Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La dernière Orchidée
La dernière Orchidée
La dernière Orchidée
Livre électronique492 pages5 heures

La dernière Orchidée

Évaluation : 4 sur 5 étoiles

4/5

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

La vie d'Anthea Grage est apparemment normale. Elle vit à Portown, une petite ville du Maine, elle a une famille qui l'aime et une inséparable meilleure amie, Lyv, la seule à connaître son sombre secret. Personne d'autre ne sait qu'au plus profond de la nuit les rêves d'Anthea ne sont pas peuplés de peurs et de désirs mais de l'empreinte d'événements qui doivent se produire. Lorsque l'un de ces rêves prémonitoires lui annonce l'arrivée en ville d'un jeune homme mystérieux et très beau, Noah Shane, sa routine ennuyeuse est complètement chamboulée. La jeune fille se retrouve tout à coup contrainte de remettre en question tout ce à quoi elle a cru jusqu'à présent. Des parties obscures de son passé frappent avec insistance à la porte afin de redevenir d'actualité et Caleb Shane, le cousin grincheux de Noah, semble connaître des choses qu'elle ignore et qu'elle veut découvrir à tout prix. Anthea parviendra-t-elle à découvrir ses véritables origines... et à y survivre?

LangueFrançais
ÉditeurLavinia Vi
Date de sortie3 sept. 2020
ISBN9781071564844
La dernière Orchidée

Auteurs associés

Lié à La dernière Orchidée

Livres électroniques liés

Histoires d'amour pour jeunes adultes pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur La dernière Orchidée

Évaluation : 4 sur 5 étoiles
4/5

1 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La dernière Orchidée - Lavinia Vi

    Ce roman est une œuvre de fiction, par conséquent tous les noms, les personnages, les lieux et les événements que l’on peut y rencontrer sont nés de l'imagination de son auteure. Toute ressemblance avec des faits, des lieux ou des personnes réelles, existantes ou ayant existé ne peut être que le fruit du hasard.

    PROLOGUE

    Dix-sept années plus tôt

    C'était une nuit calme. L'homme, méfiant, regarda autour de lui mais il n'y avait personne d'autre dans les parages. La lueur lunaire conférait un éclat argenté au panorama nocturne et même les cimes des arbres semblaient briller légèrement. Les seuls bruits perceptibles étaient ceux de la nature: de temps en temps, on pouvait entendre le souffle du vent qui, léger, caressait la végétation en la faisant frissonner.

    L'homme n'entendait que les battements frénétiques de son cœur. Le contraste qu'ils faisaient avec le calme environnant rendait ce bruit encore plus effrayant.

    Peut-être était-il fou? Que lui était-il passé par la tête? Ne jamais marcher sur les pieds des personnes puissantes avait toujours été sa devise. Mais il ne pouvait pas et ne voulait pas le faire. Sa vie n'avait été qu'une suite d'actions dont il ne pouvait se vanter. Certaines même avaient été carrément... discutables. D'autres tout simplement abjectes. Mais jamais il aurait pensé devoir accomplir une telle atrocité.

    Peut-être était-il en train d'orchestrer son suicide, allez savoir. Mais en regardant le petit paquet qu'il serrait dans ses bras, il n'arrivait pas à regretter ce qu'il était sur le point de faire et il se félicitait même au plus profond de son cœur d'avoir la force d'aller jusqu'au bout et l'audace de racheter une vie de compromis grâce à une action très courageuse, même si c'était la seule qu'il eût jamais commise. Il pouvait finalement être fier de lui.

    L'esprit encombré par toutes ces pensées, l'homme se fraya un chemin à travers la végétation épaisse et finit par trouver un sentier qui allait l'amener exactement là où il voulait aller. Rien n'avait été laissé au hasard.

    Après quelques dizaines de mètres, il la vit. La maison et tout ce qui l'entourait étaient bien éclairés par la clarté lunaire. Sous le porche, il y avait une chaise sur laquelle avait été posé un bikini, probablement laissé là à sécher dans le courant de l'après-midi et puis oublié; à côté, une paire de tongues de plage. Des objets normaux qui appartenaient à des personnes normales à l’existence normale. Justement tout ce dont la petite avait besoin: couper les ponts avec ses propres origines et se construire une vie rassurante, exempte de tout danger. Une vie dont personne ne saurait rien.

    Tout en se répétant ces paroles, il s'avança vers la maison, grimpa les deux marches qui menaient jusqu’au porche et posa délicatement la petite fille endormie sur la couverture qu'il avait prise avec lui.

    « Bonne chance, petite Anthea » lui murmura-t-il en un excès inattendu de tendresse. Il s'attarda encore quelques secondes afin de la regarder. La petite continuait à dormir placidement, ignorante de tout ce qui l'attendait à son réveil.

    Puis l'homme disparut dans la nuit comme s'il n'avait jamais existé.

    CHAPITRE 1

    Cette nuit-là, je fis un rêve très réaliste. Je me trouvais dans une clairière naturelle entourée d'arbres, un lieu superbe et dissimulé aux yeux des indiscrets. Les rayons du soleil y créaient une zone lumineuse aveuglante juste au milieu et c'était là que je reposais, étendue sur l'herbe fraîche et humide. J'étais immobile, les bras et les jambes écartées, dessinant un grand X coloré sur le sol vert et brillant, mes longs cheveux blonds éparpillés comme une roue autour de ma tête. Je vais mouiller tous mes vêtements pensait mon moi lucide, celui de mon rêve, pourtant cela n'avait pas l'air de le préoccuper le moins du monde.

    Mes yeux étaient fermés mais je sentais le soleil taper sur la peau réchauffée de mon visage. Tout à coup, je sus que je n'étais plus seule. Je soulevai paresseusement les paupières tout en me tournant. À mes côtés, se trouvait un garçon, environ de mon âge, à la beauté aussi aveuglante que la lumière qui nous enveloppait.

    Ses yeux étaient de la couleur d'un ciel d'été: non pas d'un bleu céleste délavé, mais plutôt d'un véritable bleu intense qui semblait aspirer tout ce qu'il y avait autour. Une couleur presque inquiétante à cause de sa rareté. Je n'avais jamais vu des yeux comme ceux-ci.

    Son visage exprimait la sérénité même s'il ne souriait pas, du moins pas avec la bouche. Il souriait avec les yeux. D'un geste distrait, il passa sa main dans ses cheveux très blonds qui brillaient au soleil comme s'ils avaient été trempés dans un or pur et très fin. En y regardant plus attentivement, on voyait pourtant qu'ils n'étaient pas aussi clairs. De tout son être semblait émaner une véritable lumière.

    Alors seulement, je me rendis compte qu'il parlait. Je n'entendais pas ses paroles, mais je voyais ses lèvres s'agiter tandis que le moi de mon rêve riait pour quelque chose que le jeune garçon venait de dire.

    Je me sentais vraiment bien, en sécurité.

    La douce nature m'entourait et la compagnie n'était pas mal. Vraiment pas mal!

    Je me disais justement que j'étais comblée lorsque la foutue sonnerie du réveil a résonné, faisant voler en éclats l'enchantement de mon rêve.

    Le passage du sommeil à la réalité fut si soudain que je me levai d'un seul coup et ma tête alla heurter le plafond de ma chambre. Ce qui pourrait paraître étrange dans des conditions normales. Mais bien des années auparavant, dès que j'eus l'âge de dormir toute seule, mes parents décidèrent d'agrandir ma chambre en y aménageant une mezzanine en bois, à peine capable d'accueillir dans sa largeur un lit et une petite table de nuit. Heurter le plafond de la tête devint bien vite une habitude et pourtant la plupart du temps je trouvais rassurant de dormir là-haut. Cela me donnait une sensation d'invulnérabilité comme si personne ne pouvait me faire du mal dans un espace aussi petit et éloigné du monde.

    Me frottant le sommet du crâne du bout des doigts, je descendis l'escalier et choisit des vêtements dans mon armoire, plus soigneusement que d'habitude.

    Après un rêve de ce genre, n'importe qui au réveil se serait senti un peu déprimé à la pensée d'avoir vécu pendant quelques instants fugaces une scène fantastique comme celle-ci, avec un garçon beau comme un dieu.

    Pas moi.

    Moi, je savais que j'allais rencontrer ce garçon dès aujourd'hui.

    J’avais toujours eu de l'intuition. Il m'arrivait souvent de savoir des choses sans en connaître la raison et très souvent ces informations me parvenaient sous forme de rêves.

    Cela ne signifiait pas qu'à un certain moment de cette journée, je me retrouverai allongée dans une clairière à parler avec un inconnu. Ce n'était pas comme ça que cela marchait. Il y avait des éléments, dans mes rêves, qui attiraient mon attention et qui, de façon épouvantablement régulière, avaient tendance à se présenter dans la réalité, au réveil. Tout simplement.

    Peut-être étais-je dotée d'une sensibilité exacerbée qui me permettait de voir au-delà des schémas traditionnels. Ou du moins, c'était ce que je préférais penser.

    Je pris une douche rapide puis, les cheveux encore humides, je descendis dans la cuisine où une odeur irrésistible de nourriture en train de cuire me tordit bruyamment l’estomac.

    Ma mère était aux fourneaux, sa longue chevelure brune rassemblée en une queue de cheval avec sur le dos un tablier blanc orné de délicates fraises rouges en guise de décoration. Dès qu'elle me vit, elle m'adressa un grand sourire et m'indiqua d'un signe de tête la table dressée où m'attendait une montagne de pancakes prêts à être dévorés avec du sirop d'érable.

    Je ne me fis pas prier.

    Je pris place et m'en servis une généreuse portion. « À quoi dois-je aujourd'hui ce superbe accueil? »

    Elle se retourna vers moi en faisant semblant d'être vexée. « Je te réserve toujours un superbe accueil! » dit-elle. Elle secoua la tête d'un air amusé, ce qui fit ondoyer sa queue de cheval.

    « C'est vrai », répondis-je. « Mais aujourd'hui plus que d'habitude. »

    Maman me sourit et s'avança pour m'embrasser sur les cheveux. « Je n'ai pas besoin d'une raison particulière pour chouchouter ma fille préférée. »

    « Fille unique, devrais-tu dire », m'empressai-je de la corriger avant que mon portable ne se mette à sonner. Timing parfait. Lyv s'afficha sur l'écran. Je soupirai. Ma meilleure amie après tant de temps passé en symbiose, s'obstinait encore à être ponctuelle aux rendez-vous.

    C'était sans espoir.

    J'avalai la dernière bouchée de pancake et courus dans les escaliers pour attraper au vol mon sac et mon manteau. Puis je sortis en lançant un baiser à maman au passage.

    Comme prévu, Lyv était assise au volant de sa coccinelle cabriolet rouge vif et retouchait son rouge à lèvres en s'examinant d'un air critique dans le rétroviseur de son auto.

    Je retins difficilement un soupir de jalousie: on aurait vraiment dit un top model, avec ses longs cheveux roux attachés en queue de cheval façon bohémienne - qui était plus étudiée qu'il n'y paraissait - ses grandes lunettes de soleil qui faisaient ressortir l'ovale parfait de son visage et ses lèvres pleines, mises en évidence par la juste tonalité de son rouge à lèvres et qui attiraient immédiatement le regard.

    En m'entendant arriver, elle se tourna vers moi. « Il était temps! » s'exclama-t-elle en arquant des sourcils très bien dessinés.

    Je levai mon majeur vers le ciel et elle éclata de rire.

    « Je ne suis en retard que d'une minute. Tu es un véritable tyran! »

    En guise de réponse, elle me tira la langue.

    Lyv et moi, nous nous connaissions depuis la maternelle et c'est à cette époque-là que nous devînmes inséparables. Personne ne pouvait comprendre comment deux personnes aussi différentes que nous pouvaient ne serait-ce que se tolérer et devenir amies. Mais la vérité, c'était que personne ne savait combien, au fond de nous-mêmes, nous étions semblables. Nous riions pour les mêmes plaisanteries stupides, nous pleurions pour les mêmes films à l'eau de rose et nous étions capables de parler pendant des heures sans jamais parvenir au bout de notre argumentation. Nous étions deux esprits jumeaux qui se complétaient l'un l'autre.

    Ce jour-là, nous avions comme programme de faire un peu de shopping et puis de déjeuner dans le seul restaurant décent du quartier, comme nous le faisions tous les mardis depuis que la maman de Lyv avait commencé à travailler à temps plein, la laissant seule plus souvent qu'elle ne pouvait le supporter.

    Normalement, je préfèrerais me crever les yeux plutôt que de rester dans un magasin d'habillement plus de dix minutes d'affilée, mais j'avais besoin d'acheter des vêtements neufs à cause de l'imminence de la rentrée scolaire et je ne pouvais pas compter sur les goûts de ma propre mère. Lyv était, même si cela me faisait mal de l'admettre, mon seul espoir en ce domaine.

    « J'ai toujours su que tôt ou tard tu aurais cédé et que tu aurais fini par te fier à mon incroyable instinct en matière de mode et d'emplettes », me dit-elle avec une expression satisfaite sur le visage tout en démarrant. Depuis toujours elle rêvait de révolutionner ma garde-robe, un peu comme dans ces programmes télévisés à quatre sous dont raffolent les adolescentes.

    Oh, pauvre de moi.

    « Lyv, tu sais que la modestie est la chose la plus attirante chez une fille? » lui répondis-je en levant les yeux au ciel.

    Elle rit. « Comme tu veux. Mais tu sais combien j'ai raison, sinon tu ne serais pas ici avec moi. »

    Malheureusement pour moi, je ne pouvais guère lui donner tort.

    « Et pour la petite histoire, la chose la plus attirante chez une jeune fille, ce sont les chaussures! Surtout celles avec des talons! Mais ne t’inquiète pas... à la fin de cette journée, tu t'en rendras parfaitement compte » ajouta-t-elle en me faisant un clin d'œil.

    Je soupirai. Je n'allais certainement pas acheter une maudite paire de chaussures à talons hauts. Certainement pas.

    Deux heures plus tard, j'arpentais le trottoir en traînant trois sacs pleins de tee-shirts et de jeans. J'avais réussi à convaincre Lyv de laisser de côté les robes longues de cocktail - quand aurais-je pu les mettre?! - mais elle était restée intransigeante au sujet des bottes à talons. Lorsque j'avais protesté, elle m'avait répondu avec son air de miss je sais tout: « Que mettras-tu lorsque nous serons invitées à une fête? Tu sais bien qu'elles seront parfaites. Et si en revanche tu devais y aller avec tes horribles chaussures de sport violette et jaunes, je te jure que je ferai semblant de ne pas te connaître ». Pourtant, malgré toutes ces menaces, je m'amusais comme une folle.

    Le shopping me distrayait et l'enthousiasme de ma meilleure amie ne pouvait qu'être contagieux. S'il ne l'avait été, la tension m'aurait tuée. Je ne cessais de scruter chaque personne que nous croisions dans la rue, attentive à ne pas rater la première rencontre magique avec le mec blond-et-beau-comme-un- dieu.

    Cette fille en connaissait un rayon!

    Elle était aussi heureuse dans un magasin de fringues que je ne l'aurais été dans la fabrique de chocolat de Willy Wonka[1]. Elle scrutait les longs portants de vêtements et de chaussures comme je l'aurais fait avec des brins d'herbe en sucre ou la fontaine de chocolat chaud. Avec une expression famélique.

    Moi, j'aurais pu fouiller des heures dans le même magasin sans rien y trouver d'à peine décent: au contraire, Lyv entrait, regardait autour d'elle et tirait de je ne sais où quelque chose que je devais absolument essayer et qui allait m'aller assurément très bien. Et... qui l'eût cru? À chaque fois, elle avait tout bon.

    Elle était tellement concentrée sur sa mission impossible - comme elle aimait à la définir ainsi - qu'elle ne se vantait même pas de tout ce qu'elle réussissait à me faire acheter. Pourtant se vanter était le propre de Lyv.

    Juste au moment où le divertissement commençait à perdre son intérêt et que mon niveau de tolérance avait atteint ses limites, ma meilleure amie décréta qu'il était temps d'aller déjeuner.

    Lorsque nous entrâmes dans le restaurant, Blaine - le serveur qui depuis toujours avait un faible colossal pour Lyv - était en train de prendre la commande d'un autre client, ce qui ne l'empêcha pas de nous sourire et de nous escorter jusqu'à notre table préférée dès qu'elle fut libre.

    « Vous souhaitez quelque chose à boire, le temps de choisir ce que vous allez manger? » nous demanda-t-il en torturant le bord de son tee-shirt et en essayant de ne pas regarder Lyv avec trop d'insistance.

    Pauvre garçon.

    Lyv faisait des victimes partout où elle passait mais elle semblait ne pas s'en rendre compte. Elle continuait à sourire à l'infortuné serveur, ce qui le rendait encore plus nerveux qu'il n'était. J'aurais juré pouvoir entendre battre son cœur.

    « Une bouteille d'eau, s'il te plait », dis-je avant que le garçon ne puisse subitement s'embraser tout seul. Je lui souris avec éducation mais comme prévu, il ne regardait pas dans ma direction.

    Vive l'invisibilité!

    « Dieu, tu as l'intention de le faire mourir d'un infarctus avec tous ces sourires? », taquinai-je Lyv une fois que Blaine fut hors de portée de voix.

    « Je ne suis que gentille. Tu devrais t'inspirer de moi, tu sais? » me répondit-elle en haussant les épaules. « Et puis, ta théorie est stupide. Je ne lui plais pas », ajouta-t-elle en rougissant toutefois un peu. Elle prit le menu et commença à l'éplucher avec ostentation.

    Et avec ça, le sujet était clos.

    Je reçus le message et me concentrai à mon tour sur la carte - ce qui fut assez facile - mais je savais déjà que j'allais prendre un énorme hamburger avec des frites. La malbouffe et moi nous entendions à merveille.

    « Alors mon devin préféré, que dit mon horoscope du jour? ». La voix de Lyv m'arracha à mes pensées. Je soupirai dans sa direction.

    Elle était au courant de mes intuitions depuis que nous étions toutes petites. En vérité, elle avait été le témoin direct de nombreux épisodes, quelques-uns étant même assez macabres. Un jour par exemple, j'arrivai à l'école bouleversée d'avoir rêvé la mort de mon lapin domestique; évidemment, je le lui racontai. Il n'est pas difficile de deviner quelle fut la surprise qui m'attendait lorsqu'elle et moi sommes retournées à la maison pour y faire nos devoirs ensemble.

    J'ai toujours été très sensible et cet épisode me tortura pendant des années.

    Avec la succession d'événements identiques à celui-là, ce fut justement Lyv qui développa la théorie de mon intuition. Elle n'arrêtait pas de se moquer de moi en m'appelant la prophétesse un jour et en me demandant de lui composer un horoscope personnalisé un autre. Et comme il est coutume, je faisais semblant d'être excédée. Mais en réalité nous savions toutes les deux que je l'adorais et je m'amusais à inventer pour elle les choses les plus improbables.

    Pour la petite histoire, aucun de mes horoscopes ne s'était jusqu'à présent révélé exact.

    Bah, quasiment aucun.

    « Mmm... je prévois qu'aujourd'hui Nik fera la lessive, cuisinera et qu'à ton retour, il t'offrira un beau cadeau qu'il aura soigneusement confectionné pour toi. » Nik était le petit frère de Lyv: douze ans d'un véritable mauvais caractère et de méchanceté concentrés dans un mètre soixante-cinq de hauteur. Et, à moins que le cadeau en question ne soit une boîte remplie de cafards ou de quelque chose d'aussi agréable, je doutais que ma prophétie ne se réalisât.

    Sa bouche se tordit en une grimace comique. « Comme tu peux être ennuyeuse! Cela te couterait-il de me prévoir une jolie chose pour une fois? »

    « Tu ne m'as pas laissé finir. Ton frère sera un gentil garçon et un garçon de restaurant en tee-shirt moulant te demandera de sortir avec toi avant la fin de notre déjeuner », ajoutai-je, ne gagnant en retour qu’une œillade furibonde et un murmure qui ressemblait à une grosse injure.

    En échange, je lui adressai un sourire angélique.

    Au même moment - avec un timing que je définirais comme parfait - Blaine revint avec notre bouteille d'eau et son calepin, prêt à prendre notre commande. Je lui commandai mon habituel hamburger et Lyv opta pour une pizza. Mais, tandis qu'elle lui expliquait qu'elle la voulait sans tomate à cause de son allergie - comme si lui avait déjà mémorisé toutes ses habitudes alimentaires - je remarquai une rougeur suspecte sur ses joues. Parler avec lui après avoir été moquée à ce sujet la mettait toujours dans l'embarras. Dès qu'il s'éloigna, je décidai que le moment de raconter mon rêve à Lyv était arrivé. J'avais vraiment envie de partager ça.

    « Oh », s'exclama-t-elle lorsque j'eus terminé. « Mais c'était un rêve rêve ou un rêve du type mes-pouvoirs-inquiétants-sont-en-train-de-me-révéler-quelque-chose? »

    Je lui lançai un sale regard. « Tu me fais passer pour un phénomène de foire, tu ne m'aides pas beaucoup! »

    « Okay, okay, ne t'énerve pas, c'était juste pour savoir », me répondit-elle en levant les mains en signe de reddition.

    « De toute façon, oui, il y avait quelque chose d'étrange dans ce rêve » pensai-je tout haut tout en traçant des cercles sur le bord de mon verre. « Il était trop vivant, moi j'étais consciente. C'est comme si je l'avais vécu en le voyant de l'extérieur. »

    Je finis par lever les yeux et je vis que Lyv me fixait d'un air pensif tout en enroulant une fine mèche de sa chevelure parfaite autour de son doigt. Elle était déjà en train d'analyser chaque aspect de mon rêve. Je l'imaginai en train de chercher quand et si chaque élément que je lui avais raconté allait se vérifier dans la réalité.

    Ma meilleure amie était ainsi faite. Elle était attirée par les mystères comme une abeille par le miel.

    D'un seul coup, elle écarquilla les yeux avec une expression de surprise. « Tu as dit que le type était blond, beau, avec des yeux très bleus, n'est-ce pas? »

    « Exact. Tu connais quelqu'un qui lui ressemblerait? »

    « Non, pas encore, mais le gars accoudé au comptoir derrière toi correspond parfaitement à la description que tu viens de me faire », dit-elle en faisant un signe du menton dans cette direction.

    Je me retournai d'un seul coup.

    Le comptoir, mis à part le vieux Hank qui, depuis que je venais ici, n'avait jamais bougé de derrière sa caisse, était vide.

    Je reportai de nouveau le regard sur Lyv qui ne réussissait qu'à grand peine à se retenir de rire. « Hilarant, vraiment. N'as-tu jamais pensé à faire carrière dans le comique? Je t'assure que tu y aurais un futur », lui dis-je en lui balançant une serviette qui rebondit sur son tee-shirt et atterrit dans son verre d'eau.

    « Nous sommes susceptible aujourd'hui, n'est-ce pas? » me provoqua-t-elle, toute heureuse de la réussite de sa blague. Elle saisit de deux doigts la serviette trempée et la posa au bord de la table. « Je ne pige pas pourquoi tu t'énerves autant. Tu as toujours dit que pour toi, les garçons n'étaient pas une priorité. »

    Je haussai les épaules.

    En effet, j'avais dit ça, et pas qu'une fois. Mais il y avait quelque chose dans ce rêve qui me disait que cette rencontre était vraiment importante, comme si mon avenir entier en dépendait. C'était une chose ridicule, mais je ne parvenais pas à ôter ce pressentiment de mon esprit. Peut-être qu'une petite partie de moi, si bien cachée qu'elle en était imperceptible, espérait que cette fois-ci serait différente. Et que je serais finalement tombée amoureuse.

    Toutes les filles de mon âge avaient perdu la tête, au moins une fois, par amour. La seule chose qui m'était arrivée à moi n'était qu'un moment initial d'euphorie qui me fit croire que j'y étais parvenue mais qui, après quelques semaines, se transforma en un timide lien affectif.

    La plupart du temps, j'étais vraiment heureuse de ne pas finir comme les filles qu'il m'arrivait de croiser en larmes dans les toilettes, le cœur brisé et souvent en compagnie d'une amie qui, tout en enlaçant et en consolant la malheureuse, pensait déjà à la manière de récupérer pour elle le garçon qui venait tout juste de se retrouver libre.

    D'autres fois au contraire, je sentais qu'il y avait quelque chose en moi de profondément triste et qui n'allait pas.

    Blaine arriva avec nos commandes et interrompit le fil de mes pensées.

    Lyv et moi discutâmes de tout et de rien pendant le reste du temps et, lorsque fut venu le moment de s'en aller, le serveur tendit à ma meilleure amie en plus de la note, un numéro de téléphone qu'elle s'empressa vite de cacher à mes yeux.

    Je n'en fus pas surprise. Même si la discussion sur mon rêve - ou sur ma vie amoureuse en général - ne fut plus abordée, le poids sur mon estomac ne devait guère s'estomper avant longtemps.

    À la fin de la journée, je demandai à Lyv de me laisser devant une librairie plutôt qu'à la maison.

    « Tu es sûre? Tu ne veux pas que je t'accompagne? » me demanda-t-elle avec un air préoccupé. « Il fait déjà nuit », me fit-elle ensuite remarquer. En disant ces mots, elle lança un regard par la vitre de sa portière.

    Je lui souris. « Il n'est que six heures du soir, Lyv. Il y a encore du monde dans la rue. Je n'aurais que cinq minutes de marche à faire pour être chez moi. Ne t'inquiète pas » dis-je pour la tranquilliser.

    Comme s'il n'arrivait jamais rien dans ce coin de la ville. À condition que le terme de ville soit approprié: Portown, dans le Maine, était une petite agglomération qui comptait à peine plus de deux mille personnes. Elle consistait en une zone centrale où se regroupaient tous les magasins et les lieux les plus fréquentés, et une zone périphérique où se trouvaient les habitations, le petit parc public et un petit bois pas trop étendu qui dissimulait un lac, l'unique chose digne d'intérêt.

    Lyv n'était pas convaincue. « Nous pouvons toujours y aller ensemble, comme ça, après, je te raccompagne chez toi », tenta-t-elle une nouvelle fois, mais je secouai la tête. J'avais besoin d'un peu de temps pour moi, et la librairie était le meilleur endroit que je connaisse pour ça. Elle était toujours peu fréquentée et même s'il y avait quelqu'un d'autre en même temps que moi, la personne serait plus concentrée sur les livres que sur ma présence.

    Et puis, le fait que Lyv soit avec moi m'aurait gênée. Bien sûr, elle n'aurait sans doute rien dit ni fait pour que je me dépêche, mais je savais qu'elle était bien plus à l'aise dans un magasin de vêtements que dans une librairie. En la voyant s'ennuyer, je n'aurais pas pu me détendre autant que je le souhaitais. C'est pourquoi, même si j'appréciais sa bonne volonté, j'étais décidée à y aller seule.

    Finalement, elle céda et m'accompagna jusqu'à la librairie mais pas avant que je n'accepte de laisser mes sacs de courses dans sa voiture afin qu'ils ne m'encombrent pas trop lorsque je retournerai chez moi à pied. Elle me salua d'un baiser sur la joue, me mettant du rouge à lèvres partout, et attendit que je ne sois entrée dans le magasin avant de redémarrer.

    Je regardai autour de moi et soupirai de soulagement: seuls les livres me renvoyèrent mon regard. J'étais seule, à l'exception du propriétaire, un moustachu d'âge moyen que je saluai poliment avant de me mettre à explorer.

    La section dédiée aux livres fantastiques n'était pas très achalandée et comme prévu, je les avais déjà tous lus. C'est pourquoi je me dirigeai vers les classiques: après une journée passée à essayer des vêtements dans les magasins, il me fallait vraiment quelque chose qui puisse me tirer de cette réalité. Je ne mis guère de temps à choisir. J'écartai tous les auteurs russes que je n'aimais pas particulièrement et tous les romans que j'aurai pu citer de mémoire, pour finir par me laisser tenter par Notre-Dame de Paris de Victor Hugo.

    Fantastique.

    J'avais toujours aimé Le bossu de Notre-Dame des studios Disney.

    J'étais sur le point de saisir le dernier volume sur l’étagère mais ma main fut devancée par une autre qui, plus rapide, attrapa le livre avant moi, me laissant le bras en l'air et une expression particulièrement idiote sur le visage.

    Lorsque je me retournai, prête à protester, je me perdis dans deux yeux couleur myosotis.

    CHAPITRE 2

    Pendant un court instant, je ne parvins même plus à bouger un cil.

    Je restai simplement là, le bras toujours en l’air et la bouche ouverte, comme si je n'avais jamais vu un garçon de ma vie.

    « Je n'y croyais plus désormais », dis-je. Dès que je me rendis compte de ce que je venais de dire, je fus parcourue d'un frisson d'horreur. Je le connaissais depuis moins de dix secondes et j'avais déjà remporté le premier prix de la bizarrerie de Portown.

    Grandiose.

    Mais lui, au lieu de m'envoyer un coup d'œil embarrassé et de s'éclipser le plus rapidement possible - comme l'aurait fait n'importe qui d'autre à sa place - me sourit. Devant ce sourire, je pensai que mon rêve ne lui avait pas rendu justice: non seulement il était de toute beauté, mais avec cette expression et cette gentillesse sur le visage, ses traits parfaits étaient quasiment relégués au second plan.

    « Je n'aurais jamais cru qu'ici on puisse imaginer que quelqu'un ne te soufflât sous le nez le livre que tu avais l'intention d'acheter », plaisanta-t-il sans arrêter de sourire face à mon expression hébétée. « Pour ma défense, je ne peux que dire que je ne m'étais pas rendu compte que tu étais sur le point de le prendre jusqu'à ce que tu te sois retournée vers moi », ajouta-t-il, visiblement embarrassé. Je ne parvins pas à faire autre chose que le regarder la bouche grande ouverte. « Tu dois avoir pensé que je suis vraiment mal élevé! Tu as le droit de me regarder ainsi », conclut-il en me tendant le livre en signe de paix.

    Le regarder ainsi ?

    Avais-je le droit de le fixer comme si je venais juste de voir un dieu descendu sur terre?

    Après un moment seulement, je me rendis compte que mon air surpris, une surprise agréable, pouvait être pris pour une expression d'indignation, et je m'empressai d'éclaircir le malentendu.

    « Oh! » m'exclamai-je. « En vérité, je n'étais pas encore convaincue de vouloir acheter ce livre. J'hésitais entre Notre-Dame de Paris et celui-là », continuai-je en prenant un livre au hasard sur l'étagère face à moi. Tout en parlant, je donnai un coup d'œil sur la couverture pour en déchiffrer le titre.152 récits de Passion, lus-je, et mon visage s'empourpra comme sous l'effet d'un tison ardent. Si j'avais eu une pelle, j'aurais aussitôt creusé un trou dans le sol même de la librairie afin de m'y enfouir. Que faisait donc ce bouquin parmi les classiques?

    Je ne suis pas une perverse! aurais-je voulu crier, mais c'était fait, il valait donc mieux que je me comportasse avec nonchalance. J'arrangeai une mèche de cheveux derrière mon oreille et je détournai timidement le regard de son visage.

    « Tu es sûre? » me demanda-t-il d’un air suspicieux. Il lança un regard interrogatif vers le livre que j'avais dans la main.

    « Absolument! » fis-je d'un ton si strident qu'on aurait dit que j'étais hystérique. Bah, qu'à cela ne tienne, je me sentais vraiment hystérique. « Tu peux garder ce livre », ajoutai-je en voyant qu'il continuait à hésiter.

    « Merci beaucoup » me répondit-il malgré qu'il ne fût pas complètement convaincu. Après m'avoir adressé un sourire d'adieu, il se dirigea vers la caisse.

    C'était tout?

    J'avais passé la journée sur des chardons ardents uniquement pour une conversation de cinq minutes et pour passer pour une idiote? Et dire qu'en plus, je venais de renoncer à mon livre!

    Il aurait dû insister davantage en tant qu'amateur de romans classiques à défaut d'être galant.

    Contrariée, je reposai le stupide bouquin érotique sur l'étagère, celle adaptée à cette littérature et, après avoir salué le propriétaire de la librairie, je sortis de la boutique. Ma maison était seulement à quelques blocs. Avant de me mettre en route, je m'agenouillai pour relacer l'une de mes chaussures. Me connaissant, étourdie comme je l'étais, j'aurais probablement marché sur mon lacet et me serais retrouvée le nez sur le bitume. Et puis, cerise sur le gâteau, je me serais fait écraser par un énorme SUV.

    J'étais sur le point de me relever lorsqu'une main effleura mon épaule.

    Je sursautai.

    En cet instant passèrent dans ma tête dix mille pensées décousues parmi lesquelles "Merde, j'aurais dû accepter de rentrer avec Lyv et Je vais mourir à cause d'une escapade dans une librairie où je n'ai rien acheté!".

    Je respirai un grand coup afin de hurler comme jamais je n'avais encore hurlé lorsqu'une voix familière m'arrêta net.

    « Excuse-moi, je ne voulais pas t'effrayer. »

    Je levai les yeux.

    C'était le garçon de mon rêve, encore une fois.

    Je soufflais bruyamment en dégonflant mes poumons comme un ballon et puis je respirai de nouveau. J'avais les jambes toutes molles à cause de la peur. Lorsque je me relevai, je tremblais légèrement à cause de la décharge d'adrénaline, me faisant craindre de ne pas réussir à me tenir bien droite sur mes pieds. Je me sentais toute peureuse.

    « S'approcher des gens furtivement dans une rue déserte et toute noire n'est certainement pas la meilleure façon de les mettre en confiance», répondis-je en portant une main à ma poitrine. Finalement, il me semblait que je ne serai pas encore victime d'un infarctus.

    « Je suis désolé » répondit le garçon, mortifié. « J'ai l'impression d’avoir tout raté aujourd’hui », ajouta-t-il en un murmure quasiment adressé à lui-même.

    « Peu importe », lui dis-je pour le rassurer, « prends ça uniquement comme un conseil pour l'avenir. Même si nous sommes dans une petite ville où il ne se passe jamais rien, les gens peuvent se révéler véritablement paranos. »

    Et je lui souris afin de lui montrer que je ne lui en voulais pas.

    J'avais mal aux joues tant je m'étais forcée de sourire au cours des vingt dernières minutes.

    Il étudia mon visage puis ma main qui n'avait pas encore fini de trembler. Je tentai de maîtriser ce tremblement en la cachant dans la poche de mon blouson.

    « En fait », me dit-il après quelques secondes d'un silence embarrassé, « je voulais juste te donner ceci. »

    Il me tendit alors le sac en papier de la librairie que je fixai, stupéfaite, pendant un moment. Je le pris. À l'intérieur, évidemment, il y avait Notre-Dame de Paris.

    « Ce n'était pas la peine », murmurai-je avec la voix enrouée par l'émotion. Fantastique, pour compléter cette rencontre la plus embarrassante du monde, il ne manquerait plus que je me mette à pleurer!

    « Peut-être que ce n'était pas la peine », admit-il en arrangeant ses cheveux blonds de sa main, « mais je le voulais. Et puis je ne connais encore personne dans cette ville. Alors considère mon geste comme une façon d’acheter ton amitié. »

    Et il m'adressa de nouveau son sourire splendide.

    Je fus incapable de lui répondre tout en espérant ne pas trop ressembler à un caniche en train de remuer la queue. Je lui tendis la main. « Tu as fait l'acquisition de ta première amie avec succès », plaisantai-je. « Je m'appelle Anthea Grage. »

    Il me serra la main, ni trop délicatement, ni trop fort, avant de se présenter à son tour. « Noah. Noah Shane. »

    Noah Shane.

    Cela sonnait vraiment bien.

    « Enchantée de faire ta connaissance, Noah Shane », m'exclamai-je en accentuant volontairement son prénom. « Mais maintenant, je dois y aller. Mes parents m'attendent à la maison et il fait déjà nuit. »

    « Je comprends. Tu veux que je te raccompagne? Ma voiture est garée tout près d'ici », me proposa-t-il. Il m'indiqua d'un geste de la main la partie opposée de la rue.

    J'hésitai. Il pouvait être un serial killer ou quelque chose de ce style. Il ne paraissait pas menaçant à vrai dire, mais qui étais-je pour juger la prédisposition d'un inconnu à l'homicide? Après tout, je ne l'avais jamais vu auparavant.

    L'expression de mon visage dut être une réponse suffisante car Noah éclata de rire. « Allez, je ne te raccompagne pas. Permets-moi cependant de te laisser mon numéro de téléphone », me dit-il en prenant un stylo je ne sais où et en inscrivant une série de chiffres sur le sac en papier de la librairie. « J'aurais préféré te demander le tien, mais quelqu'un ici a des difficultés pour faire confiance à des inconnus sympathiques », dit-il en se moquant de moi avec un petit frétillement amusé de ses lèvres.

    « On n'est jamais trop prudent », rétorquai-je en serrant contre ma poitrine mon nouveau livre.

    Puis je le saluai d'un signe de main et je m'éloignai dans l'obscurité jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'une silhouette indiscernable dans la nuit de Portown.

    Lorsque j'arrivai dans l'allée qui mène à ma maison, je me rendis compte que mes parents avaient de la visite. Garée sur la rue, en effet, il y avait un petit utilitaire poussiéreux et une Mercedes gris clair, brillante comme si elle sortait tout juste de chez le concessionnaire. Les voitures de mes tantes.

    Dès que je mis la clé dans la serrure, j'entendis un joyeux tintamarre provenir de l'intérieur de la maison. Je savais déjà ce qui allait se produire.

    J'eus à peine le temps d'ouvrir la porte que quelqu'un en fit autant à l'intérieur, me faisant quasiment tomber.

    Quasiment. Cela aurait été toutefois impossible de tomber, serrée comme je le fus dans l'accolade suffocante de ma tante Ella.

    Tante Ella était la petite sœur de ma maman; dans la famille, elle était considérée comme l’originale parmi les sœurs Hooper et ce n'était pas démérité: son regard distrait, ses cheveux à la coupe insolente teints pour la moitié en orange et son piercing au niveau du nez dans le plus pur style bovin ne pouvaient qu'attirer l'attention sur elle.

    Elle était absolument fantastique. Pour moi, c'était la grande sœur un peu folle que je n'avais jamais eue, mais malheureusement, à seulement dix-huit ans, elle avait déménagé en Pennsylvanie et je n'avais pas souvent l'occasion de la voir. C'était un esprit libre.

    « Ant, que je suis contente de te voir! » me murmura-t-elle à l'oreille en m'étreignant davantage de façon à me couper la respiration.

    « Moi aussi, beaucoup! Quand es-tu arrivée en ville? » lui demandai-je, en souriant d'une oreille à l'autre.

    Elle fit une grimace. Le mot ville faisant référence à Portown provoquait toujours cette réaction de sa part. La raison pour laquelle elle s'était enfuie à toutes jambes dès qu'elle avait pu, n'était pas un mystère.

    « Je suis revenue dans cet endroit oublié de Dieu il y a à peine deux heures », répondit-elle en soupirant. « J'ai déjà l'impression d'étouffer. Mais voyons comme tu as grandi! »

    Je rougis tandis qu'elle me toisait de la tête aux pieds. Je doutais d'avoir beaucoup changé depuis Noël mais, malgré le fait que je n'aimais pas qu'on m'observe trop attentivement, je la laissai faire.

    « Anthea, c'est toi? »

    La voix de maman provenant de la cuisine, me donna la bon prétexte pour fuir cet embarrassant check-up complet. Je suivis sa voix - associée au parfum de choses exquises - pour la rejoindre. Elle s'était mise aux fourneaux: la seconde fois en quelques heures! C'était sans aucun doute mon jour de chance.

    J'inspirai profondément. La pièce était parfumée comme dans une pâtisserie et après avoir embrassé ma mère sur les joues ainsi que tante Sibil, j'en profitai pour me servir une tranche de tarte encore chaude.

    « Où est papa? » demandai-je à maman en m'installant.

    « Toujours au travail », répondit-elle. « Il rentrera plus tard. Sibil, prends aussi une part de tarte! »

    Tante Sibil était la plus âgée des sœurs Hooper et aussi la

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1