La jeune fille du train
Encore une fois je me suis réveillé les pieds comme figés sur l’asphalte du quai, avec ce train s’ébranlant devant moi, incapable d’un geste, incapable d’oublier ce regard qui me suppliait, incapable de faire ce que j’aurais dû : hurler, prévenir, secourir.
J’ai aujourd’hui 25 ans.
J’en avais 23 à l’époque. Je suis un lâche. J’ai toujours été un lâche ordinaire qui s’ignorait. Et chaque nuit je revis le moment où cette lâcheté m’a sauté au visage.
Si je pouvais retourner en arrière… Mais non… impossible ! Peut-être que si je n’avais pas lu un fait divers dans le journal, quelques jours plus tard, j’aurais laissé derrière moi ce traumatisme. Après tout, la lâcheté est aussi une question de survie. La plupart d’entre nous pensent avant tout à ne pas s’attirer de problèmes. Notre monde est dur. Il faut louvoyer entre les écueils et se construire un petit bonheur à la mesure de ses moyens.
A l’époque, j’avais une vie simple et tranquille. J’étais cariste dans un entrepôt de meubles en kit – un très bon cariste. Conduire mon chariot élévateur à travers les allées était un jeu d’enfant. Je possédais une excellente mémoire et un œil aiguisé capable d’exploiter au centimètre près chaque emplacement où charger mes palettes.
Je ne gagnais pas énormément, mais c’était temporaire. Le chef d’équipe de l’entrepôt m’avait repéré. Il devait passer responsable, il pensait à moi pour le remplacer. Tout allait bien, d’autant que, un peu plus loin dans les bureaux, au service compta, se trouvait Karine, une petite brune aux yeux dorés pour laquelle mon cœur battait depuis quelques mois. Karine était tendre comme un Chamallow et sentait bon le miel. La première fois que je l’avais vue à la cantine, son sourire avec ses incisives supérieures écartées m’avait fait craquer. J’ai toujours eu un faible pour les dents du bonheur qui donnent un air enfantin au sourire. Karine n’aimait pas trop. Elle avait songé à les faire rapprocher en portant un appareil. Heureusement, son entourage l’en avait dissuadée – et moi aussi, ensuite.
Pas facile d’approcher Karine !
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