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La petite fille au ballon rouge
La petite fille au ballon rouge
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Livre électronique299 pages3 heures

La petite fille au ballon rouge

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À propos de ce livre électronique

Devenue artiste-peintre, Marie a tout fait pour enterrer à jamais une enfance violée et truffée de mensonges. Jusqu'au jour où elle rencontre Godfrey. Elle croit au prince charmant. En réalité, c'est un imposteur de la pire espèce. Marie replonge dans le passé et ramène à la surface des fragments de vérité. De rebondissements en coups de théâtre, les pièces du puzzle petit à petit retrouvent leur place.
LangueFrançais
Date de sortie28 sept. 2012
ISBN9782312004877
La petite fille au ballon rouge

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    Aperçu du livre

    La petite fille au ballon rouge - Eveline Gaille

    1

    Le pire à venir ?

    - Suivez-moi !

    Au-dessus de ma tête, l’ordre a claqué.

    Il ne faut pas que je bouge d’ici. Surtout pas. Je me visse encore plus serré à mon siège, l’agrippant des deux mains telle une noyée. Mon chemisier à fleurs bleues me colle à la peau. Mais je suis glacée. À bout. Pourvu que ça ne se voie pas.

    J’ai pourtant passé la douane sans faute. Les contrôles de sécurité aussi. Puis je me suis, sur une petite chaise en plastique rouge, assise près de la porte d’embarquement qui donne sur le tarmac. Et j’ai, à travers la vitre, gardé les yeux rivés sur l’avion qui allait me ramener à mon existence d’avant. Quand je ne faisais encore que peindre les jolies choses de la vie, couleurs pastelles ou vives, sans trop m’impliquer…

    Ça sent l’uniforme, là, à ma droite. Mon corps se met à trembler. Bêtement.

    Je déglutis, pousse enfin d’une voix rauque :

    - Pardon ?

    Histoire de gagner du temps.

    Au-dessus de ma tête, la voix répète, à la lettre :

    - Suivez-moi !

    Mon sixième sens tente de m’avertir de la gravité de la situation. Mais tout m’échappe. Depuis le départ. Depuis que j’ai atterri ici à Dakar dont je n’ai vu que les murs ocre de mon hôtel. Plongée en pleine confusion, je n’allais pas, de surcroît, piquer une tête dans la piscine. Mes journées, cinq en tout, je les ai passées roulée en pelote sur le lit à me retenir de hurler. La peur : sale, bestiale. Qui tord les tripes.

    Impossible de m’éterniser ainsi sur pause dans un aéroport qui ne m’est pas familier.

    Je me barde de courage. Me redresse. Je lève les yeux et juxtapose mon regard à celui du flic qui se tient là, à ma droite. Noir, imposant, immobile. Prêt à bondir et à m’embarquer. Dans un ultime élan de révolte, je m’affronte : « Et d’abord, suis-je obligée d’obéir ? Si je refuse de coopérer, va-t-il m’emmener de force ? … » Cramponnée à mon siège, la gorge sèche, je cherche une tirade pour ma parade. Désespérément. Ne pas me laisser impressionner. Sinon, je suis foutue. C’est vite vu.

    - J’ai un vol à prendre si vous voulez me parler faites-le ici et maintenant je vous écoute, me suis-je entendue déclamer d’une traite, sans point ni virgule, ayant, à la dernière minute, décidé que le Boeing vis-à-vis ne décollerait pas sans moi à bord.

    L’homme, impeccable dans son uniforme kaki, a subitement l’air décontenancé. Il doit même se pencher un peu, le visage froissé, pour mieux voir à quel drôle d’oiseau il a affaire. Le regard dur, il me scrute, me transperce. C’est son rôle. Je ne bronche pas. Droite, tête haute, bien que mon cœur saute comme un fou puis oublie de battre son coup. Ce qui, d’ailleurs, lui arrive de plus en plus souvent. Depuis que j’essaye de sauver ma peau. De survivre, je crois.

    Puis, comme il craint ainsi penché d’attraper un tour de reins, le policier, avec précaution, se remet droit. Je jette en catimini un œil à la ronde, étonnée tout de même de ne pas apercevoir dans la cohue des voyageurs bariolés le type qui a juré de me talonner jusqu’au bout du monde. Bon sang, mais où se planque-t-il ? Sans prévenir, une vague de nausée m’assaille. Indigestion d’événements trop crus servis les uns sur les autres.

    Enfin debout très haut sans un pli, l’homme dans son uniforme me toise. Changeant de tactique, il ne m’ordonne plus de le suivre, mais il veut savoir.

    - Connaissez-vous cette personne ?

    Il me tend une photo. Regard qui propose et sourire exploité à fond, nez cassé, menton carré. J’ai un haut-le-corps. Le gars que je cherche, ne serait-ce que pour en avoir le cœur net, se trouve là, sous mes yeux.

    - C’est mon mari !

    Ma réponse cingle. Sans faire exprès. Le passé est encore trop neuf. Pas eu le temps de l’user. Tout est arrivé si vite, presque d’un seul déclic.

    - Oui, mon mari, éprouvé-je le besoin de confirmer d’un ton amer.

    M’en imprégner par tous les pores, jusqu’au plus profond de mon être. Me blesser. Me punir d’y avoir cru.

    - Depuis le dix avril ! tonitrué-je.

    Just married.

    Et là, sans préavis, ça cale. Un amalgame de colère, dépit, peur, coincé salé dans la gorge. Ma poitrine brûle. Gémir, crier, cogner. Supplier.

    À peine une semaine s’était écoulée depuis le jour où on avait écrit noir sur blanc : mari et femme

    Le mois n’était pas même terminé.

    Et maintenant ?

    Forcée de suivre pour le pire ?

    Chapitre N° 2

    Avant

    Godfrey.

    Une rencontre.

    Par hasard.

    Genève, place Cornavin. Debout sous la pluie l’un près de l’autre, sans rien savoir de nous. Juste un regard. Et son sourire, qui en disait long. Disons, il m’a longuement souri. Nous chassions chacun un taxi et moi, parfaite nunuche de dimanche assoiffée de romance à peine extirpée d’une séance de Pretty Woman au cinéma d’à côté, je me suis mise à prolonger le regard de cet inconnu, tandis qu’un chauffeur empestant l’ail et la transpiration me ramenait au bercail.

    Sitôt grimpée chez moi, je me suis ruée dans mon atelier.

    Jamais, je ne reverrai cet étranger.

    Mais ses yeux m’avaient littéralement happée. À la fois sombres et dorés. Joueurs. Et cet éclat, inattendu, insolite. Aussi intense que fugitif. Il fallait m’en libérer. Je m’obstinais à vouloir transposer sur le papier cette brève lueur que j’avais eu le temps de capter mais pas d’interpréter, juste avant de m’engouffrer dans la voiture. J’espérais que ma mémoire allait me la restituer. M’expliquer aussi cette espèce de malaise que j’avais ressenti, comme avant de fondre, incapable de dire non. Enervée, je labourais de mon crayon les pages que j’arrachais au fur et à mesure de mon bloc. Plus je m’acharnais, moins je parvenais à décrypter cet instant sûrement saisi au flash de mon imagination.

    J’ai finalement haussé les épaules, rassemblé les feuillets épars. Je les ai glissés dans le tiroir où je rangeais des ébauches de portraits. Je me suis étirée, j’ai bâillé, d’un coup de pied j’ai refermé le tiroir et je me suis levée.

    Tout cela était d’une banalité. Après tout, les regards, c’est fait pour s’échanger. Inutile d’en rajouter. À trop vouloir accrocher l’âme à l’œil, je finissais par tout mélanger.

    En passant dans le vestibule, le miroir en pied m’apprend que je suis toujours la même : pas très grande, presque un peu boulotte, vraie blonde tout en boucles et visage parfois angélique à force de naïveté.

    Avec un soupir agacé, je m’extrais enfin de mon duffle coat humide et de mes bottes.

    Trois jours plus tard, nos chemins à nouveau se sont croisés.

    Par hasard ?

    Je me promenais au bord de l’eau, il est arrivé comme surgi de nulle part.

    - J’aime l’eau, a-t-il dit.

    J’ai relevé la tête, je lui ai souri. Grand, large, noir de peau et de manteau. Carrément une minute trente d’éclipse du soleil. Avec intrigue muette subrepticement tissée entre quatre yeux.

    Puis, d’un même mouvement, sans épiloguer, nous nous sommes assis sur la berge, près des vagues. Jusqu’à frôler l’écume.

    C’était une magnifique après-midi d’hiver. Le soleil rutilait. Et on ne sentait presque pas le froid. J’espérais en douce qu’il entoure ma taille ou mes épaules d’un bras puissant…

    Il s’est mis à raconter : là-bas, l’Afrique, Dakar. Son enfance. Ses racines. Un long monologue. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter.

    Besoin de tout de suite planter le décor ?

    Je l’écoutais, l’oreille basse, les yeux au fond du lac.

    Qu’est-ce que je foutais là avec ce bonhomme bien plus âgé que moi en train d’évoquer une tranche de sa vie franchement périmée ?

    Il aurait pu s’abstenir.

    Cet étalage de bonheur familial qui dégoulinait, sirupeux et collant, me donnait la nausée. J’avais intérêt à prendre mes jambes à mon cou avant que ça ne déborde. Inventer une excuse. J’avais oublié le lait sur le feu. Ou un rendez-vous urgent. Mais la tristesse m’envahissait. Je sentais mon corps devenir lourd. Abattue, j’étais. Et il continuait, à l’instar de ces représentantes d’eaux de toilette qui polluent les grandes surfaces, il m’aspergeait du coulis d’amour maternel dont il avait fait l’objet, tout bébé rieur et potelé qu’il était alors… « Tout le monde m’adorait ! Vraiment tout le monde m’adorait ! », répétait-il avec un sourire béat.

    Satisfait, il s’est enfin tourné vers moi.

    Il s’attendait sans doute à une réaction de ma part. Mais, les années aidant, j’étais devenue allergique tant au parfum qu’aux marques d’affection qui ne m’étaient pas directement attribuées. Et en ce moment, je ne voyais qu’un vieux guignol mielleux aux cheveux crépus qui, à défaut de me faire une cour assidue, s’attendrissait sur son enfance.

    Cet excès de silence dans lequel je m’étais moulée a dû lui sembler incongru en pareille circonstance. Mon visage fermé, que je gardais tendu vers une ligne d’horizon imaginaire, a fini par l’alerter. Entre son pouce et son index, il m’a emprisonné le menton et a fait pivoter ma tête d’un quart de tour jusqu’à ce que mes yeux rencontrent les siens. Il y a planté son regard comme s’il était le propriétaire de mon jardin secret. Loin, très loin au fond. J’ai reculé. Il cherchait une aspérité, une fissure. De quoi assurer sa prise ? Je me suis dépêchée de vider mon regard.

    - Et vous ? a-t-il finalement questionné. À propos, je m’appelle Godfrey.

    - Moi ? Moi aussi, j’aime l’eau…

    Prudente, je me suis tue. Je n’avais pas d’enfance à lui dire. Aucune racine à extirper ni à faire pousser. À la place, un volcan de souffrance au milieu d’un désert de mensonges. Il ne servait à rien de tout déployer.

    Alors, d’un même mouvement, sans épiloguer, nous nous sommes levés. Le soleil s’était éclipsé de lui-même. Nous avons fait quelques pas pour nous réchauffer. Godfrey m’a prise par la main. Comme s’il voulait m’offrir un peu d’innocence. Je me suis tout de suite sentie mieux.

    - Je m’appelle Marie, lui ai-je joyeusement annoncé.

    Du coup, il s’est arrêté devant un kiosque qui vendait des ballons arrimés au bout de tiges métalliques.

    - Rouge ou bleu ? a-t-il proposé, enjoué.

    Je préférais le rouge, mais j’ai choisi le bleu.

    Nous nous sommes revus le lendemain. Puis le surlendemain. Je comptais déjà trois ballons bleus. Je ne me posais pas trop de questions. Il s’en chargeait, distillait à petites doses. Il avait compris que ma vie c’était ma peinture. Et mes émotions, il les débusquerait dans mes toiles plutôt qu’en moi. Nous passions l’après-midi à musarder. J’ignorais ce qu’il traficotait pour ainsi disposer de son temps et afficher une telle nonchalance. Je ne voulais pas tout connaître à la fois. Le coup de la famille brossée et lubrifiée m’avait suffi. J’avais envie de garder un peu du mystère qui m’avait fait rêver.

    Assis très droit sur l’unique tabouret de ma cuisine, jambes croisées, Godfrey buvait son thé à la menthe, petit doigt levé. Il m’avait laissé la chaise, plus confortable. En somme, il avait contracté pas mal de belles manières et ça lui donnait des airs par-dessus ce qu’il semblait être.

    - Le café ne me convient pas, disait-il en me regardant avaler mon deuxième bol de Nescafé. Tu devrais également te mettre au thé, Marie, c’est plus sain, tu sais ?

    Depuis la veille, il avait remarqué, qu’en plus, je me nourrissais mal.

    Il était venu à la maison. Il voulait admirer mes tableaux : tout un panégyrique qu’il m’a débité. Ça ruisselait de mélasse. Et il me scrutait en même temps. Je me sentais gênée. Il guettait chacune de mes réactions qu’il soulevait en chaîne avec maestria, tandis qu’il traduisait allègrement tout ce qui frisottait sous les poils en martre de mes pinceaux : « Mon Dieu ! Quelle délicatesse, et ces fleurs comme des papillons… Marie, toute ta sensibilité vibre dans ce bouquet pastel… En revanche, ce paysage là-haut renferme beaucoup de colère et ici… tout ce chagrin, cette souffrance… Oh, Marie !… Quelle belle tristesse tu as su exprimer… » Sourire, rictus, paupière qui tressaute, caillou dans la gorge, front plissé, menton qui tremblote, rien ne lui échappait.

    J’avais failli me fâcher : je n’aime pas qu’on sèche au soleil les larmes que je cache. Je n’ai pas eu le temps d’ouvrir la bouche. Sans transition, il avait mis le cap sur ma cuisine, tout en se frottant les mains et en déclarant que j’étais une grande artiste. Du coup, je me suis ramollie et je l’ai suivi comme s’il était chez lui. Il a aussitôt ouvert le robinet et laissé couler l’eau froide dans l’évier. Puis il a plongé sa tête dans mon réfrigérateur pour se servir de glaçons et voir s’il y avait des citrons.

    - Toujours, avec l’eau, c’est meilleur, tu sais. Ah, tu n’as pas de citron, Marie ?

    - Non.

    Je me sentais blessée. Qu’il inspecte ainsi mon frigo après avoir foutu le bordel dans mes sentiments les plus privés, cela me dépassait. D’ailleurs, il n’avait rien à faire dans mon frigo !

    Mais il énumérait déjà, l’air effaré :

    - Pizzas, fromages, yogourts… glaces… Tu ne manges donc rien d’autre ? Pas de viande, pas de légumes, pas de fruits ? Marie…

    Il a hoché la tête, il paraissait soucieux. J’ai pensé que ça lui posait un problème de boire son verre d’eau sans citron.

    - Il va falloir que je veille sur l’artiste ! a-t-il établi en toute simplicité.

    Et ça, ça m’a remuée hors normes. Je n’ai rien répondu. Il avait trouvé la faille. À partir de là, il pouvait improviser. Jouer. Et moi, me laisser guider, faire semblant d’être aveugle.

    Très vite, il a voulu tout savoir de mon corps.

    Je me suis braquée. Pas comme ça. Pas de cette manière. Trop direct, brutal. Et je voulais d’abord connaître ses intentions, ses projets. Et n’étions-nous pas censé utiliser un préservatif aussi ? Quelque chose clochait. Je m’en rendais vaguement compte.

    Bouleversé, il s’est redressé, le front luisant, les yeux presque blancs.

    - Tu dois savoir que ce n’est pas une aventure que je cherche là, Marie ! s’est-il récrié, mortifié à l’idée que je ne l’aie pas deviné. Ça ne m’intéresse pas ce genre d’histoire, a-t-il précisé d’un ton dédaigneux, avant de conclure avec emphase : « Ce que je ressens pour toi, Marie, c’est pour l’éternité ! Tu es ma Princesse… »

    Et là, il a laissé un temps mort, pour que je sente bien que c’était pour l’éternité et avec une majuscule qu’il m’appelait Princesse.

    - Je t’aime, ma chérie, a-t-il repris avec passion, debout, torse nu sans un poil, au milieu de mon living surchauffé. Tu es tout pour moi. Tu es mon univers. Je veux consacrer ma vie à te rendre heureuse. Je n’ai jamais rien éprouvé de semblable auparavant. Tu dois me croire, Marie !

    Il se tenait là, bras écartés, l’âme chavirée au bord des yeux, boule de feu.

    Subjuguée, je ne voyais que la flamme. Ne me suis pas demandée dans quelle eau de rose ce beau Noir était allé pêcher ses perles… Mes rêves les plus fous prenaient de drôles de formes. Evidemment, suite à une déclaration de pareille envergure, penser à se protéger semblait soudain dérisoire, déplacé, presque indécent. Comme une insulte à l’infini de cet amour et à tant de bonne volonté. Et puisqu’on prenait un ticket ensemble pour l’éternité…

    Un peu perdue et confuse, ne sachant plus quoi faire dans l’immédiat, je me suis pendue à son cou.

    J’avais rudement bien fait.

    Il n’en avait encore pas fini de ces promesses vertigineuses qui vous dérobent le sol sous les pieds.

    - Je veux te donner quelque chose qui t’appartient, Marie, poursuivait-il comme s’il était le rédempteur en chef. Qui t’est dû, mais que tu n’as jamais reçu…

    Il me repousse un petit coup, en douceur, recule à son tour d’un pas, puis revient à la charge avec tant de miel au fond du regard que ça fait presque mal. Délicatement, comme si c’était un pétale de rose, il caresse mon oreille gauche et susurre ces quelques mots qui ont raison de moi. M’achèvent :

    - Je veux te donner ton enfance, Marie.

    Comment diable a-t-il pu savoir après seulement trois ballons bleus ?

    Je ferme les yeux. Me sens si fragile. Nue. Quand bien même un immense chandail à col roulé m’enveloppe des genoux à la pointe du nez. Quelque chose en moi se hérisse. Se brise. Je fonds. Incapable de dire non.

    Triturant entre mes doigts le col roulé de mon gros pull, j’ai balbutié, d’une autre voix, comme si ce n’était plus moi, que cela venait d’ailleurs :

    - Mais… est-ce que tu veux m’épouser alors ?

    Je ne saurai jamais quelle mouche m’a piquée, ni qui m’a soufflé pareille idée, ça j’en suis sûre, inutile d’en revendiquer la responsabilité, mais il a répondu sans bavure. Oui ! C’était exactement ce qu’il voulait : m’épouser ! Il allait justement me le proposer.

    « Oh, Marie, comme je suis heureux ! Comme je suis heureux ! » chantait-il en refrain en me broyant dans ses bras.

    Devant la joie communicative de cet homme, je ne pouvais plus reculer. J’avais taquiné le destin. Il m’a sorti le grand jeu. Sans réfléchir, j’ai pris la carte forcée. L’as de cœur, bien entendu. Et maintenant, je me sentais presque obligée d’y croire pour ne pas déranger l’histoire.

    C’était donc lui, mon Prince charmant : Godfrey. Il m’avait à peine trouvée, déjà il voulait me sauver.

    Il allait vite en besogne.

    Certes, dans mon conte de fée inédit que je me récitais chaque soir depuis toujours et parfois même en plein jour, quand la vie n’en finissait pas de me ressembler, vide et froide, mon Prince attitré me paraissait jeune encore. Je le faisais à peine vieillir au fil des années que je prenais, pour qu’il n’y ait pas trop de décalage. En revanche, je n’aurais jamais eu l’idée de lui teindre la peau en noir. Mais bon. Et par-dessus tout, le prince de mon histoire était drôle. Farci d’un humour aigre-doux, cornichon-bonbon, il me faisait pleurer de rire. Quand je ris, je crois que ça secoue du chagrin dessous. Qu’importe, rire ou pleurer, c’était quelque chose de trop qui devait s’en aller de toute façon…

    Pour tout de même marquer la différence, Godfrey, je l’ai surnommé « mon Prince noir ».

    Il était là, grand, fort, assez bel homme dans l’ensemble, un rien démesuré, surtout ses mains et ses pieds qu’il avait extra-longs et larges. Le front légèrement bombé, le nez cassé à point nommé pour rehausser un visage un peu banal, la bouche divisée en deux coussinets moelleux et le menton carré. Ah, ses yeux bien sûr : noirs, sans fond. La petite lueur insolite que j’avais cru déceler lors de notre première rencontre sur la place Cornavin n’apparaissait plus. Godfrey ne me faisait pas vraiment rire, ni pleurer, d’ailleurs. Tant mieux. Sérieux, même un peu vieux, « À peine cinquante ans !… » avait-il soufflé comme si c’était un détail, il faisait très « Monsieur ». Il me prenait dans ses bras avec une extrême gentillesse depuis qu’il avait diagnostiqué mon manque d’enfance et d’assurance par la même occasion.

    J’espérais ne pas trop régresser.

    Chapitre N° 3

    Pour un conte de fée

    Au bout de quelques semaines idylliques, promenades, ballons

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