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Héritage: Le Monde des Aveugles - Tome 2
Héritage: Le Monde des Aveugles - Tome 2
Héritage: Le Monde des Aveugles - Tome 2
Livre électronique918 pages67 heures

Héritage: Le Monde des Aveugles - Tome 2

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À propos de ce livre électronique

La suite des aventures de Sarah à la découverte de ses pouvoirs et de ses sentiments

« J’avais oublié la mort, cette sombre facette de la vie. Elle m’attendait sur le seuil de ma destinée pour me déposséder de mon amour et me plonger dans une nuit d’effroi. »

Sarah réside maintenant au Manoir, et découvre l’étendue de ses pouvoirs. Son amour pour Matt sera le fil conducteur de ce deuxième tome du Monde des Aveugles. Un amour malmené, un combat continuel, de douloureuses épreuves qui exigeront d’eux une foi absolue en ce lien unique de leurs étoiles jumelles. En toile de fond, des créatures multiples, vouées aux Ténèbres ou à la Lumière, dévoilent aux yeux de Sarah cet incroyable héritage qui est le sien et qui définit son incontournable destinée.

Découvrez sans attendre le deuxième tome de cette saga de romance fantastique palpitante !

EXTRAIT

La porte des Ténèbres s’ouvrait sous ses pieds.
Un trou maléfique attirait Sarah. Elle le suppliait de ne pas la lâcher. Matt la retenait par les poignets avec force et désespoir pour empêcher cette noirceur de l’englou­tir dans ses entrailles. Rien n’y faisait. La fumée obscure enveloppait peu à peu son corps, l’arrachant à la vie, l’éloignant de lui. Il hurlait de rage à s’en crever les tympans. Quand bien même, dans un souffle, Sarah fut absorbée.
Son cœur lui avait été arraché. Laissant place au néant.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce récit est une véritable pépite qui nous transporte dans un monde magique, fantastique et passionnant. Les aventures de Sarah et son entourage développent notre imagination avec facilité et c’est un jeu d’enfant de les imaginer, de le vivre et les ressentir. - Blog Chroniques livres

À PROPOS DE L'AUTEUR

Fascinée par la lecture dès son plus jeune âge, Imaine Soudani ne tarde pas à s’extérioriser sur la page blanche. C’est lors de sa dernière année d’études en sciences médico-sociales qu’a germé l’idée de ce qui deviendra Le Monde des Aveugles. Au fur et à mesure des expériences et des rencontres, l’histoire s’est étoffée pour donner naissance, en 2014, au tome 1, Charmes.
Avec un véritable talent confirmé dans ce deuxième tome, Héritage, l’auteur a créé un monde complexe, inquiétant, mystérieux, qui met en scène les valeurs universelles du bien et du mal, s’attachant à démontrer que l’équilibre existe.
LangueFrançais
Date de sortie5 avr. 2017
ISBN9791090635456
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    Aperçu du livre

    Héritage - Imaine Soudani

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    Couverture : © Hellène Cabassy et Maéva Desforges

    ISBN 979-10-90635-44-9

    © Les éditions Noir au Blanc, novembre 2016

    All rights reserved. Tout droit réservé pour tout pays. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consen­tement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    LE MONDE DES AVEUGLES

    Tome II

    HÉRITAGE

    Roman fantastique

    Imaine Soudani

    La vie était un grand mystère et ne cessait de nous surprendre. Ses rires nourrissaient nos cœurs de merveilles et de bonheurs. Ses larmes enseignaient la sagesse et endurcissaient nos âmes. J’avais mis du temps pour sortir de mes années floues et trouver ma place dans ce monde. Je voyais enfin ses richesses, goûtais enfin sa béatitude. La vie me murmurait des promesses et colorait mon horizon de joies et d’espoirs. Elle m’apprit à ouvrir mon cœur, et mes sentiments avaient été ma plus grande surprise. Un cœur muselé qui exprimait difficilement son amour, parce qu’il craignait de le perdre. Mais, emportée par cette pure et douce mélodie, j’avais négligé la vérité sur la vie. J’avais oublié sa fragilité, mais également sa sévérité. Son combat continuel. Ses pénibles chapitres. Ses douloureuses épreuves qui chassaient les instants de bonheur et les transformaient en souvenirs poussiéreux sur l’étagère de l’oubli.

    J’avais oublié la mort, cette sombre facette de la vie.

    Elle m’attendait sur le seuil de ma destinée pour me déposséder de mon amour et me plonger dans une nuit d’effroi.

    J’avais tout…

    Je l’avais perdu…

    Et mon cœur pleurait son absence…

    Prologue

    Cauchemars

    2 février

    Les Ténèbres.

    La porte des Ténèbres s’ouvrait sous ses pieds.

    Un trou maléfique attirait Sarah. Elle le suppliait de ne pas la lâcher. Matt la retenait par les poignets avec force et désespoir pour empêcher cette noirceur de l’englou­tir dans ses entrailles. Rien n’y faisait. La fumée obscure enveloppait peu à peu son corps, l’arrachant à la vie, l’éloignant de lui. Il hurlait de rage à s’en crever les tympans. Quand bien même, dans un souffle, Sarah fut absorbée.

    Son cœur lui avait été arraché. Laissant place au néant.

    Matt s’éveilla en sursaut. Le souffle laborieux, en sueur, sa tête s’agitait dans tous les sens et il se découvrit dans sa chambre, enroulé dans ses draps. Le trou maléfique avait disparu et Sarah dormait paisiblement à ses côtés. Un soupir de soulagement lui échappa et il se laissa tomber sur l’oreiller. Se tournant sur le flanc, il couvrit les épaules de Sarah avec le drap. Il se blottit contre son dos, le visage enfoui dans sa chevelure de jais. Il ne voulait pas la réveiller, mais le besoin de la toucher, de s’assurer de sa présence, était bien plus fort. Il se mit à lui caresser la tête d’une main soucieuse, s’égarant sur son épaule, puis sur son bras. Bien que capturée par un sommeil profond, Sarah émit un gémissement et se retourna face à lui. Tandis qu’elle se nichait contre son torse, Matt l’emprisonna de ses bras protecteurs et lui embrassa tendrement la tête.

    « Les cauchemars sont de retour », songea-t-il, tentant de chasser cette panique irraisonnée.

    1. Le Dream’s

    11 février

    Je levai la tête lorsque l’odeur du café chatouilla mes narines.

    — Et voilà pour la miss, annonça Joey ironiquement.

    Je retirai mon magazine de la table que j’occupais au Dream’s pour laisser place à ma tasse fumante. Me penchant, je humai sa chaleur en fermant brièvement les yeux.

    — Merci.

    — Qu’est-ce qu’il fout, Matt ? Il n’a pas pour habitude de te laisser aussi longtemps seule.

    — Mais il n’est jamais bien loin. Ils ont dû être retardés par Pat. Tu sais comment elle est dès qu’elle voit Sami.

    Croisant son regard moqueur, Joey éclata d’un rire compatissant.

    — Pauvre Sami, je le plains ! Mais d’un autre côté, je suis content qu’elle ait jeté son dévolu sur lui. Bon, si tu as besoin d’autre chose, fais-moi signe, dit-il en s’éloignant.

    Arrivé au comptoir, il en rigolait encore. Il y avait de quoi. Patricia, alias Pat, était la mécanicienne qui s’occupait de la voiture de Sami. À vrai dire, pratiquement tous ceux que je connaissais allaient chez elle. Mais Sami était son chouchou, elle avait clairement un petit faible pour lui. Sauf qu’elle n’était pas son style de femme. Avec ses allures de videur et son caractère de pitbull, elle lui faisait plus peur qu’autre chose. Mais il ne pouvait s’empêcher de faire ces visites répétées au garage. Dans son domaine, elle était la meilleure. Ces derniers temps, Sami s’était mis en tête de changer tout l’intérieur de sa « Titine », comme il l’appelait. Cela lui faisait horriblement mal au cœur de la voir avec les empreintes des mains d’Ashley.

    En septembre, elle lui avait promis une vengeance bien salée après qu’il l’avait chambrée sur son physique. Durant un mois entier, Sami avait été sur ses gardes, guettant ses moindres faits et gestes. Puis il avait cru que la tempête était passée. Mais c’était mal connaître Ashley. Bien qu’adorable, à sa manière, cette fille ne connaissait pas le sens du mot « pacifiste ». Ashley pouvait se montrer très cruelle. Mieux valait l’avoir comme amie que comme ennemie. Et malheureusement, Sami avait découvert qu’elle était aussi patiente et vicieuse qu’un serpent.

    Un matin hivernal, il retrouva sa voiture, la chose qu’il chérissait le plus au monde, devant la maison, dans un piteux état. Dotée d’une arme redoutable, la manipulation du feu, Ashley avait fait fondre les quatre pneus avant de marquer l’intérieur de ses mains brûlantes, sur chaque siège. Dès lors, Sami ne lui fit plus aucune vanne et il la craignait plus que n’importe quelle créature démoniaque qui nous entourait.

    Quelques mois auparavant, j’avais cru que faire le tour du monde me permettrait de découvrir l’ensemble de ce qui nous entourait. En quête d’enrichissement, je voulais voyager, traverser les continents, rencontrer des personnes, connaître et apprendre d’autres coutumes et d’autres modes de vie. Désireuse et impatiente, je pensais qu’une vie ne me suffirait pas pour une telle aventure. Pourtant, une seule excursion me sortit de l’obscurité et me dévoila le monde tel qu’il était réellement. Autrement dit, ma vie prit un tournant nouveau lorsque je découvris l’univers des Gardiens du Monde des Aveugles.

    Alors que les gens normaux, les Aveugles, déambulaient dans l’ignorance, emportés par la course de la vie, les Éveilleurs de magie et les Sorciers suprêmes se livraient une éternelle guerre : la Lumière contre les Ténèbres. Le bien contre le mal. Dotées de puissants pouvoirs, des créatures mythiques et démoniaques, qui nourrissaient les cauchemars et les contes de fées de tout être humain, vivaient dans l’ombre. Je faisais partie de cette face cachée de notre globe, j’étais une Gardienne. Nous étions le fruit de cette lutte incessante, une milice humaine naissant avec des dons surnaturels pour défendre l’humanité et veiller sur elle.

    Dans ce monde à deux visages, c’était dans l’ombre que j’avais trouvé mon bonheur. Il portait le nom de Matt. Parfois, j’avais encore du mal à admettre que cet être merveilleux m’était destiné. Nous étions ensemble depuis cinq mois. Certes, notre histoire avait connu un début tendu et électrique, puis nous étions devenus littéralement inséparables. Un lien spécial et très intense nous unissait, quelque chose d’inexpliqué. Désormais, il était une personne dont je ne pouvais plus me passer. Matt était comme l’oxygène que je respirais : un besoin vital. Nos rares séparations avaient lieu lors des quelques attaques de Damnés. Car, depuis la disparition d’Hezekiah le Sorcier, le calme s’était installé.

    J’avais été kidnappée par un de ses sbires, je l’avais affronté et vaincu. Ne connaissant pas mon identité, mes pouvoirs devinrent l’intérêt principal des créatures des Ténèbres. Depuis des semaines, il n’y avait eu aucune manifestation des Spectres suprêmes. J’espérais vainement qu’ils mettent fin à leurs recherches. Cela n’empêchait pas Matt de redoubler de vigilance. Non seulement il était gouverné par un besoin obsessionnel de me protéger, mais en outre il exerçait une autorité rigide et avait un caractère de chien. Et c’était ce qui le rendait unique. Il y avait tellement de facettes contradictoires chez lui ! Quoi qu’il en soit, sa vigilance se relâchait par moment. Le club était le seul endroit où il me laissait quelques instants de solitude bien mérités. Ce n’était pas sans raison.

    Le Dream’s appartenait à Patrick, l’un des nôtres. De ce fait, j’étais entre de bonnes mains pendant son absence, même si cela ne dépassait pas une poignée de minutes. Le club se situait en périphérie de la ville d’Hammonton, ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ce vaste endroit, divisé en deux, était un café-salle de jeux le jour et laissait place à la boîte de nuit en soirée. Le lieu habituel où se réunissaient les Gardiens pour se détendre. Il était également fréquenté par les autres créatures, essentiellement les Métamorphes. Une clientèle qui se fondait parfaitement parmi les Aveugles. Les Métamorphes étaient les êtres les plus semblables aux humains, même s’ils étaient mi-homme mi-animal.

    Voilà plus d’une demi-heure que j’étais installée à notre place habituelle, dans le Carré rouge. Un coin réservé aux clients privilégiés, comme disait Patrick. En réalité, c’était un emplacement isolé, à l’écart des oreilles indiscrètes, où les Gardiens pouvaient discuter sereinement. À chaque fois que Matt me déposait, j’avais la formelle interdiction de quitter ma place, sous aucun prétexte. L’unique accès à ce cocon de banquettes bordeaux se trouvait sur le côté gauche du bar, entre une table et la tour de garde – la caisse –, qui était contrôlée par Joey, le fils de Patrick. Bien qu’isolés, nous avions une très bonne vue sur la partie centrale du club, ainsi que sur l’entrée. À cette heure de la journée, il n’y avait que des jeunes de notre âge, faisant quelques parties de billard pour décompresser après une journée de cours ou de travail. Bien évidemment, il y avait toujours un groupe de filles venues pour les reluquer.

    Tout à coup, un cri exalté me tira de mes pensées. Je levai la tête de mon magazine lorsque j’entendis deux poupées Barbie glousser comme des dindes près du bar. À leur arrivée, ces deux filles n’étaient pas passées inaperçues. Malgré la température du mois de février, elles étaient toutes deux vêtues de courtes jupes et de pull col en V, soulignant leurs formes avantageuses. Cela étant, elles avaient le mérite d’avoir des jambes sublimes. Mais c’était leur façon d’attirer la gent masculine qui me dérangeait. Cela faisait un petit moment que je n’arrivais pas à finir de lire mon article. Dans une discussion bien animée avec leurs copines, elles s’esclaffaient sans retenue toutes les cinq secondes. Levant les yeux, je compris la cause de leur dernière manifestation d’agitation. Sami, suivi de Matt, entra dans le club. Naturellement, toutes les têtes convergèrent dans leur direction. Je vis quelques visages se décomposer et une expression admirative s’épingler sur d’autres. C’était l’effet habituel lorsqu’ils arrivaient dans un lieu. Tout vêtus de noir, ils étaient aussi beaux l’un que l’autre. Ils avaient un charme si magnétique que toutes les filles se retournèrent sur leur passage, les dévorant des yeux. Leur carrure imposante produisit le même effet sur les hommes, qui s’écartèrent instinctivement. Séduisants et élégants, il émanait d’eux une troublante puissance de sorte que tout homme sensé baissait les yeux, de peur d’être détruit pour les avoir dévisagés !

    Au comptoir, Matt sentit mon regard et sa tête se tourna instinctivement dans ma direction. Il me fit son sourire angélique auquel je répondis chaleureusement. Un détail qui ne passa pas inaperçu aux yeux des voisines attablées à l’entrée du Carré rouge. Manifestement, elles croyaient que ce sourire leur était destiné et elles se mirent à gigoter sur leur fauteuil, s’entortillant une mèche de cheveux autour d’un doigt.

    Après les salutations, Matt et Sami s’apprêtèrent à me rejoindre à notre table. Mais avant cela, je distinguai la brune de dos se pencher vers son amie. Puis elle fit intentionnellement tomber son sac au sol, renversant tout son contenu. Médusée, j’observai son cinéma, sa tentative de barrer le chemin aux garçons. Elle se leva puis s’accroupit pour ramasser avec une lenteur exagérée ses affaires.

    — Pardon. Je suis maladroite, gloussa-t-elle sur un ton mielleux.

    — Un petit coup de main, ma jolie ? proposa Sami en se baissant.

    Debout derrière, Matt leva les yeux au ciel d’un air exaspéré. L’obstacle aguicheur rejeta théâtralement ses cheveux dans son dos.

    — Avec plaisir.

    Tandis que Matt attendait que le passage soit libéré, la blonde se leva à son tour et posa une main habile sur son biceps.

    — Excusez-moi…

    Avec un air ennuyé, Matt lui jeta un regard oblique, sans tourner la tête.

    — Nous sommes nouvelles dans le coin. Je crois que nous sommes perdues, susurra-t-elle en se rapprochant.

    Perdue, mon œil ! Elle ne m’avait pas du tout l’air perdue. Accrochée à son bras, elle était là où elle souhaitait être, beaucoup trop près de lui à mon goût. Ravalant un grognement, je fronçai les sourcils. Elle lui montra un papier sous le nez, s’approchant davantage. Bientôt, elle allait s’enrouler autour de son corps comme un anaconda autour de sa proie avant de l’étouffer et l’emporter pour le dîner. Derechef, Matt recula d’un pas. « Recule encore ! » pensai-je à son intention.

    — Pourriez-vous nous indiquer où ça se trouve ? Ou nous montrer le chemin, si vous préférez ?

    Elle ne manquait pas de culot, c’était le moins qu’on pouvait dire. Soudain, je ressentis une pointe d’agacement devant cette approche préméditée. Je devinai la réponse de Matt, mais je la guettai avec une vive attention.

    — Je ne peux rien faire pour vous. Par contre, mon ami se fera un plaisir de vous renseigner, répondit-il en désignant Sami d’un geste abrupt. Ma petite amie m’attend.

    Matt riva son regard au-dessus de son épaule. Sur ce, la fille se tourna, et je ne pus m’empêcher de lui faire un signe de la main, lui adressant un regard très expressif, quasi meurtrier. Elle se raidit en se décomposant. Matt étouffa un rire. La laissant plantée là, il contourna les autres qui prenaient tout leur temps pour ramasser les affaires de leur copine. Matt s’avança en me fixant avec une lueur amusée : « C’était quoi ce regard ? »

    Arrivé dans le Carré, il retira sa veste et la balança sur le dossier de la banquette. Je me levai à sa rencontre et il déposa ses mains sur ma taille. Je dus rejeter légèrement ma tête en arrière pour regarder ce mètre quatre-vingt-quinze. Nous échangeâmes quelques pensées :

    « Ce n’était qu’un simple regard. 

    — Menteuse ! »

    Réprimant un rire, je déposai les mains sur son torse. J’enchaînai, mes yeux caressant ses lèvres avec convoitise :

    « Tu m’as manqué. 

    — Vraiment ? »

    Je hochai la tête avec vigueur. Il se pencha pour m’embrasser. Avec un soupir appréciateur, je promenai mes doigts sur son pull pour l’encercler de mes bras tandis qu’il retirait ses lèvres. Son sourire espiègle fendit son visage.

    « Serais-tu jalouse ? »

    Surprise, je reculai ma tête pour mieux le dévisager.

    « Pas du tout. Pourquoi tu dis ça ? »

    Alors il me transperça de ses yeux bleu azur, étincelants d’amusement.

    « Ton baiser était possessif. De plus, ce fameux regard en disait long. 

    — Mon cher, mon regard n’était qu’un avertissement. Que toute fille sait décrypter. C’est comme un code entre nous. »

    Dressant un sourcil intrigué, il inclina la tête sur le côté.

    « Ah bon ? Et c’était quoi le message ? 

    — Pas touche. Propriété privée. »

    Matt éclata de rire en rejetant la tête en arrière. Un rire si franc qu’il attira l’attention des deux Barbie qui nous regardaient comme des moucherons écrasés sur leur pare-brise.

    — Et puis quoi ? Je n’aime pas quand on touche à ce qui m’appartient, m’offusquai-je en m’écartant. Enfin, je ne veux pas dire que tu es un objet…

    Aussitôt, il me fit taire avec un baiser et me plaqua contre son torse d’une forte main.

    — Mais tu as raison. Je suis ton objet. Je suis ta propriété privée.

    — Je t’interdis de te moquer !

    — J’aurai dû accepter son invitation masquée pour voir jusqu’où pouvaient aller tes codes visuels.

    Toujours prisonnière de ses bras, je reculai vivement la tête en le fusillant d’un regard irrité.

    — Là, c’est toi que j’aurais électrocuté sur place !

    Je faisais profil bas depuis des mois. Je n’utilisais presque jamais mes pouvoirs, sauf pour les rares séances d’entraînement au Manoir, à l’abri des regards. Je pouvais faire quelques exceptions et cela en était le parfait exemple…

    Son rire redoubla, je me ressaisis immédiatement.

    — Mince alors ! Je suis jalouse.

    Acquiesçant, il arbora un sourire satisfait, puis sa bouche s’attaqua à mon cou.

    « Bienvenue au club. »

    Inclinant la tête pour lui donner un meilleur accès, il parsema ma peau de légers baisers, s’acheminant avec une lenteur frustrante jusqu’à ma bouche. Il chassa ma jalousie d’un baiser intense, m’envoûtant sur-le-champ. Dès l’instant où nos bouches dansèrent avec tant de passion, je fus traversée par cet agréable frisson et une onde de plaisir jaillit dans tous les sens. Il passa ses mains sous mon pull et s’agrippa au bas de mon dos. Sentant une vague de chaleur émaner de Matt, je fus à deux doigts de fondre. Posant mes mains sur son torse, je le poussai gentiment. Une fois n’est pas coutume, il me mordilla la lèvre inférieure, n’approuvant pas la séparation de nos bouches.

    — Aurais-tu oublié que nous ne sommes pas seuls ?

    Une étincelle farouche traversa ses iris.

    — Tu sais bien que j’ai du mal à me retenir.

    — Faut-il que je pense à t’apprendre à te tenir en public ?

    Il haussa les épaules.

    — Rien ne les force à regarder.

    Il retira ses mains et les mit dans les poches arrière de mon jeans. Un geste possessif, intime, qui ne me gênait plus.

    — Tu sais ce que je veux, moi ? Qu’on s’échappe d’ici et qu’on s’enferme dans une grotte… Juste toi et moi, murmura-t-il sur un ton prometteur.

    — Ce n’est pas toi qui voulais boire un verre ?

    Il se pencha vers mes lèvres.

    — Plus maintenant. Je crains qu’il n’y ait pas ce que je désire sur leur carte.

    Souriante, je compris exactement à quoi il faisait allusion. Tirant sur ses avant-bras, je plaquai nos mains, entrelaçant nos doigts. Tout à coup, sa bouche se durcit contre la mienne et je vis une ombre froide traverser ses pupilles. D’abord, je crus à une désapprobation de mon geste. Or, son visage se figea de sévérité, me laissant deviner que son revirement était causé par autre chose. Confirmant mes doutes, il se retourna et s’exclama haut et fort.

    — Moi !

    Son ton était rude. L’instant d’après, je perçus un hoquet de surprise. Penchant la tête sur le côté, je vis la blonde, les yeux écarquillés et la bouche ouverte de stupeur.

    « Que se passe-t-il ? »

    Contrarié, Matt ne répondit pas, continuant à la fusiller du regard. Je tirai sur son pull pour attirer son attention. Étouffant un grognement, il détourna les yeux et revint vers moi. Je l’interrogeai du regard pendant que son visage se détendait.

    « Ce n’est rien. »

    Au même instant, il m’encercla la taille de ses bras et me serra contre son torse.

    « Hey, la brute ! Tu viens de grogner. Ce n’est pas rien. Je t’écoute. »

    Après quelques secondes, il émit un soupir résigné.

    « Cette greluche se demandait ce que tu avais de plus qu’elle. J’étais obligé de lui répondre. 

    — Oh ! »

    La greluche avait certainement utilisé un vocabulaire plus virulent. Cela me passait au-dessus de la tête. La réponse de Matt était la seule chose qui m’importait. Lisant dans mes pensées, il desserra son étreinte et me leva le menton, plongeant ses yeux dans mon regard.

    « Je t’appartiens. C’est un fait irréfutable. 

    — Intéressant… je n’étais pas au courant. 

    — Quoi ? Tu ne le savais pas ? »

    Je réprimai un rire et secouai la tête, indiquant que non. Un air de vaurien frémit sur son visage.

    « Inadmissible ! Il va falloir que je remédie à ça. »

    Sur ce, il me souleva d’un seul bras et sa bouche s’écrasa sur mes lèvres d’une manière sauvage, tandis que sa main retenait ma tête. Faisant taire un hoquet de surprise, je ris contre sa bouche, enlaçant son cou de mes bras.

    — Vous ne pouvez pas attendre d’être seuls pour faire vos cochonneries ? Vous avez fait fuir les demoiselles, laissa tomber Sami.

    Libérant mes lèvres, Matt posa mes pieds au sol.

    — Si au moins nous pouvions les faire, ces cochonneries, je ne sortirais pas de la chambre, répliqua-t-il en lui jetant un regard.

    Sami s’immobilisa en agitant les mains.

    — Stop ! Stop ! Je ne veux rien savoir. J’ai eu mon quota d’horreur pour la journée.

    Au même moment, je m’écartai en donnant un coup de coude dans les côtes de Matt. Croisant mon regard noir, il me sourit à pleines dents, se contentant d’un haussement d’épaules. Il passa un bras sous mon menton pour me plaquer le dos contre son torse.

    — Ta journée s’annonce plutôt bien, dit-il à Sami.

    Ce dernier brandit un papier entre deux doigts, où je pus distinguer un numéro de téléphone.

    — Mes charmantes nouvelles amies sont impatientes de me revoir.

    — Je commence à cerner ton genre de fille. Tu mérites mieux que ces deux cinémas-là, grommelai-je en grimaçant.

    Sami s’affala sur la banquette.

    — Elles peuvent faire tout le cinéma qu’elles veulent, ça ne me dérange pas tant que j’obtiens ce que je veux.

    Autrement dit, un petit rendez-vous pour un agréable moment. « Oh, les hommes ! »

    — Hé, les mecs ! Comme d’hab’ ? héla Joey du bout du comptoir.

    — J’ai envie d’un « Câlin GynSarah ». Tu aurais ça en stock ? s’exclama Matt, en riant.

    Du coin de l’œil, je vis Sami se poser une main sur le front en levant les yeux au ciel.

    — Hein ? répondit Joey, perplexe.

    Puis il vit mon expression. Bouche bée, les yeux ronds, peut-être même les joues rouges. Joey rit à son tour.

    — Oh ! Ça ! Non, désolé.

    — Dommage. Alors, comme d’hab’, une bière en bouteille.

    — Deux, ajouta Sami en levant deux doigts.

    — C’est comme si c’était fait !

    Après qu’il se fut retiré pour préparer la commande, je me tournai vivement.

    — Non, mais ça va pas ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

    — Il a le petit popol en feu, lança Sami.

    Je l’assommai brusquement d’un regard tranchant. Sami leva les mains en signe d’apaisement.

    — D’accord… Je me mêle de mes oignons.

    Quand je revins sur Matt, j’interrompis son rire muet avant qu’il ne réponde, feignant un air innocent.

    — Je demande, c’est tout ! Qui sait ? Peut-être que ça existe.

    — Tu ne peux pas être sérieux deux secondes ! Tu m’as mise mal à l’aise.

    Je fis un pas vers la banquette, continuant à marmonner. Mais il me retint en glissant ses doigts sous ma ceinture. Il me ramena à lui d’un coup sec.

    — Où vas-tu comme ça ?

    — Je vais m’asseoir. J’aimerais bien finir mon café.

    Il verrouilla nos regards, réalisant qu’il m’avait vraiment mise dans l’embarras. Puis, il prit délicatement mon menton avec deux doigts, son pouce caressant doucement ma peau sous ma lèvre inférieure. Me forçant à lever la tête, il frotta son nez contre le mien avec une lueur navrée dans les yeux. C’était sa façon de s’excuser. Et, comme toujours, l’instant d’après, je lui pardonnai. Me hissant sur la pointe des pieds, je pris donc son visage en coupe et déposai un baiser sur son nez. Lorsque je me retirai, il me regarda avec son sourire espiègle.

    « Tu ne peux pas résister à mon charme. »

    Exaspérée, je levai les yeux au ciel. S’asseyant sur la banquette, il poussa la table de son pied pour m’installer sur ses genoux. Je passai un bras autour de son cou.

    — Alors, ta voiture ? Où ça en est ? demandai-je à Sami.

    Il se redressa, ses yeux vert-jaune étincelant de colère.

    — Il va falloir changer tous les sièges. À cause de cette vipère, ça va me coûter la peau des fesses, cette histoire.

    — Hé ! Tu l’as bien cherché toi aussi. Tu sais très bien que brancher Ash sur ses cheveux la rend furax, lui rappela Matt, promenant ses doigts sur ma cuisse.

    — Ouais ! Mais une vanne ne vaut pas un tel carnage. Elle a bousillé ma voiture !

    Prenant ma tasse, j’y trempai mes lèvres. Mon café était froid. Je bus tout de même quelques gorgées avant de la reposer. Sami et Ashley étaient très proches avant cet incident. Sami était devenu froid et distant avec elle. Beaucoup trop fière, Ashley n’admettrait jamais que cette situation la rendait très triste.

    — Pourquoi tu ne laisses pas ta trottinette comme ça ? Cela lui donne un certain charme, plaisanta Matt.

    — T’as craqué mon pote ! À chaque fois que je fais monter une fille, elle se défile. C’est comme si j’étais marqué au fer par ce diablotin. Non, il est impératif que je les change si je veux reprendre la chasse à la petite culotte.

    J’objectai sur un ton critique :

    — Sami, je ne comprends pas pourquoi tu lui fais encore la gueule. Ça fait plusieurs mois maintenant.

    Un air boudeur relaya sa colère naissante.

    — Elle est allée trop loin. Elle sait pertinemment qu’il ne faut pas toucher à mon bébé. Il me faudra du temps pour digérer.

    — Voilà, les mecs ! dit Joey au même moment, en déposant les bières.

    Je continuai à observer attentivement Sami. Son bébé était une Mustang V8 cabriolet. Franchement, elle n’avait rien de spécial à mes yeux. Lui, en revanche, aurait vendu son âme au Diable pour la préserver. Quoi qu’il en soit, l’expression qui traversa quelques secondes son visage indiquait clairement qu’il était tout autant contrarié par la tension entre Ashley et lui.

    — J’arrive ! lança Joey à un client. On se fait une partie de billard dès que mon père prend la relève ?

    — Pourquoi pas ? répondit Matt.

    Tandis que Joey s’éloignait, il se tourna vers moi.

    — Tu joues avec nous ? Il nous faudra un quatrième joueur.

    Quatrième joueur ou pas, je faisais toujours partie du jeu. Malgré moi, il m’avait appris à jouer au billard, même si je préférais de loin le poker. Je me remémorai notre première rencontre au Manoir. Il avait clairement fait comprendre que je n’étais pas la bienvenue dans ces parties.

    — Surtout, ne fais aucune réflexion, prévint-il, devinant mes pensées.

    — Je n’allais pas t’en faire.

    Il resserra son bras autour de ma taille alors que je m’intéressai de nouveau à Sami.

    — Tu es un idiot. Tout ça à cause d’une voiture. Vous étiez cul et chemise tous les deux. Et franchement, cela vous rend aussi malheureux l’un que l’autre. Pourquoi tu n’acceptes pas ses excuses ?

    Il finit de boire sa gorgée de bière.

    — Moi, malheureux ? C’est vrai que ça m’emmerde. Mais malheureux, non. J’en ai marre de son caractère de chien. Un ours grognon suffit largement.

    L’attention de Sami dévia une seconde sur Matt, l’ours grognon. Il continua :

    — Tu ne peux même pas rire avec elle. Il faut constamment faire attention à ce que tu dis pour pas l’énerver ou la vexer. Ça devient gonflant à la fin. Cela dit, elle ne m’a pas l’air d’être si mal.

    — Bien sûr qu’elle l’est. Pourquoi crois-tu qu’elle sorte de la pièce à chaque fois que tu y es ? Elle ne supporte pas que tu l’ignores. Et… possible qu’elle t’ait vraiment marqué. Elle est peut-être jalouse que tu sortes avec d’autres filles.

    Subitement, il éclata de rire en se retenant les côtes.

    — T’es tombée sur la tête, Sarah ! Nous parlons d’Ashley. La seule chose qui l’inté­resse chez moi est de me mener la vie dure.

    — Ne rigole pas trop. Elle n’a pas tort. Ça expliquerait sa réaction excessive avec ta voiture. Les filles jalouses ont un comportement très impulsif, lança Matt en me jetant un coup d’œil amusé.

    — Absolument, confirmai-je, lui tapotant le bout du nez avec l’index. Alors, attention !

    — Arrêtez vos conneries. Vous avez pété les plombs, rétorqua l’intéressé.

    Matt se détourna vers lui.

    — C’est toi qui es aveugle.

    Avec le ton que Matt employait, je devinai que je n’étais pas la seule à être convaincue de cette attirance.

    — Et toi ? enchaîna-t-il en fixant Sami.

    — Moi, quoi ?

    — Tu en pinces pour Ash ?

    Sami tressaillit, les yeux ronds.

    — Tu dérailles ! Bien sûr que non !

    Matt sonda son regard sans mot dire. Sami plissa les yeux et comprit ce qu’il s’apprê­tait à faire. Son visage se rembrunit subitement.

    — Écoute, mon pote. Reste loin de mes pensées. Je n’en pince pas pour Ashley. Point final !

    Matt leva les sourcils d’un air taquin.

    — Je n’étais pas en train de le faire.

    — C’est cool alors, répliqua Sami en finissant sa bière d’un trait. Je vais voir si Joey est libre pour le billard.

    — Ouais ! Fais donc ça.

    Sami s’éloigna à pas pressés. Matt le suivit du regard en étrécissant les yeux. D’une main, je lui pris le menton et le forçai à tourner son visage vers moi.

    — Non ! Non ! Tu le laisses tranquille. Arrête de faire ta fouine.

    — Mais ce voyou me cache des choses, plaida-t-il, curieux.

    — S’il veut t’en parler, il te le dira. Occupe-toi plutôt de mes lèvres, elles commencent à me chatouiller.

    Une expression approbatrice relaya sa curiosité malsaine.

    — À vos ordres, madame.

    Planquant sa main sur mon dos, il m’attira à lui. D’abord, il me mordilla la lèvre inférieure avec délicatesse. Glissant ma main sous son pull, je lui caressai le ventre, je sentis ses muscles se contracter. Il sourit contre ma bouche.

    « Tes lèvres vont mieux ? »

    Je secouai la tête en guise de réponse. Étant dans un coin réservé, nous étions seuls. Ainsi par sa volonté mentale, il nous plongea dans le noir, éteignant les lumières au-dessus de nos têtes. Serrant son étreinte, il m’embrassa tout d’abord doucement, me caressant de ses lèvres. Un bras autour du cou, je l’attirai davantage. Alors son baiser devint frénétique avant de s’ouvrir à moi. Je savourai son goût frais et mentholé, mêlé à l’amertume de la bière ; il enfouit ses doigts dans mes cheveux. Prisonnière de cette sensation électrique, je me laissai emporter par la chaleur de son corps, qui se propageait en moi jusqu’au bout de mes doigts. Après ce moment de plaisir, la lumière revint. Il m’embrassa sur le front avant d’enfouir mon visage dans le creux de son cou. Alors que je reprenais mon souffle, sa main me caressa tendrement le dos.

    « J’aimerais rester ainsi pour toujours. 

    — Pour l’éternité. »

    Je me redressai pour le regarder. Je ne détectai que de la sincérité dans ses yeux envoûtants. J’y lisais tellement d’émotions ! Nous ne nous étions pas encore dit les trois petits mots qui définissaient nos sentiments. Même si réellement nulle parole n’était assez lourde de sens pour définir ce que je ressentais. Bien que m’étant demandé comment j’étais tombée aussi facilement dans ce piège, j’étais éperdument amoureuse de lui. Me concernant, j’attendais le bon moment pour lui dire que je l’aimais. En toute honnêteté, je craignais de lui dévoiler mes sentiments, de lui ouvrir entièrement mon cœur. Cette réticence était idiote. Quant à Matt, il n’était vraiment pas du genre à les exprimer. Son orgueil et sa fierté atteignaient parfois des sommets intolérables. Mais entre nous, c’était différent. Il manifestait son attachement et sa tendresse tous les jours par ses attentions, ses sourires, ses caresses… même sa mauvaise humeur reflétait à l’occasion son affection.

    En tout cas, j’avais un autre moyen pour connaître l’intensité de son ressenti. J’étais dotée d’une seconde vue. Premièrement, je voyais les choses, les êtres vivants et tout ce qui constituait la nature sous forme d’énergie. Deuxièmement, je lisais l’âme de chaque individu. Oh ! Je n’étais pas télépathe comme Matt. Je n’avais pas la chance d’entendre les pensées, cependant mon pouvoir opérait plus profondément. Je percevais et ressentais les émotions d’autrui, et pouvais partager les miennes, d’une certaine manière. Mon corps extériorisait ce que je ressentais, de même que mes humeurs, par un champ électromagnétique. Je pouvais toujours faire cet échange émotionnel avec Matt. Si son bouclier mental empêchait toute intrusion psychique, il me permettait malgré tout d’apercevoir cette part de son être pendant des moments comme celui-ci.

    Lui souriant, je déposai un baiser sur chaque paupière, qu’il ferma à mon approche.

    « Je t’interdis de me quitter. Tu m’entends ? »

    Ouvrant les yeux, il m’accorda un sourire malicieux. Il écarta mes cheveux du visage pour plonger au fond de mes iris.

    « Tu es un peu mal barrée. Que tu le veuilles ou non, tu vas m’avoir sur le dos pour un moment. La mort seulement m’éloignera de toi. »

    Mon cœur loupa un battement.

    — Ne me dis plus jamais ça, suffoquai-je, subitement alarmée.

    — Quoi ?

    — Ne me parle plus de ta mort.

    — C’est la vérité…

    L’interrompant, je lui pris le visage avec des mains tremblantes.

    — S’il te plaît. Ne répète plus jamais ces mots, même pour plaisanter.

    Je le suppliai d’un regard aussi empreint de terreur que le ton de ma voix. Son visage devint sérieux, il me retira les mains, les emprisonnant au cœur des siennes.

    — D’accord, nous ne parlerons plus de la mort. Calme-toi.

    Je m’écrasai contre lui. Tel un étau, il m’étreignit fermement et une main réconfortante me caressa le dos. Je fermai les yeux en posant une joue sur son épaule.

    Par le passé, je n’avais aucune crainte de la mort. Elle faisait partie de la vie. C’était le terminus logique d’une existence. Une fin que toute personne allait connaître à un moment donné, que j’acceptais. À présent, j’étais terrorisée par ce dernier souffle, celui de Matt. Au point d’en devenir égoïste, je priais pour connaître cette fin avant lui. Le simple fait d’y penser m’arrachait le cœur.

    — Hé ! Les tourtereaux ! héla Sami. On la fait cette partie ou vous continuez à vous faire des câlins ?

    — On arrive, dit Matt, sans cesser pour autant de me cajoler.

    2. Jeux de mains, jeux de vilains

    Me serrant contre lui, Matt se dirigea de l’autre côté du bar où se trouvait l’escalier qui menait aux tables de billard. Le club était désormais bondé, indiquant la fin de la journée. Saluant nos connaissances d’un hochement de tête, nous traversâmes la foule sans nous arrêter. Après avoir gravi les marches en colimaçon, nous débouchâmes dans la salle de jeu. Quelques tables de billard étaient alignées entre les tables de poker et leurs banquettes. Je souris lorsque je vis Sami en pleine session de drague. Penché sur le décolleté d’une minette, il semblait déjà avoir oublié les deux poupées Barbie. Il ne s’aperçut pas de notre approche et Matt attira son attention d’une tape amicale dans le dos. Comme d’habitude, il ne mesurait pas sa force. Tout à coup, Sami nous jeta un regard plein de douleur par-dessus son épaule, en toussotant.

    — Tu viens de me déplacer les vertèbres, ronchonna-t-il, reprenant contenance devant les filles.

    Les bêtises de Sami faisaient rire, la bonne humeur de Matt provoquait des bleus.

    — Ou je te les ai remises en place. Ramène-toi, espère de pervers.

    Pendant que nous approchions de notre table, Joey plaçait les boules en secouant la tête tandis que j’entendais Sami promettre un retour rapide.

    — Ce mec ne perd pas le nord.

    — Que veux-tu ? Il a vraiment les crocs, répliqua Matt, me tendant une canne de billard.

    Sami nous rejoignit, balayant la pièce des yeux, comme un prédateur en chasse.

    — J’ai la tête qui tourne en voyant toutes ces filles. Vivement l’été et leurs petits Bikini.

    Tandis que Joey éclatait de rire et que celles qui l’avaient entendu gloussaient comme des poules, Matt secoua la tête en soupirant, consterné.

    — Oh, le puceau ! Arrête de t’agiter dans ton pantalon. Tu fatigues !

    — Sois pas jaloux, blondinet ! s’esclaffa Sami, lui faisant un clin d’œil. Je sais que c’est frustrant de ne plus être dans le circuit. Mais je suis un bon pote, tu peux prendre mes restes, si notre petite Sarah te donne le feu vert.

    Pardon ? Feu vert ? Il venait carrément de passer au rouge. Et mon regard au noir, le démon de la jalousie pointant son nez. Voyant mon expression, Sami éclata d’un rire sonore, presque aux larmes.

    — Oups ! Je ne t’avais pas vue.

    — Crétin, tu vas bouffer tes restes sur le carrelage ! grinçai-je entre mes dents.

    Matt enroula un bras autour de mon cou pour me retenir, me plaquant le dos contre son torse.

    — Tu cherches à te faire griller, ma parole ! Tais-toi et viens savourer ta défaite.

    Matt lui balança une canne. Me snobant, le crétin claqua un baiser de loin, titillant ma révolte. Matt m’embrassa sur la tempe, me faisant oublier rapidement la seconde précédente. Naturellement, je faisais équipe avec Matt. Je feignais d’être à l’aise avec tous ces regards braqués sur nous, surtout ceux des filles en chasse qui observaient notre table sans vergogne. Des signaux approbateurs à l’invitation éhontée de notre crétin. Ouais, elles avaient hâte d’être son casse-croûte en petit Bikini ! Soit ! Comment faisait-on pour être aussi détendu quand on vous dévisageait ainsi ? Matt se tourna vers moi et agita son index, m’intimant d’approcher. Contournant la table, je lui fis face. Il me prit par la taille et me souleva aussi facilement qu’une plume. Il me déposa sur le bord du billard en s’avançant, j’écartais mes genoux pour l’accueillir.

    — Laisse-les regarder, tant qu’ils ne touchent pas.

    — Encore heureux !

    — Je ne parle pas des prédatrices.

    Il promena un regard aiguisé autour de nous. C’est alors que je me rendis compte du groupe qui jouait à la table voisine. Les garçons adoptaient un comportement identique à celui des prédatrices en question.

    — Je réussis à me maîtriser. Tu peux ignorer ces regards, ajouta-t-il, sur un ton sombre néanmoins.

    — Quels regards ? répliquai-je, enfin détendue. Je ne vois que celui d’une grosse brute possessive.

    — Bonne réponse.

    Son visage se réchauffa d’une expression de défi, mêlé à de la complicité.

    — Parlons sérieusement, partenaire. N’oublie pas que la brute déteste perdre.

    — Qu’avez-vous parié ? demandai-je, retirant ses mèches blondes du front.

    — Une bouteille de whisky.

    — Quel pari ? Je croyais que tu n’aimais pas le whisky.

    — Le principal est de gagner. Pas le gain.

    — Si je comprends bien, j’ai intérêt à jouer correctement pour que monsieur remporte une bouteille dont il ne boira pas une goutte.

    — Tout à fait !

    Je levai les yeux au ciel, il me donna un dernier baiser avant de commencer la partie.

    Trois parties de billard plus tard, je me retirai du jeu. Remplacée par une connaissance, je les observai, adossée à un poteau à quelques pas de leur table. Matt et le nouveau venu battaient à plate couture Sami et Joey. J’étouffai un rire en voyant l’expression qu’affichait Sami. Le charmeur avait disparu. D’ailleurs, le groupe de prédatrices s’était lassé de son ignorance et les filles s’étaient rabattues sur les joueurs de poker.

    — Tu te sens seule ? Un peu de compagnie ?

    Une voix masculine s’élevait dans mon dos. Je sentais sa proximité, mais je croyais que ce gars de la table voisine s’adressait à une autre. Pourtant, mon instinct me fit redresser les épaules.

    — Hey, ne sois pas timide !

    Cette fois-ci, je sus qu’il me parlait. Non seulement sa voix se rapprochait, mais une silhouette se découpa dans mon champ visuel, sur ma gauche. Je répondis en tournant légèrement la tête, refusant poliment son offre.

    — Non, merci, je suis accompagnée.

    — Tu préfères discuter avec le poteau ? me railla-t-il.

    Je préférais qu’il me foute la paix avant que Matt ne le remarque ! Heureusement, il était absorbé par le jeu. Mais je guettais ses moindres faits et gestes. Il n’apprécierait sûrement pas qu’un inconnu tourne autour de sa copine, sous son nez. Je rétorquai :

    — Tu vas faire connaissance avec ce poteau, si tu ne t’éloignes pas rapidement.

    Le garçon éclata de rire.

    — Tout compte fait, tu n’es pas si timide. Allez, ma jolie, viens boire un verre avec moi.

    Il posa une main curieusement froide sur mon épaule. Mais… « Ma jolie ? » Brusquement, je tournai la tête dans sa direction, oubliant complètement Matt. Je m’apprêtai à lui cracher mon agacement quand nos regards se croisèrent. J’ouvris la bouche, mais l’événement qui suivit me faucha les mots. Soudain, je le vis se raidir, ses pupilles se dilatèrent et ses iris verts disparurent. Ses yeux n’étaient plus qu’un puits sombre. Un son s’étrangla dans ma gorge, nous écarquillâmes les yeux simultanément. L’instant d’après, une brise glaciale balaya la pièce et me fit perdre mon équilibre. Brusquement, le corps du garçon fut projeté au fond de la salle par une force invisible.

    Oh ! Malheur ! J’ai essayé de le prévenir !

    Un silence pesant s’abattit sur la salle. Je n’entendais qu’un fond de musique, alors que l’atmosphère s’alourdissait de menaces. Ce pauvre gars n’avait pas fait la connaissance du poteau, mais d’une table de poker, où il était cloué par le pouvoir psychique de Matt, après que ses occupants en avaient été chassés. Les mains dans les poches, Matt envahissait mon champ de vision, dressé devant la table avec un air aussi détendu que les spectateurs. Or, à la contraction de ses épaules, je compris qu’un ouragan se préparait. Un état de tension extrême qui relevait sa carrure, donnant l’impression qu’il faisait un mètre de plus. Ce qui venait de se produire avec l’inconnu m’échappait totalement. En revanche, une chose était absolument certaine : il avait méchamment froissé les nerfs de Matt. Il n’utilisait jamais sa télékinésie en public. L’assemblée observait la scène, les regards partagés entre surprise et inquiétude. Au bout de quelques minutes, mon remplaçant de jeu se risqua à briser ce silence insoutenable, s’avançant à pas réticents, tandis que Sami se postait à un mètre de Matt. Cependant, le joueur s’arrêta à une distance sûre.

    — Matt, il ne savait pas que c’était ta compagne, dit-il avec une légère anxiété.

    Donc, le garçon cloué à la table était avec lui. Le large dos de Matt me cachait toujours la scène. En revanche, des bruits étranges flottèrent jusqu’à mes oreilles.

    — Tu aurais dû le mettre au parfum, l’accusa Matt, d’un calme suprême.

    Généralement, ce calme ne prévoyait rien de bon. Vraiment pas. Il était très dangereux chez Matt.

    — Oui… J’aurais dû… Il est nouveau dans le coin, bredouilla le joueur.

    Je n’avais pas compris la cause du changement dans sa voix, de l’expression angoissée qui s’épinglait sur ses traits. Finalement, un éclair traversa mon esprit et je saisis la nature des bruits. C’étaient des étouffements. L’inconnu respirait difficilement et c’était Matt le responsable. Il l’empêchait de respirer. Était-il capable d’une telle chose par sa seule volonté mentale ? À cet instant, décontracté en apparence, Sami s’approcha de Matt.

    — Mec, laisse tomber, tenta-t-il de le raisonner. J’ai une revanche à prendre.

    Il lui posa une main sur l’épaule. Comme s’il avait reçu une décharge, il la retira illico, le plus discrètement possible. Une autre vague de colère m’atteignit tandis que les bruits devinrent plus prononcés. La température sembla chuter subitement, me donnant la chair de poule. La tension était palpable. Il me suffisait de tendre le bras pour sentir le self-control de Matt s’effriter. Quand sa rage le submergeait, il devenait une menace pour tout le monde. Lentement, des murmures intrigués et agités commencèrent à s’élever dans la foule. Matt demeura imperturbable, nullement inquiété par le garçon qui s’étouffait à cause de lui ni par les questions que se posaient les personnes autour de nous. Il était temps que je lui fasse entendre raison. Du moins, j’allais essayer.

    « Matt, lâche-le. Tout le monde nous regarde. »

    Sans la moindre surprise, je n’eus aucune réponse.

    « Matt ? Ne fais pas la sourde oreille, je sais que tu m’entends. »

    J’attendis un bref moment. Aucune manifestation. Changeant de stratégie, je m’avançai vers lui en soupirant. D’un hochement imperceptible, Sami me conseilla de m’arrêter. Mais je n’en fis rien. Je continuai à avancer lentement et j’arrivai à côté de Matt. Inclinant la tête, je levai les yeux, passant une main sous son bras.

    — Matt ?

    Je pensai qu’à haute voix, il s’obligerait à me répondre. Non ! Mais son corps réagit de son propre chef, reflétant son humeur. Le visage déformé par la colère, je vis sa mâchoire se crisper un peu plus. Son œil droit clignait de manière compulsive. Bon sang ! Ses tendons du cou étaient à deux doigts de rompre. Sa jugulaire allait éclater. Oh, oui ! Il était furax !

    « Du calme, la brute. Tu vas te provoquer une attaque cérébrale. »

    Silence radio. Le son taquin de mes pensées n’eut pas le moindre effet.

    « Tu te conduis comme un vrai gamin. Arrête ! »

    Je fus prise au dépourvu par un grognement furieux qui voyagea à travers le lien invisible unissant nos esprits. Il ne trouvait rien de mieux pour manifester son désaccord. La situation s’aggravait dangereusement. J’allais devoir employer les grands moyens, même si cela me valait une belle dispute, ou une explosion nucléaire. Retirant ma main, je me plantai devant lui, levant le menton d’une manière provocatrice. Il fronça tellement les sourcils qu’ils ne formèrent plus qu’un trait.

    « Sarah, tu as deux secondes pour t’éloigner ! 

    — Ou quoi ? Tu vas me broyer les côtes comme tu t’apprêtes à le faire avec ce gars ? »

    Brusquement, il m’accorda son attention avec un regard indigné. Me raidissant, j’ancrai mes pieds au sol pour empêcher mes jambes de partir en courant.

    « Il a osé te toucher, bordel ! »

    L’espace d’une seconde, je le dévisageai, sidérée par son excuse.

    « T’es ridicule. Il ne m’a fait aucun mal. »

    Finalement, sa mâchoire se dévissa pour répliquer. Non, pour grogner. Je posai ma main sur sa joue et l’interrompit d’un pouce sur ses lèvres. Ni vu. Ni connu. Quand bien même, il m’aspergea d’une pensée rageuse, hurlant désormais dans ma tête.

    « Il n’est pas humain. Tu comprends ça ? »

    Mon sang se glaça dans mes veines. Je sentis mon visage se décomposer. Cela expliquait certaines choses.

    « D’accord… Si Patrick accepte sa présence dans son club, il n’est pas dangereux. 

    — Il… 

    — Tu m’expliqueras plus tard. Tout le monde nous regarde. La situation devient trop étrange pour eux. Relâche ton emprise, s’il te plaît. »

    J’enchaînai à haute voix pour étaler une excuse de dernière minute.

    — Il m’a confondu avec quelqu’un d’autre. Ce n’est qu’un malentendu.

    Impatiente, je fixai cette grenade dégoupillée avec un sourire crispé. Quelques secondes s’écoulèrent avant qu’il ne lève lentement les yeux. Une lueur meurtrière rendait ses iris bleus plus froids que la mort.

    — Toi, je te garde à l’œil. La prochaine fois, je ne serai pas aussi aimable, le prévint-il, la menace à peine voilée.

    Aimable ? Nom d’un chien ! Il avait bien failli le tuer ! Toujours est-il que je fus soulagée de constater que les cordes vocales de Matt émettaient des sons humains, non des grognements sauvages. Ensuite, j’entendis le grincement de la table et une inspiration profonde dans mon dos. Enfin, il le libéra. Je voulus me retourner pour m’assurer que le jeune homme allait bien. Mais vu la situation, je n’allais pas mettre de l’huile sur le feu, au cas où un autre dérapage surviendrait. Là, Matt exploserait littéralement, une perte de contrôle avec de lourdes conséquences. Cet inconnu – ou moi – risquerait de traverser le mur vitré et d’atterrir sur la piste de la boîte de nuit, plusieurs mètres plus bas, avec de multiples fractures à l’atterrissage. J’eus un mouvement de surprise lorsque Matt me prit le menton d’une main. Il m’observait avec un regard adouci.

    — Je vais te montrer comment foutre une raclée à Sami.

    Alors, il se pencha, posant ses lèvres agacées sur mon front.

    — Sami n’est pas dur à battre. C’est toi que je veux vaincre, m’amusai-je, tentant de le calmer davantage.

    Il semblait complètement détendu, j’avais obtenu un bon résultat. Un sourire en coin ourla ses lèvres et il me passa un bras protecteur sur les épaules. Il m’attira contre lui et nous dirigea à la table de billard.

    — Sami, t’entends ce qu’elle vient de dire ?

    Tout le monde semblait relâcher son souffle, distinguant son ton rieur.

    — Ouais, c’est ça ! Je te laisse gagner parce que je le veux bien. Maintenant, je n’aurai plus de pitié, m’annonça-t-il avec un clin d’œil.

    L’activité de la pièce reprit. Sami et Joey continuèrent à jouer sans Matt. Il se tenait debout derrière moi, m’encerclant de ses bras en silence, comme à l’affût du moindre danger. Pourtant, mon remplaçant et son ami avaient disparu avant la reprise du jeu. Un long moment passa avant que je sente la tension quitter définitivement son corps. Je voulais savoir ce qui venait de se passer, mais ce n’était pas l’endroit ni le moment. Pas maintenant qu’il s’était calmé. Ces derniers jours, il avait les nerfs à vif, le sommeil perturbé et un réveil trop matinal. À chaque fois que je le questionnais, la réponse était la même : « Je vais bien. » Je devais avouer que je n’avais pas insisté. Mais à présent, il était clair que quelque chose le tourmentait. Moins d’une heure plus tard, nous quittâmes le Dream’s. Les journées étaient plus courtes en hiver, dehors il faisait déjà nuit. Sur Trenton Road, Matt ne décrocha pas un mot, absorbé par ses ruminations. Quittant la nationale, nous empruntâmes la route principale qui traversait la forêt Wharton. Après une intersection, deux virages et une route étroite, nous roulâmes sur le chemin privé qui menait au Manoir. Je rivai mon attention à l’extérieur, le regard perdu dans l’obscurité des bois. Les arbres se préparaient à une autre nuit, étirant leurs branches dans un dernier soupir, assommés par le sommeil. Quand j’obser­vais cette nature, je me souvenais à peine que les Ténèbres maléfiques se cachaient dans ce cadre, si paisible en apparence. La lumière du jour était censée nous offrir un moment de répit.

    — Matt ?

    — Oui.

    Je pivotai mon corps dans sa direction.

    — C’était un démon, n’est-ce pas ?

    Il me jeta un bref regard. En un clin d’œil, son visage se durcit.

    — Tâche de rester zen, ajoutai-je sur un ton qui appelait la plaisanterie, lui posant une main sur la cuisse. Tu conduis. Il serait fâcheux de finir cette journée dans un arbre.

    Un semblant de sourire frémit sur ses lèvres.

    — En effet.

    Une main lâcha le volant et il enlaça nos doigts, gardant la mienne sur sa cuisse.

    — Apparemment, j’ai raison, l’encourageai-je à répondre à ma question.

    — Oui, c’est un démon.

    — Je croyais que les démons étaient les méchants dans l’histoire. Je suis étonnée d’en voir chez Patrick.

    — Il existe des clans pacifistes. Si tu préfères, des civils inoffensifs. En tout cas, le Dream’s est protégé par la magie. Ce mec n’était pas Ténèbres. Beaucoup, comme lui, fréquentent le club. Tant qu’ils respectent les lois, nous les laissons tranquilles.

    Un rire m’échappa en arquant les sourcils.

    — Parce que ce malheureux a enfreint une loi ?

    Tout à coup, la voiture ralentit et Matt me regarda avec des yeux animés de rage.

    — Il n’a enfreint aucune loi de l’accord instauré avec ce genre de démon, mais il a enfreint mes lois !

    J’étais médusée et mes yeux s’agrandirent subitement.

    — Il a seulement voulu m’offrir à boire. J’allais refuser avant que tu n’interviennes.

    — Rectification : il avait l’intention de te boire.

    — Euh… Comment ça ?

    S’obligeant au calme, il inspira, expira, à deux reprises, avant de m’expliquer.

    — Cet enfoiré est un Liz, un sang-mêlé issu d’un métissage entre Lilith et humain. Tu te rappelles ce que je t’ai raconté sur cette espèce ?

    Démon et humain ? Une hybridation entre deux races distinctes, beaucoup trop différentes, était donc possible. Voilà une nouvelle ahurissante ! Surprise, confuse, je hochai la tête.

    — Les Lilus et Lilith se nourrissent d’émotions humaines, murmurai-je comme un automate.

    — Tu ne peux pas imaginer l’emprise qu’ils peuvent avoir sur un individu. Ce type ne possède pas la moitié de leur pouvoir. Mais il a provoqué ton état émotionnel et il s’apprêtait à se nourrir de « Toi ». Selon mes lois, cet acte vaut la peine de mort.

    Bouche bée, je méditai ces paroles, me remémorant cette rencontre, avant la « mise à mort », bien évidemment. Je n’avais pas compris sa réaction quand il avait croisé mon regard. C’était donc ça ? Il aurait agi volontairement pour me déposséder de ma réponse émotionnelle. Cette hypothèse était cohérente. Mais le doute subsistait néanmoins, l’expression qu’il avait affichée lors de cet échange me laissait perplexe.

    — C’est de l’histoire ancienne. N’en parlons plus, dit Matt, m’arrachant de mes pensées.

    Je clignai des yeux, puis je le fixai avec un air inquiet avant d’ajouter :

    — Tu l’aurais vraiment tué ?

    Il garda le silence quelques secondes. Cela me suffit comme réponse et mon rythme cardiaque s’accéléra.

    — Matt ! Tu n’es pas un meurtrier !

    — Je suis un chasseur de démons. Je tue tous les jours.

    — Matt, tu sais très bien où je veux en venir.

    Il dressa des sourcils blessés.

    — Il n’est pas mort, que je sache.

    — Quand même…

    Le bruit d’un klaxon couvrit ma phrase. La lumière aveuglante de phares illumina l’intérieur de la BMW. Aussitôt après, la Mustang de Sami nous doubla à une allure effrénée.

    — En voilà un qui est pressé de rentrer, marmonna Matt, feignant l’amusement.

    — Mmm !

    Deux minutes plus tard, la voiture franchit la porte du garage. Sami attendait notre arrivée, appuyé sur le coffre de sa voiture.

    — Vous en avez mis du temps ! Ton bolide commence à se faire vieux.

    — Si tu le dis…, lança Matt, avant de lever sa vitre.

    Il gara la voiture près de la sienne.

    — Soirée pizza encore une fois, commenta Sami quand je sortis. Marc n’est pas encore rentré.

    Il manquait un quatre-quatre, mais la place habituelle de la Mini Cooper d’Ashley était vide également. Ne sachant pas où elle était, Marc avait mentionné un éventuel déplacement au petit déjeuner. Membre du Conseil des Gardiens, il était souvent sollicité pour divers problèmes d’organisation et de discipline dans les autres instituts. Autrefois, il ne se déplaçait pas à cause d’un genou blessé, qui lui infligeait de pénibles douleurs. Catharina s’occupait des interventions à longue distance. À présent, ce n’était plus le cas. Dotée d’un toucher guérisseur, j’avais proposé à Marc de voir si mon aptitude pouvait agir sur une ancienne blessure. Effectivement, cela eut un résultat positif. Jour après jour, la douleur diminua jusqu’à ce qu’il récupère une totale motricité dans cette région articulaire. Désormais, il ne boitait plus et était devenu mon partenaire de jogging, faisant le bonheur de Matt qui n’était plus obligé de se lever aux aurores pour m’accompagner.

    — Tant que ce n’est pas toi qui cuisines, dit Matt en tirant sur ma queue de cheval.

    D’une main sur la nuque, il m’amena vers la porte qui menait au Manoir.

    — Te réjouis pas trop vite. Ce soir, c’est Chris qui est aux fourneaux, laissa tomber Sami avec une déception manifeste.

    — Grrr… J’ suis d’accord pour la pizza, grimaça Matt.

    Au même moment, je sentis la poche de ma veste vibrer. Mon portable. En l’extir­pant, je souris en voyant le visage de Liam affiché avec son sourire de traviole. En décrochant, je me libérai de la main de Matt.

    — Je vais tuer quelqu’un avant la fin de la journée ! hurla-t-il, me faisant écarter le portable de l’oreille.

    — Mais qu’est-ce que vous avez tous à vouloir verser du sang aujourd’hui ? répliquai-je, levant les yeux au ciel.

    Matt intercepta mon regard avec un air malicieux.

    — C’est une histoire de mecs. Tu ne peux pas comprendre.

    — T’es un mec moralement instable, répliquai-je à Matt.

    — Quoi ? m’interpella Liam, intrigué.

    En riant, Matt s’éloigna avec Sami tandis que je me concentrais sur mon ami.

    — Laisse tomber… Alors, que se passe-t-il ?

    — Je sais que le client est roi, mais là, ils veulent que je me jette sous un train.

    — Je n’ai pas réussi à te pousser au suicide. Tu peux tout supporter.

    — C’est ce que je croyais aussi. Mais je te jure, aujourd’hui, j’ai eu affaire à une personne pire que toi, me confia-t-il avec un rire, relâchant la pression.

    C’était mon meilleur ami, celui qui me rattachait à mon ancienne vie en France. Liam faisait partie des humains dans le secret. Sa présence m’était indispensable, autant que celle de Matt. À ma plus grande joie, il s’était installé à Hammonton en septembre. En moins de deux jours, il avait trouvé un appartement, une voiture, grâce à des amis d’enfance. Le plus surprenant, c’était qu’il lui avait suffi d’un coup de fil pour se dénicher une place de responsable des ventes dans la plus importante boutique de matériel hi-fi et multimédia du comté.

    — Tu savais à quoi t’attendre en acceptant un poste avec autant de responsabilités.

    — Franchement ? Non ! Mais maintenant que j’y suis, je dois assurer.

    — Tu as besoin de décompresser. Passe au Manoir.

    Malheureuse, je ne le voyais pas autant que je le désirais.

    — Pas ce soir. J’en ai encore pour un long moment. Je dois appeler les fournisseurs… Bon sang, j’ai déjà la migraine. Tu pourrais venir, toi. Je suis prêt à supporter ton mec quelques heures.

    — Peut-être demain. Mon mec doit se reposer aussi.

    Soucieuse, je regardai Matt progresser dans le couloir, l’oreille tendue vers moi.

    — Oh ! C’est quoi cette petite voix ?

    — Ma voix n’a rien.

    — Qu’est-ce que je déteste quand tu me mens ! s’exclama Liam, absorbant mon inquiétude.

    — Ne t’en fais pas. Juste une rencontre inattendue.

    Quelques secondes, Liam demeura silencieux.

    — Tu as eu un souci ?

    À cet instant, Matt s’arrêta devant le bureau de Marc et me jeta un regard fermé par-dessus son épaule.

    — Pas du tout. Mon ange gardien me protège.

    — D’accord… j’ai compris.

    Je sentis son soulagement à l’autre bout de la ligne et il ajouta :

    — Tu me raconteras.

    — Entendu… Essaie de ne pas te faire tabasser par une mémé.

    — Ouais, je vais essayer… Prends soin de toi, p’tit génie.

    — Toi aussi. À bientôt, le tordu.

    3. Retour au bercail

    À notre arrivée dans la cuisine, Sally nous accueillit avec sa cuillère en bois.

    — Bande de sales mioches ! J’ai été pourtant claire en ce qui concerne la ponctualité. Aucun retard n’est toléré lors des repas ! s’exclama-t-elle en brandissant son arme.

    Nous nous figeâmes comme un seul homme et la dévisageâmes avec étonnement. Sally s’était absentée deux semaines pour rendre visite à son fils à Camden et elle était censée revenir la semaine prochaine. Sans ses réprimandes, le Manoir était beaucoup trop calme et une anarchie absolue s’était installée une heure après son départ. Elle nous avait énormément manqué, ainsi que ses divins repas. Notre silence l’irrita et elle nous gratifia de son regard qui tue.

    — Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?

    Sami fut le premier à réagir. Je le vis sursauter et sa tête convergea vers la table, son attention instinctivement attirée par les feuilletés au poulet près de la salade.

    — Un dîner ? Un vrai dîner ?

    La seconde d’après, l’estomac de Sami se jeta au cou de Sally.

    — Merci, mon Dieu ! Que je suis heureux de te voir ! J’étais à deux doigts de mourir de faim. Plus jamais je ne te laisserai partir ! Jamais !

    Incroyable ! Sami parlait avec son cœur, la voix chargée de larmes. Il était incontestablement le plus affecté d’entre nous par l’absence de Sally. Matt et moi éclatâmes de rire. Écrasée dans ses bras, Sally se paralysa de stupeur et son irritation tomba face à cet élan de tendresse. Un bref instant, car elle se ressaisit après que nous ayons eu le temps d’apercevoir un brin de sourire effleurer ses lèvres, un sourire ressemblant à une grimace. Et elle réagit comme à son habitude.

    — Lâche-moi, vaurien, protesta-t-elle en lui assénant des coups de cuillère sur la tête.

    Sami se retira en se protégeant de ses avant-bras.

    — Aïe ! Ça fait mal. Tu ne vois pas que j’ai que la

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