De mère à fille
Agnès, au fond, n’a qu’un seul et terrible défaut : elle a toujours été parfaite. Une épouse au-dessus de tout soupçon et une mère idéale. A 60 ans, sa beauté impassible et intacte dérange encore ses amies adeptes de la chirurgie esthétique. Son humeur, d’apparence toujours égale, ravit son gendre et sa fille unique qui ne manquent pas de la solliciter pour garder les jumeaux. Agnès les adore. Pour eux, elle invente de somptueuses histoires de dragon, de princesse et leur apprend avec patience et tendresse à confectionner d’improbables gâteaux à trois étages nimbés de crème anglaise sur lequel elle s’amuse à écrire au sucre glace leurs prénoms : Jules et Antoine.
Après la mort de son époux – deux ans déjà ! – celle qui n’a toujours été que « Mme Edouard Frasier » s’est engagée corps et âme dans d’innombrables associations. De la distribution de nourriture aux SDF aux visites régulières dans les prisons, en passant par de l’accompagnement des réfugiés, rien ne semble pouvoir l’arrêter. Elle milite pour les sans-papiers, sans-logis, les sans-amour et distribue à tour de bras des pétitions dans son immeuble des Joliettes situé dans un joli quartier résidentiel, quand ses voisines de son âge et de sa condition préfèrent généralement passer leur temps à fréquenter la salle de remise en forme. Agnès s’est échappée du rang, dérangeant les idées toutes faites. Certaines dames, pas réellement charitables, à l’heure du thé aiment à lui rappeler, d’un ton aigre – mais paradoxalement chargé d’envie –, qu’elle perd son temps et son argent avec ce genre d’individus.
Edith non plus ne comprend pas toujours. Surtout quand sa mère lui refuse de garder les jumeaux sous prétexte qu’elle est débordée. Un dimanche, elle explose :
– Encore une de tes visites à la maison d’arrêt ! Si je comprends bien, ces hommes, ces femmes sont plus importants pour toi que mes enfants ! Souriante et calme, Agnès rétorque :
– C’est autre
Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.
Démarrez vos 30 jours gratuits