Septembre 2098
Retenant son souffle, le regard tendu vers l’avant, Tilda était tapie sur le sol, profitant des herbes hautes pour se dissimuler. Elle progressait insensiblement vers l’étang, au ralenti. Le moindre mouvement un peu trop brusque pouvait la trahir.
C’est là qu’elle le vit. Elle se figea aussitôt. C’était un grand cerf qui s’abreuvait entre les joncs, sans l’avoir perçue. En observant ses bois, son pelage et sa taille, elle déduisit qu’il s’agissait d’un mâle, de trois ou quatre ans à peine. Elle pouvait presque sentir l’odeur de sa robe brune. Elle resta là, à le contempler, fascinée par les bois magnifiques qui se tendaient sur sa tête, comme dessinés par la main d’un artiste.
Un tintement léger se fit entendre quelque part, faisant fuir l’animal, et ce fut comme si le temps reprenait sa course rapide. Tilda se redressa et continua sa route. Quelques mètres en montant une côte, et c’est un troupeau de chevaux qu’elle put examiner à son aise. Ce qu’elle aimait avec ces animaux, c’est qu’ils étaient peu farouches. Elle s’approcha d’un poulain qui semblait l’attendre, un peu à l’écart. Avec un sourire, elle passa la main dans la crinière rêche et épaisse de l’animal, qui pencha son cou vers elle, comme pour lui rendre son geste d’affection.
Le tintement se fit à nouveau entendre, et les chevaux s’éloignèrent. Tilda remarqua au loin une famille d’oiseaux perchés sur un haut chêne, sans doute des grives qui la regardaient en inclinant légèrement la tête. Mais comme le tintement reprenait une troisième fois, elle soupira et appliqua un doigt sur sa tempe droite. Aussitôt, tout ce qui l’entourait se figea puis se dissipa dans une brume, et Tilda se retrouva seule dans une grande pièce grise. Le ronronnement du simulateur ralentit et s’éteignit tout à fait.
Après un instant d’abattement, Tilda s’approcha d’une large fenêtre. Elle détestait plus que tout ces retours à la triste réalité. Dehors, l’épais brouillard laissait voir la pointe de quelques immeubles, qui s’élevaient le plus haut possible à la recherche d’un peu d’air pur. Mais il était devenu impossible d’atteindre des altitudes épargnées par la dangerosité ambiante. Et encore, aujourd’hui, on devinait un peu la silhouette de la ville. L’indice de toxicité de l’air était à 7 sur une échelle de 10. Les jours à 8, tout était plongé dans le smog de pollution, et à partir de 9, il était interdit de sortir, il fallait faire tourner les filtres en continu et calfeutrer les portes. Éléazar, le grand-père de Tilda, lui avait parlé d’une époque où l’indice ne dépassait pas 5. On pouvait alors se promener plus d’une heure sans