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Espoir: Saga fantastique
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Livre électronique1 410 pages21 heures

Espoir: Saga fantastique

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À propos de ce livre électronique

Désormais sûre de son amour et de sa puissance, Sarah est prête à faire renaître l'espoir...

Sarah a commencé à appréhender l’étendue de ses pouvoirs, et en même temps, elle a rencontré un amour unique auprès de Matt. Dans ce troisième tome de la saga du Monde des Aveugles, le jeune couple va devoir affronter bien des tempêtes, mettant à l’épreuve ce lien qui semblait indestructible. Leurs aventures se poursuivent, au Manoir mais aussi en France, de Paris aux calanques marseillaises, avec moult combats et rebondissements contre des créatures de plus en plus démoniaques.

Découvrez le troisième tome de cette incroyable saga fantastique !

EXTRAIT

À quoi tu t’attendais, bon sang ? Que Sarah lui sauterait au cou, folle de joie ? Qu’elle hurlerait haut et fort « oui » ? Au fond de lui, c’était ce qu’il espérait. Mais cette fille n’était pas comme les autres. Elle était le type de personne qui tenait particulièrement à son indépendance. Elle était peut-être contre l’idée du mariage. C’était précipité. Ils étaient jeunes...
Il n’avait pas vraiment réfléchi à tout ça ni à un éventuel refus... Pourquoi refuserait-elle ? Elle m’appartient, hurla son ego, vraiment furieux à présent. Matt expira bruyamment, tentant d’épurer son esprit de ces idées confuses et néfastes qui assombrissaient son humeur. Il ne devait surtout pas tirer de conclusions hâtives. Mais une chose était claire désormais : il détestait vraiment les fêtes d’anniversaire.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

À propos du tome 2 :

Ce récit est une véritable pépite qui nous transporte dans un monde magique, fantastique et passionnant. Les aventures de Sarah et son entourage développent notre imagination avec facilité et c’est un jeu d’enfant de les imaginer, de le vivre et les ressentir. - Chroniques livres

À PROPOS DE L'AUTEUR

Fascinée par la lecture dès son plus jeune âge, Imaine Soudani ne tarde pas à s’extérioriser sur la page blanche. C’est lors de sa dernière année d’études en sciences médico-sociales qu’a germé l’idée de ce qui deviendra Le Monde des Aveugles. Au fur et à mesure des expériences et des rencontres, l’histoire s’est étoffée pour donner naissance, en 2014, au tome 1, Charmes.
L’auteur a créé un monde complexe, inquiétant, mystérieux, qui met en scène les valeurs universelles du bien et du mal, s’attachant à démontrer que l’équilibre existe.
LangueFrançais
Date de sortie29 nov. 2017
ISBN9791090635517
Espoir: Saga fantastique

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    Aperçu du livre

    Espoir - Imaine Soudani

    1.png

    Couverture : © Sébastien Decoret / 123RF

    ISBN 979-10-90635-51-7

    © Les éditions Noir au Blanc, novembre 2017

    All rights reserved. Tout droit réservé pour tout pays. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consen­tement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    LE MONDE DES AVEUGLES

    Tome III

    ESPOIR

    Roman fantastique

    Imaine Soudani

    Table des matières

    Un vœu

    1. Pénible héritage

    2. Tradition

    3. Sienne pour toujours

    4. Une danse inoubliable

    5. Obsession

    6. Que le monde est petit !

    7. Vengeance d’une brune

    8. Remettre les compteurs à zéro

    9. Homme de Néandertal

    10. Retour en force

    11. Ami ou ennemi ?

    12. Silence

    13. Sixième sens

    14. Mauvaise herbe familiale

    15. Conséquences

    16. Sauve qui peut !

    17. Les Guerriers de la Paria

    18. Fin du mystère

    19. Effet boomerang !

    20. Envers et contre tout

    21. Œil de Lynx

    22. DarkAngels

    23. Loculos Mortis

    24. Attaque chimique

    25. Dix-neuf ans, âge de raison ou âge de sagesse ?

    26. Claustrophobie

    27. Dame de trèfle

    28. La caverne d’Ali Baba

    29. La volonté du cœur

    30. Guet-apens

    31. Retour à la case départ

    32. « Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas… »

    33. Expérience haute en couleur

    34. Le Royaume des âmes perdues

    35. Anomalias

    36. Larmes de feu

    37. Confessions

    38. Un mal pour un bien…

    39. Un revenant !

    40. Un courant d’air…

    41. Silence

    42. Famille

    Épilogue

    Lexique

    Un vœu

    10 mai : 2e acte

    — Souffle tes bougies…

    D’accord… Et après ? Eh bien… Rien ! Un vent ! Un mégarâteau !

    Un mégacoup de pied dans mon ego, songea Matt, poussant un cri de frustration dans sa tête.

    Sarah venait de sortir de la pièce après avoir posé le gâteau devant lui, sans attendre qu’il s’exécute.

    Gardant les yeux rivés sur l’entrée de la salle, Matt ordonna à son esprit de rembobiner les minutes qui venaient de s’écouler.

    Matt avait partagé un souhait obsédant, très perturbant, qui lui rongeait la raison depuis un moment : une demande en mariage, une chose irréaliste en soi, il l’admettait. Il se demandait quelle mouche avait bien pu le piquer.

    Au début, ce n’était qu’une fête d’anniversaire. Bien que cela ait été une surprise déplaisante, il lui aurait suffi de souffler ces foutues bougies et l’histoire aurait été terminée. Non, il avait fallu qu’il ouvre la bouche pour se ridiculiser en beauté… et en public ! Mais le problème n’était pas là. Si l’ego de Matt était aussi affecté, blessé, c’était à cause de la réaction de Sarah. Telle une huître, elle s’était fermée et était sortie de la pièce, sans mot dire. Et il ne savait pas comment gérer cette situation et ce genre de blessure. Devait-il considérer cela comme un refus ? Comment devait-il traduire sa fuite, son silence, cette absence d’émotion ? Devait-il mettre cela sur le compte de la surprise, ou sur la peur de l’engagement ?

    Un râle vibra dans sa gorge. Matt se passa une main sur le visage, épuisé, avant de se masser les tempes. Ce déluge de questions sans réponses lui provoquait une migraine infernale.

    À quoi tu t’attendais, bon sang ? Que Sarah lui sauterait au cou, folle de joie ? Qu’elle hurlerait haut et fort « oui » ? Au fond de lui, c’était ce qu’il espérait. Mais cette fille n’était pas comme les autres. Elle était le type de personne qui tenait particulièrement à son indépendance. Elle était peut-être contre l’idée du mariage. C’était précipité. Ils étaient jeunes… Il n’avait pas vraiment réfléchi à tout ça ni à un éventuel refus… Pourquoi refuserait-elle ? Elle m’appartient, hurla son ego, vraiment furieux à présent. Matt expira bruyamment, tentant d’épurer son esprit de ces idées confuses et néfastes qui assombrissaient son humeur. Il ne devait surtout pas tirer de conclusions hâtives. Mais une chose était claire désormais : il détestait vraiment les fêtes d’anniversaire.

    Une chose étrange attira son attention : un silence surnaturel et le regard pesant des gens autour de la table, qui le forcèrent à détourner les yeux de l’entrée. Il n’aurait pas dû. Matt ne rencontra que des expressions choquées, tétanisées. Il fronça les sourcils en découvrant le teint altéré de Sami, installé en face de lui. Le gars était livide, transparent. Si Matt avait su plus tôt qu’une demande pareille pouvait lui clouer le bec, il l’aurait déjà utilisée pour soulager ses oreilles et ses nerfs. Malheureusement, il savait que ce moment de paix serait de courte durée.

    — Quoi ? Qu’est-ce que vous avez à me regarder comme ça ? s’offusqua-t-il, d’une voix tranchante, dans l’espoir d’apaiser son malaise.

    Tous, sans exception, eurent un léger sursaut, firent mine de reprendre le cours des choses en toussotant. En secouant la tête d’une manière exaspérée, le regard de Matt trébucha sur celui de Liam. Eh bien, en voilà un qui n’était pas en état de choc. Ce foutu loup arborait un air menaçant, le transperçant d’un regard sombre et féroce qui laissait entrevoir l’animal agité caché dans cette enveloppe humaine. Lui, il espérait un refus irrévocable de la part de Sarah. Tu peux toujours rêver !

    Matt soutint ce regard sauvage qui en disait long, tandis qu’un autre reprenait des couleurs.

    — Hey, dis-moi ? l’interpella Sami, feignant un air sceptique. Elle est partie… Je crois que c’est un « non ».

    Sans blague ! Matt le fusilla d’un regard noir et siffla entre ses dents :

    — Ferme-la !

    — Et si nous commencions. Ça m’a l’air appétissant tout ça, proposa Marc, changeant de sujet.

    Tandis que les autres évitaient de le regarder, Matt se leva.

    — Goinfrez-vous bien, grommela-t-il dans sa barbe. Je vais voir dans quel merdier je me suis encore fourré.

    Sami rit franchement, sans prendre la peine de dissimuler son amusement. Matt ramena sèchement la chaise et lui lança un regard menaçant en guise d’avertissement.

    — Et toi, pas touche à mon gâteau !

    — Avec le mégarâteau que tu viens de te prendre, je te le laisse volontiers. Il te faut bien une consolation.

    Un autre regard noir. Cette fois-ci, Matt ne put s’empêcher de riposter. Il fit appel à son pouvoir de télékinésie et la chaise de Sami se renversa soudainement, envoyant ce dernier s’écraser au sol.

    — Très mature, s’exclama-t-il, éclatant de rire. Cours la supplier : « Oh, Sarah, épouse-moi. Je ne suis rien sans toi. Dis oui ! Dis oui ! Dis oui ! Pitié ! »

    Sa moquerie, en imitant très mal la voix de l’abruti qui venait de se prendre un râteau monstrueux, déclencha d’autres rires dans le dos de Matt. Ce dernier leva un doigt d’honneur en guise de réponse, grinçant des dents. Sa contrariété se mua lentement en colère.

    Bordel ! Juste devant lui. Sami allait le charrier un moment avec ça !

    Matt n’avait pas besoin de faire appel à son pouvoir psychique pour savoir quelle direction prendre. Depuis quelques jours, son instinct le menait à Sarah automatiquement. Il n’avait pas d’explication à ce phénomène, mais il se laissait guider par cette nouvelle faculté.

    Arrivé dans le hall, il ralentit le pas et orienta son attention à l’extérieur. Elle était dans le jardin.

    Très bonne idée !

    Il avait également besoin de s’oxygéner la tête. Il y régnait un sacré désordre. D’un autre côté, il n’aimait pas la savoir dehors, seule, à cette heure-là. Elle s’était déjà fait enlever à l’intérieur du domaine, malgré les runes magiques qui étaient censées protéger le Manoir. Il faisait tout pour ne pas revivre une telle expérience, pressant le pas instinctivement.

    Comme il s’en doutait, il la trouva assise en tailleur sur le banc de pierre. S’arrêtant à moins d’un mètre, il fourra ses mains dans les poches de son jean. Il lui jeta un regard furtif et remarqua cette même expression fermée sur son visage. Quant à Sarah, elle continuait à contempler le jardin, regardant droit devant elle. Un ciel étoilé donnait une luminosité extraordinaire et magique au lieu. L’espace d’une seconde, une lueur d’espoir naquit en lui. Il se demandait si cela était une coïncidence, si elle ne s’était pas déplacée jusqu’ici avec une raison précise, sur ce banc, là où leur histoire avait réellement débuté. Mais il rejeta cette idée sur-le-champ, il s’était assez fait d’illusions. Les minutes s’écoulèrent, ils restèrent sans mot dire, les yeux perdus dans le jardin. Il aurait préféré qu’elle brise le silence. Apparemment, elle n’était pas disposée à le faire. Très encourageant…

    La nervosité lui tendit les muscles. Nerveux ? Lui ? Bon sang, il n’avait jamais été nerveux face à aucune situation ni face à aucun démon, surtout pas devant une fille ! Mais celle-là avait foutu une sacrée pagaille en lui, dans sa tête, dans son âme et dans son cœur… Il devenait quelqu’un d’autre en sa présence, il le savait. Sarah avait le don de mettre ses nerfs et sa patience à rude épreuve mieux que quiconque. Il ne pouvait rien y faire, il l’avait dans la peau. C’était ça, l’amour, non ? Une grosse pagaille émotionnelle et une tonne d’emmerdes !

    En foutant un coup de pied mental à sa nervosité, il se lança pour mettre un terme à ce malaise.

    — Sarah, le moment a été très mal choisi, je te l’accorde…

    — Pourquoi veux-tu m’épouser ? le coupa-t-elle dans son élan, avec une voix plate.

    Matt serra furieusement les dents. Il ne supportait pas quand elle adoptait ce timbre vide, sans chaleur, aussi pauvre de relief que son expression.

    — Pour quelle raison un homme fait-il une telle demande ? répliqua-t-il froidement. Tu n’as pas une petite idée sur la question ?

    Sarah tourna lentement la tête vers lui pour plonger dans son regard.

    — Matt, arrête de parler par énigme. Je ne plaisante pas.

    Il haussa un sourcil, irrité.

    — Tu trouves que j’ai l’air de plaisanter ?

    Sarah le fixa un instant, cherchant visiblement ses mots, Matt lisait l’incrédulité sur ses traits. Enfin une émotion…

    — Tu es vraiment sérieux ?

    — Oui, bien sûr, affirma-t-il avec assurance.

    Les yeux de Sarah s’agrandirent légèrement.

    — Sincèrement ?

    Matt laissa échapper un grognement sourd, reflétant parfaitement son irritation.

    — Bordel, mais qu’est-ce que vous avez tous à me poser cette question ? Bien sûr que je suis sérieux ! Tu crois que je me serais ridiculisé en public pour rien ?

    Elle cilla de surprise.

    — Ridiculisé ?

    — Carrément ! Je te fais ma déclaration, une demande en mariage… Bon sang, dire ça à haute voix rend la chose encore plus flippante. Mais oui, je t’ai fait ma grande demande… Et toi, comment tu réagis ? Tu sors de la pièce sans dire un mot, me laissant planté là comme un crétin.

    — C’est pour ça que tu es énervé ? Parce que je suis sortie du salon sans donner de réponse ?

    — Je ne suis pas énervé.

    — Si, tu l’es.

    Dans un silence pesant, ils se dévisagèrent, Matt crispant la mâchoire, Sarah étudiant minutieusement son expression. Bien évidemment, il était énervé. Ne pas être pris au sérieux par les autres était une chose, c’en était une autre venant d’elle. Il avait l’impression qu’elle essayait de le persuader que sa déclaration était une erreur. Le moment était peut-être mal choisi, cette demande était peut-être inattendue, mais il y avait mûrement réfléchi. Compte tenu de la tournure de la soirée, Matt perçut l’interrogatoire de Sarah comme une échappatoire. Elle était indécise et il n’avait pas envie d’entendre sa réponse, finalement.

    Il détourna les yeux et se fit violence pour s’obliger au calme. Il dressa des murs d’acier autour de son cœur blessé. Sa déception était immense, mais il préférait la garder pour lui, cachée derrière un masque soigneusement bâti. Il avait des années d’expérience pour ça. Il se passa une main dans les cheveux, grinçant des dents, puis poussa un profond soupir. La journée avait été longue et mouvementée, il était épuisé.

    — Bon, rentrons, ils doivent nous attendre, ordonna-t-il sur un ton dur et bref.

    Il tourna les talons…

    — Cette soudaine envie… C’est parce que nous avions… ?

    Elle se tut, mais Matt entendit la suite mentalement : « … fait l’amour ». Il se figea dans son élan. Un instant, il sembla tétanisé sur place, répétant mentalement la bombe qu’elle venait de lui lancer. Il rêvait ? Oui, certainement ! Elle ne venait pas de dire une telle absurdité ? Il lui jeta un regard étincelant, empli de colère.

    — Répète ce que tu viens de dire !

    Vu sa réaction, elle tenta de se justifier.

    — Matt, j’essaie de comprendre… On ne se marie pas sur un coup de tête.

    Une vague de colère mêlée à un sentiment d’indignation le submergea si violemment qu’elle anéantit son calme fragile. Il s’emporta sans qu’elle puisse rajouter un mot.

    — Non, mais à quelle époque tu vis ? Tu penses vraiment que c’est pour une quelconque histoire d’honneur ? Que je me sente obligé de maintenir ta vertu intacte ? Non, bordel ! Nous avions fait l’amour, et après ? Je ne suis pas obligé de t’épouser à cause de ça !

    Il pencha son visage et la regarda fixement, sentant son cœur battre dans ses tempes, réellement énervé à présent.

    — Je n’ai pas pris cette décision sur un coup de tête, que ce soit bien clair pour toi. Je veux te faire mienne dans tous les sens du terme. Même sur un vulgaire morceau de papier… Cela étant dit, si un tel engagement te déplaît, un « non » aurait suffi.

    — Tu n’y es pas du tout… Ça ne te ressemble tellement pas…

    Il se recula en écartant les bras, avec un rire amer.

    — Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Depuis que je suis avec toi, je fais des trucs complètement irrationnels… Tu me rends complètement cinglé, nom d’un chien ! Mais je ne peux rien y faire, je t’aime comme un dingue !

    Elle ouvrit la bouche, sûrement pour s’expliquer, en vain. Il la réduisit au silence d’un regard fulminant, le même regard assassin qu’il adressait à ses ennemis sans s’en rendre compte. Alors qu’elle accueillait cette manifestation de rage par un soubresaut, il leva les mains en signe de défaite.

    — Tu sais quoi ? Laisse tomber, je n’en ai rien à foutre. (Il inspira un bon coup, tentant de se raisonner.) Putain ! Cette soirée est une véritable merde. Tu m’en reparleras de cet anniversaire foireux…

    Cette fois-ci, il ne prit pas la peine de l’inviter à entrer et se dirigea vers le Manoir à grandes enjambées. Il se passa une main sur la tête et s’empoigna énergiquement les cheveux. Il aurait voulu les arracher un par un pour avoir cru un instant qu’elle accepterait. Il avait envie de frapper quelque chose, tabasser des démons, même si une centaine ne suffirait pas à apaiser ses nerfs. Fait chier !

    Elle disait l’aimer, être sienne, lui appartenir corps et âme. Pourtant, cette proposition de passer sa vie entière à ses côtés venait de la transformer en iceberg. À vrai dire, il ne s’était pas préparé à tel revirement d’humeur. Encore moins à sa propre réaction. Le percevant comme un rejet, cela lui fit l’effet d’un uppercut dans le ventre, l’empêchant de respirer correctement, aussi douloureux qu’un couteau planté en plein cœur. Son instinct possessif hurla de protestation et de rage, irrité et horriblement frustré. C’est vrai, ce n’était qu’une signature sur un morceau de papier, un nom à porter, son nom. Mais Matt venait de réaliser que faire de Sarah son épouse était une chose qu’il désirait avec acharnement.

    Non, mais franchement ? Comme s’il était le genre de garçon à s’engager pour la vie parce qu’il avait passé le cap du sexe. Dans ce cas, il se serait passé la corde au cou une bonne dizaine de fois.

    Soudain, à quelques mètres de l’entrée, Matt ralentit jusqu’à s’immobiliser totalement. Un changement dans l’atmosphère, un son étouffé avait réussi à se frayer un chemin dans la tempête de colère qui s’élevait en lui. Étrange…

    Il regarda par-dessus son épaule et tendit l’oreille. Un autre bruit lui parvint, moins étouffé, un gémissement que son cerveau décrypta comme un sanglot retenu. Son cœur loupa un battement. Sarah pleurait ?

    Il revint sur ses pas, lentement, l’observant attentivement, et remarqua rapidement que son corps était secoué de spasmes. Sarah était inclinée en avant, les bras noués sur son ventre.

    « Tu pleures ? »

    Dans un autre sursaut, elle redressa ses épaules tout en secouant la tête négativement. Il parcourut les derniers mètres dans un état confus, incertain, même si Sarah laissait désormais échapper des bruits qui s’amplifiaient. Pleurer après une simple prise de bec ne lui ressemblait pas. Fière et rageusement têtue, elle était du genre à lui tenir tête sans faire preuve d’aucune faiblesse. Toutefois, il sentit une fêlure en elle, un étrange sentiment vibrait sur leur lien invisible. Et il était beaucoup trop en proie à ses propres tourments pour connaître la nature de cette fêlure.

    À cet instant, il arriva à son niveau et pencha la tête en avant pour scruter son profil. Brusquement, elle tourna la tête dans le sens opposé, se réfugiant derrière le rideau formé par ses cheveux. Mais il eut le temps d’apercevoir ses joues barrées de larmes, qu’elle croyait essuyer discrètement d’un revers de main. Matt demeura bouche ouverte quelques secondes, déstabilisé, en se grattant l’arrière de la tête. Il n’avait jamais été très à l’aise face à une fille qui pleurait. Quand il s’agissait de Sarah, ça lui donnait carrément des envies de meurtre. Sauf que là, c’était lui le responsable. Accablé de remords, toute colère le déserta instantanément et il réprima difficilement une furieuse envie de se foutre des gifles.

    « Sarah… 

    — Non. Je ne pleure pas… »

    Mon œil ! Un reniflement lui échappa. Matt hésita moins d’une seconde avant de s’agenouiller devant elle. Il posa délicatement ses mains sur ses genoux. Il chercha son regard alors qu’elle le fuyait habilement.

    « Ça va, ne t’inquiète pas. C’est juste une poussière. »

    Matt ouvrit la bouche, la referma pour ravaler un juron. Il voyait très bien que ça n’allait pas du tout. Il tendit le bras, lui emprisonna le menton entre le pouce et l’index et la força à le regarder. Elle ne lutta pas, mais refusa encore de croiser ses yeux.

    — Sarah… ?

    Matt vit une dizaine d’émotions contradictoires, qu’elle tentait désespérément de passer sous silence, traverser ce magnifique visage aux joues humides. Tu es vraiment dérangé, mon gars. Tu la fais pleurer et tu la trouves magnifique, cracha sa conscience sur un ton de réprimande.

    Il lui dégagea les cheveux du visage, les ramenant derrière les oreilles.

    — J’ai le regret de t’annoncer que tu as un sérieux problème de sudation, dit-il sur un ton qui appelait la plaisanterie. Parce que tu as de grosses gouttes de sueur qui coulent sur ton visage.

    Sarah laissa échapper un rire avec un reniflement adorable. Elle le regarda alors, et un faible sourire se dessina sur ses lèvres.

    — Crétin !

    Il lui répondit avec un sourire espiègle.

    — Voilà, je préfère ce sourire de peste.

    Alors que le visage de Sarah s’égayait davantage, il s’assit sur le banc, les jambes écartées, en posant ses coudes sur les genoux. Il la taquina en la donnant un coup d’épaule.

    — Je me suis laissé emporter, encore une fois, mais tu es habituée à mon caractère de chien. Que se passe-t-il, Sarah ?

    Il employa le ton le plus doux possible. Le regard de Sarah glissa sur le sien, ses yeux s’emplissant de larmes de nouveau.

    — Tu m’as prise au dépourvu, commença-t-elle d’une voix fébrile, les lèvres tremblantes. Je ne voulais pas te ridiculiser…

    Elle s’étrangla avec un sanglot, se mordant la lèvre inférieure presque au sang, et ferma les yeux. Ses larmes débordèrent et coulèrent sur ses joues, elle baissa la tête.

    — Et merde ! cracha Matt, la gorge nouée par la culpabilité.

    Il pivota vers elle et ses mains couvrirent sa taille pour la soulever sans le moindre effort. Sarah enroula un bras autour de ses épaules alors qu’il l’installait à travers de ses genoux. Elle enfouit son visage au creux de son cou. Il sentit ses doigts s’agripper avec désespoir à ses muscles dorsaux, elle était tremblante comme une feuille contre son corps. À cet instant, elle était si fragile, si vulnérable, qu’il regrettait amèrement ses propos et l’air fermé qu’elle arborait précédemment. Cette palette d’émotions, cette étrange peine qui débordaient d’elle lui fendirent le cœur et lui remuèrent les entrailles. Il lui ramena les cheveux dans le dos, déposant un baiser sur sa tempe dans l’espoir de rencontrer son regard.

    — Hey, je le sais… Arrête de pleurer. Je n’aime pas ça.

    Entre ses tremblements et ses sanglots muets, elle eut un léger mouvement de tête, comme si elle confirmait cela. Mais le ton câlin et désemparé de Matt n’apaisa pas pour autant le flot de larmes qu’il sentait inonder son tee-shirt. À court de mots, navré et en colère contre lui-même pour l’avoir mise dans un tel état, il se contenta de la consoler en l’emprisonnant dans la chaleur de ses bras, en lui caressant le dos avec affection et tendresse.

    Après de longues et insoutenables minutes, elle quitta le refuge au creux de son cou et leva doucement la tête.

    — Désolée… Je suis un peu émotive en ce moment, souffla-t-elle en hoquetant. Liam a raison, ce Manoir me fait un drôle d’effet.

    Qu’est-ce qu’il vient foutre là-dedans, celui-là ? Matt ignora cette pensée sifflée par un élan de rage. Il prit le visage de Sarah entre ses mains et recueillit les dernières larmes par des baisers subtils.

    — Tu n’as pas à t’excuser…

    — Si, le coupa-t-elle, posant son front contre le sien. Je te dois une explication.

    Il la força à se redresser, s’emparant de ses mains pour lui embrasser chaque doigt.

    — Tu n’es pas obligée, mentit-il, évitant soigneusement son regard.

    Sarah verrait immédiatement le supplice dans ses yeux. Il était absolument convaincu qu’elle refusait cet engagement, mais il désirait vraiment comprendre les raisons de cette panique engendrée par sa demande.

    Sarah inspira profondément, secouant légèrement la tête, comme pour se donner du courage.

    — Je me sens différente depuis que nous avons…

    Elle suspendit sa phrase, encore une fois, les joues subitement colorées. Une réaction incroyable, vu qu’elle avait ce hâle, beau et naturel comme un bronzage de fin d’été. Ils avaient dépassé le cap du sexe, mais Sarah n’arrivait toujours pas à se dépêtrer de sa pudeur et de sa timidité sur le sujet.

    — … fait l’amour, termina Matt avec une pointe d’ironie. Tu sais que tu ne vas pas aller en enfer en disant ces quelques mots ?

    — Je sais… C’est juste embarrassant.

    Il lui décrocha un sourire en coin, déposant un baiser sur le bout de son nez pour détendre son air boudeur.

    — Donc, tu te sens différente, l’encouragea-t-il à se confier.

    Elle haussa les épaules, fuyant son regard impatient.

    — Pas physiquement. Ça se passe dans ma tête. Je vois les choses différemment. Ma manière de penser, de réagir. Je ne m’attendais pas à un tel changement en moi. Je ne peux pas mettre de mots sur ce que je ressens, mais ça devient de plus en plus intense. Tout devient de plus en plus intense entre nous. C’est assez déstabilisant et… effrayant. Je me sens un peu perdue et dépassée parfois.

    Matt comprenait tout à fait cela. « Intense » était un choix de mot adéquat pour décrire leur relation. Ils avaient enduré tellement d’épreuves qu’il avait l’impression d’avoir vécu une vie entière avec elle. Et les sentiments qu’il éprouvait à son égard le faisaient réellement flipper. Si on lui avait dit un jour qu’il tomberait amoureux aussi facilement, il se serait plié de rire. Mais regrettait-elle cette étape qu’ils avaient franchie ?

    — Ce n’était peut-être pas le bon moment, observa-t-il, songeur, le doute s’immisçant en lui. J’ai été idiot sur ce coup, j’étais tellement heureux de te retrouver que… Je réalise à présent que tu n’étais pas encore prête.

    Tout à coup, elle fronça les sourcils avec sévérité.

    — Autant que je m’en souvienne, je t’ai sauté dessus. Tu n’as pas à te sentir coupable de quoi que ce soit.

    — Sarah, tu venais de perdre ton père.

    Évoquer Sillas lui provoqua une grimace, elle cessa littéralement de respirer, comme si elle venait de recevoir un uppercut dans le ventre. Matt sentit son corps se figer, les muscles tendus, le regard noyé quelques instants par une vague de souffrance pure. Elle enterra aussitôt après sa douleur et son chagrin en reprenant sa respiration.

    Merde ! Il venait encore de mettre le pied dans le plat.

    — J’en avais vraiment envie ! s’exclama-t-elle. Là n’est pas le problème. Tu me fais beaucoup de bien, Matt. Tu es ce petit rayon de soleil dans cet avenir chaotique qui m’est tombé dessus. Mais j’essaie de digérer tout ça, émotionnellement.

    Elle serra les dents, inspirant profondément, submergée émotionnellement. Matt se mit à sourire comme un véritable débile, touché par ses propos. Il n’y avait vraiment qu’elle pour le comparer à une lumière, alors qu’il était considéré par les autres comme un être brutal, insensible et sans scrupules. C’était la stricte vérité : il était mauvais jusqu’à la moelle, compte tenu du pourcentage de sang démoniaque qui coulait dans ses veines.

    — Et je réussis à te faire perdre patience mieux que quiconque, plaisanta-t-il avec espièglerie.

    — Ça, c’est sûr !

    En éclatant de rire, il l’étreignit amoureusement, semant une ligne de baisers sur sa joue.

    — Ce que tu me demandes ce soir est la prochaine étape, je suppose…

    Le murmure de Sarah redevint fragile et vulnérable. Matt s’écarta en prenant son menton entre le pouce et l’index.

    — Oublie ça, Sarah, d’accord ? Je t’aime, tu m’aimes, c’est le plus important.

    Sarah inclina sa tête sur le côté, ses yeux embués de larmes se promenant sur son visage dans un étrange silence. L’intensité de son regard, l’accumulation brutale de ses émotions qui rendait ses iris lumineux et limpides, lui coupèrent le souffle. Matt avait l’impression d’être marqué au fer rouge. Quand elle plongea son regard, brillant et indéchiffrable, dans le sien, il sentit son cœur s’emballer comme à chaque fois. Un courant électrique le traversa et une puissante énergie crépita entre eux. Comment pouvait-elle ignorer l’évidence ? Elle lui appartenait ! Entièrement ! Corps, cœur et âme ! Pour toujours ! Comme cette part douce et amoureuse de Matt lui appartenait à elle. Juste à elle.

    — Matt ? dit-elle, le regardant fixement.

    — Oui.

    — Veux-tu m’épouser ?

    Il cilla de surprise, sous le choc, avant que ces mots n’atteignent son cerveau et ne sèment un vent de folie, un merveilleux vent de folie. Mon dieu, cette fille aura ma peau…

    — Petite teigne ! Tout ça pour voler ma réplique, murmura-t-il, souriant comme un gosse.

    Sarah éclata de rire, et Matt fondit sur ses lèvres pour un baiser fougueux et amoureux.

    1. Pénible héritage

    6 juillet

    Mme Taner, songeai-je, amusée.

    Cela faisait un mois que je portais ce nom, mon nom d’épouse, et je ne m’y étais pas encore habituée. Et le mariage ! Cette idée était… si loin de moi. Il avait fallu que ces mots sortent de la bouche de Matt pour me donner l’envie de me lancer dans cette folle aventure. En un claquement de doigts, deux semaines après sa demande, nous étions mari et femme.

    Waouh ! Je n’en revenais toujours pas. Ces derniers mois, il s’était passé tellement de choses que j’en avais encore le tournis. J’étais emportée dans un merveilleux tourbillon de bonheur, des étoiles plein les yeux et la tête pleine de rêveries. J’étais aux anges.

    Je regardai mon alliance avec un sourire béat, la touche particulière de Matt, sa création. Nos alliances étaient identiques, des doubles bagues en or blanc. La différence sur la mienne était sa largeur, car elle nichait le diamant des Éveilleurs sur la partie supérieure, la pierre d’Éthys, encadrée par le symbole runique de l’amour infini. Quelle charmante attention. Trop mignon…

    Mon Dieu, si Matt, mon mari, m’entendait l’associer à « mignon », il aurait certainement un arrêt cardiaque. Ma grosse brute à la beauté presque criminelle n’aimerait pas du tout ça.

    Tout à coup, un rire idiot me secoua, qui ressemblait au gloussement d’une ado attardée, bavant devant la vedette du lycée. Ouais, c’était tout à fait ça. Le volume des gloussements augmenta, ricochant désagréablement sur les murs de l’ancienne chambre de mon père, dans ses appartements du Sanctuaire. Je me plaquai la main sur la bouche pour taire ce bruit aigu produit par mes cordes vocales, qui me donnait l’impression de me transformer en dinde. J’admis que je me comportais parfois comme une niaise, mais, en même temps, j’étais amoureuse et aux anges en ce moment. Donc, cette manifestation inhabituelle de ma part était à demi pardonnée. Cela étant dit, Matt semblait être dans le même état euphorique. À plusieurs reprises, j’avais remarqué ce curieux sourire et cette expression qu’il arborait à chaque fois qu’il voyait mon alliance, laissant apparaître sa joie et sa fierté, notamment une satisfaction typiquement masculine. Il n’arrêtait pas de répéter « madame Taner par ci, madame Taner par-là », au cas où j’oublierais mon nom d’épouse.

    L’esprit vagabondant, je glissai davantage dans mon bain, caressant des yeux les fleurs qui flottaient à la surface de l’eau. Au creux de ma main, je soulevai un pétale de lys blanc. Son puissant parfum embaumait à lui seul la pièce. Mais la pureté éclatante de ces fleurs invita inévitablement le goût amer de la culpabilité, songeant à mon père disparu, Sillas, ouvrant la blessure fraîchement cicatrisée de mon cœur. J’avais fait mon deuil, mais penser à lui me faisait toujours aussi mal. Ce jour tragique ! Il était mort… Enfin, j’étais morte et il avait échangé sa vie contre la mienne pour me ressusciter. Ce souvenir m’inspirait une effroyable terreur, et je crispai les doigts, broyant le pétale dans ma main. Encore aujourd’hui, j’avais peine à concevoir que mon cœur s’était arrêté de battre plusieurs minutes, au printemps dernier, mais l’absence de Sillas et le vide profond qu’il avait laissé derrière lui attestaient que ce fait était réel. Mon père était mort et j’en étais la cause.

    Des coups énergiques à la porte me tirèrent de mes songes. Je poussai un petit cri en sursautant.

    — Sarah ! Pour l’amour de Dieu, sors de cette salle de bain !

    C’était Asparia, ma tante ! Je grinçai des dents, levant les yeux au ciel. Mon père me manquait énormément. Mais elle, j’aurais aimé qu’elle oublie mon existence, au moins pour une heure. Quelle plaie purulente ! Elle m’empoisonnait l’existence depuis le décès de mon père. Et cela n’était qu’un euphémisme… Asparia était trois fois plus étouffante qu’une mère poule, dix fois plus emmerdante qu’une ribambelle de frères et sœurs. Elle était un véritable cauchemar à elle seule.

    — Asparia, cela ne sert à rien de venir toutes les cinq secondes, répondis-je d’une voix enrouée par l’émotion. La réponse est toujours la même : je n’ai pas encore fini.

    — Tu vas être en retard. Il y a encore tellement de choses à faire, insista-t-elle sur un ton suppliant.

    — Commencez sans moi. Je vous rejoins.

    Attention, l’hystérique allait frapper ! Je me bouchai les oreilles avant d’avoir fini ma phrase.

    — Sarah ! Sors tout de suite, ou je démolis cette porte !

    J’éclatai de rire.

    — Essaie toujours !

    Elle poussa un cri strident, mon rire redoubla. Quand elle continua à s’égosiller dans une langue inconnue, la porte trembla sous l’effet de sa colère, mais elle demeura intacte. Je ne savais pas quel tour de magie scellait cette porte, mais il semblait que mon père avait pris soin de garder sa petite sœur loin de ses appartements. Il avait juste oublié l’option « volume ». J’aurais adoré appuyer sur la touche « muet » d’une télécommande pour faire taire ces jérémiades. La voix d’Asparia était franchement très stressante. Au lieu de quoi, je pris une grande inspiration et plongeai la tête dans l’eau pour ne plus l’entendre. Ce bain floral était censé me détendre et me soulager après la torture qu’elle avait infligée à mon pauvre corps, la veille. Une épilation intégrale, de la tête aux pieds ! Oui, absolument, j’avais subi cette souffrance abominable, que je ne souhaitais pas à mon pire ennemi. Cette folle hystérique avait protesté agir pour mon bien-être. Non, mais sérieusement, il lui manquait plusieurs cases ! J’avais souffert mille tortures ! D’accord, j’admets être un peu douillette, surtout ces derniers temps, et que mes cris plaintifs étaient un peu trop exagérés pendant le massacre. Mais quand même, c’était hyperdouloureux, ce truc. J’avais eu la peau en feu et, par la suite, elle m’avait pétri le corps comme du pain avec une substance lactée et épaisse, avant de me laisser reposer deux heures dans cette chose gluante. Rien que d’y penser, j’en avais des frissons.

    « Admets également que le résultat est surprenant. Ce matin, tu m’as dit que tu avais la peau aussi douce et fraîche que celle d’un bébé. »

    Le sourire aux lèvres, je ressortis la tête de l’eau, me ramenant les cheveux en arrière. Matt avait raison, j’avais été agréablement surprise en découvrant ma peau au réveil. Je n’avais aucun bleu et j’avais l’impression de flotter en marchant, comme si ces quelques malheureux poils en moins m’avaient libérée d’un énorme poids.

    « C’est vrai, mais je n’avouerai jamais ça à Asparia. »

    J’allongeai les bras sur le rebord courbé de la baignoire ancienne et élégante, la tête rejetée en arrière. Je fermai les yeux en ajoutant :

    « Ça fait du bien de t’entendre. Tu m’as manqué. 

    — C’est pour ça que tu m’as congédié de ton esprit, il y a moins d’une heure. »

    Même à travers ce lien inexpliqué qui unissait nos esprits, je pus distinguer son air grincheux et sa moue boudeuse.

    « Je suis désolée. Asparia était en train de gueuler et je ne comprenais rien à ce que tu disais. Ça m’a gonflée. 

    — Du coup, tu nous as claqué la porte au nez. 

    — Ce n’était pas mon intention, crois-moi. J’aurais largement préféré continuer notre discussion. Mais avec cette hystérique dans les parages… Bon sang, elle me rend complètement folle ! Je vais finir par l’électrocuter une bonne fois pour toutes ! »

    Le rire amusé de Matt vibra sur le lien et résonna dans ma tête.

    « Tu ne l’as pas encore fait ? Quel exploit ! 

    — M. Taner, êtes-vous en train de vous foutre de moi ? 

    — Un peu, madame Taner. Cela dit, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même pour l’hystérie d’Asparia. »

    Je fronçai les sourcils, à la fois perplexe et irritée.

    « Tu plaisantes, j’espère ?

    — Ne prends pas ton air offensé. Toi et moi, nous savons très bien que tu t’éternises dans ce bain juste pour l’énerver. »

    Parfaitement ! Je ne disposais que de cette arme pour riposter contre son comportement excessivement autoritaire et protecteur. Ma tante et Matt s’égalaient largement sur ce point.

    « Hey, de quel côté es-tu ?

    — Tu n’as pas à me poser cette question, tu connais la réponse. Par contre, fais-moi le plaisir de sortir de là, si tu veux ma présence à la cérémonie. Ma mère s’y met elle aussi et je suis à deux doigts de péter une durite. »

    Écarquillant les yeux, je me redressai vivement.

    « Quoi ? Tu n’es pas au Manoir ?

    — Non, je viens d’arriver au Sanctuaire et j’ai déjà envie de décamper. C’est la panique ici. »

    Aussitôt, je me levai et pris la pomme de douche pour me rincer.

    « Tu aurais dû commencer par là. Je serais déjà dehors. Tu m’as horriblement manqué.

    — Toi aussi. Mais nous n’avons pas encore le droit de nous voir.

    — Au Diable ces conneries ! J’arrive.

    — Non ! »

    Son objection me hérissa les poils, je sortis de la baignoire en marmonnant dans ma barbe.

    « Sarah, nous avons tenu une nuit. Tu peux encore tenir quelques misérables heures. »

    Et quelle nuit ! À cause d’une vieille coutume, plus ancienne que le monde, Asparia nous avait forcés à dormir séparément. C’était la première nuit que je passais loin de Matt depuis sa libération de l’emprise d’Hezekiah, ce foutu sorcier de malheur qui avait pesé lourd dans mon existence. Je venais de passer ces dernières heures à regarder les minutes défiler avec une lenteur insoutenable, prise au piège entre les griffes de ma tante, même si Matt était omniprésent dans ma tête et qu’il essayait de distraire mon ennui et apaiser mes nerfs. Heureusement, sa faculté à transmettre ses pensées avait considérablement évolué ces derniers temps. À présent, on pouvait communiquer mentalement dans un large périmètre, le kilomètre et demi qui séparait le Manoir et le Sanctuaire n’empêchait pas cela. Mais j’étais toutefois affectée par son absence physique, profondément affectée. J’étais carrément en manque de sa présence, de ses caresses, de ses baisers, comme une junkie de sa dose de cocaïne. Bon sang, j’estimais avoir été très patiente et compréhensive jusqu’à présent. Il ne fallait pas trop m’en demander.

    « Je rêve ! C’est toi qui me parles de patience. Toute cette histoire de coutume commence sérieusement à m’énerver.

    — Sur ce point, je suis d’accord avec toi. Je te rappelle que c’est toi qui as accepté.

    — Oui, eh bien, tu aurais pu t’imposer davantage. Tu t’es littéralement écrasé devant ma tante.

    — Il me semblait que tu gérais bien la situation sans moi.

    — Merde, regarde où on en est ! Je n’ai rien géré du tout. »

    Tout à coup, un sentiment étrange fleurit en moi, provenant de l’esprit de Matt. Il ne riait pas, ne me communiquait pas une émotion, mais j’avais le sentiment qu’il tentait de taire la joie et l’excitation inspirée par cette situation. Alors que je posai mes poings sur la taille, je m’exclamai mentalement avec un air fulminant :

    « Non, mais attends, sale vaurien ! Tu n’es pas contre cette idée, c’est pour ça que tu ne t’es pas interposé face à la décision d’Asparia ! »

    Là, il éclata de rire. Il m’arracha un sourire.

    « Mince, je suis démasqué !

    — Je n’y crois pas ! Je croyais que tu étais contre tous ces tralalas de gonzesse.

    — Rien n’a changé. Mais j’ai si rarement l’occasion de te voir en robe que je suis prêt à faire quelques sacrifices. »

    Je secouai la tête d’une manière exaspérée, en levant les yeux pour la dixième fois en une minute. Je m’entourai d’une serviette et m’emparai du pot de crème en verre que ma tante m’avait demandé d’appliquer avec soin sur tout le corps. Je lui répondis en me dirigeant vers la chambre.

    « N’importe quoi. À t’entendre, on dirait que je n’en porte jamais.

    — Sarah, tu es toujours en pantalon !

    — Je croyais que tu les aimais, surtout les très moulants ?

    — C’est vrai ! J’aime aussi voir ce qu’il y a en dessous et inspecter la marchandise. »

    Je ris, embarrassée, sentant mes joues devenir rouges.

    « Espèce de pervers !

    — Je suis un homme, que veux-tu ! »

    Je m’installai sur le lit, commençant à m’appliquer la crème sur les bras, sortant la carte de la petite aguicheuse.

    « Vous avez la mémoire courte, très cher. Mes petites nuisettes en soie sont considérées comme des robes et j’en ai tout un tiroir qui m’attend chaudement dans le dressing. Des petits morceaux de tissu qui me couvrent à peine. Juste pour toi. »

    Matt garda le silence quelques instants. Je laissai échapper un rire silencieux. Je n’étais pas télépathe, mais je sus exactement ce qu’il se passait dans sa tête.

    « Bordel…, pourquoi faut-il que tu me parles de ça maintenant ?

    — Je m’assurais simplement que mon homme était assez réceptif, en lui rappelant ce qu’il a raté cette nuit.

    — Eh, bien, bravo. Sache que ton homme est très réceptif. J’ai le cerveau bombardé d’images classées X et tu viens de me provoquer une bosse sous la ceinture. »

    Je me mordis la lèvre inférieure pour réprimer mon rire, ravie que mon petit stratagème ait fonctionné.

    « Nous sommes quitte à présent. Tu aurais dû me soutenir avec Asparia.

    — Chipie ! Comment je fais avec tous les invités ? Je marche avec une tente entre les jambes ! »

    Je ne pus retenir plus longtemps mon fou rire. Je me pliai en deux, les larmes aux yeux, les mains sur le ventre.

    Ce petit moment réclamait un récapitulatif pour pouvoir suivre.

    Matt et moi, nous avions une idée très arrêtée sur le mariage. Cet événement, que la plupart des gens rêvaient de vivre un jour, n’avait pas beaucoup d’importance pour nous. Personnellement, je m’étais penchée sur les institutions traditionnelles du mariage, qu’elles soient civiles ou religieuses, et j’avais beau en démanteler chaque partie, je n’avais toujours pas trouvé son sens. Il y en avait bien un, mais chacun le traduisait comme il l’entendait. Pour ma part, une telle démarche n’exprimait pas la durabilité et la solidité de notre couple, ni notre envie de bâtir un avenir ensemble, ni l’expression de nos sentiments. Mariés ou pas, on s’aimait passionnément, inconditionnellement et follement. Après une longue discussion, j’avais compris qu’en me faisant sa demande, Matt avait seulement désiré que je porte son nom. Juste ça. Et un échange d’alliances, bien entendu. Nous avions opté pour quelque chose d’authentique et de très, très pratique.

    Le mariage civil étant donc le plus approprié, nous avions rempli les formulaires et déposé notre dossier à la mairie d’Hammonton. Cela nous avait pris une poignée de minutes. Pour la fête, c’était encore plus simple. Nous avions marqué cet engagement en éliminant toutes les contraintes qui entouraient le mariage. Pas d’invitations imposées. Pas d’échange de vœux. Pas de costume. Pas de robe blanche, surtout pas.

    Le soir même, Sally nous avait préparé l’un de ses meilleurs repas pour marquer le coup. Autour de la table, il n’y avait que nos amis les plus proches : les membres du Manoir, Liam et son père ainsi que les parents de Sami.

    Une petite signature, un repas, mêlant rires et taquineries, et l’affaire était réglée.

    Malheureusement, j’avais omis un détail : ma tante.

    Certes, elle était franchement agaçante et elle mettait mes nerfs à rude épreuve, mais j’aurais bien aimé qu’elle assiste à cette journée idyllique. Je ne l’avais pas intentionnellement écartée de ce moment de bonheur. Asparia n’était pas dans le New Jersey. Elle s’était absentée plusieurs jours pour une sorte de pèlerinage, une coutume durant la période de deuil, profitant de la trêve instaurée avec les Sorciers suprêmes. Une trêve de trois mois qui était miraculeusement respectée. Mis à part quelques incidents isolés avec des clans renégats, les Spectres suprêmes n’avaient commandité aucune attaque depuis les funérailles de mon père. Toutefois, j’avais tenté de contacter ma tante, de connaître sa destination. Sans succès. Même Cyra, sa plus fidèle amie, n’avait pas la moindre idée du lieu où elle se trouvait. En revanche, Asparia avait été avertie d’une autre manière : par ses visions de Prophétesse. Ainsi, elle avait débarqué à l’aube deux jours plus tard, dans une rage folle. Un état qui avait réussi à impressionner Sally, notre tyran. Une grande première.

    Sa colère était uniquement destinée à ce mariage réinventé. Elle m’avait reproché mon comportement « irrespectueux » envers nos ancêtres, qui insultait également la mémoire de mon père. Étant la fille de Sillas, le grand Thaumaturge, communément considéré comme un ambassadeur dans l’univers des Éveilleurs, je devais perpétuer cette tradition, célébrer cette union par la parole solennelle du Vœu sacré, comme la coutume ancestrale de ma lignée fantastique le voulait. Cette célébration, le mariage version créature fantastique, consistait à réunir toutes les espèces, du moins les représentants, dont les Piliers de l’Ordre qui témoignaient leur bénédiction en ce jour, et à accomplir une union scellée par le sang. Elle ne pouvait être validée que par cette cérémonie, une condition explicitement formulée par ma folle de tante. En somme, un ramassis de conneries !

    Bien évidemment, je n’avais pas cédé de bonne grâce à cette absurde exigence d’Asparia et je m’étais rebiffée méchamment. J’avais sorti les crocs, les griffes, même les éclairs. Je l’avais menacée de mille tortures, puis tenté de la prendre par les sentiments, mais rien n’y avait fait. Ma tante était déterminée et tenace. Je l’avais eue sur le dos toute une semaine, du matin au soir, me rabâchant sans relâche l’importance de cette cérémonie, jusqu’à ce qu’elle apparaisse dans mes cauchemars. Asparia m’avait eue à l’usure et j’avais craqué, juste pour qu’elle me foute la paix. Bien plus tard, j’avais découvert que la cérémonie du Vœu sacré impliquait fatidiquement toutes les contraintes du mariage humain qui nous horripilaient.

    À cet instant, Matt me ramena dans le présent :

    « Sarah, l’heure tourne. Ce n’est pas le moment de rêvasser.

    — Ouais, je sais. »

    Eh bien, voilà la raison de ma présence au Sanctuaire aujourd’hui. La veille, j’avais été préparée physiquement, mentalement, spirituellement au Vœu sacré. J’étais enfin prête, selon cette coutume, à sceller mon union par le sang. Quel calvaire !

    Soudainement, une idée saugrenue me traversa l’esprit, parfaite pour me venger de ma tante.

    « Matt, j’ai trouvé le moyen de remédier à toute cette tension.

    — Hou là, ça sent mauvais.

    — Bien au contraire ! Je vais me pointer en jean à cette cérémonie. Comme ça, tu pourras plus facilement faire face à ton inconfort dans ton pantalon. Et, par la même occasion, je me débarrasserai de ma tante, parce qu’elle tombera dans les pommes à coup sûr quand elle me verra dans cette tenue.

    — Ah non ! Je te le déconseille fortement ! Écoute, je ne voulais pas te mettre au courant, parce que je sais que tu vas faire une crise, mais il faut que je t’avertisse. »

    Tout à coup, mon cœur loupa un battement, je me figeai en plissant les yeux. Je perçus nettement la réticence dans les pensées de Matt et j’appréhendais la suite.

    « M’avertir de quoi ? »

    Matt sembla prendre une grande inspiration.

    « Eh bien, disons que… la liste d’invités, que ta tante nous a transmise, était incomplète. »

    J’eus énormément de difficulté à respirer subitement. Un élan de panique me gagna lentement.

    « Incomplète, comment ? 

    — Beaucoup. Nous ne sommes plus du tout en petit comité. »

    L’information eut à peine le temps d’être traitée par mon cerveau que j’explosai de colère, libérant une onde de choc dans la chambre et recouvrant ma peau d’une vague d’électricité.

    — Je vais la tuer !

    Cette nouvelle anéantissait toutes ces heures de supplice. Mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même.

    Je regrettai amèrement de ne pas avoir résisté plus longtemps face au caprice de ma tante. Elle aurait peut-être fini par abandonner, même si j’en doutais fortement. D’une part, je pouvais concevoir que cette cérémonie lui tienne à cœur et qu’Asparia veuille honorer cette tradition profondément ancrée dans son histoire. J’avais conscience qu’elle voulait le meilleur pour moi, sa nièce, la seule famille qu’il lui restait. Tous les jours, elle s’évertuait à assurer son rôle de tante et à combler l’absence de mon père, à m’offrir l’attention et l’amour d’un cocon familial, même si elle s’y prenait maladroitement et me forçait à faire des choses contre mon gré. La communication avait encore du mal à passer. Après tout, nous évoluions toutes les deux sur un terrain inédit et fragile. Mais, au fond de moi, je savais que je me serais pliée à ses exigences tôt ou tard, poussée par la culpabilité et les regrets qui suintaient de toutes les blessures de mon cœur. Asparia avait beau essayer d’apaiser ma conscience, elle avait perdu un frère par ma faute.

    Toujours est-il que, là, elle abusait vraiment. J’avais été bien claire sur le sujet : il était hors de question qu’elle fasse de ce Vœu sacré une pièce de théâtre !

    En pestant dans ma barbe, je jetai la serviette sur le lit et empoignai mon peignoir en soie, l’enfilant et nouant rageusement la ceinture à double nœud. Je traversai la pièce à grandes enjambées comme une tornade vers la porte du fond et empruntai la tour privative qui menait à une coursive extérieure et à l’arrière-cour de mon père. Ce chemin était plus long que par l’entrée principale de ses appartements, dans la tour centrale, qui traversait tous les niveaux du Sanctuaire jusqu’au passage souterrain. Mais je ne pouvais pas prendre le risque de croiser quelqu’un au Rélénium.

    Je dévalai l’escalier de pierres presque en courant, tandis que les torches magiques s’enflammaient d’une lueur bleutée à mon passage. Arrivée au pied de la tour, je poussai énergiquement l’épaisse porte en acajou massif et fus immédiatement aveuglée par les rayons du soleil. Je m’immobilisai un bref moment, les mains en visière devant les yeux, m’accoutumant à la clarté de ce jour d’été. Une légère brise me caressa les jambes en soulevant les pans de mon vêtement, alors que l’air, porteur d’un doux et rafraîchissant parfum de lys, m’emplit les poumons. En un claquement de doigts, ma contrariété s’évanouit et je sentis un sourire ourler mes lèvres, j’insirai profondément, les paupières lourdes. Automatiquement, je tournai la tête vers la droite et mon regard plongea aussitôt après dans le jardin éclatant et magnifique de l’arrière-cour, recouvert d’un tapis de lys blanc. Ma mère raffolait de ces fleurs et mon père les avait plantées pour elle. Elles étaient restées resplendissantes et épanouies depuis la mort de sa bien-aimée.

    Mes jambes me portèrent comme dans un état second à ce lieu empreint de magies et de mystères, qui était devenu et demeurerait mon paradis et le cimetière de mes souvenirs.

    Tout ce qui me restait de mes parents se trouvait dans ce jardin.

    Quand je passai sous le patio, je fus enveloppée par un sentiment à la fois de liberté et de sécurité à l’ombre tamisée de ce coin caché et intime. Une excentricité qui était constituée par des racines et des plantes grimpantes sur le mur, le tout s’inclinant en avant pour créer un toit de végétations.

    J’avais le cœur aux abois, la gorge nouée, mes yeux humides s’aventurèrent vers le fauteuil de détente de mon père, près d’une vieille table en fer rouillé qui avait besoin d’une seconde vie. Je pouvais presque le voir, l’imaginant s’installer à son fauteuil et siroter un verre en profitant du parfum envoûtant des soirs d’été, ou caressant du bout des doigts l’accoudoir en se souvenant, à son tour, des moments heureux passés avec ma mère. Subitement, une larme solitaire roula sur ma joue, me ramenant à l’instant présent.

    C’était étrange, je ne l’avais connu en tant que père l’espace de quelques semaines, mais je me sentais si seule et si perdue sans lui. Il me manquait tellement. C’était une souffrance indescriptible et insoutenable. Parfois, c’était si intense que j’avais l’impression d’être amputée d’un bras, d’un organe vital. S’il avait été contraint de revêtir certaines fausses identités avant de se dévoiler au grand jour, j’avais toujours senti sa présence inconsciemment, réconfortée par ce sentiment de sécurité intérieure.

    C’est lorsqu’on perdait une personne qu’on se rendait compte de son importance, non ?

    Le plus atroce, c’était que je n’avais pas seulement perdu mon père, j’avais également perdu mon ami imaginaire.

    Une douleur brûlante s’éveilla dans ma poitrine. Me mordant les lèvres, je me frottai les yeux, essayant de refouler ce chagrin atroce qui me submergeait et cédait la place aux douloureux regrets et au vide profond qui creusait mon âme. J’émis un douloureux soupir en prenant le chemin de pierres. Slalomant à travers les parcelles de fleurs, je me dirigeai vers le fond du jardin où se dressait une petite pierre tombale gravée en sa mémoire. Une délicate attention des Piliers de l’Ordre. Cela me touchait d’autant plus en sachant que le rite funéraire des créatures fantastiques était l’incinération, encore un rituel ancestral.

    Arrivée au niveau de la pierre, je m’accroupis, posai les genoux par terre et m’assis sur les talons. Je demeurai un moment figée, les yeux parcourant lentement les inscriptions dans sa langue natale, étrangère au commun des mortels. Je connaissais par cœur ces mots : « Sillas Siddhivans. Le Cercle d’Argent. Une force et un esprit éternels. »

    Court, simple, mais puissant. Cela le définissait parfaitement.

    Je tendis une main tremblante et effleurai faiblement son prénom. Je m’étais préparée mentalement, comme à chaque fois, mais la froideur de cette pierre inanimée m’arracha un gémissement. Je sentis mon cœur se tordre dans un cri d’agonie. De nouveau, mes yeux se remplirent de larmes.

    — Papa, tu me manques énormément, suffoquai-je d’une voix rauque. Je suis sincèrement désolée… si tu savais…

    Une boule m’obstrua la gorge et je ne pus émettre le moindre son. Brusquement, je retirai ma main de cette pierre. Je n’aimais pas parler à mon père par le biais de ce truc. Je préférais, de loin, bavarder avec ses objets décoratifs et les meubles de son appartement, comme si j’étais en face de lui, quitte à passer pour une parfaite imbécile, que de m’adresser à cette dalle. Comment cette chose froide, sans vie, sans âme, pouvait représenter ce grand homme ? Sa générosité ? Son respect, son humanité et sa tolérance ? Une vie entière de sacrifices pour lutter contre le mal ? Impossible !

    Je la détestais autant que je haïssais l’individu qui avait réduit mon père, cet être merveilleux, à cette pierre : Marcian. Le mal incarné. Ce suppôt de Satan. Mon oncle !

    Oui, en effet, je n’avais pas seulement hérité d’une tante hystérique. Mon arbre généalogique était également entaché par les Ténèbres, le Mal suprême. J’avais découvert son existence cet horrible soir où ma vie avait basculé. Ce cinglé m’avait manipulée à sa guise pour attirer mon père dans un piège, j’étais un pion dans un plan machiavélique. J’étais l’arme de destruction qui lui avait permis d’anéantir mon père.

    Je sentis mon corps se tendre jusqu’à se mettre à trembler. Ma vue se troubla et je vis rouge, littéralement. Une haine immonde me tordit les entrailles, fusant dans mes veines comme un torrent de lave, explosant toutes mes cellules. Mais, avant que je ne succombe à cette haine et à cette soif de vengeance, quelque chose se déploya dans l’air, je pris vaguement conscience qu’une légère brise se levait. Ce n’était pas mon pouvoir, c’était différent. L’atmosphère ne se chargeait pas d’électricité ni de colère. J’avais soudainement l’impression d’être enveloppée par de la chaleur, drapée d’un voile de douceur, et une caresse effleura ma joue… de l’amour ! Oui, de l’amour flottait dans l’air, autour de moi, s’infiltrant par tous mes pores, comme une étreinte réconfortante, jusqu’à apaiser le cataclysme naissant en moi.

    J’eus le tournis quelques secondes, puis un profond soupir m’échappa. Je secouai la tête pour reprendre mes esprits, souriant bêtement. Je sentis la présence de Matt, toujours prêt à me soutenir ou à intervenir quand je broyais du noir. Mais j’aimais à croire que cette manifestation venait de quelqu’un d’autre.

    Devant la porte du logement d’Asparia, je trébuchai encore sur cette pensée. J’avais oublié pourquoi j’étais remontée contre ma tante. Presque.

    La porte s’ouvrit avant que je n’eus le temps de poser ma main sur la poignée. La première chose que je vis, ce fut Cyra, la Stryge, assise sur une console appuyée contre le mur, entre deux hautes fenêtres.

    Elle arrêta de balancer ses jambes quand elle croisa mon regard.

    — Tiens ! L’attardée mentale a enfin trouvé son chemin ! attaqua-t-elle avec ce sarcasme qui lui était propre.

    — Venant d’une vraie blonde lobotomisée, je prends ça comme un compliment, ripostai-je du tac au tac.

    Je n’avais rien contre les blondes, mais celle-là menaçait de me faire changer d’avis. Les piques et les vannes insultantes étaient monnaie courante entre nous. Cyra était aussi insupportable et agaçante que ma tante. C’était certainement pour ça qu’elles s’entendaient aussi bien. Mais, en réalité, nous étions, l’une pour l’autre, un excellent défouloir. Même si je ne l’avouerais jamais, même sous la pire des tortures, je commençais à apprécier ces échanges houleux entre nous.

    La Stryge porta sa main à sa poitrine, au niveau de son cœur, si elle en avait un, et feignit un air scandalisé.

    — Tu tombes dans la grossièreté, gamine ! Je m’inquiète sincèrement pour toi.

    Je lui décrochai un sourire faux, me provoquant une crampe à la joue.

    — Il ne faut pas. Vous êtes ma plus grande source d’inspiration.

    Elle fut secouée par un rire narquois.

    — Oh, merde ! Je crois que ta nièce a perdu son dernier neurone dans le bain, dit-elle à Asparia, qui apparut dans mon champ de vision.

    — Cyra, s’il te plaît, ne la contrarie pas. Ce n’est pas le jour.

    Je jetai un regard furieux à ma tante.

    — Trop tard ! Qu’est-ce qu’elle fait là ? réclamai-je, pénétrant dans le salon.

    Je m’immobilisai quand je découvris Stella installée confortablement dans une méridienne capitonnée, derrière la porte qui venait de se refermer sans un bruit. Ouh là !

    Le trio infernal était au complet. Durant quelques secondes, je me sentis prise au piège, aussi effrayée qu’une biche encerclée par une meute de loups. Je me ressaisis lorsque Cyra bondit de son perchoir et répondit à la place de ma tante :

    — Elle a besoin de ma rapidité pour la coiffure, étant donné qu’une certaine pisseuse nous a fait perdre un temps monstrueux.

    J’écarquillai les yeux, m’étranglant avec ma surprise.

    — Hors de question ! Cette sangsue est capable de mettre le feu à mes cheveux !

    — C’est justement mon idée, susurra la Stryge, passant à mes côtés.

    — Bon, ça suffit ! intervint Asparia, sèche et autoritaire. Viens t’asseoir, l’heure tourne !

    Elle me présenta un fauteuil à roulettes, l’endroit où allait se dérouler le massacre.

    — D’ailleurs, toi, répliquai-je, me souvenant des paroles de Matt. Tu m’avais promis d’être raisonnable. Tu as rajouté des invités sans m’avertir ! C’est quoi ce bordel ?

    — On en parlera plus tard, veux-tu ?

    — Non, on en parle maintenant…

    Alors qu’elle inspirait bruyamment, elle balaya mon objection d’un geste de la main. Ignorant cette intervention, je continuai à brailler, jusqu’à ce que je distingue le pincement de lèvres de ma tante. Elle semblait retenir un sourire, une lueur amusée dans les yeux. Au même moment, Cyra tendit l’oreille dans ma direction.

    — Hein ? Hein ? Qu’est-ce que tu dis ? Parle plus fort. On n’entend rien.

    C’était quoi son problème à celle-là ?

    Avec un regard de travers, je lui lançai une repartie cinglante, en me déplaçant sur le côté, ne me rendant pas compte que je me dirigeai vers le fauteuil. En bordure de mon champ de vision, un détail attira mon attention et je tournai la tête vers Stella. J’arquai les sourcils, perplexe. Elle se plaquait une main sur la bouche, le visage curieusement coloré. Elle semblait sur le point d’éclater de rire, puis elle leva la main en faisant une grimace d’excuse.

    — Je suis désolée, c’est…

    Et elle fut interrompue par le rire qu’elle tentait désespérément de réprimer, suivi par celui de Cyra.

    Avec un mouvement de recul, je demeurai la bouche grande ouverte. J’étais choquée de voir Stella rire, j’en restai sans voix… Sans voix ! C’est alors que je me rendis compte qu’effectivement mes lèvres s’activaient depuis un moment sans libérer le moindre son. Je jetai un regard sidéré à ma tante. Elle n’avait pas osé ?

    Elle arborait un sourire triomphant, presque diabolique.

    — La chambre de Sillas te protège peut-être des intrusions, mais là, tu es sur mon terrain ! Je ne suis pas d’humeur à entendre tes jérémiades !

    Ainsi, elle poussa sèchement le fauteuil, cognant l’arrière de mes genoux, me faisant fléchir les jambes automatiquement. L’instant d’après, je m’affalai dedans en poussant un cri muet. J’essayai de me relever, mais elle me maintint fermement à ma place, les mains sur mes épaules. Bon sang, elle avait une force incroyable. Asparia se planta devant moi, me braquant avec son index, comme si elle réprimandait une gamine de cinq ans en train de faire un caprice.

    — Tu restes sagement assise, ou je te cloue à ce fauteuil avec un sortilège.

    Ma mâchoire tomba à mes pieds et mes yeux s’agrandirent d’un coup comme s’ils allaient sortir de leurs orbites.

    La saloperie !

    Ma frustration se manifesta par un

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