Le ticket de métro
Tout est arrivé ce fameux soir où, juste avant la fermeture, Théo s’était précipité chez son libraire pour acheter un recueil de poésie. Cela lui arrivait de plus en plus souvent : il lui fallait posséder, dans l’instant et uniquement pour lui, un coin de paradis dans sa chambre sous les toits. Un livre d’occasion, les seuls qu’il pouvait s’offrir, il rentrait chez lui, boucles blondes au vent, son nouveau bouquet de mots tendrement sous le bras. Déjà, il sentait une chaleur, une joie, la certitude de détenir un trésor.
Ce besoin, pour être précis, il l’éprouvait chaque fois qu’un poids s’installait au fond de lui. Un poids, qui l’opprimait dès que la salle du petit théâtre résonnait d’éclats de rire. Qui aurait pu s’en douter, alors qu’il était là pour divertir le public ? Rien de plus amusant que d’amuser ! Pourtant, sous son costume de scène, Théo étouffait – comme si les spectateurs avalaient l’air de la pièce. Les soirs de spectacle, Théo rêvait de respirer, à plein cœur, un livre de poésie au bord de sa fenêtre. Au lieu de cela, incapable de renoncer, il remontait sur le plateau, déclenchait immédiatement un déferlement de gaieté et son désir d’air enflait, enflait… jusqu’à le faire échouer une fois de plus, à bout de souffle, devant les rayonnages de la librairie.
Et pourtant. Rien ne le contraignait. Son travail n’était pas une question d’argent. Le cachet à la recette ne le sortirait pas de sa fragile condition financière et sa poignée de billets gagnés partait surtout en livres. Qu’importe ! Jamais il ne serait fortuné, il n’était pas doué pour ça. Mais tant qu’il pouvait se nourrir – merci à la vieille amie de ses parents qui lui prêtait un toit –, ses exigences étaient satisfaites : à vingt-cinq ans, on est immortel. Que demander de plus ?
Le clown. Son double et son pire ennemi. Sans s’en rendre compte, cet intrus s’était progressivement immiscé dans sa personnalité, jusqu’à ne former avec
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