Les Veillées des chaumières

A l’aube du Quattrocento

Une foule cosmopolite se massait en ce matin d’été sur la riva degli Schiavoni, à Venise. Le marché allait s’ouvrir, mais ce n’était pas n’importe quel marché. Celui qui attirait les curieux en si grand nombre, c’était celui du bétail humain : le marché aux esclaves.

À Venise, en cette aube de la Renaissance qui allait voir s’épanouir la plus sublime floraison des arts, la pratique était encore courante. Être vendus comme esclaves était le sort des prisonniers de guerre trop pauvres pour racheter leur liberté, de même que des victimes de razzias, et nul ne songeait à s’en indigner.

Jouant des épaules et des coudes, un jeune patricien tentait de se frayer un chemin dans la cohue. Une grâce encore adolescente se dégageait de toute sa personne. Son visage était avenant, sous une chevelure châtain mêlée de mèches dorées. Un homme vêtu de noir l’accompagnait : ser Marco, son précepteur.

– Giovanni, lui disait-il, quel plaisir escomptez-vous retirer de la vue de ce spectacle qui bafoue la dignité de l’homme ? Détournez-vous-en plutôt.

– Je veux le voir au contraire, protesta le jeune homme, pour renforcer mon dégoût de cette coutume barbare que notre Sérénissime persiste à appliquer.

Quelques semaines plus tôt, deux galères battant le pavillon au lion de saint Marc avaient arraisonné une nef barbaresque qui s’était aventurée un peu trop près des côtes. Les passagers avaient été triés selon leur rang ou leur fortune. Le seigneur ou le riche marchand seraient libérés contre une forte rançon, les autres, vendus comme esclaves.

En dépit des recommandations de son mentor, le garçon se laissait porter par la foule quand soudain il s’immobilisa, comme retenu par une force invisible : face à lui, un homme, les mains liées derrière le dos, se tenait debout dans une immobilité de statue.

Le visage basané aux traits rudes et fiers semblait figé. Le clair regard vert se posait avec une indifférence méprisante sur la multitude.

Sans qu’il sût quelle force l’avait poussé, le jeune Vénitien s’entendit demander :

– Comment te nommes-tu ?

L’homme lui répondit d’un ton ferme :

– Cheikh Abdallah ben Mohamed.

– Si tu es de sang noble, pourquoi es-tu vendu comme esclave ?

– Parce que je ne possède nul argent pour payer une rançon. Mon seul bien est ma trousse de médecin, que j’ai pu garder avec moi.

– Et tu parles notre langue ?

– Certes, et bien d’autres encore.

– Tu n’es pas arabe, si j’en juge par la couleur de tes yeux.

– Non, je suis berbère, j’appartiens aux Amazighs, le peuple des montagnes.

Mais déjà le garde-chiourme, surprenant cet échange, faisait reculer l’homme en le menaçant de son fouet.

Giovanni demeurait immobile, perdu dans sa contemplation. Une idée folle venait de germer dans son esprit,

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