Le fruit de l’amour

L’enfant n’était pas bien vigoureux, quand Jeanne le trouva sous un tas de bois, dans la remise. Au début, elle pensait que c’était un chaton qui miaulait et c’est en voulant le délivrer qu’elle fit la découverte. Dans un panier, enroulé dans une couverture de laine, il y avait un tout petit bébé. Il n’avait sans doute pas plus de quelques jours.

Dans cette maison de redressement pour jeunes filles, ce n’était un secret pour personne que les enfants ne naissaient pas dans les choux ou les roses. Jeanne savait ce qui arriverait si elle rapportait sa trouvaille à la mère supérieure. Ce n’était pas une mauvaise femme, mais elle était stricte, surtout en ce qui concernait ces choses-là. Elle voudrait retrouver la coupable et ce serait l’inspection générale des dortoirs, la visite du médecin, des tas de choses désagréables.

Les filles cachaient sous leur matelas leurs petits secrets, tout ce qui les reliait encore à l’extérieur. Comme des lettres de leurs parents, de leurs petits amis. Des cailloux brillants, des fleurs séchées. L’une d’elles, Rosalie, avait même une bague, comme une alliance. Parce que dès qu’elle serait libre, elle épouserait Jean, il le lui avait promis. Elle l’avait cru.

Elles étaient toutes là pour des raisons différentes, et la plupart du temps pour trois fois rien. Indiscipline ou petits larcins. Jeanne était un cas particulier, jugé des plus graves: elle avait frappé son père. Un bon coup sur le crâne avec une énorme bûche. Elle avait attrapé ce qu’elle avait pu quand elle l’avait vu s’acharner sur sa mère parce qu’il n’y avait plus de vin à la maison. Ensuite elle avait aidé sa mère à se relever et elles s’étaient enfuies toutes les deux pour se cacher dans une maison abandonnée. Quand il était revenu à lui, son père était allé trouver les gendarmes. Il n’avait pas fallu longtemps pour qu’ils débarquent dans leur cachette. La mère de Jeanne avait été reconduite auprès de son mari et Jeanne avait été amenée ici. Cela faisait déjà un an.