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Un Dernier Sortilège
Un Dernier Sortilège
Un Dernier Sortilège
Livre électronique299 pages4 heures

Un Dernier Sortilège

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À propos de ce livre électronique

1630. Camille, jeune noble, s’enfuit de Munich. Sous une fausse identité, il espère rejoindre les marges du territoire de la maison d’Autriche pour réaliser son rêve : conquérir sa liberté. Mais il ne se doute pas un seul instant que son secret puisse mettre sa vie en danger. Au même moment, en Alsace, le spectre de la sorcellerie plane sur la région. Les bûchers se multiplient et la paranoïa s’installe. Anna, veuve et lavandière, s’inquiète. Après le procès de sa dernière sœur, l’étau se resserre sur elle. Pourtant, rien ne semble lier Camille et Anna, hormis un détail... Un dernier sortilège.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Enseignante en lettres-histoire, Karine W. Meyer écrit depuis l'Alsace où elle puise son inspiration pour ses thrillers ou ses romans de Fantasy. Passionnée d'histoire et de culture, engagée dans de multiples causes, elle adore inventer des histoires tout en y intégrant subtilement ses thèmes de prédilection. Avec sa plume impétueuse et pertinente, Karine entraîne ses lecteurs dans les méandres de son univers en mélangeant habilement réalité et fiction

LangueFrançais
Date de sortie12 juil. 2022
ISBN9782384600397
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    Aperçu du livre

    Un Dernier Sortilège - Karine W. Meyer

    K. W. MEYER

    Un dernier sortilège

    Roman

    Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

    Éditions La Grande Vague

    Site : www.editions-lagrandevague.fr

    3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

    Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

    ISBN numérique : 978-2-38460-039-7

    Dépôt légal : Mai 2022

    Les Éditions La Grande Vague, 2022

    Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé est purement fortuite.

    Note de l’auteure

    Une importante documentation m’a accompagnée durant la rédaction de ce roman. L’objectif est de livrer un récit qui puisse immerger le lecteur dans une époque reconstituée le plus fidèlement possible, en hommage aux victimes des procès pour sorcellerie.

    Des libertés ont néanmoins dû être prises pour les besoins du récit. Ces libertés ont été scrupuleusement choisies pour ne pas dénaturer le cadre dans lequel se déroule l’histoire.

    Cette période de notre Histoire ne doit pas être jugée sous le prisme de notre époque moderne. L’ignorance, celle qui a favorisé les procès pour sorcellerie, s’inscrit dans le temps long. Les boucs émissaires existent encore de nos jours.

    « … liée sur l’échelle, elle sera pincée deux fois avec une tenaille incandescente, puis par le feu brûlée de vie à trépas jusqu’à cendre et poudre. À la demande de l’accusateur, ses biens seront remis à l’autorité et selon la coutume confisqués. Après la proclamation de cette sentence, l’accusateur lui a accordé la faveur d’être d’abord étranglée puis pincée et brûlée. »

    Jugement de Catherine Heydler,

    Tribunal des Maléfices de Bergheim,

    17 mai 1627

    (Archives municipales de Bergheim, FF3/1)

    Prologue

    Cité de Bergheim, propriété des Habsbourg d'Autriche. 1630.

    Lorsque Marie s’adossa contre la pierre, elle ne put s’empêcher de sangloter amèrement. Trop de pression s’était accumulée. Elle laissa les larmes s’échapper au rythme des souvenirs qui défilaient dans sa tête. Elle ne put lutter contre un frisson. Un frisson bien compréhensible. Sa prison était humide et son vêtement trop léger, mais surtout, elle se savait au crépuscule de sa courte vie.

    Ses yeux se posèrent successivement sur une botte de paille moisie, un recoin envahi par la vermine, avant de se porter sur les murs arrondis. Aucune fenêtre ici, seulement une fente verticale pour laisser passer en cet instant les rayons de la pleine lune. La jeune femme ne verrait plus jamais le ciel étoilé.

    Elle se laissa tomber au sol. Sa vilaine chemise ne la protégeait guère de la fraîcheur, et alors ? Elle pouvait tomber malade, désormais cela n’avait plus d’importance. La jeune fille savait qu’elle ne trouverait pas le sommeil. Tandis qu’elle se sentait envahie par le chagrin, Marie respira intensément puis posa sa chevelure désordonnée contre le mur. Sa gorge desséchée lui brûlait et pour seul remède, elle pouvait uniquement tenter d’ignorer la douleur.

    « Comment ai-je pu en arriver là ? Comment cela a-t-il pu m’arriver, à moi ? Cela semble impossible. Pourtant, m’y voilà. Implacable constat. »

    La Tour des Sorcières. Une dernière demeure pour l’ultime nuitée des condamnées. Une prison aussi accueillante que l’exécution qui l’attendait le lendemain. Inutile de tenter une évasion.

    Combien de fois avait-elle pu l’observer depuis l’extérieur ? Le bâtiment cylindrique des remparts, surmonté de mâchicoulis sur consoles et de larges créneaux, était un cachot d’où l’on ne pouvait s’évader. Elle avait imaginé les pensées de ces autres femmes, jugées en tant que sorcières. Ce qu’elles avaient pu ressentir, et vivre, la veille de leur décès, dans cette fosse putride. Mais jamais, jamais Marie ne s’était sentie en danger. Elle était témoin, pas concernée. Du moins, jusqu’à aujourd’hui.

    Dehors, peut-être, une jeune fille comme elle était passée devant la tour cet après-midi et avait songé à cette pauvre créature qui allait souffrir au matin. Une autre innocente qui n’imaginait pas qu’un jour, elle pourrait se retrouver à cette même place.

    Comment en était-elle arrivée là ? Elle avait pourtant tout ce qu’elle pouvait espérer de mieux. Un travail honnête, la santé, la sécurité, un toit, de quoi assouvir sa faim. Elle était appréciée, estimée pour ses compétences. Mais cette fausse sensation de sûreté l’avait trahie : elle ne s’était pas méfiée. Comment aurait-elle pu ?

    Fermant les yeux, Marie songea à son existence. Quel semblant de gâchis ! Elle avait une bonne partie de la vie encore devant elle. Ses proches devaient tant s’inquiéter, par sa faute. S’en voulait-elle ? Reviendrait-elle en arrière ?

    « Non. Cela en valait le coup ! »

    Sur son visage délicatement éclairé par la lune, un sourire vint chasser les larmes. Un sourire faible, mais révélateur de la fierté qui réconfortait la jeune fille.

    « Cela en valait vraiment la peine. »

    Marie laissa pour un moment ses peurs de côté. Elle chassa de ses pensées l’angoisse de la souffrance et de la mort. Elle retrouva un état d’esprit qui lui permit, contre toute attente, de s’endormir.

    Son cœur bondit dans sa poitrine alors qu’un bruit sourd l’arrachait au sommeil. Une vive lumière l’aveugla soudain, forçant la jeune fille à baisser la tête. Elle fut violemment saisie par les coudes et redressée, lorsqu’une voix acheva de briser sa tentative de conserver son calme.

    Marie eut beau s’opposer aux gardes, elle ne fit pas le poids. Elle qui avait refusé la veille de pénétrer dans la Tour des Sorcières, et qui refusait désormais d’en sortir, fut finalement traînée comme un bovin qu’on emmenait à l’abattoir.

    1

    Un rêve de liberté

    Duché de Bavière, Munich.

    Une odeur de tabac agressa les narines de Camille, qui fronça le nez. Il n’avait jamais compris le succès de cette plante à laquelle on attribuait des propriétés médicinales. Mais depuis quelques années, sous l’impulsion des soldats du Saint Empire romain germanique, les fumeurs s’étaient multipliés. Heureusement pour Camille, s’il ne s’était guère habitué à l’odeur, il avait rapidement compris qu’un joueur qui fumait semblait détendu mais nettement moins concentré.

    Levant le regard par-dessus la table de jeu, il lorgna son adversaire, un petit homme bedonnant qu’il devinait marchand. « Plus gros peut-être par la taille, mais la comparaison s’arrête là. »

    Ses voisins, déjà vaincus, éclatèrent de rire, tandis que les sourcils du marchand se levaient haut sur son front. Il ne parut nullement affecté, car il sourit alors avant de s’exclamer :

    Camille baissa ses cartes. Malgré son apparente tranquillité, il n’en menait pas large. Toute sa mise était engagée dans la partie. Le jeune homme avait-il aussi bien calculé qu’il l’espérait ? Le cœur battant, il osa enfin risquer un coup d’œil sur la main de son adversaire. Lorsqu’il comprit, il lutta pour ne pas révéler l’étendue de sa joie. « OUI ! »

    Ses voisins manifestèrent une nouvelle fois leur allégresse. Le marchand, quant à lui, se contenta de hausser des épaules. Camille ne lut aucune colère sur son visage, seulement les marques d’une déception éphémère suivie d’une certaine forme d’amusement. Le jeune homme en fut surpris. « Il a l’air de se moquer des pertes. S’il est véritablement marchand, ses affaires l’ont mené à la prospérité. »

    Le marchand sourit, avant d’acquiescer. Tandis qu’il sortait les gains de l’une de ses poches intérieures, Camille aperçut un détail intéressant. « Un orfèvre ! De la corporation de Paris ! » Le jeune homme l’observa plus attentivement. « Son allemand est impeccable, un léger accent peut-être, et encore. L’essentiel est qu’il ait de quoi me payer. » Mais son inquiétude s’estompa. L’instant suivant, une bourse pleine trônait au beau milieu de la table. Sans attendre, Camille s’en saisit et la glissa à l’intérieur de son manteau.

    Camille remercia le brave homme. Mais au fond de lui-même, la remarque l’avait attristé. « Si seulement père pouvait penser comme vous. »

    Les hommes se levèrent de table, Camille en fit autant, non sans avoir terminé son verre. Il avait accumulé assez de bénéfices pour la soirée, et ne souhaitait pas attirer davantage l’attention sur sa bonne fortune. Il avait compris très tôt que ses compétences devaient rester discrètes. Sa tranquillité - sa liberté ! - méritait qu’il réprime son avidité.

    Il allait quitter l’établissement et son vacarme, lorsqu’une silhouette familière se détacha sur le seuil du bâtiment. « Oh… »

    Un homme imposant s’avança dans la lumière, révélant son visage. Face à lui, Camille blêmit. De tous les membres qui composaient son entourage, le cocher de sa famille était le seul capable de l’intimider. Étaient-ce ses traits sévères, ses yeux sombres, ou sa stature particulière ? Camille craignait surtout le caractère de Hanz. Peu bavard, l’homme pouvait le paralyser rien qu’avec un regard désapprobateur. Le genre de regard qu’il lui lançait en cet instant.

    Prenant son courage à deux mains, le jeune homme inspira longuement, puis écarta les bras, penaud. Inutile de fanfaronner, il était pris la main dans le sac. Devant témoins en plus, car à ses côtés, cachés dans l’ombre, il devinait la présence de vigiles. Toute dispute était à proscrire.

    Le cocher fronça ses épais sourcils. Comme Camille sentait venir la tempête, il battit en retraite.

    Le jeune homme grinça des dents. Hanz n’avait pas besoin d’en rajouter. Effectivement, inutile de se préoccuper du sommeil du cocher. Néanmoins, il pouvait légitimement s’alarmer pour lui-même. Jetant un dernier regard sur la façade du bâtiment qu’il venait de quitter, Camille éprouva des regrets. « L’ambiance est excellente, mais je n’aurais pas dû me rendre deux fois au même endroit. J’espère que mon erreur n’annonce pas la fin de ma liberté… »

    Le cocher fit brusquement demi-tour. Docile, le jeune homme lui emboita le pas. Bientôt, ils arrivèrent auprès d’un carrosse dont la vue fit soupirer Camille. « Tout de suite le grand jeu… » Malgré son énervement, il grimpa dans le véhicule sans rouspéter. Hanz avait toujours eu cet effet sur lui. « Père le sait bien… et il n’est pas le seul. »

    Tandis que le carrosse prenait de la vitesse et rejoignait des rues plus fréquentables, le jeune homme s’adossa tout en tapotant nerveusement la portière. Une idée germait dans son esprit. « Avec un peu de chance, père n’est peut-être pas encore au courant. »

    Mais pour connaître son destin, encore fallait-il supporter la demi-heure de trajet qui le séparait de sa destination. Et penser à l’humeur de Hanz ne l’aidait pas à se détendre.

    La nourrice, mains sur les hanches, semblait plus furieuse que jamais. Camille s’en voulait, il était l’unique responsable de ses tourments. Pourtant, elle ne les méritait pas. La vieille dame avait consacré ces quinze dernières années à son éducation, remplaçant au pied levé une mère naturelle qui, selon la nourrice, l’avait abandonné.

    À la voir ainsi, le visage bouffi et la respiration saccadée, Camille prit conscience des heures éprouvantes qu’il lui avait fait traverser.

    Dans un soupir, Camille se tut avant de s’écrouler dans un fauteuil. Combien de fois avait-il tenté d’expliquer à sa nourrice que l’appel de la liberté dominait tout le reste, à commencer par les obligations dues à son rang ? Mais la vieille dame ne cessait de le sermonner sur sa chance : celle d’avoir un toit, des repas quotidiens, et la certitude de n’avoir jamais à travailler pour survivre. Bien entendu, Camille comprenait son point de vue. La nourrice avait connu les privations et rien ne comptait plus pour elle que la bonne santé. Mais le jeune homme ne pouvait en dire autant. S’il parvenait à se mettre à la place de la domestique, pourquoi se révélait-elle incapable de faire un pas vers lui ?

    La vieille femme posa une main sur son cœur, la bouche grande ouverte. Si la situation n’avait pas été aussi délicate, le jeune homme aurait souri. Le sens de l’exagération de la gouvernante l’avait toujours diverti.

    La nourrice tomba à son tour dans un fauteuil. Elle respirait laborieusement. Elle ferma alors les paupières et se lança dans une prière muette. Coi, Camille l’observait. Il ne trouvait plus les mots. Lorsque sa mère de substitution bondit, soudain éclairée par quelque nouvelle pensée, il sursauta.

    « Oh non ! Ils n’étaient pas obligés de tout révéler… »

    Tandis que la gouvernante se mettait à effectuer des allers-retours entre la cheminée et lui, les mains croisées dans le dos, Camille pinça les lèvres et réfléchit à tous les arguments possibles. Seulement, le jeune homme doutait, pour cette fois, de pouvoir atténuer les doutes de la nourrice.

    Cette dernière s’arrêta soudain, se tourna vers lui. Son agacement s’était dissipé. Une mine de compassion s’épanouit sur ses traits, ce qui ne rassura guère le garçon.

    Abasourdi par les propos qu’elle venait de tenir, Camille se retint de répondre. Il n’était pas en position pour répliquer. C’était trop facile d’impliquer sa mère ou d’invoquer son sang. « C’est là que vous vous trompez. Je suis sûrement la seule personne au monde à refuser ma condition, et mes aïeuls n’ont rien à faire là-dedans. »

    Le jeune homme s’affola.

    Une sensation d’oppression saisit Camille, dont l’inquiétude devenait angoisse. « S’il vous plaît, ne faites pas cela… » Comme si elle pouvait lire dans ses pensées, la gouvernante leva les yeux au plafond et lâcha :

    Hors de lui, le jeune homme se leva et s’avança vers la vieille femme, qui ne bougea pas d’un pouce. Arrivé devant elle, Camille se composa un masque qu’il espérait émouvant, avant de sangloter :

    La femme leva les bras en l’air.

    S’écartant de lui, la gouvernante s’approcha de deux domestiques. Tandis qu’elle les dépêchait auprès du garçon pour l’emmener dans sa cellule dorée, Camille retint un cri de désespoir. Se savoir privé de son enseignement en poterie rendait la peine réellement insupportable. « Je n’y survivrai pas. Elle ne comprend pas ! »

    De surcroit, une menace plus lourde planait sur ses épaules. Lorsque son père serait dérangé en pleine tractation politique pour prendre connaissance des bêtises de sa progéniture, il allait sûrement prendre des décisions plus radicales encore que celles de la domestique.

    Sans cesser de réfléchir, le jeune homme affecta la soumission et quitta le salon sans rien ajouter. Il craignit le regard de la nourrice, tandis que la porte se refermait sur lui, et ne put réprimer un frissonnement de honte.

    « Je vous prie de me pardonner pour toutes les peines que je m’apprête à vous faire subir. Hélas, vous ne m’en laissez pas le choix… »

    Lorsqu’il mit les pieds dans sa petite chambre, Camille entendit le cliquetis de la porte. Verrouillée. Emprisonné. Au centre de la pièce, un pot de chambre lui permettrait de se soulager. « Elle connaissait déjà la sentence », réalisa-t-il. Dans un grognement, le jeune homme s’approcha du lit, s’étendit sur les couvertures, et peaufina les détails de son plan d’évasion.

    Derrière la vitre, au-delà des sombres silhouettes des bâtiments alentour, le rougeoiement de l’horizon annonçait le point du jour. Face à la fenêtre, Camille avait retrouvé son sang-froid. « C’est le moment ou jamais. »

    Sa nourrice n’avait pas songé à lui retirer sa bourse. Les gains de ces derniers jours lui paieraient le voyage vers la liberté.

    Il ouvrit la fenêtre, évita de regarder en bas. Sa chambre se situait au troisième étage, et il ne pouvait sauter au risque de se fracturer une jambe.

    Camille avait trouvé la solution. Le jeune homme avait bricolé une corde à partir de la multitude de draps qui recouvraient son lit. Il espérait que la longueur suffirait.

    Il inspira longuement, puis trouva la détermination nécessaire. Doucement, il commença à déployer la corde par-dessus le rebord de la fenêtre. La lueur du jour naissant lui permit de suivre l’avancée de son instrument d’évasion, aussi, lorsque ce dernier vint frôler les premières pâquerettes de la saison, il étouffa un cri de triomphe. Il enjamba à son tour la fenêtre, jeta un dernier coup d’œil dans sa chambre - qu’il espérait ne jamais revoir - et entreprit la descente.

    Il s’agissait pour lui de rester aussi silencieux que possible. Le moindre bruit suspect, et c’en était fini de ses rêves.

    Lorsqu’il posa les pieds au sol, Camille parcourut d’un regard le vaste jardin environnant. Son père, tenu par des obligations de discrétion, n’était venu que quatre fois au domaine depuis la naissance du jeune homme, il tenait néanmoins à conserver un extérieur irréprochable et dépensait sans compter. Cela n’arrangeait pas les affaires de Camille, qui craignait de tomber sur un jardinier trop matinal. Aussi, il resta discret tandis qu’il traversait le parc, s’assurant de rester hors de vision des petits bâtiments réservés au logement des domestiques. Normalement, ils dormaient encore, seul le boulanger devait avoir démarré sa journée. Néanmoins, aucune précaution n’était superflue.

    Le jeune homme fit enfin face au mur qui entourait la propriété. Il s’autorisa une pause, tout en étudiant les lieux. Une roseraie parcourait cette partie de la façade, l’armature en bois supporterait-elle son poids ? Il le saurait bientôt.

    Serrant les dents pour ignorer la douleur provoquée par les épines, Camille effectua rapidement l’ascension. Au moins, la structure tenait. Avant de passer de l’autre côté, il s’assura de ne trouver aucun garde en contrebas. Certains patrouillaient autour du domaine, mais en choisissant de se diriger vers les voisins de la haute noblesse, le jeune homme espérait que la voie serait libre : quel intérêt y avait-il à surveiller les environs de ceux qui possédaient tout ? Comme il ne remarquait personne, le jeune homme enjamba de petites pointes métalliques érodées par le temps, et prit son inspiration avant de sauter.

    Le choc fut violent. Camille craignit un instant de s’être foulé une cheville, mais la douleur passa. Il leva les yeux sur le mur qu’il venait d’escalader, éprouva une intense fierté, puis se retourna et inspecta les lieux.

    Calme plat. Pas un chat en vue. Les nobles n’avaient pas besoin de se lever aux aurores pour survivre.

    Sans se départir de son sourire victorieux, Camille passa les mains sur son manteau pour enlever toute trace d’escalade, carra les épaules, puis se fondit dans le décor. Il avait hâte de quitter les lieux, craignant d’être démasqué ou de devoir justifier sa présence.

    « J’espère que tu es chez toi, Klaus… »

    Un visage fatigué l’accueillit. Mais dès que Klaus identifia son visiteur, un immense sourire s’épanouit sur ses traits.

    Le jeune homme, qui avait un âge similaire à celui de Camille, représentait son meilleur espoir de fuite durable. Le musicien possédait un réseau avec lequel son ami souhaitait être mis en relation. Dès qu’il s’effaça pour l’inviter à rentrer, le noble en fuite ressentit néanmoins une once de tristesse. Si son plan fonctionnait, il ne verrait sûrement plus Klaus avant un très, très long moment. « Peut-être plus jamais. »

    Le musicien referma la porte et guida son ami vers l’une des deux pièces qui composaient son foyer. Camille n’était jamais venu chez lui, aussi, lorsqu’il découvrit la masure de Klaus, il éprouva un nouveau pincement au cœur. Brièvement, la vie qu’il fuyait ne lui parut plus aussi insupportable. Mais cette sensation ne dura qu’un temps. S’il ne s’était pas enfui, sa vie n’aurait plus valu la peine d’être vécue. Klaus avait un toit, mangeait à sa faim, et il était libre de faire ce qui lui chantait.

    Klaus s’avança vers une petite étagère, saisit deux verres, et tandis qu’il les remplissait, Camille s’installa sur une chaise. Il craignait que le bois, visiblement rongé par la vermine, cède sous ses fesses. Mais le mobilier résista. Son hôte lui tendit le verre et s’assit à ses côtés.

    D’un regard plus attentif, Camille remarqua ses joues émaciées, la finesse de son cou et ses clavicules saillantes. Klaus avait maigri. Ses yeux cernés et ses cheveux d’ordinaire plus soignés trahissaient également une certaine négligence. Camille se promit alors de ne pas sortir de la pièce avant que son ami n’ait accepté quelques sous.

    « Au moins, son sens de l’humour est intact. » Bien que l’humour ne nourrisse pas un ventre, ce constat rassura le jeune noble en fuite. Il répondit sans hésiter, mais légèrement soucieux quant à la réaction de Klaus

    Il s’attendait à de la stupeur ou à de l’inquiétude. Mais contre toute attente, son hôte finit de boire son verre, puis son sourire s’agrandit. Il posa une main

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