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Refuge (French)
Refuge (French)
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Livre électronique588 pages9 heures

Refuge (French)

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À propos de ce livre électronique

Pour protéger ceux qu’elle aime, Sara a abandonné tout ce qu’elle connaissait. Elle a tôt fait d’apprendre que ce nouveau monde ne ressemble en rien à l’ancien, et elle s’efforce de se faire une place parmi les Mohiri. Mais il devient bien vite évident, pour Sara comme pour les autres, qu’elle n’a pas l’étoffe d’une guerrière.

Au fil des semaines, Sara noue de nouvelles relations, fait de son mieux avec ses instructeurs et essaie de maîtriser ses pouvoirs sans cesse renouvelés, tout en gardant le secret de sa lignée hors du commun. Au-dessus d’elle plane inexorablement l’ombre du Maître qui fera tout pour la retrouver.

Sara s’engage ainsi dans un apprentissage personnel qui lui révèle ses véritables forces et l’éveille à une partie d’elle-même dont elle ignorait l’existence. Elle découvre le plaisir des nouvelles amitiés, la douceur et la douleur du premier amour, et un chagrin si intense qu’il risque bien de la briser. Tout compte fait, elle prend conscience que l’endroit où elle était censée être en sécurité n’est peut-être pas le refuge qu’elle imaginait.

LangueFrançais
ÉditeurKaren Lynch
Date de sortie1 févr. 2018
ISBN9781310714733
Refuge (French)
Auteur

Karen Lynch

Karen Lynch is a New York Times and USA Today bestselling author.She grew up in Newfoundland, Canada - a place rich in colorful people and folklore to which she attributes her love of the supernatural and her vivid imagination. Though she loves supernatural fiction, she has a soft spot for Charlotte Brontë and Jane Austen. She is a fan of classic rock, country and classical music but her favorite music is the sound of a good thunderstorm or a howling blizzard. Her favorite past times are baking for her friends, hanging out by the ocean, and spending quality time with her three dogs.

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    Aperçu du livre

    Refuge (French) - Karen Lynch

    Résumé de Refuge

    Pour protéger ceux qu’elle aime, Sara a abandonné tout ce qu’elle connaissait. Elle a tôt fait d’apprendre que ce nouveau monde ne ressemble en rien à l’ancien, et elle s’efforce de se faire une place parmi les Mohiri. Mais il devient bien vite évident, pour Sara comme pour les autres, qu’elle n’a pas l’étoffe d’une guerrière.

    Au fil des semaines, Sara noue de nouvelles relations, fait de son mieux avec ses instructeurs et essaie de maîtriser ses pouvoirs sans cesse renouvelés, tout en gardant le secret de sa lignée hors du commun. Au-dessus d’elle plane inexorablement l’ombre du Maître qui fera tout pour la retrouver.

    Sara s’engage ainsi dans un apprentissage personnel qui lui révèle ses véritables forces et l’éveille à une partie d’elle-même dont elle ignorait l’existence. Elle découvre le plaisir des nouvelles amitiés, la douceur et la douleur du premier amour, et un chagrin si intense qu’il risque bien de la briser. Tout compte fait, elle prend conscience que l’endroit où elle était censée être en sécurité n’est peut-être pas le refuge qu’elle imaginait.

    Remerciements

    Avant tout, j’aimerais remercier ma famille et mes amis pour leur encouragement et leur soutien sans faille. Merci à mon merveilleux graphiste de couverture, Niko, pour sa patience et sa capacité à comprendre ce dont j’ai envie avant même que je le sache. Merci à mes amis du groupe d’écriture, Prolific Pens, qui me soutiennent et m’aident à recharger mes batteries créatives. Merci à ma correctrice, Kelly, et à mes merveilleuses bêta-lectrices : Anne Marie, Teresa, Rachel et Melissa. Un merci tout particulier à deux auteures formidables : Melissa Haag et Ednah Walters, pour leurs avis et leurs conseils, et surtout pour leur amitié. En dernier, mais non des moindres, merci à mon frère, Alex, d’être ce vieux dragon bougon qui me permet d’ajouter un personnage supplémentaire à cette histoire.

    Chapitre 1

    JE SENTIS venir le coup avant même qu’il me percute et fus projetée plusieurs mètres en arrière pour aller m’écraser mollement contre le mur.

    — Aïe.

    Des points blancs lumineux flottaient devant mes yeux et le goût du sang envahit ma bouche. Je m’étais mordu la joue. Et ce picotement n’était rien en comparaison avec les douleurs dont mon corps était perclus jusqu’à l’os. Seigneur, jusqu’à quel point allais-je supporter ces brimades ?

    Une ombre passa sur mon visage.

    — Rien de cassé ? fit une voix brusque à l’accent écossais, exprimant plus d’impatience que d’inquiétude.

    Je roulai sur le dos, étirai mes membres endoloris en cherchant d’éventuelles blessures et grognai lorsque mon épaule produisit un léger craquement. Contente de constater que mon corps était toujours en un seul morceau, même s’il était couvert d’hématomes comme une pêche mûre, je levai les yeux vers l’homme aux cheveux noirs qui se penchait sur moi, les jambes écartées et les mains sur les hanches.

    — Je survivrai, grommelai-je sans savoir si je devais m’en réjouir.

    Il me tendit une main, que je pris à contrecœur, pour m’aider à me redresser. Quand il me lâcha, je m’adossai contre le mur. La salle d’exercice tournoyait devant mes yeux. Pas besoin d’y voir clair pour savoir que mon vol plané douloureux avait eu deux spectateurs, Terrence et Josh – les deux autres apprentis dans la salle, qui nous observaient en faisant mine de se concentrer sur leur entraînement. Je ne pouvais pas le leur reprocher. Mes séances quotidiennes offraient un sacré spectacle, comme un carambolage sur l’autoroute que l’on ne peut s’empêcher de regarder en ralentissant.

    Callum croisa les bras devant son large torse et darda sur moi un regard lourd de reproches. Avec sa musculature solide et ses trente centimètres de plus que moi, cet homme était ma pénitence pour chacune de mes erreurs passées. En tout cas, c’était ce que je me disais tous les jours quand j’immergeais mon corps contusionné dans le bain curatif. Le mystère, c’était que j’aie pu me réjouir à l’idée de m’exercer avec ce guerrier souriant, à la queue de cheval sexy et aux yeux couleur chocolat. Il m’avait fallu moins de cinq minutes dès notre première séance pour découvrir le bourreau qui se cachait derrière ce sourire enjôleur.

    — Tu ne travailles toujours pas avec ton Mori. Tu sais, tu ne seras jamais capable de te battre ni de te défendre à moins de t’ouvrir à lui. N’oublie pas, sans ce démon à l’intérieur de toi, tu n’es qu’une humaine, aussi impuissante que les autres.

    Pas tout à fait humaine. Mais ni Callum ni personne d’autre sur le domaine ne le savait. Seule une poignée de confidents était au courant de mon secret, et ils vivaient tous loin d’ici.

    Je fis rouler mes épaules pour apaiser une crampe.

    — Je sais ce que vous m’avez dit. Mais je ne suis pas sûre de la manière de procéder. Mon démon est peut-être déficient.

    Il fronça les sourcils.

    — Ton démon n’est pas déficient, et ce n’est pas un sujet de plaisanterie. Comment penses-tu devenir une guerrière si tu ne sais pas te battre ?

    — Je n’ai peut-être pas envie de devenir une guerrière.

    Callum partit d’un grand éclat de rire.

    — Tu t’attires un tas d’ennuis pour quelqu’un qui ne veut pas devenir guerrier.

    Je clignai des yeux, interloquée, et il secoua la tête.

    — Oh, j’ai entendu parler de tes petites aventures, et de la manière dont tu as fait cavaler toute une unité – dont deux de nos meilleurs guerriers – à travers le Maine pendant un bon mois.

    Sa remarque évoqua aussitôt le guerrier aux cheveux noirs et aux yeux gris ténébreux. Je chassai cette image avec colère.

    — C’est pour les vampires qu’ils sont venus, pas pour moi, et ils pouvaient partir à n’importe quel moment. D’ailleurs, je leur ai souvent demandé de s’en aller.

    — À ce qu’il paraît.

    Était-ce de l’amusement que je percevais dans ses yeux ?

    — Peu de gens auraient défié Nikolas Danshov. Je m’attendais à mieux de la part de celle qui l’a pourtant osé.

    C’était de la provocation et je refusais de mordre à l’hameçon.

    — Désolée de vous décevoir. Vous devriez peut-être trouver un autre apprenti qui se montrera à la hauteur de vos attentes.

    Je pus m’éloigner de trois pas avant qu’il s’exclame :

    — Où crois-tu aller ? Cette leçon n’est pas encore terminée. Tu partiras quand je l’ordonnerai. Maintenant, reprends ta position.

    Pour la courtoisie, on repassera. J’ajustai ma veste rembourrée et revins dans la zone qui nous était consacrée. J’éprouvais un pincement persistant au bas du dos et mes fesses protestaient déjà contre le châtiment qui allait suivre, mais je fis taire la douleur et me tournai vers mon entraîneur. J’étais peut-être une combattante lamentable, mais j’avais toujours ma fierté et je tiendrais bon, même si ça devait me tuer.

    Mais Callum n’était pas là où je pensais le trouver. Je regardai autour de moi et le découvris près de la porte, en grande conversation avec deux hommes et une femme que je n’avais encore jamais vus. La femme était grande et belle, vêtue d’une robe rouge à longueur de genoux. Sa peau était parfaite et elle avait de longs cheveux noirs et raides. Je ne pus m’empêcher de remarquer que les garçons ne faisaient même plus semblant de s’entraîner et la lorgnaient ouvertement. Elle ne semblait pas s’en rendre compte. Ses yeux émeraude croisèrent les miens et elle fronça le nez avec délicatesse. J’avais presque envie de rire en pensant à mon allure et à l’odeur que je devais dégager après deux heures passées avec Callum.

    Je reportai mon attention sur les hommes qui l’accompagnaient. S’ils étaient tous les deux aussi grands que les autres Mohiri, leur ressemblance s’arrêtait là. L’un d’eux avait un visage quelconque, des boucles brunes et une peau hâlée. Le second avait de longs cheveux blonds coiffés en queue de cheval qui mettaient en valeur son visage finement sculpté. Tandis qu’il écoutait ce que lui disait Callum, ses yeux bleus balayèrent la salle et s’illuminèrent un instant en se posant sur moi, avant de retourner vers mon entraîneur. L’air autoritaire de l’homme et la manière dont les autres apprentis avaient tendu l’oreille m’indiquaient qu’il s’agissait d’une personne importante. Cet endroit grouillait d’activité, les guerriers allaient et venaient en permanence. Il était donc impossible de connaître tout le monde. Mais de toute évidence, j’étais la seule personne dans cette salle à ne pas reconnaître le nouveau venu aux cheveux blonds.

    Callum lui sourit, puis se tourna vers moi, retrouvant aussitôt sa sévérité d’entraîneur. Je m’attendais à voir partir les inconnus, mais ils s’adossèrent contre le mur comme s’ils avaient l’intention de rester pour nous observer. Génial. Tout ce dont j’avais besoin aujourd’hui, c’était que d’autres personnes assistent à ma dérouillée.

    Sous mon regard méfiant, Callum s’arrêta à trois mètres de moi. Ses yeux avaient cette lueur calculatrice que j’avais appris à redouter.

    — Ouvre-toi à ton Mori, Sara. Ressens sa puissance, laisse-le te guider. Son instinct de survie est fort, il cherche simplement à te protéger. Sans toi, il n’existe pas.

    Tu entends ça ? fis-je à la bête maussade recroquevillée au fond de ma tête. Tu as besoin de moi, bien plus que je n’ai besoin de toi, alors tu as intérêt à bien te comporter. Je fermai mon esprit aux autres personnes présentes dans la salle pour me concentrer uniquement sur le visage de Callum. Ses yeux le trahissaient toujours une fraction de seconde avant qu’il passe à l’attaque, mais je n’étais pas plus avancée. J’abaissai les barrières qui retenaient le démon et le sentis palpiter d’excitation à l’ouverture de sa cage. Au même moment, je cherchai le pouvoir lumineux au centre de mon être et en préparai une réserve à utiliser en cas de besoin. Le démon était puissant, mais ne faisait pas le poids face à mon pouvoir de fée, et il le savait aussi bien que moi.

    Ensemble, mon Mori et moi vîmes les yeux de Callum étinceler à ce moment précis. Le démon fut le premier à réagir. Il s’élança pour tenter d’envahir mon esprit et de soumettre mon corps à son commandement. Pendant une seconde, je le laissai faire, avant que le vieux souvenir remonte à la surface. Je sentais toujours la chaleur brûlante du démon sous ma peau et l’impression impuissante de flotter dans l’immensité de son esprit.

    Mes barrières se dressèrent à nouveau, une fraction de seconde avant que Callum me rentre dedans, m’envoyant à la renverse. Cette fois, au lieu d’entrer en collision avec le mur, je sentis qu’on me rattrapait en plein vol et j’atterris contre un torse ferme.

    — Je crois que notre petit oiseau a assez voltigé pour aujourd’hui, Callum.

    Un rire faisait vibrer le torse de l’homme qui m’avait interceptée. Il me reposa par terre. Gênée, je levai la tête vers les yeux saphir de l’inconnu blond, mais il n’avait pas l’air moqueur. Au contraire, son sourire était doux et indulgent.

    — Tu as sans doute raison, acquiesça Callum en me regardant. Pas moins de trente minutes aux bains, Sara, et prends de la pâte de gunna.

    Je fis la grimace et sa mine s’assombrit. Ce n’était un secret pour personne que je préférais encore souffrir plutôt que d’absorber l’affreux remède à texture de mastic.

    — Si je te vois encore boiter à l’heure du dîner, je te le ferai avaler de force.

    Je hochai la tête avec réticence, consciente qu’il était prêt à mettre sa menace à exécution. Prenant timidement congé des nouveaux venus, je détalai vers la salle des équipements pour y ranger mon armure matelassée. Puis je m’empressai de sortir du complexe d’entraînement, de peur que Callum décide de m’administrer lui-même la répugnante pâte de gunna comme il l’avait fait dès mon deuxième jour de formation.

    La salle aux murs sombres, dans l’aile consacrée aux entraînements, était silencieuse à l’exception des bruits étouffés de combat qui résonnaient derrière les portes closes. Les guerriers Mohiri passaient beaucoup de temps à s’exercer quand ils n’étaient pas en mission pour sauver le monde. Le bastion pouvait accueillir entre trente et quarante guerriers par jour – sans compter les équipes de passage – si bien que les salles d’entraînement étaient toujours surchargées à cette heure de la journée.

    Je poussai la lourde porte donnant sur les bains des femmes, soulagée de voir qu’ils étaient déserts. Les femmes Mohiri n’étaient ni pudiques ni réservées, et elles ne voyaient aucun inconvénient à se déshabiller les unes devant les autres, ce à quoi j’avais encore du mal à me résoudre. Avec un peu de chance, je pourrais entrer et sortir du bain avant que la salle se remplisse.

    Avant toute chose, je rejoignis un casier contre le mur et en sortis une boîte de pâte de gunna. Je prélevai un peu de substance verte avec le doigt, que je fourrai dans ma bouche en grimaçant. Quelques secondes plus tard, un goût amer et sec se répandit sur ma langue et mon palais. Je dus me forcer pour avaler la pâte au lieu de la recracher. Une fois qu’elle eut disparu, le goût infect s’attarda et je sus qu’il me faudrait encore cinq bonnes minutes avant qu’il s’estompe enfin. En silence, je maudis Callum comme chaque jour après l’entraînement. Ça ne changeait rien, mais je me sentais mieux.

    Après avoir retiré mes habits trempés de sueur, je descendis dans l’un des six bassins rectangulaires creusés dans le sol carrelé. Le liquide chaud et fumant bouillonnait doucement et je gémis de délice en sentant mes douleurs et mes courbatures se dissiper. J’ignorais ce qu’il y avait dans l’eau, mais elle provenait d’une source souterraine profonde qui alimentait d’énormes réservoirs quelque part sous le bâtiment. Ensuite, elle était traitée avec des sels et des purificateurs spéciaux et acheminée dans les bains curatifs en un flot constant. Je ne m’y intéressais pas spécialement et me contentais de savoir qu’elle produisait des miracles pour le corps si l’on y restait suffisamment longtemps.

    Les paupières closes, j’essayai de me détendre sans penser à ma séance d’entraînement consternante, ni à la dizaine d’autres sentiments négatifs qui m’empoisonnaient souvent depuis mon arrivée, une semaine et demie plus tôt. Tu ne pouvais tout de même pas t’attendre à ce que ce soit comme à la maison. Je devais me laisser le temps, m’habituer aux gens et à mon environnement. Je n’avais jamais été à l’aise pour lier connaissance, et me faire de nouveaux amis n’était pas aussi facile pour moi que ça l’était pour Roland et Peter. Un sourire désabusé se dessina sur mes lèvres. Encore un point que je devais améliorer.

    Au bout de trente minutes, je sortis du bassin et passai sous la douche. Une fois propre, sèche et vêtue d’un nouveau pantalon à cordon et d’un t-shirt, je quittai les bains et rejoignis mon appartement au deuxième étage de l’aile nord. Westhorne était un bastion militaire Mohiri, mais on n’y trouvait aucun baraquement. Mon appartement était presque aussi vaste que mon loft à la maison, avec une salle de bain encore plus grande et une kitchenette ouverte sur un petit salon. L’ameublement était plus cossu qu’à mon habitude, mais j’adorais le lit à colonnes de style ancien. Et la cheminée s’avèrerait pratique si les hivers en Idaho étaient conformes à ce qu’on m’en avait dit.

    J’ouvris la fenêtre et inspirai une bouffée d’air frais. La vue de ma fenêtre était tellement différente de celle avec laquelle j’avais grandi. L’océan me manquait, mais les montagnes enneigées me coupaient le souffle chaque fois que je les voyais.

    Si seulement j’avais le loisir de les explorer, mon changement de cadre me pèserait peut-être moins. Jusqu’à présent, j’étais pratiquement recluse sur le domaine. J’avais bien essayé de franchir ses limites, mais j’avais été rattrapée et renvoyée dans mes appartements par deux fois. On m’avait dit que c’était la procédure classique pour les nouveaux orphelins, et que c’était pour mon bien, mais je soupçonnais mes dernières rebuffades d’en être la cause. J’avais envie de me promener dans les bois et de marcher sur les chemins de montagne sans être traitée comme une enfant de cinq ans qui se serait trop éloignée. De toute façon, je n’allais pas m’enfuir. Nous étions au milieu de nulle part et la ville la plus proche était à huit kilomètres. Même si j’y parvenais, Butler Falls comptait quatre mille habitants et plus de magasins de matériel agricole que de restaurants. Pas vraiment le genre de trou susceptible d’attirer des vampires, surtout avec un domaine Mohiri juste à côté.

    Je me détournai en soupirant de la fenêtre et récupérai un jean et un t-shirt dans mon placard démesuré. Et d’abord, qui avait besoin d’une penderie aux dimensions d’une petite chambre ? Mes vêtements occupaient la moitié d’une tringle et deux étagères. Quelques jours plus tôt, le reste de mes cartons était arrivé et la majeure partie d’entre eux étaient encore intacts sur le sol du placard. Ce qui laissait tout de même vides les trois quarts de la penderie. Claire, la femme qui m’avait fait visiter les lieux le jour de mon arrivée, m’avait expliqué qu’on avait ouvert une ligne de crédit à mon nom et que je pouvais acheter tout ce dont j’avais besoin, mais jusqu’à présent je ne m’en étais pas servie. Après tout, je n’avais nulle part où aller et mes vieux habits faisaient très bien l’affaire. Et puis, ça me ferait bizarre de dépenser l’argent des Mohiri alors que je les connaissais à peine.

    Je pris un manteau chaud et mon livre de chevet. C’était l’un des romans de Nate, et je le connaissais déjà, mais cette relecture m’aidait à lutter contre le mal du pays. Glissant le livre dans ma poche, je sortis de la chambre.

    Au fur et à mesure que je descendais les escaliers, le murmure se fit de plus en plus fort. C’était l’heure du déjeuner, mais le dernier endroit où j’avais envie de me rendre, c’était bien la salle à manger bondée. Au lieu de ça, je sortis par la porte de l’aile d’entraînement qui donnait sur une cour à l’arrière du bâtiment. Sur ma droite coulait le fleuve aussi large que profond qui bordait le domaine. Je regardai un instant dans cette direction, mais l’appel des bois était trop fort. Par ailleurs, j’avais toujours l’impression d’être observée quand je m’approchais de la rivière. Sans doute cherchait-on à s’assurer que je ne m’y noierais pas en tombant.

    Je passai près d’un groupe de guerriers armés d’arcs et d’épées. Ils me saluèrent poliment d’un hochement de tête sans toutefois m’adresser la parole. Aussi somptueux que soit le domaine de Westhorne, on me rappelait constamment que c’était un terrain militaire. Les Mohiri possédaient des douzaines de complexes rien qu’aux États-Unis, et au moins dix d’entre eux ressemblaient à celui-ci. Les autres étaient des centres communautaires, encore plus fortifiés que Westhorne, mais à l’écart des opérations militaires. Inutile de demander pourquoi je n’avais pas été envoyée dans l’une des communautés Mohiri. Personne ne voulait prendre le risque de faire attaquer un centre rempli d’enfants si jamais le Maître apprenait que j’étais vivante. Voilà la raison de ma présence à Westhorne.

    Bienvenue à la maison.

    Je m’engouffrai dans les bois aux odeurs de sapins. Au-dessus de ma tête, je n’apercevais que des bouts de ciel bleu à travers la canopée des branches, mais le soleil filtrait, tachetant le sol de ses rayons. C’était paisible et je n’entendais que les oiseaux dans les arbres. Je pris une grande inspiration en imaginant que je me trouvais dans ma forêt de New Hastings, et je réussis presque à croire que Remy ou l’un de ses petits cousins allaient me surprendre comme ils aimaient le faire.

    Je chassai aussitôt ma mélancolie. Les bois étaient trop beaux pour que je laisse ma tristesse les obscurcir. Les mains dans les poches, je me promenais sans but, simplement heureuse d’être en plein air et seule pendant quelque temps. Ça va s’améliorer, me dis-je pour me rassurer, comme je le faisais tous les jours. Il y avait beaucoup plus de règles à respecter que je n’en avais l’habitude, mais les gens n’étaient pas hostiles, même s’ils étaient différents. Ce n’était pas parce que je ne me sentais pas aussi à l’aise que chez moi au bout de deux semaines que ça me donnait le droit de juger l’ensemble des Mohiri.

    Tu veux dire que ça ne te donne pas le droit de les juger à cause de lui.

    Il me suffisait de penser à lui pour me mettre en colère et je redoublai d’efforts pour me changer les idées. Je m’avançai dans une clairière ensoleillée où il faisait cinq degrés de plus qu’à l’ombre des grands arbres. C’était une journée fraîche, presque trop froide pour s’installer dehors, mais c’était infiniment plus agréable que de rester à l’intérieur. Je fermai les yeux et offris mon visage au soleil, écoutant les bruits étouffés de la forêt, inspirant à pleins poumons sa riche odeur de terre. Oui, ce sera parfait, songeai-je en m’allongeant sur l’herbe avec mon livre.

    J’avais à peine lu deux chapitres quand un petit lapin brun apparut en sautillant et s’arrêta à la lisière du bois. Même quand je n’utilisais pas mon pouvoir, il semblait attirer les animaux et autres créatures, leur faisant comprendre que je ne représentais aucune menace. Mais les créatures timides telles que les lapins demeuraient toujours méfiantes. Je posai mon livre et invoquai mon pouvoir avant de diriger un faisceau dans sa direction. Son museau frémit et il renifla pendant une minute, puis s’avança. Le laissant approcher, je restai immobile, même lorsqu’il frotta son museau contre ma main. Mon pouvoir passa de ma peau à la sienne et il s’allongea contre mon flanc, en confiance.

    Je me redressai lentement pour ne pas l’effrayer et posai la main sur son dos afin de chercher l’origine de sa blessure. Il ne me fallut pas longtemps avant de remarquer que l’une de ses pattes arrière était gonflée, en proie à une inflammation. Avec précaution, je refermai la main autour de la patte blessée et évaluai l’ampleur des dégâts.

    — N’aie pas peur, bonhomme. Je vais te rafistoler en un rien de temps.

    Une chaleur familière se propagea dans ma poitrine, remontant le long de mon bras jusqu’à ma main, où elle rejoignit la plaie, se déployant autour d’elle en un feu guérisseur qui sutura en un clin d’œil la fêlure de l’os et désamorça l’inflammation. Je sentis la patte retrouver sa taille normale et fis retomber mon pouvoir avant de détacher ma main du lapin.

    — Et voilà, tu es comme neuf.

    J’aimerais bien voir Callum faire ça. Je n’avais peut-être pas l’étoffe d’une guerrière, mais j’avais d’autres dons. Mieux vaudrait peut-être que je persévère dans le domaine des soins et laisse le combat aux véritables guerriers.

    Le lapin bascula son poids sur sa patte et fit quelques bonds hésitants avant de comprendre qu’il avait retrouvé toute sa vigueur.

    — À un de ces jours, lui lançai-je tandis qu’il s’éloignait joyeusement.

    En m’étendant à nouveau dans l’herbe pour me remettre de la guérison, je fus étonnée de constater que je n’éprouvais aucune fatigue. Curieux, car même une guérison aussi infime demandait généralement un certain temps de repos. Cette fois, c’était tout le contraire, je me sentais pleine d’énergie, presque fébrile.

    Je me levai et repris ma promenade. Il y avait un petit lac à un kilomètre du domaine. Je l’avais repéré sur une carte, à la bibliothèque, mais la première fois que j’avais essayé de m’y rendre, on m’en avait empêchée. Cette fois, j’aurais peut-être plus de chance.

    — Mais qu’est-ce que… ? Pas encore !

    Je m’arrêtai net en sentant le cuir chevelu me picoter et mes cheveux crépiter comme s’ils étaient chargés d’électricité statique. Mes paumes et la plante de mes pieds devinrent chaudes et se mirent à me démanger, tandis qu’un frisson courait le long de mes bras, sous les manches de mon manteau. Un froissement me fit baisser les yeux, et je vis les feuilles mortes frémir à mes pieds malgré l’absence de vent.

    Aussi vite que le phénomène avait commencé, il cessa. Que se passe-t-il ? C’était la deuxième fois que j’expérimentais cette sensation au cours des quatre derniers jours. Ce devait être lié aux ondines, car Aine m’avait dit que mes pouvoirs étaient toujours en cours de développement – mais impossible de le vérifier. J’aurais aimé savoir comment la contacter. Elle m’avait promis de me rendre visite bientôt, mais j’avais le sentiment que les fées avaient une notion du temps différente des autres. Pour elle, bientôt signifiait peut-être plusieurs semaines ou années. Je n’en avais pas la moindre idée.

    — Oh ! gémis-je en sentant le centre de ma poitrine commencer à me gratter et un nœud glacial se former sous mon sternum.

    Voilà qui était nouveau. Le froid n’était pas douloureux, mais il était désagréable et j’étais troublée qu’il se fasse sentir pile à l’endroit où j’avais été poignardée un mois plus tôt. Aine m’avait dit que les fées m’avaient intégralement guérie, mais si elle se trompait ? Même les fées avaient avoué qu’elles n’étaient pas certaines de la manière dont mon corps réagirait au sang de vampire sur le couteau.

    Tout en me frottant la poitrine, je fis quelques pas, espérant que le nœud glacial disparaîtrait. Je me retournai et rebroussai chemin en direction du bastion. À mon grand soulagement, le nœud commença à se dissiper. J’ignorais ce dont il s’agissait, mais la sensation semblait se résorber spontanément.

    — Quelqu’un a encore fait des bêtises.

    Je sursautai et fis volte-face pour découvrir l’homme qui était arrivé sans un bruit. Le guerrier aux cheveux roux était à moins de deux mètres de moi. Il secoua la tête en me regardant, l’air de dire « tu sais que tu n’es pas censée être ici ».

    — J’aimerais vraiment que tu ne fasses pas ce genre de choses, grommelai-je.

    — Faire quoi ? fit alors une autre voix.

    Je poussai un petit cri et me retournai pour découvrir la réplique souriante du rouquin.

    — Bon sang, les gars ! Arrêtez !

    Leurs rires retentirent dans les bois quand les guerriers jumeaux se rejoignirent devant moi. Seamus et Niall étaient tellement identiques que même leur mère ne devait pas les distinguer. Ils faisaient la même taille et avaient les mêmes yeux verts brillants, des cheveux roux hérissés et un visage juvénile et avenant. En cet instant, ils arboraient exactement le même sourire narquois.

    — Alors, où allais-tu par une si belle journée ? demanda celui que j’identifiais comme Niall.

    — Je me balade, c’est tout. J’allais déjà rentrer. Vous pouvez reprendre votre ronde ou ce que vous faisiez dans le coin.

    — Eh bien, à moins que tu aies l’intention de passer la nuit dans les montagnes, tu te diriges dans la mauvaise direction, répondit le second, qui pouvait être – comme ne pas être – Seamus.

    Les montagnes ? Les bizarreries que je venais de subir m’avaient sans doute déstabilisée. Ça ne me ressemblait pas de me perdre dans les bois.

    — Allez, demi-tour.

    Les jumeaux s’avancèrent à côté de moi, mais je levai une main pour les arrêter.

    — Je peux rentrer toute seule. Montrez-moi simplement la bonne direction.

    — Désolée, miss, nous avons des ordres.

    — Oh, allez, les gars, pas encore !

    Mais ils ne voulurent rien savoir et m’escortèrent le long d’un sentier dont j’ignorais l’existence. Les jumeaux étaient sur leurs gardes. À les voir, on aurait dit que des dangers étaient tapis derrière chaque arbre. Ils m’encadraient comme si j’étais une enfant rebelle… ou une prisonnière.

    — Je prenais juste le frais. Vous pouvez arrêter de me traiter comme une fugitive.

    Le jumeau sur ma droite prit la parole – je ne cherchais même plus à les distinguer.

    — Ce n’est pas ce qu’elle nous disait déjà la première fois, frangin ?

    — Si, et nous avons failli être assez bêtes pour nous laisser berner par ce sourire angélique.

    — Ça fait plus d’une semaine. Pendant combien de temps allez-vous me le reprocher ?

    — Et que s’est-il passé il y a trois jours ? demanda le jumeau sur ma gauche.

    — Je vous ai dit que je voulais juste me promener du côté du lac. Quel mal y a-t-il à ça ?

    Le jumeau de droite ricana.

    — Tu te souviens de la dernière fois où tu as fait la fête au bord d’un lac ?

    — Comment le savez-vous ?

    Il me fit un sourire en coin.

    — Nous avons entendu beaucoup d’histoires à ton sujet.

    — Alors tu ne nous duperas pas comme eux, ajouta son frère. Même si je commence à éprouver un brin de compassion pour ces types.

    Les arbres étaient plus clairsemés et j’apercevais les murs en pierre de la bâtisse imposante qui était désormais mon foyer. Nous sortîmes des bois et nous engageâmes sur la vaste pelouse verte.

    — Je crois que je peux rentrer toute seule maintenant, leur dis-je.

    Aucun d’eux ne releva ma remarque et ils restèrent à mes côtés, me ramenant vers le bâtiment. Les bras croisés, je les accompagnai. Quand j’étais arrivée, personne ne m’avait dit qu’en étant sous la protection des Mohiri, je serais traitée comme dans un centre de détention pour mineurs. Les jumeaux étaient toujours attentionnés, mais ils n’en étaient pas moins mes gardiens, quoi qu’on en dise.

    Nous approchâmes de la cour devant l’aile d’entraînement, où deux hommes étaient en grande conversation. En nous voyant, ils se tournèrent pour nous dévisager d’un air entendu. Deux autres hommes contournèrent au même moment l’angle du bâtiment et je les reconnus. C’étaient Callum et le blond qui avait assisté à mon entraînement un peu plus tôt dans la journée. Callum m’adressa un signe de tête amusé, mais le blond avait une expression impénétrable.

    Je me détachai des jumeaux sans un mot et me dirigeai vers la porte en essayant de ne pas montrer ma colère et mon embarras. J’avais promis de laisser sa chance à cet endroit, mais je ne le supportais plus. Si c’était la vie qui m’attendait désormais, je voulais m’en aller.

    J’avais presque atteint l’arche en pierre quand j’entendis des cris. Les deux hommes dans la cour regardaient fixement derrière moi, la mine horrifiée. Quoi encore ? Le cœur battant la chamade, je me retournai, m’attendant à découvrir une armée de vampires fondant sur nous.

    D’abord, je ne vis que Seamus et Niall qui tiraient leurs épées, en même temps que Callum et son compagnon.

    — Enfuis-toi ! lança l’un des jumeaux.

    Il tourna vivement la tête sur la gauche et je suivis son regard. Je retins mon souffle en apercevant les deux créatures monstrueuses qui accouraient vers nous.

    Vers moi.

    Chapitre 2

    LES GUERRIERS formèrent une ligne défensive devant moi. Une seconde plus tard, je comprenais ce qui se dressait sous mes yeux. Les créatures étaient noir charbon et si énormes qu’elles auraient fait passer un dogue allemand pour un caniche. Leurs immenses mâchoires s’ouvraient pour révéler des crocs impressionnants.

    La dernière fois que j’avais vu ces deux bêtes, c’était il y a plus d’un mois, dans la cave à vins d’un manoir de Portland, et elles avaient l’air aussi féroces à la lumière du jour que dans la pénombre du sous-sol. Ce soir-là, j’avais utilisé mon pouvoir pour les apaiser, mais apparemment, elles n’étaient plus aussi amicales. Je ne pouvais que rester immobile, regardant leurs griffes retourner la terre et la bave gicler de leurs mâchoires menaçantes, tandis que les chiens de l’enfer se ruaient sur nous.

    Les quatre hommes devant moi brandirent leurs armes et ma bouche se dessécha sous l’effet de la peur. Ma connaissance des chiens de l’enfer était limitée et j’ignorais si les Mohiri étaient de taille à affronter les bêtes puissantes. Cette fois, mon pouvoir ne me serait pas d’une grande utilité.

    À moins que… ? Qu’avait dit Nikolas au sujet des chiens de l’enfer, déjà ? Ils t’appartiennent maintenant. Une fois qu’un cerbère se soumet à un nouveau maître, il lui devient incroyablement loyal. Ces deux-là n’obéiront qu’à toi désormais. Était-ce la vérité ? S’étaient-ils réellement soumis à moi ?

    Je m’éloignai à reculons. Les hommes étaient trop concentrés sur les bêtes en approche pour me prêter attention. Une fois que je me fus éloignée de quelques mètres, je me retournai et courus sur la gauche tout en invoquant mes pouvoirs. Si Nikolas avait raison, les chiens de l’enfer ne me feraient aucun mal, car j’étais leur maître à présent. S’il se trompait… Je déglutis avec peine. Je préférais ne pas y penser.

    Interrompant ma course, je fis volte-face au moment où les cerbères changeaient de direction pour me suivre. Les guerriers me regardèrent et je lus l’horreur sur leurs visages quand ils comprirent ce que j’avais fait. Ils pivotèrent pour interrompre la course des chiens. Je connaissais la vitesse des guerriers Mohiri et je savais qu’ils seraient les premiers à atteindre les molosses. Je devais agir avant qu’il ne soit trop tard.

    Arrêtez ! m’écriai-je à pleins poumons.

    Grâce au pouvoir qui montait en moi, ma voix résonna sur la pelouse avec une force inédite. Les hommes et les bêtes s’arrêtèrent net, à quelques mètres les uns des autres, et me regardèrent d’un air médusé. Je portai une main à ma gorge. Ce cri venait-il vraiment de moi ?

    Je baissai la voix et ajoutai :

    — Ne bougez pas.

    Quand l’un des jumeaux ouvrit la bouche pour parler, je l’interrompis.

    — Je connais ces chenapans, je suis capable de gérer ça.

    J’ignorais totalement si c’était vrai, mais ça sonnait bien et l’obéissance des cerbères m’encourageait.

    Avant que quiconque puisse émettre une objection, je désignai mes pieds et ordonnai sur un ton autoritaire :

    — Ici.

    Les chiens inclinèrent la tête sur le côté et me regardèrent, comme s’ils hésitaient. Je repris d’une voix plus forte.

    — Au pied.

    Je ne m’attendais pas à ce que ça fonctionne. J’avais déjà du mal à me faire obéir de Daisy, notre beagle, même si je lui avais sauvé la vie et donné l’autorisation de dormir sur mon lit chaque fois qu’elle le voulait. Je n’étais pas prête, et pourtant les deux chiens de l’enfer me rejoignirent d’un pas nonchalant et s’arrêtèrent juste devant moi. Ça alors ! Je pris une vive inspiration en me retrouvant face à face avec deux paires d’yeux rouges et deux des gueules les plus effrayantes que j’aie jamais vues. Ils haletaient et leur haleine chaude me balaya le visage. Je résistai à l’envie d’agiter la main sous mon nez pour dissiper cette odeur fétide de viande avariée et de pieds sales. Seigneur, j’espère vraiment qu’ils ne viennent pas de manger quelqu’un.

    — Assis ! ordonnai-je.

    Aussitôt, ils posèrent leur arrière-train par terre, les yeux au même niveau que les miens. La langue pendante, ils avaient perdu leur allure menaçante.

    — Gentils petits, dis-je pour les flatter en essayant de ne pas tousser à cause de leur haleine nauséabonde.

    Si l’on ne prêtait pas attention à leur taille, leurs yeux rouges et leurs mâchoires capables de vous briser les os, ce n’étaient rien de plus que de gros toutous.

    — Bon, comment avez-vous atterri ici, tous les deux ?

    Leurs queues se mirent à frapper le sol et je souris de soulagement. Tendant la main, je caressai la tête du premier, le grattant derrière les oreilles. Il vint s’appuyer contre mes côtes et son poids faillit me renverser. Un gémissement attira mon attention et je me tournai vers l’autre chien. J’indiquai ma hanche et je me retrouvai bientôt écrasée entre deux cerbères avides de caresses. Je pris conscience que j’étais peut-être la seule personne au monde à leur avoir témoigné de l’affection. Les chiens de l’enfer étaient dressés dans un seul but, mutiler et tuer. C’étaient des armes, et les armes n’avaient pas besoin de tendresse.

    Je leur grattai la tête et fis la grimace lorsque mon visage fut détrempé par deux longues langues mouillées.

    — Pouah ! Ce n’est pas un comportement très infernal.

    J’essayai de repousser leurs gueules, mais ils insistèrent jusqu’à me faire basculer à la renverse.

    — Arrêtez, arrêtez ! m’exclamai-je.

    Incapable de me faire obéir, je lançai d’une voix étranglée :

    — Couchés.

    Immédiatement, ils interrompirent leurs jeux pour s’allonger. Au moins, ils étaient bien éduqués, c’était déjà ça.

    J’essuyai mes joues humides avec la manche de mon manteau et tressaillis en sentant des mèches de cheveux mouillés se plaquer de part et d’autre de mon visage. J’étais toujours en train de me sécher quand je me rendis compte du silence qui régnait alentour. Levant les yeux, je découvris alors les quatre hommes qui m’observaient avec stupéfaction et incrédulité. Je poussai un soupir que seuls les chiens purent entendre. Comme si j’avais besoin de ça, une autre raison d’éveiller la curiosité des Mohiri.

    Les hommes se ressaisirent et les jumeaux firent un pas dans ma direction. Les chiens de l’enfer se levèrent d’un bond devant moi et montrèrent les dents en poussant des grondements menaçants. Niall et Seamus reculèrent instinctivement.

    — Arrêtez ! ordonnai-je en posant mes mains sur le cou des cerbères.

    Leurs grognements cessèrent, mais leurs corps restaient tendus en position protectrice, prêts à bondir à la première provocation. Et maintenant, qu’est-ce que je fais ?

    — Si je ne le voyais pas de mes propres yeux, je ne le croirais pas, fit l’un des jumeaux sans détacher son regard des chiens de l’enfer.

    Son frère secoua la tête.

    — Moi, je n’en crois pas mes yeux.

    Je sentis un grondement sourd dans la poitrine des chiens quand les hommes parlèrent et je me demandai comment j’allais bien pouvoir empêcher les bêtes de blesser quelqu’un. Les cerbères semblaient plutôt dociles avec moi, mais apparemment, cette obéissance ne s’étendait pas aux autres, et encore moins aux hommes armés.

    — Euh… vous pouvez baisser vos armes ?

    Aucun des hommes ne fit ce que je leur demandais et ils me regardèrent comme si j’avais perdu l’esprit. Je comprenais leur hésitation, étant donné ce qu’ils avaient devant les yeux, mais je ne trouvais aucun autre moyen d’arranger la situation avec calme.

    — Ils me protègent et vous avez l’air hostiles, leur expliquai-je tout en caressant la tête des chiens. Ils ignorent que vous êtes des amis, alors pourriez-vous ranger vos armes ?

    Le guerrier blond fut le premier à obtempérer, rengainant son épée dans le fourreau qu’il portait dans le dos. Les autres l’imitèrent. Dès que la dernière arme eut disparu, je sentis le poil des chiens retomber.

    — C’est mieux. Maintenant, je suppose qu’aucun de vous ne sait comment mes chiens de l’enfer ont atterri ici.

    L’un des jumeaux en resta bouche bée.

    Tes chiens de l’enfer ?

    Je cajolais l’une des deux grosses têtes.

    — À votre avis, est-ce qu’ils appartiennent à quelqu’un d’autre ?

    Callum ricana et le guerrier blond me regarda avec admiration. Seamus et Niall se tournèrent vers les deux autres pour attendre leur réaction. Comme ils ne disaient toujours rien, l’un des jumeaux prit la parole :

    — Ils sont arrivés hier. C’est tout ce que je sais. En temps normal, les bêtes, ce n’est pas mon rayon.

    — Vous avez d’autres animaux ici ?

    Il sembla hésiter.

    — Je ne dirais pas que ce sont des animaux, mais en effet, je crois qu’il y en a quelques-uns dans la ménagerie.

    L’image des jeunes trolls pris au piège dans leur cage me revint à l’esprit et la colère m’envahit.

    — Vous avez une ménagerie ici ? Vous exposez des créatures ?

    — C’est juste un nom. En fait, il s’agit de l’endroit où nous gardons certaines des créatures capturées qui causent des problèmes aux humains, en attendant de trouver une solution.

    — J’aimerais voir ça.

    Comme il s’apprêtait à objecter, j’ajoutai :

    — Si mes chiens doivent vivre ici, je veux voir la ménagerie. Et puis, comment comptez-vous les ramener ?

    Posant sur les chiens de l’enfer un regard méfiant, il soupira.

    — Suis-moi.

    Je lui emboîtai le pas, gardant une distance de sécurité tandis qu’il me conduisait vers un ensemble de bâtiments en pierre au fond du domaine. Les cerbères m’accompagnaient, mais je voyais bien qu’ils étaient constamment sur le qui-vive, guettant les menaces éventuelles.

    Claire ne m’avait pas emmenée dans ce coin-là lors de ma visite, et je m’étais dit qu’on y rangeait probablement les armes ou qu’il s’agissait de salles d’exercice supplémentaires. Le bâtiment le plus vaste était un long rectangle sur deux niveaux, dont seul le premier étage comportait des fenêtres. Si le dôme de son toit ressemblait à du verre épais, il était vraisemblablement d’une matière plus solide. Il n’y avait qu’une seule entrée et mon guide tira la lourde porte en acier renforcé, me laissant passer en compagnie des chiens.

    Je m’attendais à tout sauf à cette salle aérée et baignée de lumière qui s’élevait sur deux niveaux, séparée en huit enclos grillagés de tailles variables. Entre les cages se dressaient d’épaisses cloisons, sans doute pour empêcher leurs occupants de se gêner les uns les autres, et toutes étaient bordées de barreaux métalliques. Quand nous entrâmes dans le bâtiment, je ne pouvais pas voir ce qu’il y avait à l’intérieur des cages, mais des grattements à l’autre bout de la salle m’indiquèrent qu’au moins l’une d’entre elles était occupée.

    — Je peux visiter… ? Lequel des deux es-tu, déjà ?

    Il sourit.

    — Seamus. Vas-y, mais tu ferais mieux d’enfermer d’abord tes bêtes, parce qu’elles rendent les autres créatures nerveuses. Et moi aussi, d’ailleurs.

    — Où doivent-elles aller ?

    Je n’aimais pas l’idée de mettre un animal en cage, mais le bon sens m’imposait de ne pas laisser les chiens de l’enfer gambader en liberté. Ou du moins, pas encore.

    — Ici.

    Seamus désignait le premier enclos, qui mesurait six mètres sur cinq. Il y avait une fente à l’avant, au niveau du sol, par où l’on pouvait servir la nourriture et l’eau, et au fond j’aperçus une ouverture qui donnait sur une structure sombre aux allures de grotte.

    J’indiquai la porte ouverte de la cage.

    — Bon, entrez, les petits.

    Les cerbères hésitèrent un moment et je crus qu’ils allaient refuser. Je ne pouvais pas leur en vouloir. Moi non plus, je n’aimerais pas être emprisonnée. Mais ils entrèrent sans que j’aie besoin d’insister et je refermai la grille derrière eux.

    — Je vous rendrai visite tous les jours. On me laissera peut-être vous emmener en promenade si vous vous comportez convenablement.

    À la tête de Seamus, je compris que personne ne ferait jamais assez confiance aux chiens de l’enfer pour les laisser sortir librement, quel que soit leur comportement. Nous en reparlerions. Ces cerbères étaient sous ma responsabilité et je refusais de les laisser parqués comme des animaux de zoo.

    Seamus examina le mécanisme de fermeture de la grille une fois que je l’eus refermée.

    — Hmm, ça ne semble pas cassé. Comment sont-ils sortis d’ici ?

    — Quelqu’un a peut-être oublié de la fermer à clé.

    Il secoua la tête d’un air pensif.

    — Les verrous se referment automatiquement sur les cages et ils ne peuvent être ouverts qu’à partir du panneau de contrôle principal ou à l’aide d’un mot de passe. Je vais demander à la sécurité de nous montrer la vidéo de surveillance.

    En regardant autour de moi, j’aperçus un certain nombre de caméras de sécurité fixées à intervalle régulier en haut des murs. Il y avait une caméra par enclos et deux près de l’entrée. Quand on détenait des créatures dangereuses, il était logique de les garder sous étroite surveillance.

    J’abandonnai Seamus en train de ronchonner sur son verrou et me dirigeai vers les autres cages, particulièrement curieuse des créatures qu’elles renfermaient. Les trois premières cages devant lesquelles je passai étaient vides, mais je pressai le pas en apercevant des volutes de fumée dérivant de la quatrième.

    — Attention, miss. Ne t’approche pas trop de celle-là, me lança Seamus juste avant que l’intérieur de la cage m’apparaisse.

    Je tins compte de son avertissement et passai mon chemin avant de me retourner pour jeter un œil à l’occupant de la cage. Ma mâchoire se décrocha et mes yeux faillirent sortir de leurs orbites.

    — Mais qu’est-ce que… ? Vous avez un foutu dragon là-dedans !

    Je restai bouche bée devant la créature vert-brun qui soufflait de petits nuages de fumée tout en me dévisageant de ses grands yeux verts étrangement similaires à ceux d’un crocodile. Des ailes de cuir étaient repliées contre son corps couvert d’écailles, et il était recroquevillé au fond de sa cage tel un chat prêt à bondir. Il était petit pour un dragon, à peu près de la taille d’un gros taureau, et j’en déduisis qu’il était jeune. Comme les dragons ne sont pas originaires d’Amérique du Nord, je me demandai ce qui avait bien pu l’amener dans le coin.

    — Ce n’est pas un dragon, en réalité, mais une vouivre.

    Un homme au

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