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À tire d'elles
À tire d'elles
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Livre électronique215 pages2 heures

À tire d'elles

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À propos de ce livre électronique

Polar angélique, qui vous prend les tripes, vous dégage la tête et vous vous envolez mine de rien.
LangueFrançais
Date de sortie28 sept. 2012
ISBN9782312004884
À tire d'elles

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    Aperçu du livre

    À tire d'elles - Eveline Gaille

    978-2-312-00488-4

    Chapitre N° 1

    Un poignard contre un ange

    Elle descend l’escalier, cramponnée à la rampe. A l’avant-dernière marche, elle s’effondre. Roule. S’étale.

    Du sang glisse sur le carrelage blanc du living.

    Un homme, très petit, surgit au sommet de l’escalier. Il le dévale ventre à terre, Satan derrière, les cheveux en bataille, son pardessus sens dessus dessous coincé sous le bras, la cravate sur l’épaule, un couteau à la main. A la dernière marche, il s’arrête, hésite.

    Il enjambe le corps.

    Se retourne brusquement. S’accroupit. Pour déposer dans la main droite de sa victime l’arme dont il s’est servi trois fois déjà.

    - Cadeau d’adieu, susurre-t-il.

    Promesse ou illusion ? Allait-il vraiment cesser ? Comment savoir… Et qui l’aiderait ?

    Il se redresse d’un bond. Il déteste quand ça questionne dans sa tête. Les talons qui claquent au sol, il entame le tour de la pièce, comme s’il était là en visite. Le style moderne et confortable du salon le séduit. Il s’allongerait volontiers sur le douillet canapé en alcantara écru, un coussin sous la tête et un autre sous les pieds. Il jette un coup d’œil circulaire aux photos encadrées disposées sur le manteau de la cheminée. Un petit garçon aux boucles blondes et à la mine boudeuse semble le fixer. Mal à l’aise, il ressent comme un pincement au cœur. Il se détourne, fait quelques pas et tombe en arrêt devant un bibelot qui a l’air d’un ange, isolé sur une étagère. Presque à la hauteur de son nez. Le petit homme se penche pour l’examiner. Il vacille. Obligé de s’appuyer des deux mains au meuble. L’enfance titillée le ramenait souvent à cet état de gélatine. L’impression de ne plus rien contrôler. Flou. Mou.

    Fou ?

    Il se raidit. Ne pas chialer. Continuer de tricher. Il attrape l’ange. Il sourit.

    - « Mon petit chérubin… » C’est ce que tu me disais autrefois, maman, hein ?… murmure-t-il.

    Ironie contre nostalgie.

    - Et maintenant ? Tu dirais quoi, maman ? « Mon grand diable … » ?

    Le petit homme balance un rire à faire s’entrechoquer les morts.

    Il ne serait jamais grand.

    - Jamais ! Jamais ! répète-t-il en tournoyant sur lui-même, bras écartés.

    Son cri résonne dans la maison. Monte, s’attarde une seconde, revient, puis s’éteint. Triste et factice. Comme un feu de cheminée électrique. Aucun apaisement.

    Etendue au pied de l’escalier, la jeune femme a rouvert les yeux. Son regard aussitôt accroche le petit homme. Il lui tourne le dos, tandis qu’il bloque sa pirouette et enfonce le bibelot dans une poche de son manteau.

    - Tu vois, maman ? soliloque le petit homme. J’ai échangé mon poignard contre un ange. Il y a de l’espoir, non ? ricane-t-il encore.

    Illusion ou promesse ?

    Le petit homme n’aime pas quand ça se mélange dans sa cervelle.

    Il s’en va.

    La porte a claqué.

    Soupirs des deux côtés.

    Chapitre N° 2

    Jamais eu de chance

    Dehors, seul un corbeau noir de plumes brave l’air du temps qui souffle fort.

    Le petit homme a remis son pardessus tout en marchant. Il s’est battu avec les manches, a rabattu le col d’un geste nerveux, et il s’est emmêlé dans le boutonnage. Il a dû recommencer. Il s’est aperçu alors qu’un bouton manquait au bout du fil qui pendouillait. Interloqué, il s’est tout à coup senti pareil que ce bout de fil sans bouton.

    Il aurait voulu crier à la face du monde : « Mission accomplie ! »

    Dans la rue c’était le désert sans dromadaire ni cactus ni sable. Pas le moindre peigne-cul à ramasser, à entraîner dans un café. Raconter, expliquer. Convaincre. Ce serait déjà vaincre.

    Lui qui brûlait de s’épancher.

    Jamais eu de chance, le petit homme.

    Abandonné dès l’enfance.

    Et ça aussi il le savait : il aurait beau poignarder les filles de la planète entière, grandes, belles et blondes, à l’instar de sa mère, il pourrait même toutes les massacrer comme les bébés phoques, il passerait encore inaperçu. Une sorte d’avorton qui ne réussirait jamais à prendre de l’expansion. Quelque chose restait coincé, bloqué. Il se répétait au lieu de progresser. Ses « exploits », comme il les nommait ensuite quand il revenait à lui, ne seraient jamais que des faux-semblants. Alors à quoi ça servait ? Qui l’écouterait ? Qui serait suffisamment grand pour se baisser et lui tendre une oreille ? Peut-être devrait-il acheter un chien ? L’animal le reniflerait, comme ça, il le repèrerait, le reconnaîtrait. Rien qu’à l’odeur. Peu importe s’il était trop petit pour être vu. Et il ne serait plus seul. Ni perdu. Chacun son bandana à fleurs autour du cou, le chien et le maître franchiraient ensembles à six pattes le seuil de son appart…

    L’espace d’une seconde, quelque chose avait changé. Basculé. Et ça ne voulait plus se remettre en place comme avant.

    Le petit homme était tout à coup fatigué.

    De tout.

    De rien.

    De la vie.

    Si seulement il pouvait se faire prendre. Ce n’était quand même pas à lui de se rendre. Ça lui est tombé dessus, comme ça, patatras. Un état d’âme avec croisement d’émotions. Saturé de cette existence qui n’en finissait plus de le happer, de le jeter, de faire des vagues et des remous. Blessé, meurtri, d’être si petit. La risée de tous. Cent trente-six centimètres et encore, sur la pointe des pieds. Voilà ce qu’il valait. Ça ne pesait pas bien lourd quand les autres se fendaient la gueule et que la vie lui tendait son lot de défis tous azimuts sans le moindre prix de consolation.

    Cela s’est passé presque à son insu.

    La fille était grande, belle et blonde. Semblable aux précédentes. Cependant, quand elle lui a gentiment tendu le paquet de céréales une fois de plus hors d’atteinte pour lui, sans faire de manières ni de sourires bébêtes, il a compris qu’elle était différente des autres. Déjà, rien que par son prénom : Agrippine. Elle avait eu l’air de vouloir le garder pour elle, son prénom, comme si de s’appeler à l’ancienne l’embarrassait.

    Et puis, aussi, elle n’avait pas cherché à le snober en le toisant de toute sa hauteur. Au contraire, elle essayait de paraître moins longue, elle se voûtait, se déhanchait, comme pour se mettre à son niveau. Mais surtout, le petit homme avait, pour la première fois, eu le sentiment qu’on faisait attention à lui. C’est cela même !… Oh, le con ! Mais quel con ! Il n’aurait pas dû lui faire du mal ! Elle ne méritait pas qu’il la bousille !… Agrippine avait pris le temps de le regarder. Lui, le petit merdeux, le petit rien du tout. En plein supermarché, au milieu des surgelés et des ménagères pressées, elle l’avait fixé, lui, rien que lui, sans se préoccuper de son apparence. Jusque tout au fond, elle était allée avec son regard bleu. Sans crainte ni gêne. Pas une ombre de pudeur. Jusqu’à frôler son cœur qui s’ouvrait comme une rose, l’idiot.

    Et, traîtresses, les émotions. Toutes ensembles liguées contre lui tout seul. Sans sonner le tocsin. Rien préparé. Assailli. Affolé au milieu de cette farandole de babioles, le petit homme avait essayé d’enfoncer les bouchons de ces fichues fioles. D’où se dégageaient des senteurs et des vapeurs auxquelles il devait résister. Cesser de respirer. Ne pas se laisser atteindre.

    De retour chez elle, Agrippine n’aurait pas dû monter avec lui à l’étage. Encore moins lui tourner le dos pour enfiler un pull sur son chemisier vert pâle. C’est à ce moment précis que ça l’a repris. Plus fort que lui. Obligé. Un démon qui mélange le temps le son et l’image. Qui saccage tout sur son passage. Bulldozer. Ecrase la rose, déchire les pétales. Machine infernale qui réduit en bouillie sale, vengeresse, infecte, le bon sentiment tout tremblotant. Restent, dressées, épées minuscules, les épines. Se protéger, se défendre. Attaquer. Quelque part enseveli dans l’inexplicable, un serment d’enfant. Le petit homme a levé le bras, très haut, sa main serrait déjà le manche du couteau. De toutes ses forces, il a planté la lame dans la femme qui lui tournait le dos.

    Et soudain, son regard dans la glace.

    Elle portait le ciel dans ses yeux.

    Comme sa mère à lui, Ludo, qu’elle l’appelait tout le temps.

    Et il a eu honte.

    Ça ne lui était encore jamais arrivé auparavant, d’avoir honte.

    Si, une fois. Une seule fois.

    Sa mère était à terre.

    Il n’avait pas su la défendre. Trop petit.

    « Trouillard ! » avait-il cru voir à défaut de savoir lire dans le regard de cette femme qui s’en allait, là, étendue à ses pieds.

    Elle lui souriait, très doux.

    « Maman ! » avait-il alors crié de toutes ses forces.

    Elle n’a jamais répondu.

    Dans ses yeux clairs, il voyait le ciel. Il s’était couché près d’elle. Longtemps, toute une vie, ça n’a pas de fin quand on est enfant, il était resté là, Ludo, collé contre son flanc, soudé à sa mère, incapable de bouger. De se relever.

    Trouillard…

    C’est la vie ensuite qui l’a pris, lui a tout appris.

    Mais ça n’était plus sa réalité à lui…

    Le petit homme tout seul dans ses pensées et dans la rue, ralentit. Il enfonce les mains dans les poches de son pardessus. Dans celle de droite, le contact avec la porcelaine, froide, le fait sursauter.

    Agrippine lui a murmuré quelque chose… Il ne s’en souvient plus… Très doucement, en faisant bien attention, il avait retiré le couteau de la plaie qui dégoulinait de sang. Ça n’était pas beau à voir et il se sentait vraiment bizarre, pas comme d’habitude. Un peu plus, il se serait mis à chialer comme une fille. Heureusement qu’elle a réussi à sortir de la chambre, Agrippine. Elle titubait. Il se demandait comment elle faisait pour ne pas s’écrouler. Il n’osait plus descendre. Demeuré en arrière à tourner en rond comme si c’était déjà la prison.

    Il s’était finalement ressaisi.

    Après tout, il avait fait ce qu’il avait à faire. Aucun remords. Pas de pitié. Jamais. Il a pris son pardessus, ses cliques et ses claques, parvenu en bas, cette idée saugrenue a jailli comme une sauterelle : il a déposé son arme. Laissé sa griffe. Un soudain dégoût l’avait envahi. A cause des questions dans sa tête. Ça il en était sûr.

    Et maintenant, le voilà avec un ange dans la poche. Un chérubin !

    Le petit homme envoie un coup de pied dans une pierre, écrase une canette de bière. Il avance à petits pas comptés, longe une rangée de maisons. Il traîne devant chaque fenêtre, se montre, insiste. Peut-être que derrière le voilage se cache un visage, une paire d’yeux qui l’observe, l’épie ?

    Enfin ! Au bout de la rue, juste avant la fabrique : un léger rideau a tremblé de toutes ses dentelles jaune pipi. C’était vraiment le plus moche et le plus voyant de tous ces fragments de tissus suspendus aux vitres comme pour signaler « accès au chantier interdit ». Parce qu’une vie, ça se résumait à ça : un éternel chantier. D’abord on construit, ensuite on bichonne, on conserve, on maintient, et après, au bout de trop longtemps, on détruit.

    Le petit homme presse le pas.

    C’était l’ultime fenêtre.

    Voilà. Il s’arrête devant, relève le menton. Façonne le sourire. Patient, il se tient là debout dans le vent, il attend, se faisant aussi grand que possible, haut comme six pommes au moins, les mains dans les poches, les dents dehors. Jamais supporté l’idée qu’un orthodontiste lui tresse les incisives avec du fil de fer barbelé. On l’observe. A n’en pas douter. A peine une ombre derrière le voile. Mais susceptible de s’accroître, de s’intensifier, jusqu’à prendre forme, le jour où il faudra témoigner.

    Le petit homme triomphe. Pour un peu il se sentirait l’étoffe, ou du moins l’âme, d’un héros. D’un geste sec, il arrache le fil qui pendouille à la boutonnière de son manteau. Et, tout à trac, il se dit que la fille demeurée sur le carrelage blanc de sa maison se souviendra de lui, elle aussi. Agrippine. Il sent les battements de son cœur en même temps qu’une douce chaleur l’envahit. Il agite une main en guise de salut à l’adresse de l’ombre auréolée de jaune pipi, avant de poursuivre son chemin.

    Quelques pas plus loin, sous un marronnier centenaire et sans feuilles, le petit homme s’engouffre dans une Smart grise et noire.

    - Salut la Grise ! lance-t-il joyeusement.

    Il enlève son pardessus. Il retire l’ange en porcelaine de sa poche et l’installe sur le siège à côté de lui.

    Le ciel menace.

    - Un temps d’assassin ! grince le petit homme. Heureusement que j’ai un ange pour veiller sur moi maintenant !

    Il s’esclaffe, satisfait de se sentir de bonne humeur. C’était tellement rare.

    Puis il démarre.

    Chapitre N° 3

    Le sang et les minutes s’écoulent

    « Grigri chérie ! Ouh, hou ! Es-tu là ?… Non ? Bon. Je te préviens juste que tu vas être drôlement seule, aujourd’hui ! » graille à l’instant la voix de son mari sur le répondeur. Gaspard sait combien sa femme rêve d’une journée tranquille rien que pour elle ! Eh bien, c’est manifestement gagné pour aujourd’hui, vendredi 13 novembre. Le seul homme qui aurait pu être celui de la situation ne rentrera pas déjeuner. Epinglé au bureau avec une grosse pile de sandwiches et de dossiers à terminer au plus tôt. Les enfants sont également absents. Paul pique-nique à l’école. Et Lise passe la journée à la garderie. Donc, personne à la maison avant cinq heures de l’après-midi.

    Une journée tout à elle… Le sang et les minutes s’écoulent, lentement. Elle ne souffre presque plus.

    « Ce sera le jour le plus long de ma vie », songe Agrippine. « Je devrais me lever… » s’exhorte-t-elle. « Essayer d’appeler Gaspard, la police peut-être… Ne pas rester sur le carreau. Je gèle… Au moins m’étendre sur le divan… Mais pourquoi cet abruti m’a-t-il agressée ? Pourquoi ? Bon sang ! Je ne lui ai rien fait moi ! Alors ? »

    Il lui semble que tant qu’elle n’aura pas compris la nature de ce geste misérablement gratuit, elle ne parviendra pas à se remettre debout. Sclérosée, corps et âme.

    Il se dressait sur la pointe des orteils, ce drôle de petit gars. Et il allongeait le bras, l’étirait, comme pour un exercice de stretching. Il essayait d’attraper une boîte de céréales. Agrippine qui passait par là avec son caddie, a failli sourire. C’était mignon et comique. Elle a saisi le paquet, le lui a tendu sans cérémonie, tout naturellement. Le petit homme, habillé comme un monsieur fort chic tout en gris pour qu’on le prenne au sérieux, l’a fixée, étonné d’abord, puis, vraiment désespéré. Et enfin, il a eu l’air d’un forcené retenu dans sa cage. A ce moment-là, elle aurait fui au triple trot, s’il n’avait agrippé son chariot.

    Le petit homme faisait un effort surhumain, comme si sa vie

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