Le miroir aux revenants: Roman jeunesse
Par Nicole Provence
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À propos de ce livre électronique
« Jure que tu garderas le secret avant d’ôter complétement la housse, ou ne reviens jamais ! »
Cette phrase inscrite sur le grand miroir d’une vieille armoire m’a fichu la trouille de ma vie. Puis l’âme de mon arrière-grand-tante Agathe m’est apparue à travers une lumière jaune : mon sosie, comme une deuxième Ophélie qui avait aussi ma voix. Fan des romans d’Agatha Christie, elle m’a demandé de trouver l’assassin de son ami Théophile Lecouvreur, jardinier de son vivant.
C’est ainsi que je me suis lancée dans une incroyable enquête, sans me douter que des lumières d’âmes seraient mes alliées.
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Aperçu du livre
Le miroir aux revenants - Nicole Provence
Nicole Provence
Le miroir aux revenants
Roman Jeunesse
ISBN : 979-10-388-0077-9
Collection Passerelle
ISSN : 2729-2843
Dépôt légal : février 2021
© Couverture Ex Aequo
© 2021 — Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.
Éditions Ex Aequo
6 rue des Sybilles
88370 Plombières les bains
www.editions-exaequo.com
À Cléa, Tess et Élouann
1
Une semaine que je m’échinais dans cet escalier aux marches si grinçantes qu’on se serait cru sur un navire perdu dans la tempête. Et toujours les mêmes récriminations.
— Je déteste cette baraque ! Elle est moche, elle est triste, elle est vieillotte avec sa pergola emprisonnée par les rosiers grimpants, son jardin de curé envahi de mauvaises herbes et sa pelouse qui ressemble à un champ de foin.
Maman s’est fâchée.
— Ophélie, ça suffit ! Arrête de râler et monte ce sac dans ta chambre. Quant au jardin, nous nous y mettrons tous les trois dès que nous aurons fini d’emménager.
— Et puis quoi encore ? J’en ai marre ! Je veux retourner chez nous, récupérer ma chambre, continuer mes cours de danse orientale, manger à la cantine avec Chloé et…
Mon petit frère m’a lancé un regard goguenard.
— Et tomber d’admiration devant les beaux yeux de Sébastien.
Vlan ! Cette claque, il l’a bien cherchée, même si elle ne lui a pas fait grand mal. J’étais furieuse contre lui, contre ma mère, et surtout contre mon père. D’ailleurs, ma mère n’a pas manqué de me le rappeler.
— Je sais tout ça, mais ce n’est pas de ma faute si…
Je l’ai interrompue. Le refrain, je le connaissais par cœur :
— Si vous avez divorcé, s’il ne verse plus sa pension alimentaire depuis deux ans et s’il semble ignorer que nous, nous ne vivons pas d’amour et d’eau fraîche.
J’ai jeté un regard noir à ma mère, et j’ai ajouté.
— Et ce n’est pas de ma faute non plus ! Pourquoi c’est moi qui paie ?
Ma mère s’est effondrée. Elle s’est assise sur la première marche de l’escalier, et la tête entre ses bras elle s’est mise à sangloter. Là, j’ai eu honte. Je ne voulais pas lui faire de peine, mais franchement, la pilule avait du mal à passer. Fin juin, elle nous avait annoncé le départ de notre appartement du centre de la ville, super confortable, à deux pas du lycée. Pire encore quand j’ai compris que c’était pour venir s’enterrer dans ce trou, et vivre dans la maison d’une grand-tante dont j’avais vaguement entendu parler, mais que je n’avais jamais rencontrée. Une rage que je ne pouvais dominer m’avait submergée parce que je savais que je ne pourrais pas aller contre cette décision.
Gary, mon petit frère, m’a foudroyée de son regard bleu outremer. Il a pris la main de maman dans la sienne et m’a balancé d’un ton méprisant.
— C’que tu peux être lourde ma pauvre !
Dix ans et déjà il prenait très au sérieux son rôle « d’homme de la famille ».
Je suis redescendue, je l’ai poussé, je me suis assise à sa place et c’est là que j’ai remarqué que j’étais presque aussi grande qu’elle. Carole ma mère, sous son aspect frêle était une battante, elle l’avait largement prouvé, mais là, j’ai senti combien elle était abattue. Je ne savais pas comment faire pour rattraper ma bourde ni quoi lui dire. Une peste, j’étais une sacrée peste. J’ai passé mon bras autour de son cou, caressé ses cheveux coincés dans une pince africaine et j’ai soupiré très fort.
— Pardon, maman, je ne voulais pas dire ça.
Maman a reniflé, et a essuyé avec le bas de son tee-shirt poussiéreux les deux traînées noirâtres que ses larmes avaient dessinées sur ses joues.
— Désolée, ma chérie, c’est moi qui ne comprends pas combien cette situation vous perturbe. Mais je n’ai pas eu le choix.
Gary a repris son rôle de lèche-bottes.
— Mais non, M’man, moi ça ne me gêne pas. Ici on a un jardin, je vais pouvoir grimper dans les arbres, me construire la cabane de mes rêves et là au moins je pourrai utiliser mon vélo. La route a l’air d’être tranquille.
— Déserte, oui ! ai-je rajouté. Pas de voisins, pas de magasin, même pas de bus pour aller en ville.
— T’auras qu’à être moins fainéante et pédaler. Ton vélo est en train de rouiller ! a répliqué mon frère.
— Et à part cette vieille masure qui s’écroule au bout du chemin, nous sommes seuls !
Maman a levé la tête et a regardé par la fenêtre en direction du chemin.
— Tu exagères, Ophélie ! Cette maison est en très bon état. Elle appartient aussi à tante Agathe et nous en avons hérité. Nous pourrons la mettre en vente. Elle y avait entassé tous les meubles qui lui venaient de sa famille. J’espère que nous en trouverons quelques-uns à notre goût, les nôtres ne valaient même pas le prix d’un déménagement.
Gary lui a tapé sur l’épaule.
— T’en fais pas, maman, ça ira bien.
Et dans son regard je me suis vue telle que j’étais, une grosse égoïste qui ne pensait qu’à sa petite personne. Bien sûr, maman ignorait que je pleurais tous les soirs dans ma chambre à l’évocation de tout ce que j’avais laissé derrière moi. Pendant que Gary découvrait chaque jour davantage la joie d’avoir déserté la ville bruyante, les voisins mal embouchés, et la pollution, moi je broyais du noir. Il faisait connaissance avec la liberté, moi avec ma future prison, une maison à la campagne loin de tout et surtout de Sébastien.
Pour me rattraper aux yeux de mon petit frère, j’y ai mis un peu du mien. Sa cabane dans l’arbre, nous l’avons construite ensemble la semaine suivante, un perchoir dans le cerisier qui avait eu la bonne idée d’avoir quatre grosses branches presque à l’horizontale. Pendant que je me morfondais devant notre boîte aux lettres vide et mon portable sans SMS, il imposait à son vieux vélo, qui était le mien auparavant, des courses d’obstacles dans le champ de l’autre côté du chemin. C’est simple, il s’éclatait !
Au bout de quinze jours, j’en ai pris mon parti. Inutile de rêver, c’est ici que je passerais l’été entier et les années suivantes. Et comme je manifestais une évidente mauvaise volonté pour participer à quoi que ce soit, je commençais à m’ennuyer ferme. Cependant, je ne pouvais nier que la maison d’à côté m’attirait. Quand maman s’absentait et que Gary courait les champs, je m’en approchais. J’ai tout de suite senti que ce n’était pas une maison comme les autres. J’accusais le vent dans les branches quand il me semblait entendre mon nom, et m’obstinais à croire que seule mon insatiable curiosité me poussait vers la porte. Mon imagination a aussitôt tissé l’histoire d’une maison hantée qui m’attendait pour me délivrer ses sortilèges, et comme je ne ressentais aucune onde néfaste, ça m’a rassurée. J’avais hâte que maman décide de la visiter, mais pour rien au monde je ne l’aurais avoué.
Ce matin-là je l’aidais à étendre du linge, elle a jeté un regard dans la direction de la maison. J’ai sauté sur l’occasion.
— Je me demande ce qu’il y a dedans !
— Moi aussi, mais je n’ai guère eu le temps. Dès que nous aurons terminé le déballage de tous nos cartons, nous irons faire un tour.
Gary est arrivé essoufflé, le visage rouge comme une tomate, les yeux brillants. Celui-là, pour rien au monde il ne serait retourné dans notre ancien appart. Il a suivi nos regards.
— Vous parlez de l’autre maison ? Je brûle d’aller l’explorer. Si ça se trouve, je découvrirai des trucs supers pour ma cabane ou ma chambre.
— Moi aussi, notre salle de séjour est un peu déserte. Et ayons une bonne pensée pour cette vieille tante qui nous sort quand même d’un sacré pétrin.
J’ai haussé les épaules, peu encline malgré ma curiosité à aller éternuer dans une poussière vieille d’au moins cinquante ans et à rapporter des objets hétéroclites qui seraient encore plus moches que ceux que nous avions trouvés en arrivant ici. J’ai prévenu tout de suite :
— En tout cas, je vous avertis. Je ne veux pas de vos vieilles reliques dans ma chambre !
2
Ma chambre. Dès que j’y ai pénétré, j’ai tout de suite senti qu’elle m’était destinée. Une vaste pièce aménagée dans les combles avec, sur un pan de mur, des étagères entièrement garnies de bouquins. Et parmi eux, toute la collection des romans d’Agatha Christie. Pour moi c’était un signe, j’adorais les romans policiers et j’avais dévoré tous ceux des collections jeunesse que j’avais trouvés dans les rayons de la médiathèque de mon quartier. Agatha Christie, c’était un mythe, je m’étais régalée de quelques films ou pièces de théâtre tirés de son œuvre et je m’étais juré de tous les découvrir. J’en ai saisi un au hasard. Sur la première page de « Mort sur le Nil », j’ai trouvé son nom, écrit de sa main à l’encre violette. Agathe Bradford. La similitude des prénoms m’a surprise et amusée. Première révélation, du sang britannique coulait dans ses veines, et dans les miennes par voie de conséquence. Je ne me suis donc plus étonnée de notre goût commun pour les romans de la célèbre romancière anglaise. Plutôt ravie, je les ai tous conservés, serrés les uns contre les autres, presque persuadée qu’ils me délivreraient quelques secrets inconnus de tous.
Son héritage nous était tombé dessus comme un cheveu sur la soupe, du moins, il était tombé à pic. Nous ne savions pas grand-chose de cette grand-tante hormis qu’elle était la sœur de l’arrière-grand-mère de maman, qu’elle s’était fâchée avec toute sa famille, ne s’était jamais mariée et n’avait jamais eu d’enfants.
Nous nous sommes renseignés à son sujet, mais les gens ont été peu bavards, je dirais même étrangement discrets. Dans cette petite ville, elle passait pour une vieille excentrique qui, lorsqu’elle sortait, était restée fidèle à la mode d’un petit chapeau porté sur des cheveux frisottés d’après-guerre. Une seconde Miss Marple en quelque sorte. Dès son installation dans cette maison, elle avait créé un cercle de lecture uniquement réservé aux femmes et une fois par semaine, dans cette même pièce, elles échangeaient leurs avis sur un roman lu en commun. Toujours selon les on-dit, la séance se terminait autour d’une tasse de thé accompagnée de petits toasts et parfois elle faisait tourner les tables. Mais jamais personne n’avait confirmé ouvertement. Surtout pas celles qui s’étaient adonnées au spiritisme en sa compagnie et qui, depuis, avaient légèrement perdu leur mémoire.
L’étrange, le mystère, et la communication avec l’au-delà. Je crois que c’est tout cela qui m’a décidée à adopter cette pièce pour en faire mon refuge.
Pas de fenêtre, mais une grande lucarne dans le toit s’ouvrait directement sur le ciel. Un petit cabinet de toilette attenant m’évitait de faire la queue à la salle de bain du rez-de-chaussée et j’avais apprécié le grand placard dans lequel j’avais pu empiler mes jeans et mes innombrables pull-overs. C’était devenu mon domaine exclusif. Gare à celui qui y mettrait les pieds. Seul Gary avait pincé le nez. Mon frère, aussi rouquin que Poil de Carotte, un héritage d’un ancêtre de maman, était curieux comme un singe, rusé comme un renard, et je m’en méfiais comme de la peste. Mais au fond, je l’aimais bien. Cinq années nous séparaient, mais j’avais souvent l’impression qu’il avait plus de jugeote que moi et une maturité rare pour son âge. Et l’annonce qu’il ne serait plus autorisé à m’envahir comme bon lui semblerait l’avait beaucoup contrarié.
À table, maman a annoncé que l’après-midi nous irions visiter l’autre maison. J’ai réfréné mon excitation, car la veille, la voix m’avait encore appelée et j’étais bien décidée à déjouer le subterfuge qui me faisait croire à une prise de contact avec quelque vieux fantôme prisonnier derrière une cloison, ou enterré à la sauvette sous la dalle de la cave. Je m’enlisais dans l’écriture du scénario d’une prochaine nouvelle quand Gary s’est mis à hurler dans l’escalier.
— Ophélie, tu viens, on va dans l’antre de la sorcière !
L’instant était arrivé, une vague d’excitation a déferlé en moi, mais je suis descendue le plus lentement possible pour l’agacer. Il trépignait.
— Allez, bouge-toi le popotin, maman est déjà là-bas !
Et sans plus m’attendre, il a foncé dehors.
J’ai franchi la porte avec de petits frissons dans le dos. Ce n’était pas l’antre d’une sorcière, mais l’entrepôt d’un bric-à-brac qui aurait fait le bonheur d’un brocanteur. D’ailleurs maman avait son idée. Pendant que Gary furetait avec l’espoir de découvrir une malle remplie de trésors, j’ai fait le tour des chambres et du salon : rien d’intéressant. Arrivée au fond du couloir, j’ai avisé dans une pièce sombre une armoire étroite à laquelle manquait une porte. J’avais déjà vu ce genre de meuble chez un antiquaire. La porte démontée se trouvait à côté, posée à même le sol, et le grand cadre de bois était recouvert d’un drap. Je me suis approchée, et c’est quand j’ai repoussé une partie de la toile qu’une lumière jaune a éclairé le grand miroir. Sous mes yeux, des lettres se sont dessinées sur sa surface :
« Jure que tu garderas le secret avant d’ôter complètement la housse, ou ne reviens jamais ! »
Prise de panique, j’ai relâché le drap comme s’il m’avait brûlé les doigts. Les jambes flageolantes, je me suis adossée au mur, et une main contre mon cœur qui battait très vite, je me suis assise sur le sol. La lumière jaune a disparu, le drap est retombé sur la porte et je me suis traitée de folle. Je lisais trop de bouquins fantastiques et cela me jouait des tours. Refusant de passer pour une trouillarde, je me suis relevée et, soulevant le drap, j’ai regardé à nouveau. La phrase était toujours inscrite et à chaque tentative pour l’effacer avec un bout du drap, elle réapparaissait. Si ce n’était pas un tour de magie, ce ne pouvait être qu’un contact avec un fantôme. Un message d’outre-tombe ai-je pensé. Alors là, j’ai eu vraiment peur.
Du salon maman a demandé :
— Alors, Ophélie, tu as trouvé quelque chose ?
J’ai très vite répondu :
— Non, d’ailleurs je retourne à la maison.
Et quand j’ai amorcé les premiers pas en dehors de la pièce, une voix m’a clouée sur place.
— Pas question ! Emporte-moi