Mamie Églantine
Bonjour, Mamie Églantine !
La vieille dame fut soudain entourée de trois petits diables en culotte courte et robe fleurie qui s’en allaient à l’école, à l’heure où elle-même, chaque jour, promenait son chien.
Tout le monde la saluait avec déférence, non pas à cause de son âge – l’âge n’a jamais contribué à faire de quelqu’un une personne respectable –, mais parce qu’elle avait eu bien des malheurs dans sa vie, des épreuves qu’elle s’était efforcée de surmonter avec un courage exemplaire, ce qui ne l’empêchait pas de sourire d’un sourire lumineux qui vous réchauffait l’âme. Elle avait des yeux verts, un teint rose nacré, si bien qu’on la surnommait « Églantine ».
Mamie Églantine marchait d’un pas alerte. À ses côtés trottinait Poupette, sa jolie petite chienne caniche. Toutes deux s’entendaient à merveille. L’une n’allait jamais plus vite que l’autre. Cet évident mimétisme les rapprochait encore. On n’imaginait pas Églantine sans Poupette, ni Poupette sans sa maîtresse.
– Elle me console de bien des peines, aimait à dire Églantine. Elle a dix ans. Si je la perdais, j’en mourrais, c’est sûr…
Elle exagérait certainement. Quand on est passé par de grands tourments et que le malheur a, semble-t-il, pris plaisir à vous accabler tout au long de votre existence, on se dit que l’on peut résister encore, comme le chêne que la foudre a fendu et qui dresse encore ses ramages vers le ciel. Mais c’est faux. Il y a toujours une goutte d’eau pour faire déborder le vase. Le petit grain de sable de la destinée pour fausser les rouages d’une vie bien réglée, immuable, presque sereine.
Églantine, de son vrai nom Clémentine Pradelier, s’était mariée à l’âge de dix-huit ans. Elle se disait qu’elle allait pouvoir voyager. C’était son rêve. Voir les pays les plus lointains, les régions sauvages du Canada, l’Inde mystérieuse, l’Afrique, les États-Unis… Elle n’avait jamais dépassé les limites de sa ville ! Raymond Pradelier, son mari, était un homme casanier qui ne s’intéressait vraiment qu’à son métier de pâtissier. Avant la guerre de 39-45, il possédait un magasin où son épouse faisait merveille, car elle avait le commerce dans le sang. Bref, leur affaire tournait bien. Mais Raymond, qui avait quinze ans de plus que sa femme, voulut prendre sa retraite. Églantine protesta. Elle se sentait le courage de mener le magasin pendant de longues années encore. Il faudrait juste engager un chef pâtissier.
Très choqué par l’idée que l’on pourrait se passer de lui – les hommes ne badinaient pas avec les traditions à cette époque –, Raymond s’y était catégoriquement opposé. Et la jeune femme avait dû se contenter de s’occuper de sa maison. Or ravauder, faire les courses et le ménage ne suffisait pas à son bonheur et, au fil des années, elle voyait avec terreur leur petit pécule provenant de la vente du magasin fondre comme neige au soleil. Après la guerre, il n’en restait plus rien.
Pour comble de malchance, Raymond eut une attaque. Paralysé des deux jambes, il devint pour son épouse un fardeau bien lourd. Ensuite, les parents d’Églantine, vieux et malades, vinrent s’installer chez eux. L’appartement était assez grand pour abriter tout le monde, d’autant que l’unique fils que le couple avait eu était en âge de faire sa vie. Églantine accepta son départ avec la sérénité qu’elle semblait opposer à l’infortune. Mais il vint un jour où, pour faire vivre les trois personnes qui restaient à sa
