tellement envie de se débarrasser de son argent, je n’avais pas l’intention de la décevoir. Je courus immédiatement avec un léger sautillement joyeux vers le guichet que j’avais croisé en entrant en ville. Des pâtés à la viande. L’odeur était enivrante, pas le moins du monde atténuée par la bruine. Agneau, poisson, foie, veau… Avec la pièce que je tenais dans mon poing, je pourrais en prendre un de chaque sorte sans avoir à faire un choix difficile. Ce serait un festin comme je n’en avais pas connu depuis… Eh bien, à vrai dire, je n’avais jamais connu une telle abondance.

    L’homme qui tenait le guichet remonta le store tandis que j’approchais. Il se pencha à l’extérieur et posa l’un par-dessus l’autre sur l’appui ses avant-bras immenses comme des jambons. Jambon. Oui, j’en prendrais un aussi. Des yeux bleus perçants me fixèrent de sous un couvre-chef. Son commerce devait être prospère, puisque ses vêtements étaient neufs et sans signe de raccommodage.

    — Un de chacun, s’il vous plaît, émis-je sans être capable de réprimer le sourire dans ma voix.

    Ces yeux qui me fixaient glissèrent d’un côté, puis ils passèrent sur mon visage, mes cheveux ébouriffés et ma robe couverte de boue. Ses doigts pianotèrent sur l’appui.

    — Je vous demande pardon, jeune fille ?

    — Un de chacun, répétai-je avec plus d’insistance.

    — C’est cinq pennies le pâté.

    — Je peux lire l’écriteau. Un de chacun.

    Il se contenta de grogner en guise de réponse et se détourna, revenant un moment plus tard pour se planter devant moi et mon estomac qui gémissait, me tendant six pâtés à la viande réniformes dans un papier fumant. Il me les remit lentement, comme s’il me laissait tout le temps de repenser à mon étourderie pour prendre la fuite.

    Mais je pris le premier pâté puis le suivant, tendant l’or et me sentant très satisfaite de moi.

    La satisfaction ne dura pas longtemps. Dès l’instant où il posa les yeux sur l’or, son comportement passa d’une coopération réticente à la rage. Il m’arracha la pièce des mains et garda le reste de la nourriture, la faisant presque tomber du rebord de la fenêtre dans la boutique.

    — Qu’est-ce que c’est, ça ? Je ne pense pas qu’un rat noyé dans ton genre se promène avec de la monnaie comme ça. Où l’as-tu trouvée ? s’écria-t-il en retournant la pièce d’or dans ses mains, essayant de déterminer son authenticité.

    — Je l’ai gagnée, renvoyai-je avec humeur. Rendez-la-moi ! Vous n’avez pas le droit de la garder !

    — Où est-ce que tu l’as trouvée ?

    Il la tenait hors de ma portée, et comme une idiote, j’essayai de la rattraper, me comportant comme la vaurienne désespérée qu’il croyait que j’étais.

    — Rendez-la-moi ! Vous pouvez garder vos satanés pâtés ! Je n’en veux plus !

    — Voleuse ! tonna-t-il.

    À l’intérieur de la boutique, il sortit une cloche d’argent aussi grosse que son poing et commença à la faire sonner, criant par-dessus les tintements bruyants.

    — Hé, oh ! Nous avons une voleuse ici ! Vite !

    Je pris la fuite, laissant tomber les pâtés et abandonnant l’or. La cloche résonnait durement à mes oreilles pendant que je courais à fond de train sur la place du marché, mes pieds pataugeant dans les flaques, mes jupes se couvrant de boue et devenant plus lourdes pendant que j’essayais de me fondre dans la masse qui se dispersait. Tous les regards convergèrent sur moi. Il n’y avait pas moyen d’échapper à la foule que je pouvais sentir se former dans mon sillage, composée de gens qui se lanceraient à ma poursuite et me jetteraient en prison ou pire encore.

    Droit devant, les bâtiments coupaient vers la gauche, et une ruelle traçait un chemin étroit vers la sortie du village. J’avais du temps, mais juste un peu, et cela pourrait bien être ma seule chance de m’échapper. Cette ruelle pourrait également me précipiter dans la gueule du loup, sous la forme d’autres hommes qui auraient accouru en entendant « Voleuse ! », mais je partis quand même en flèche en espérant le meilleur. Mes pieds couverts de boue dérapèrent dans la ruelle.

    Je heurtai un mur de brique et fis une pause, reprenant mon souffle, poussant un petit cri lorsqu’une main se referma sur mon épaule en tirant.

    Faisant volte-face, je me retrouvai nez à nez avec la vieille bique à l’œil chassieux et au sourire jaune.

    — Les yeux d’un Changelin, c’est ça que la fille a vu, croassa la femme comme si nous n’avions pas fait de pause depuis notre précédente conversation. Mais une bonne robe solide et des bottes qui n’ont été réparées qu’une fois. Des mains douces. Pas les mains d’une servante.

    Elle plissa les yeux jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une fente entre ses paupières.

    — Une fugueuse, hein ? ajouta-t-elle. Une orpheline en fuite. J’ai vu juste. La vie de gouvernante n’est pas faite pour toi.

    — Qu’est-ce que ça peut faire ? crachai-je, à bout de souffle.

    Je n’avais pas le temps de me perdre en bavardages inutiles.

    — Alors, vous faites comme moi, vous êtes une bohémienne, lui jetai-je au visage. Vous dites la bonne aventure et faites des choses comme ça ? Et puis quoi ?

    — C’est ce que je fais, mais avec plus de discrétion que toi, jeune fille, répondit la femme avec un éclat de rire rauque.

    Le rire fit scintiller l’écho de sa beauté perdue, qui devint presque réellement visible. Agrippant toujours mon épaule, elle me tira vers l’autre bout de la ruelle et me montra quelque chose du doigt. Je regardai en direction de l’église qu’elle pointait et la foule qui se préparait à poursuivre la voleuse — moi. Une meute. À l’heure qu’il était, la fille à qui j’avais prédit l’avenir devait avoir répété l’histoire, et ils pourchasseraient non pas seulement un vide-gousset, mais aussi une sorcière. Il y aurait son père et ses frères, le prêtre et tous ceux qui avaient envie de chasser une fille affamée du village pour la jeter dans la froidure inquiétante.

    J’avais connu ce genre de bannissement avant, et j’y avais survécu. Ils rechercheraient peut-être un châtiment plus grave cette fois.

    — Repends-toi, grinça la vieille femme.

    — Je vous demande pardon ?

    — C’est ce qu’ils veulent que tu fasses, sans doute. Oh, ils vont t’embarquer, poursuivit-elle en riant de nouveau, produisant un sifflement entre ses dents cassées. Démontre un peu de repentir. Ça fonctionne, non ?

    La meute grossissait. Ce ne serait pas long avant qu’ils se sentent assez en confiance pour attaquer. Voleuse. Sorcière. Non, ce ne serait plus très long. La vieille bique avait fait apparaître de l’or, et elle me l’avait donné de son plein gré, alors il devait y en avoir plus là d’où elle venait. Elle était peut-être rusée, mais je pouvais me montrer encore plus rusée. Je pourrais m’emparer de cet or.

    — Je connais un endroit, jeune fille, formula la vieille bique.

    Elle ne portait aucune attention à l’émeute qui bouillonnait au bout de la rue. Elle n’avait d’yeux — un seul œil, en fait — que pour moi.

    — Des mains douces peuvent devenir rugueuses, poursuivit-elle. Je peux te trouver du travail. Au sec. En sécurité. Plein de nourriture. J’ai une goutte de potage et deux ou trois morceaux de porc dans mon chariot. Ça devrait nous durer tout le voyage — si tu es prête à le faire, bien sûr.

    Ce n’était pas ce que j’avais souhaité choisir cette journée-là. Je souhaitais plutôt simplement décider où je dépenserais quelques pièces pour manger et passer la nuit. Mais ce rêve était brisé pour l’instant. Un nouveau rêve se forma à la place — mes poches pleines d’or et la chance de commencer une nouvelle vie. La meute qui jaillissait de l’église, toutefois, était une histoire totalement différente.

    Elle remarqua que je gigotais.

    — La pendaison ne conviendrait pas à un cou si pâle et si joli.

    — C’est loin ? m’enquis-je.

    Mais je m’étais déjà tournée pour la suivre, et elle m’entraînait hors de vue de l’église vers une autre ruelle boueuse qui passait entre une taverne et une boucherie.

    — Et à quoi ressemblerait ce travail ? Enseigner à des enfants ? Mon français est bon. Mon latin… eh bien, je connais un peu de latin, ajoutai-je.

    — Ce n’est rien de tout ça, jeune fille. Simplement frotter, nettoyer et s’occuper de quelques invités tranquilles. Ça peut être un travail exigeant, mais honnête, et tu ne manqueras de rien.

    Ce n’était peut-être pas idéal, mais c’était mieux que mendier, voler ou passer une matinée complète à travailler pour récolter seulement quelques misérables pennies.

    Ou que se balancer au bout d’une corde.

    Et n’oublie pas l’or, me rappelais-je. Il pourrait y avoir plus d’or.

    — Où est cet endroit ? demandai-je, frappée par l’odeur aigre provenant de la boucherie où l’on étripait un animal fraîchement tué.

    — Vers le nord. On l’appelle Coldhistle House. C’est une pension de famille, jeune fille, un endroit pour les entêtés et les égarés.

    Chapitre 2

    Nous suivîmes la route vers le nord aussi longtemps qu’il fit clair. J’avais mal au derrière tant les roues du chariot cahotaient sur les pavés cassés. La vieille bique avait parlé du confort de Coldhistle House, mais il n’y en avait pas jusqu’ici dans ce voyage.

    Les chevaux commençaient à marcher lourdement pendant que les derniers rayons orange du crépuscule s’estompaient à l’horizon. J’étais recroquevillée à côté de la vieille femme sur le banc du conducteur, complètement détrempée à cause du toit bâché qui prenait l’eau. Tout en frissonnant, je l’écoutais chanter une chanson qui ne voulait rien dire, des bribes de mots aléatoires couchés sur un air connu.

    — Ma mère chantait une chanson comme celle-là, mais ce ne sont pas les mêmes paroles, lui fis-je remarquer entre mes dents qui claquaient. Êtes-vous de l’île aussi ?

    — Parfois, répondit-elle.

    Le froid et la pluie n’avaient pas réussi à chasser l’éclat bizarre de son œil valide, qu’elle posait maintenant sur moi.

    — Qu’est-ce que ça veut dire ? On vient d’un endroit ou pas.

    — Tu en es si sûre, hein ? murmura-t-elle en ricanant. Tu aimes être sûre des choses, n’est-ce pas ? De quoi d’autre es-tu convaincue ? Qu’il y a un Dieu au ciel et un diable en enfer ?

    Je me détournai d’elle, regardant droit devant pendant que la route s’élevait, une pente raide qui nous menait de plus en plus haut, comme si nous pouvions atteindre ces derniers rayons dorés de lumière.

    — Bien sûr.

    — Pour une diseuse de bonne aventure, tu n’es pas une menteuse très convaincante.

    — On m’a enseigné la Bible, répliquai-je laconiquement. Ça devrait suffire.

    — Ce n’est pas aussi simple que ça. Rien ne l’est. Je pensais que tu étais plus futée que ça, mon enfant. Je n’emmène que les enfants futés à Coldhistle House, maintenant.

    — Maintenant ?

    Elle gloussa de nouveau, mais ce n’était pas un rire joyeux.

    — Les abrutis ne tiennent pas aussi longtemps, jeta-t-elle.

    — Qu’est-ce que cela a à voir avec Dieu et tout ça ? Non, oubliez ma question. Vous ne feriez qu’offrir plus d’énigmes et de faux-fuyants.

    Cela me valut un nouveau gargouillement de rire de la vieille bique.

    — Une conversation plus légère, alors, pour rendre le voyage moins humide et moins amer, proposa-t-elle.

    Un criaillement soudain derrière nous me divertit du froid. Il recommença, plus fort, puis un autre oiseau gazouilla, imité par un autre jusqu’à ce qu’un véritable chœur de pépiements, de gazouillements et de criaillements jaillisse de l’intérieur du chariot bâché.

    — Est-ce que… ?

    Je pivotai, soulevant l’un des coins de toile usée, tirant jusqu’à ce que les crochets dans le bois cèdent. Derrière la toile détrempée se trouvaient 10 cages ou plus, toutes attachées ensemble, et chacune abritait un oiseau différent, perché et alerte, remplissant la route de son chant.

    — Des oiseaux ? Que faites-vous avec tout ça ? demandai-je.

    — Quoi ? C’est pour manger. Que pourrait-on faire d’autre avec ça ?

    Je remarquai un pinson et un roitelet agréablement dodu, ainsi que des créatures exotiques à plumes que je n’aurais su nommer.

    — C’est monstrueux. Comment peut-on manger des choses si adorables ?

    — Ce n’est que de la viande et des tendons sous un bel emballage. Nous ne sommes pas différents.

    — Alors, vous voulez me manger également ?

    Son nez se plissa, et elle secoua la tête en ronchonnant.

    — Ce sont des animaux de compagnie, mon enfant. Je les livre à leur nouveau maître, qui n’a aucune intention de leur faire du mal, je te l’assure.

    Crédule. Naïve. Je rougis et refermai la toile pour écouter les oiseaux se calmer graduellement jusqu’à redevenir silencieux. La vieille femme se remit à chanter, et je me dis que c’était peut-être ce qui gardait les créatures aussi calmes et silencieuses sur cette route cahoteuse.

    Nous arrivâmes au sommet de la colline pendant que la nuit tombait pour de bon, la pluie diminuant et nous donnant un répit temporaire. Les deux chevaux voûtés au pas lourd amorcèrent la descente de façon hésitante, leurs sabots claquant de façon irrégulière pendant qu’ils tentaient de trouver une prise sur le sol glissant. Je pouvais sentir la tension dans leurs corps, les rênes se raidissant par saccades dans les mains de la vieille bique tandis que les bêtes ignoraient les coups de rêne et les sifflements qu’elle leur adressait.

    — Allons, du nerf, canassons ! leur lança-t-elle alors que les rênes claquaient entre ses mains.

    Cela eut l’effet voulu, mais peut-être un peu trop ; les chevaux s’emballèrent, trouvant une dernière réserve d’énergie pour nous faire dégringoler la colline. Le wagon cahota dangereusement, et les oiseaux se ranimèrent. Cela donna un élan aux chevaux, comme s’ils voulaient distancer les cris d’alarme perçants des oiseaux. Secoués dans tous les sens, les roues ne touchant le sol que de temps à autre, nous dévalions la pente en produisant un bruit de tonnerre, en direction du fond où la mauvaise température avait laissé un énorme fossé plein d’eau stagnante.

    — Ralentissez ! m’écriai-je à peine plus fort que les oiseaux. Ralentissez !

    La vieille bique fit claquer sa langue, lança des ordres et tira fortement sur les rênes, mais les chevaux l’ignorèrent, nous entraînant à une vitesse téméraire, mortelle, vers le bas de la colline. Je sentis le chariot s’incliner avant d’entendre les rayons casser. Puis la jante de la roue s’envola dans l’obscurité, disparaissant derrière la butte. Je m’accrochai tant bien que mal au siège, mes deux mains agrippant le rebord en bois près des genoux de la vieille.

    Les chevaux s’ajustèrent à la perte de la roue en ralentissant, mais il était trop tard. La vitesse qu’avait prise le lourd chariot était trop importante, nous entraînant précipitamment vers le trou rempli d’eau qui se trouvait à 10 mètres à peine.

    Je fermai les yeux et serrai les dents, tendant chaque muscle devant l’impact imminent. La vieille poussa un yip soudain puis un trille retentissant ressemblant à hallali. Et nous fûmes en apesanteur, nous élevant dans les airs au-dessus du fossé pour atterrir durement — mais saines et sauves — de l’autre bord. Le chariot s’arrêta en cahotant, les chevaux s’ébrouant et piaffant, refusant d’avancer d’un seul centimètre de plus. Je regardai le sol en bas, un sol qui aurait dû faire voler le chariot en éclats. Lentement, les chevaux dirigèrent le museau vers l’herbe sur le côté de la route, nous entraînant à l’écart du fossé vers une vallée parsemée de fleurs sauvages.

    — Comment avez-vous fait ça ? m’enquis-je d’une voix pantelante tout en tremblant.

    Les rayons cassés de la roue dégouttaient de boue et d’eau de pluie, et je ne pus en détacher le regard que graduellement avant de ramener mon attention sur la vieille bique. Elle haussa les épaules et ramassa ses touffes de cheveux cassants, les ramenant derrière ses oreilles.

    — Lorsqu’on parcourt ce bout de chemin depuis assez longtemps, on apprend à surmonter ses misères.

    La femme lâcha les rênes et sauta avec une vigueur surprenante en bas du chariot. Ses bottes s’enfoncèrent dans la boue, et elle marcha en levant les pieds haut pour venir de mon côté du chariot, soupirant et secouant la tête en inspectant les dommages.

    — Et je n’ai pas de roue de rechange avec moi pour ce voyage, constata-t-elle plus pour elle-même que pour moi. Je n’arrive peut-être pas à surmonter toutes ses misères.

    — Alors, que faisons-nous, maintenant ? demandai-je, tremblant toujours après le choc de l’atterrissage.

    Pendant que mon regard passait du vieux chariot à la vieille femme aux vieux chevaux fatigués, je n’arrivais pas à comprendre comment nous avions pu sauter par-dessus le fossé

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