Le dernier été
J’ai vécu cet été-là comme le tout dernier de mon existence. Et quelque part, il l’était. C’est l’année où des hardes de chevreuils et de sangliers chassés par les pelleteuses qui éventraient les champs et les bois pour construire une rocade traversaient le village. J’avais 12 ans alors et Martin, mon frère, en avait 14. Nous faisions de notre mieux pour détourner les animaux afin qu’ils ne tombent pas sous les balles des chasseurs embusqués pour qui leur terreur était une aubaine. Nous n’en avons pas sauvé beaucoup, mais nous avons fait notre part, avec notre innocence d’enfants, notre compassion et notre empathie.
Nous savions tous les deux que rien ne serait plus comme avant, et que ce que la rocade allait détruire ne nous serait jamais rendu : le petit bois de nos jeux d’enfants, le vieux moulin à eau où Martin et moi avions installé notre refuge et les chemins où nous aimions faire de la bicyclette.
Pour nous, il représentait tout, notre minuscule village blotti dans une vallée de la Loire, mais pour ceux qui venaient avec leurs monstrueux engins, il n’était rien de plus qu’un grain de poussière. Il y avait eu des expropriations. Des maisons, des terres rachetées une bouchée de pain à des propriétaires à qui l’on ne laissait que les yeux pour pleurer. Certains avaient bien tenté de se défendre, mais les petits gagnent rarement contre le profit.
Notre père, instituteur, était très attaché à cet endroit où il avait construit notre maison de ses propres mains vingt ans plus tôt, et même si nous n’étions pas directement menacés par le projet, il avait rejoint un groupe d’opposants. On ne le voyait presque plus, tant il était occupé par les réunions et ses actions de barrage aux pelleteuses.
Mais il avait le soutien inconditionnel de ma mère, comme toujours. Finalement, ils ont tout rasé. Le petit cours d’eau qui alimentait le moulin a été détourné et le cimetière, déplacé. Ces gens-là, ils vous ont à l’usure. Je me souviens encore d’Augustine, une
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