Renaissance
Par Sarah d'Argentol
5/5
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À propos de ce livre électronique
Pour sauver son frère, elle est prête à tout...
Mélissa est jeune et désespérée.
Pour sauver son frère mourant elle a besoin de beaucoup d'argent, très vite.
Elle a arrêté ses études pour passer ses nuits à travailler dans les palaces parisiens. Elle se sert de ses clients autant qu'ils se servent d'elle. Mais cela ne suffit pas.
Quand elle rencontre James, elle est prête à tout.
Mais pas à tomber amoureuse d'un vampire.
James est beau, riche et immortel.
Il a passé les six derniers siècles à fuir ses souvenirs, avec un succès relatif.
Trop d'hommes l'ont manipulé. Maintenant c'est lui qui hypnotise les foules.
Et puis Mélissa fait tout exploser.
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Aperçu du livre
Renaissance - Sarah d'Argentol
MÉLISSA
Mélissa pénétra dans le lobby de l’hôtel comme en terrain conquis. Les talons aiguilles de ses escarpins s’enfonçaient dans la moquette luxueuse, et ses hanches moulées par sa robe de soirée se balançaient sur un rythme indolent.
Le bar frémissait d’activité en cette heure de la soirée. Mélissa marqua une pause à l’entrée du bar, feignant une timidité qu’elle était loin de ressentir. Elle parcourut l’espace du regard, à la recherche de sa proie. Elle ignora les couples et les groupes assis aux tables, et concentra son attention sur le comptoir, là où s’installaient généralement les hommes seuls. Elle en repéra trois, chacun isolé du reste du monde, en tête à tête avec son verre.
Le premier portait un costume fatigué au tissu de piètre qualité, et Mélissa s’en désintéressa aussitôt.
Le costume du second était sobre, bien taillé, sans extravagance. L’homme était empâté, son crâne dégarni.
Cinquante ans, cadre dans une grande entreprise, en déplacement à la capitale pour quelques jours, une femme et des enfants qui l’attendent à la maison. Déjà vu, déjà fait.
Le troisième homme, par contre, retint son attention.
Grand, mince, il arborait une belle crinière argentée et la veste à col Mao de celui qui n’est pas soumis au dressing code d’une hiérarchie.
Elle sourit.
Celui-là avait de l’argent à claquer, et avec un peu de chance une conversation pas trop soporifique. Elle altéra sa course pour se rapprocher.
— Whisky, on the rocks, souffla-t-elle au barman.
Il posa le verre devant elle sans un mot, comme d’habitude. Et comme d’habitude, Mélissa affecta de se concentrer sur son alcool.
Approche dans cinq, quatre, trois…
Mélissa enroula une mèche de ses cheveux autour de son index. Elle les avait relevés dans un chignon pour dégager sa nuque fine, mais avait pris soin de laisser échapper quelques mèches, pour ne pas sembler stricte. Dans une demi-heure, quand sa proie lui aurait raconté sa vie, son œuvre et sa fortune, Mélissa déferait le chignon d’un air distrait. Ses cheveux cascaderaient sur son épaule — ils faisaient toujours leur effet.
… deux, un…
Rien. Mélissa coula un regard discret à l’homme. Il était toujours accoudé au bar, à moins d’un mètre d’elle. Il l’ignorait royalement, toute son attention portée sur l’autre extrémité du comptoir, et le groupe de mannequins qui y discutaient bruyamment. Des mannequins masculins.
Elle étouffa un soupir de frustration et foudroya le barman du regard. Il aurait pu la prévenir.
Le barman ne leva pas la tête du verre qu’il essuyait, mais il s’accorda un sourire narquois.
Connard, songea Mélissa. On voit que t’as un salaire pour payer ton loyer, toi.
Plus de temps à perdre, il fallait aborder monsieur-cadre supérieur avant qu’il ne retourne se coucher dans son hôtel pas cher. Car il était évident qu’il ne pouvait se payer une chambre dans un palace…
Mélissa prit son verre, tourna le dos au comptoir, et manqua de percuter un poitrail masculin. Le whisky s’agita et les glaçons s’entrechoquèrent. Elle leva les yeux vers le nouveau venu. Était-il friqué ? Seul ? Susceptible de se laisser délester de quelques centaines d’euros ?
Le regard dur que l’homme posa sur Mélissa lui ôta tout espoir : ce type-là n’était pas venu se distraire, mais travailler. Il attrapa le verre de Mélissa et se pencha pour le reposer sur le bar. Au passage, il lui souffla dans l’oreille :
— Sécurité. Suis-moi.
Il posa sa grosse patte au creux du dos de Mélissa et la « guida » d’une main ferme vers la sortie.
— Qu’ai-je fait de mal, monsieur l’agent ?
— Changement de management, les putes ne sont plus les bienvenues.
— Escort ! s’indigna Mélissa. Je vends ma compagnie et ma conversation. Le sexe ne fait pas partie du marché. Ça fait six mois que je bosse ici, et personne ne s’en est jamais plaint. Les hommes aiment avoir quelqu’un à qui parler.
Et ça paie mieux que de servir des burgers au fast-food.
Le videur lui jeta un regard morne :
— C’est pas moi qui décide. Je me contente d’appliquer. Débarrasse le plancher. Si tu reviens, j’appelle la Mondaine.
Il la planta sur le trottoir. Une pluie fine de printemps trempait l’asphalte.
Le quartier n’était pas le plus animé de Paris. Seul lieu d’attraction pour ses proies, le palace occupait un immeuble cossu au cœur d’une zone résidentielle. À deux rues de là, le grand magasin le plus chic de France dormait comme un gros chat. Mélissa descendit la rue en marmonnant.
« J’appelle la Mondaine. » Connard. Comme si les flics pouvaient quelque chose contre moi. J’ai l’âge de boire un verre, et le droit de me le faire offrir par le premier gogo venu.
Elle avait garé sa moto dans une ruelle calme, et la machine l’attendait sous la pluie fine.
Un top-case ultra large défigurait la ligne de sa monture bien-aimée, mais Mélissa n’avait pas vraiment le choix. Le travail d’escort exigeait une tenue peu adaptée à la pratique de la moto. Il était trop difficile de garer une voiture dans le quartier où elle bossait, et les taxis revenaient trop chers à la longue.
Quand il pleuvait comme ce soir-là, Mélissa doutait parfois de son choix. Une petite voiture ne devait pas être si difficile à garer ? Elle y serait au sec, et il y aurait même un chauffage. Mais pour ça il faudrait revendre la moto que son frère avait choisie pour elle. Celle qu’il avait baptisée « Mamie », parce que Mélissa ne pouvait se payer qu’une antiquité.
Avant d’ouvrir le coffre, elle effleura le sticker de coccinelle que son petit frère avait collé là. Puis elle se changea : pantalon, bottes et blouson de cuir remplacèrent sa tenue raffinée. Elle dénoua son chignon pour enfiler son casque et mit le contact. Puis elle dit mentalement adieu au quartier cossu. Elle allait devoir se trouver un autre terrain de chasse.
L’hôpital sentait le désinfectant et le vomi. Les dinosaures peints sur les murs et les décorations de Pâques oubliées dans les couloirs ne changeaient rien à l’affaire : les enfants qui entraient dans ce service n’en ressortaient que d’une manière…
Mais pas Jérémy.
Lui allait partir en héros, ou du moins en explorateur. Mélissa allait lui faire traverser l’Atlantique et lui offrir la meilleure thérapie expérimentale pour son affection. La seule thérapie. Dès qu’elle aurait rassemblé la somme.
Elle retrouva son frère dans la salle commune. Assis près d’une fenêtre, il semblait perdu dans la contemplation du ciel parisien. Comme il était frêle. À quinze ans, il en paraissait douze. Mais son visage s’éclaira dès qu’il vit Mélissa. Elle avisa le cahier qui reposait sur les genoux du garçon :
— Comment va l’école ? demanda-t-elle.
— Je ne vois pas pourquoi je m’entête. Ça ne me servira à rien.
— Ne dis pas ça. Dans quelques mois j’aurai assez économisé pour payer ton voyage, et alors tout ira mieux.
Il lui sourit, mais dans ses yeux elle vit qu’il n’y croyait plus. Son cœur se serra.
— Et toi ? dit-il, comment vont les études ? Tu n’as pas des partiels en ce moment ? Tu arrives à réviser malgré le travail ?
— L’avantage d’être concierge de nuit dans un hôtel, c’est qu’on a de longues heures de calme pour travailler. Et mes partiels sont presque finis.
Elle n’avait pas mis les pieds à l’université depuis les vacances de Noël, et n’avait aucune intention de passer quelque examen que ce soit. Plus tard, quand Jérémy serait guéri, elle aurait tout le temps de changer de profession. Elle verrait à ce moment-là.
— Tu es sûre que tu dors assez ? dit le garçon. Tu as l’air fatiguée. Tu devrais peut-être prendre quelques vacances.
— Tu as raison, je vais faire ça.
Elle sourit et lui ébouriffa les cheveux. Il protesta mollement.
Elle n’en pouvait plus de lui mentir. Il était sa seule famille, et il ignorait tout de sa vie. Mais parce qu’elle était la seule famille de Jérémy, elle ne pouvait se laisser aller à cet instant de faiblesse. Elle lui fit la conversation une petite demi-heure, promit de revenir le lendemain, et l’embrassa.
Dans le couloir, l’infirmière en chef lui fit signe de la suivre dans son bureau.
— Je vous ai entendue parler à votre frère, dit-elle en fermant la porte de la minuscule pièce. Je me suis renseignée sur cette histoire de thérapie. C’est un miroir aux alouettes.
Mélissa ouvrit la bouche, mais l’infirmière leva la main pour interrompre sa réplique :
— Le protocole seul coûte plusieurs centaines de milliers d’euros, et n’est pris en charge par aucune assurance. Et c’est sans compter l’hospitalisation, le voyage pour lui et vous… Je sais que vous travaillez dur, mais jamais une jeune fille seule ne pourra rassembler cette somme à temps.
Le cœur de Mélissa rata un battement.
— À temps ? souffla-t-elle.
— La maladie évolue de plus en plus vite, et à l’heure actuelle…
L’infirmière secoua la tête.
— Je ne comprends pas, dit Mélissa. Il a l’air en forme quand je viens le voir.
— Vous n’avez aucune idée de l’effort que ça lui demande. Après votre départ, il passe le reste de la journée dans son lit, et il faut souvent augmenter ses doses d’antidouleur. Il veut vous rassurer, mais il n’est plus temps de se voiler la face. Il faut prévenir votre père.
Chacune des phrases de l’infirmière était comme un coup de poing au ventre de Mélissa, et la dernière la sonna pour de bon.
— Notre père nous a laissés tomber le lendemain du diagnostic.
— Il serait temps de lui pardonner.
— Il ne mérite pas de rencontrer Jérémy.
— Vous avez pensé à ce que votre frère mérite, lui ?
Mélissa ne pensait qu’à ça. Et pour le lui offrir, elle était prête à tout, y compris à vendre son corps. Que personne ne vienne lui dire qu’elle n’avait pas l’intérêt de son frère à cœur. Mais elle avait mieux à faire que de rechercher un homme qui avait tout fait pour disparaître de leurs vies.
JAMES
Àl’instant où le soleil disparut derrière l’horizon, James revint à la vie.
Autour de lui l’immeuble grouillait d’activité. Étendu dans son lit, il entendait les livreurs qui, huit étages plus bas, déchargeaient des caisses de bouteilles à l’arrière des cuisines. Des employés passaient l’aspirateur dans un couloir. Une petite cinquantaine d’êtres humains s’activait à préparer le Renaissance pour son inauguration, quelques heures plus tard, et il entendait chacune de leurs voix.
James avait mené ce projet tambour battant, et en deux ans il avait créé un palace cinq étoiles au cœur de Paris. Il pouvait être fier de lui.
Il allait savourer cette victoire et les douceurs de la vie parisienne pour quelques semaines. Après ça, il lui faudrait un nouveau projet. Peut-être…
Un bruit, sur la terrasse, l’arracha à sa rêverie. En un clin d’œil il était debout, près de la verrière. Il actionna la commande des stores, et les plaques d’acier renforcé se replièrent, révélant le ciel parisien.
S’installer dans un loft entièrement vitré, quand on est un vampire, c’est un pari risqué. James avait pris ses précautions : les vitres étaient blindées, tout comme les volets capables de supporter l’impact d’un petit avion.
James s’était préparé au pire, et le pire l’attendait de pied ferme sur la terrasse.
— Karen, que me vaut ta visite ?
La femme qui se tenait de l’autre côté de la vitre était très grande, très mince, très blonde. Très en colère aussi, et ce sans discontinuer depuis vingt ans.
— Ouvre-moi, pleutre !
James hésita.
Il était plus fort qu’elle. Plus vieux. Il lui avait tout appris. Bon sang, c’était lui qui avait fait d’elle ce qu’elle était !
Là était le problème, d’ailleurs.
Il déverrouilla la porte-fenêtre et lui tourna le dos. Karen ne devait pas savoir à quel point elle le rendait nerveux. Cette femme était pire qu’un chien : si elle sentait sa peur, elle lui sauterait à la gorge sans hésiter.
James traversa donc son appartement d’un pas nonchalant, affectant de ne pas s’inquiéter quand il entendit Karen pénétrer chez lui.
— Café ? proposa-t-il.
— Je ne comprends pas pourquoi tu bois cette horreur.
— C’est un Pacamara que je fais venir spécialement du Guatemala. Je le prépare à l’eau distillée. On ne fait pas mieux.
— Peu importe. Grâce à toi ça fait vingt ans que je ne bois que du sang.
Nous y voilà.
Il poussa un soupir de martyre et se prépara sa première tasse de café. Pendant plusieurs minutes il ne dit rien, n’accorda pas un regard à sa visiteuse. Karen ne bougea pas un muscle. En l’absence de battements de cœur, et comme elle n’avait pas besoin de respirer, elle ne faisait pas plus de bruit que l’une des statues de bronze qui décorait le loft. James savoura ce fait, conscient que le calme n’allait pas durer. Quand son breuvage fut prêt, il se retourna enfin.
Karen le foudroyait du regard. Il la considéra par-dessus le rebord de sa tasse. Le café était brûlant, corsé et parfumé, comme il l’aimait. Il emplit ses narines de l’arôme de l’arabica. Mais une note suave et fétide vint lui gâcher son plaisir. Il plissa le nez :
— Tu as chassé, remarqua-t-il.
— Tu as fait de moi ce que je suis, ne viens pas me faire la morale maintenant.
— Qu’es-tu venue faire ici ?
— Assister à ton dernier triomphe en date, bien sûr.
Elle rompit son immobilité pour déambuler dans le loft et faire courir ses doigts sur les œuvres d’art. James la regardait faire en frissonnant intérieurement. Le moindre geste de Karen avait des airs de menace.
— Tu pensais vraiment que tu pouvais te cacher ?
— Karen, si j’avais voulu me cacher, je ne l’aurais pas fait dans un bâtiment en verre, et je n’aurais pas invité tout Paris à l’inauguration. Que veux-tu ?
— Redevenir humaine.
— C’est toujours aussi impossible que la dernière fois que tu me l’as demandé.
— Alors je veux te gâcher la vie comme tu as gâché la mienne.
James reposa sa tasse un peu trop vivement, et le café lui éclaboussa la main.
— À une époque, je t’ai aimée, dit-il, et c’est la seule raison pour laquelle tu es encore de ce monde. Mais ne me pousse pas à bout. Je t’ai faite vampire, je peux aussi bien te réduire en poussière.
— Tu ne me fais pas peur.
— Alors tu es encore plus folle que je le pensais. Sors d’ici avant que je ne perde patience.
Elle redressa le menton d’un air de défi, et il crut qu’elle allait refuser. Mais elle croisa son