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Un puissant murmure: Roman
Un puissant murmure: Roman
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Livre électronique285 pages4 heures

Un puissant murmure: Roman

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À propos de ce livre électronique

Instants de vie de Maxime, Tania, Clémence et Gabriel.

Le temps d’un automne, quatre personnages - Maxime, Tania, Clémence, Gabriel - évoluent avec leurs doutes, leurs questionnements, leurs espoirs. Ils se rencontrent, se croisent, se cherchent, explorent leur passé pour construire leur avenir. Par petites touches, ils reviennent sur des blessures, des erreurs, des souvenirs, pour mettre au jour ce qui les unit et leur permettre de tisser les fils de leur vie future. Chacun d’eux suit sa trajectoire et cherche à donner un sens à sa vie, à se réconcilier avec son passé ou à éclaircir des secrets oubliés. Pour trouver le chemin vers l’autre et vers la paix.

Découvrez, le temps d'un automne, les destins croisés de quatre personnages, et partagez leurs doutes, leurs questionnements et leurs espoirs.

EXTRAIT

La vieille maison était froide, silencieuse. Joseph avait quitté Rodez après le déjeuner pour rendre visite à ses parents âgés qui vivaient à une heure de là, dans une petite commune de l’Aubrac. Il y resterait un jour ou deux. D’ordinaire, Clémence s’accommodait fort bien de ces moments de solitude. Sa vie avec Joseph était faite de complicité et de partage, mais aussi d’indépendance et de liberté. C’était sans doute la clé de la longévité et de l’équilibre de leur couple. Pourtant, ce soir, elle aurait eu besoin de sa rassurante présence. Très droite, la main glissant sur la rampe de bois, elle gravit lentement l’escalier qui menait à l’étage. Ses épais cheveux noirs ramenés en chignon sur la nuque, sa haute silhouette un peu raide, son pas solennel lui donnaient une apparence sévère qui intimidait facilement les étrangers et forçaient le respect de ses proches.
Clémence Séverac était née de père inconnu et sa mère, Louise, l’avait abandonnée à l’âge de quelques mois. Durant la majeure partie de son existence, elle avait refusé d’entendre parler de cette femme qui, pour vivre sa vie d’exploratrice, de photographe et de journaliste, avait renoncé à être mère.
Parvenue à l’étage, Clémence pénétra dans la bibliothèque. La pièce était restée très semblable à ce qu’elle avait été au début du siècle précédent. Son grand-père maternel, Émile Séverac, en avait fait un refuge à son image, sombre et austère. Elle se souvenait très peu de lui mais savait combien il s’était montré sévère pour son entourage. Marthe, sa grand-mère, fille cultivée d’un intendant de lycée, ne fut sans doute pas très heureuse à ses côtés. Comme bien des femmes de sa génération, elle ne trouva jamais la force de braver les interdits de l’époque et se consacra pleinement à son rôle d’épouse soumise et de mère dévouée. Clémence ne voulait pas chercher là une explication au comportement de Louise qui, à l’opposé de Marthe, avait refusé de rester engoncée dans la respectabilité, allant jusqu’à sacrifier son enfant à sa liberté.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière d’enseignante, Suzanne Max a d’abord écrit pour les enfants. Elle publie avec son partenaire Alain Benoist la série des aventures de Liann l’enfant faune, l’occasion pour elle de délivrer en douceur un message de protection de l’environnement dans trois petits romans riches en péripéties. Avec Un puissant murmure, elle signe ici son premier roman. Provençale d’origine, Suzanne Max vit désormais dans le Sud-ouest, dans une région rurale entre Landes et Gers.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie22 juin 2018
ISBN9782378734046
Un puissant murmure: Roman

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    Aperçu du livre

    Un puissant murmure - Suzanne Max

    cover.jpg

    Table des matières

    Résumé

    Préface

    I. Maxime

    II. Tania

    III. Clémence

    IV. Gabriel

    V. Maxime

    Épilogue

    Dans la même collection

    Résumé

    Le temps d’un automne, quatre personnages - Maxime, Tania, Clémence, Gabriel -  évoluent avec leurs doutes, leurs questionnements, leurs espoirs. Ils se rencontrent, se croisent, se cherchent, explorent leur passé pour construire leur avenir. Par petites touches, ils reviennent sur des blessures, des erreurs, des souvenirs, pour mettre au jour ce qui les unit et leur permettre de tisser les fils de leur vie future. Chacun d’eux suit sa trajectoire et cherche à donner un sens à sa vie, à se réconcilier avec son passé ou à éclaircir des secrets oubliés. Pour trouver le chemin vers l’autre et vers la paix.

    Après une carrière d’enseignante, Suzanne Max a d’abord écrit pour les enfants. Elle publie avec son partenaire Alain Benoist la série des aventures de Liann l’enfant faune, l’occasion pour elle de délivrer en douceur un message de protection de l’environnement dans trois petits romans riches en péripéties.

    Avec Un puissant murmure, elle signe ici son premier roman.

    Provençale d’origine, Suzanne Max vit désormais dans le Sud-ouest, dans une région rurale entre Landes et Gers.

    Suzanne Max

    Un puissant murmure

    Roman

    ISBN : 978-2-37873-404-6

    Collection Blanche : 2416-4259

    Dépôt légal : juin 2018

    © Couverture Ex Aequo

    © 2018- Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    Préface

    Ce roman ne peut laisser indifférent, tant il touche aux ressorts de l’âme humaine. Ses héros, Tania, Maxime, Gabriel, Clémence et Louise, sur plusieurs générations, ne cessent de fuir l’ombre de leur enfance malmenée par des étrangers appelés parents. Sans s’autoriser à aimer par trop plein de souffrance et d’indifférence, chacun tente de donner du sens à sa vie, à rêver de tendresse et de reconnaissance, mais rien n’y fait, leur fardeau est trop lourd à porter, un drame enfoui ou une absence douloureuse obscurcit leur avenir avec acharnement.

    L’auteure nous conte ici la primauté de la mémoire liée à la filiation sur le devenir des êtres ; comment s’extraire des fléaux du passé, des non-dits, des secrets et des malédictions ancestrales ?

    Avec délicatesse et sensibilité, elle guide le lecteur dans les méandres de la quête amoureuse, s’évertue à gommer les stigmates de l’enfance malheureuse et par la force d’une résilience attendue, éclaircit enfin l’horizon de ses personnages.

    Jean-François Rottier

    I. Maxime

    Aucune circonstance ne réveille en nous un étranger dont nous n'aurions rien soupçonné.

    Vivre, c'est naître lentement :

    Il serait un peu trop aisé d'emprunter des âmes toutes faites !

    Antoine de Saint-Exupéry

    Pilote de guerre {1}

    1. Rêve

    Lettre de Maxime à Gabriel,

    Vendredi 10 juin

    Tu le sais, Gabriel, j’ai toujours cherché à partir. Je me suis méfié de mes aspirations, j’ai refusé les certitudes. J’ai fui, encore et encore. Ma famille. Mes amis. Mon pays.

    Cette nuit, j’ai fait un rêve. Nous étions à cheval, toi, Tania et moi, dans une lande qui ressemblait à celle d’Emily Brontë : un ciel gris et lourd, un paysage tourmenté, quelques moutons, des collines battues par les vents… Nous avancions de front tous les trois, quand soudain mon cheval s’est emballé. Je n’ai rien vu venir. Il s’est précipité sans que je puisse le contrôler, et a foncé à tombeau ouvert. Je tentais vainement de le ralentir, mais je savais que son échappée n’aurait pas de fin. Alors, j’ai cessé de lutter. J’ai laissé la vitesse me griser et je me suis accroché à ma monture. J’étais bien. À ma place. Loin derrière moi, les rayons du soleil ont traversé la grisaille et sont venus vous éclairer : Tania et toi, vous êtes restés dans la lumière, du côté de la vie.

    Quand je me suis réveillé, j’avais compris. Il est temps de me libérer de mes entraves, d’accepter ce qui m’appelle, de réaliser ce que je suis. Je vais partir, Gabriel, une fois de plus. Mais ce n’est plus une évasion, c’est une évidence. Une invitation, à laquelle je réponds en pleine conscience. Un acte que j’assume, enfin. J’ai ouvert un atlas au hasard pour connaître ma destination : Portugal. D’une manière ou d’une autre, c’est là que mon voyage s’arrêtera. Je suis en paix. Ce matin, je t’ai appelé au secours pour la dernière fois. Je te décharge de ce fardeau que tu as toujours porté pour moi. Vis, Gabriel ! Sois heureux, tu as toutes les cartes en main. Comme dans mon rêve, continue ton chemin loin de mon influence néfaste. Dans la lumière que tu mérites.

    Maxime

    2. Rivage

    Maxime

    Samedi 10 septembre

    J’étais un salaud. Un salaud et un lâche.

    Depuis toujours, je ne me suis préoccupé que de moi-même. Trop souvent, j’ai blessé ceux qui m’aimaient. Je les ai négligés.

    Clémence d’abord, ma mère, qui avait tant besoin d’amour et que j’ai ignorée.

    Gabriel ensuite, l’ami de toujours, fidèle et loyal, qui s’est sacrifié mille fois pour moi, et que j’ai trompé.

    Tania enfin, pour qui j’ai représenté à tort je ne sais quel idéal, et que j’ai rejetée.

    Il y a longtemps que j’aurais dû mettre mon dessein à exécution et en finir une fois pour toutes avec cette mascarade. Mais j’étais bien trop lâche pour ça. Je me suis cru supérieur au reste du monde, que j’ai regardé avec un orgueil hautain. À chercher l’absolu, je passais à côté de l’essentiel. Je me leurrais.

    J’ai brûlé ma jeunesse à me précipiter dans mille directions. J’ai quitté très tôt la maison maternelle pour n’y revenir que rarement, j’ai exploré le monde sans en retirer ni sagesse ni plaisir. J’ai vécu tous azimuts et dispersé mes talents. Parfois j’ai bravé le danger, souvent j’ai pansé mes blessures. Seul.

    Je rêvais souvent d’un grand navire prêt à appareiller. Un galion à quatre-mâts, comme ceux du XVIIe siècle qui revenaient d’Amérique du Sud chargés de trésors, d’or et d’argent. Je me trouvais sur le quai, je me faufilais parmi la foule venue assister au départ en agitant drapeaux et mouchoirs. J’aurais voulu monter à bord. Partir au bout du monde, au fond de l’inconnu{2}, mais lorsque j’arrivais enfin devant le vaisseau, il s’évaporait tel un mirage, et je savais alors que je n’atteindrais jamais le pays chimérique de l’Eldorado.

    Pourtant, aujourd’hui, à 33 ans, je crois pouvoir encore recoller les morceaux et gagner le rivage. Tout a basculé ce matin de juin, il y a juste trois mois. J’avais passé une nuit agitée, et lorsque je me suis réveillé les images de mon rêve se sont imposées à moi. Comme si tout à coup, la décision coulait de source. C’est ce jour-là que j’ai écrit à Gabriel. Puis j’ai glissé ma lettre dans une enveloppe et l’ai rangée dans mon sac de voyage. Elle y est toujours.

    J’ai quitté la France pour le Portugal. Je crois que je commence à peine à me voir sous mon véritable jour. Je me suis toujours contenté de recevoir, jamais je n’ai su donner. Centré sur mon éternelle insatisfaction. À l’écoute du moindre de mes désirs. Je voulais souffrir pour me sentir exister et ne réussissais qu’à torturer les miens. J’aspirais à m’élever au-dessus du commun des mortels, mais n’étais qu’un pantin arrogant. Je me voulais artiste, quand je n’étais que jaloux de l’inaccessible harmonie du monde.

    J’ai joué avec le feu. Je suis passé dans la vie des autres, ils m’ont fait confiance, ils ont eu tort. Ce qui m’amusait, c’était de les bousculer, de tout remettre en question sans me soucier de leurs souffrances. Je laissais quelques lambeaux derrière moi et je coupais les ponts. Qu’étais-je alors ? Un morceau de néant.

    Pourrai-je un jour réparer le mal que j’ai causé et trouver un but à ma vie ? Ou dois-je renoncer ? Définitivement.

    3. Remous

    Jeudi 22 septembre

    Maxime avait déambulé longtemps dans la ville. C’était une belle journée de fin d’été, quand les soirées appellent encore à la fête et à la joie. Il était seul dans cette foule colorée et chaleureuse, immergé dans une langue qu’il ne comprenait pas mais qu’il savourait. Il se laissait porter, fasciné par les images, les sons, les odeurs… Baigné dans une douce mélancolie, sans projet ni désir. Il avait fait une halte à la terrasse d’un café. Le serveur parlait français, ils avaient partagé un bout de conversation amicale. Puis il avait dégusté sa bière, avant d’aller marcher le long des quais.

    Peut-être allait-il s’arrêter là. Cette ville lui plaisait. Il était arrivé au Portugal depuis une quinzaine de jours. Pour une fois, il avait pris le temps de tout laisser en ordre. Vendu quelques affaires. Donné le reste. Confié ce qui lui était le plus cher à Gabriel.

    Sans trop s’en rendre compte, Maxime s’était éloigné du quartier touristique de la vieille ville et se retrouvait accoudé à la rambarde d’un pont, au-dessus du fleuve. Il en observait les remous et s’abîmait dans cette contemplation, l’esprit vide, libéré. Comme si son être tout entier prenait vraiment possession de cet instant.

    Une voix derrière lui le fit sursauter et le ramena au réel :

    — Vous allez pas l’faire.

    Maxime dévisagea la frêle jeune femme qui venait de s’adresser à lui. Le visage have et les traits tirés. Le corps chétif. Une grande cape jetée sur les épaules. Il lui en voulut d’avoir troublé ce moment. Il aboya sa question sur un ton agressif :

    — Comment saviez-vous que j’étais français ?

    — La table à côté de vous… Tout à l’heure… Vous avez parlé avec le serveur.

    — Vous m’avez suivi ?

    — Oui.

    — Pourquoi ?

    Elle ne répondit pas. Elle reprit, d’une voix impersonnelle et détachée, telle un oracle :

    — Vous allez pas l’faire.

    — Faire quoi ?

    — Sauter. Vous le ferez pas.

    Maxime se demanda un instant si l’idée lui en était même venue… Mais il ne voulait pas se laisser entraîner sur cette pente-là. Il lui renvoya aussi sec :

    — Et vous ? Vous allez sauter ?

    — Moi, fit-elle avec un drôle de sourire pensif, j’aurais des raisons, mais j’ai pas le droit.

    — Votre religion vous l’interdit ? lui jeta-t-il moqueur.

    — J’attends un bébé, j’suis responsable, c’est comme ça.

    Maxime se tut. Il quitta la rambarde et s’approcha d’elle.

    — Pourquoi dis-tu que tu aurais des raisons de sauter ? lui demanda-t-il doucement.

    Elle eut un haussement d’épaules :

    — Trop compliqué.

    — Viens. Je t’offre un verre. Comment tu t’appelles ?

    — Léna.

    Ils tournèrent le dos au fleuve et marchèrent lentement vers le soleil couchant.

    II. Tania

    Comment puis-je commencer quelque chose de nouveau avec tout cet hier en moi ?

    Leonard Cohen

    Les perdants magnifiques{3}

    How can I begin anything new with all of yesterday in me ?

    Leonard Cohen

    Beautiful Losers

    (1966)

    4. Citadelle

    Tania

    Vendredi 23 septembre

    Aujourd’hui, c’est un anniversaire. Celui de ma première séance, il y a juste deux ans, un 23 septembre. Je me souviens de mon rendez-vous, à dix-neuf heures, après le travail. Bien sûr je suis en avance. D’au moins un quart d’heure. J’arrive toujours en avance, c’est maladif. Ce soir-là, je me suis dit qu’il fallait compter avec de possibles imprévus, anticiper les problèmes de circulation ou les difficultés de stationnement. J’ai eu peur de me trouver propulsée dans le cabinet au dernier moment sans avoir eu le temps de m’y préparer, d’être encore un peu essoufflée d’avoir monté les deux étages… Peur de déplaire, peur de me faire mal voir, peur de gêner… Peur.

    Dans la salle d’attente, j’ai choisi une chaise à dossier droit. Aucune chance de me voir m’affaler dans le fauteuil de cuir aux larges accoudoirs : je préfère rester sur mes gardes. Je suis seule. Le patient précédent doit être en pleine consultation. Le suivant n’arrivera que lorsque je serai déjà entrée. Peut-être que personne n’est censé se croiser dans la salle d’attente d’un psy ? Question de confidentialité, je suppose. La pièce est petite. Deux fauteuils, deux chaises, une table basse avec des magazines auxquels je ne touche pas. Je dois garder l’esprit en éveil, ne pas me laisser surprendre. Surtout, que rien ne fasse irruption dans ma petite bulle organisée. La moindre secousse lui serait fatale, le moindre soubresaut pourrait tout faire disparaître. Mais je ne m’inquiète pas trop : je sais à merveille me protéger des intrusions. Je dispose pour cela d’un certain savoir-faire et de plusieurs longues années de pratique. Au risque de paraître parfois lointaine, indifférente ou insensible, j’ai su construire un rempart solide et faire de ma citadelle intérieure une forteresse imprenable.

    Je m’applique à regarder autour de moi. Je suis des yeux les moulures de la porte. Je suis très concentrée sur les veines du bois, je fais durer l’observation, mais il arrive un moment où j’ai l’impression qu’elles n’ont plus rien à m’apprendre. Sur le mur, il y a une affichette d’information aux patients. Je la lis consciencieusement. J’apprends ainsi que ma psy est un médecin spécialisé conventionné et que ses honoraires sont réglementés. Ce qui devrait me rassurer. Encore cinq minutes d’attente.

    Comment en suis-je arrivée là ? Elle va me demander ce qui m’a poussée à venir, je lui dirai que c’est la conséquence de ma rupture avec Julien, début juillet. Ce qui est peut-être vrai. Ou pas.

    J’ai quitté Julien au lendemain de mes vingt-sept ans. Nous étions ensemble depuis trois ans. Mais étions-nous vraiment ensemble ou seulement côte à côte ? Au début j’ai pensé avoir trouvé l’homme qu’il me fallait pour mettre un peu d’ordre dans ma vie. Je l’ai cru sincèrement. Après tout, à vingt-quatre ans, il était temps d’oublier Maxime et les chimères de mes amours adolescentes. Temps aussi de mettre fin à l’espèce de chaos qui avait suivi son départ, à cette suite d’aventures sans lendemain qui me paraissaient alors le bon moyen de réchauffer ma solitude sans espérer autre chose. La ligne de démarcation était nette jusque-là, je ne la franchissais pas. D’un côté, mon souvenir de Maxime, auréolé d’un éclat tragique, que je conservais précieusement à l’abri des regards. De l’autre, des instants d’oubli volés à la vie qui me laissaient l’impression de pouvoir évoluer sans heurts, dans une confortable indifférence. J’en étais là lorsque j’ai rencontré Julien. Moi qui ne voulais plus me laisser atteindre, j’ai baissé ma garde un moment, j’ai voulu y croire…

    Julien a su m’émouvoir. Il était doux, généreux, facile à vivre. Et amoureux de moi. Au fond, je n’ai pas eu de mal à me persuader qu’il était celui qu’il me fallait. Le garçon idéal. Le moment parfait. Je me suis dit que je pourrais peut-être arrêter de tout foutre en l’air. Mais je me suis trompée. Notre histoire aura été chaotique, j’en suis la seule responsable. Quoi que j’aie pu penser, je n’étais pas prête. Je l’ai malmené, mis à l’épreuve, cruellement confronté à une image idéalisée de Maxime. Pouvait-il lutter contre un fantôme ? Il a tout fait pour me satisfaire, mais je l’ai poussé plus loin. Je l’ai provoqué jusqu’à l’explosion. Sans doute avais-je conscience que cela ne marcherait pas. Alors, autant prendre les devants. Rompre avant de souffrir, partir avant qu’on ne me quitte. Sauf que le résultat n’est pas vraiment à la hauteur de mes espérances.

    Dans cette salle d’attente, ce jour-là, je me demande clairement pourquoi j’ai décidé de franchir le pas en venant consulter. Et pourquoi maintenant. Suis-je donc prête à me remettre en question ? En toute sincérité ? J’ai peut-être seulement envie de parler à quelqu’un. Il va bien falloir qu’elle m’écoute, elle est payée pour ça. Sinon, qui le fera ? En quittant Julien, assez brutalement pour être honnête, je devais bien me douter que je perdrais Anne, ma meilleure amie. Elle a toujours été un peu amoureuse de lui, elle ne pouvait pas accepter que je le fasse souffrir impunément. Nicolas, de son côté est trop occupé à redécouvrir les délices de l’amour aux côtés de Manuel, ce superbe garçon qu’il vient de rencontrer. Après les moments terribles qu’il a vécus, je me sens un peu obligée de le laisser explorer son septième ciel ; tant pis si notre amitié doit en pâtir. Il y a bien Graziella, qui m’a souvent servi de mère de substitution depuis la mort de la mienne quand j’avais huit ans. Mais elle n’est plus toute jeune et il lui faut faire face à la maladie de son mari pratiquement seule car ses enfants sont loin. Ce serait plutôt à moi de la soutenir maintenant, de payer un peu de ma dette. Reste mon père… Bon, voilà, nous touchons au cœur du problème. Peut-être même aux véritables raisons de ma présence dans cette salle d’attente.

    Je change de chaise et j’admire une belle reproduction encadrée. Je reconnais La diseuse de bonne aventure du Caravage. Ce choix m’interpelle. Je dirais même qu’il m’inquiète un peu. Je ne peux m’empêcher de me demander si sa signification est symbolique : cette gitane rusée et hypocrite qui réussit à voler l’anneau du jeune homme alors qu’elle lui lit les lignes de la main me fait un peu trop penser à ma propre situation. Que va-t-on me dérober ici lorsque je me serai laissée aller aux confidences face à une professionnelle censée m’éclairer sur ma vie ? Tout cela n’est-il qu’un leurre ? Va-t-on enjôler mon esprit, tromper ma confiance, scruter mon âme pour n’abandonner ensuite qu’une coquille vide ?

    La porte du cabinet s’ouvre. C’est l’heure.

    Maintenant encore, je me demande si ce tableau du Caravage était prémonitoire. Que m’a-t-on arraché au cours de ces deux années ? Rien peut-être dont je n’ai souhaité moi-même être dépossédée. J’ai seulement posé une partie de mon fardeau et laissé mon obole sur le bord du chemin. Tout a un prix, et celui de ma délivrance était douloureux.

    Je ne pense pas m’être débarrassée de tout ce qui m’encombrait. Mais sans doute ai-je appris à le regarder en face et à être plus honnête avec moi-même. Ma rupture avec Julien était inévitable et je ne peux m’empêcher de penser aujourd’hui que c’était une bonne chose pour tous les deux. Si seulement je pouvais en dire autant de toutes les souffrances de mon passé.

    5. Aube

    Jeudi 29 septembre

    Ce jeudi-là, le soleil devait se lever à sept heures trente-six. La température était encore douce en ce début d’automne, le ciel provençal dégagé.

    L’aube perçait enfin, l’horizon commençait à s’illuminer, Pierre Millot le devinait malgré les volets entrebâillés de sa chambre et il en conçut un étrange réconfort. Il aimait ce moment où le monde redevenait réel, où les contours des objets et des corps retrouvaient leurs places. Ce matin-là, il s’était réveillé bien avant le point du jour. Immobile, la tête calée dans ses oreillers, il avait laissé vagabonder ses pensées. Une farandole de souvenirs prenait possession de son esprit. Un patchwork incertain, qui lui donnait l’illusion de pouvoir encore rassembler les images mouvantes de ses soixante-quinze années de vie. Il revoyait son enfance, les balades en vélo avec son frère, les tuiles vernissées des toits bourguignons qu’ils découvraient juste avant de passer le petit col et que le soleil faisait miroiter, alors que l’air épais et tremblant se chargeait de la poussière sèche des moissons. Il se rappelait les parties de pêche le jeudi après-midi au bord de l’étang, les sentiers odorants des sous-bois, la violence des orages d’été quand il grimpait au grenier avec Antoine pour écouter le fracas du tonnerre. Il revivait les histoires de revenants qu’ils lisaient pour se faire peur à la clarté vacillante de la bougie, les serments qu’ils échangeaient solennellement dans l’ancien pigeonnier pour sceller leurs secrets… Et puis l’enfance passait. Bien plus tard Juliette était là, telle qu’elle lui était apparue la première fois, dans ce train vers Marseille, sa fine silhouette enveloppée dans un long manteau d’un brun fauve, ses cheveux lâchés en cascade sur ses épaules… Il voulut s’arrêter sur son visage, mais déjà d’autres images le chassaient. La naissance de Tania, instant de grâce, présage porteur de toutes les promesses… Pourtant ces promesses-là, la vie ne les avait pas tenues. Qu’avait-il fait -ou laissé faire- pour qu’elle s’éloignât ainsi ? Inexorablement. Il était trop tard désormais. Les derniers mois les avaient rapprochés ; à peine commençait-il à connaître sa fille. Mais ce temps perdu ne reviendrait plus. Il savait aujourd’hui qu’il avait eu tort. Tort de ne pas lui ouvrir les portes de ses doutes et de ses chagrins en croyant la protéger. Tort de ne pas partager avec elle ses moments d’espoir. Tort de ne pas lui parler de Marianne. Il ne pouvait s’étonner dès lors de n’avoir rien su non plus de sa vie de femme.

    Il songea

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