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L'enfant de l'herbage: Roman
L'enfant de l'herbage: Roman
L'enfant de l'herbage: Roman
Livre électronique198 pages3 heures

L'enfant de l'herbage: Roman

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À propos de ce livre électronique

Une année de la vie d’un enfant au milieu du XXe siècle. C’est au travers de son regard que se déroulent les événements ponctués par la douce schizophrénie de ses jeux qui suscitent de profondes réflexions sur les relations aux autres, aux animaux et à l’existence secrète des objets. L’histoire se partage entre un village normand, son école, ses habitants et la petite bastide du sud-ouest des grands-parents que l’on retrouve aux vacances.
Le dernier chapitre rompt le rythme du roman pour permettre la clôture du texte dans une projection qui pourrait prendre racine au tout début du livre.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1952, Jean-François Crocis est un professeur de Lettres classiques à la retraite qui anime depuis 2015 un atelier d’écriture dont l’essence même est la poésie.
LangueFrançais
Date de sortie1 juin 2021
ISBN9791037723154
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    Aperçu du livre

    L'enfant de l'herbage - Jean-François Crocis

    Chapitre I

    Je vois… deux chaussons de laine bleue qui s’agitent frénétiquement ; l’un passe sur l’autre en semblant s’enrouler autour de lui ; dans la lutte, ils ne se détachent jamais. Leur frottement se fait plus fort. Je sens monter en moi la douleur de la brûlure. Sur mes tempes, de lourdes larmes coulent vers mes oreilles. Tout s’amplifie, les cordons aux pompons s’étirent sous l’emprise des deux adversaires. La colère, la rage montent à mon front comme la sueur s’enroule à mon cou…

    Je vois, du fond de mon cadre, ce haut couloir, cette rosace de vitres teintées, cette lourde porte…

    — Ça y est, je l’ai trouvé, hurle mon frère. Il était caché dans le landau.

    La Bonne arrive aussitôt.

    — C’est toi qui colles, maintenant !

    Je sors lentement de ma cachette.

    — C’est pas juste, c’est toujours moi que tu trouves ! Tu as triché !

    — Dépêche-toi, voyons, nous allons bientôt manger !

    Je me dirige vers le couloir et commence à compter. Je m’arrête bien vite et prête l’oreille ; des bruits étouffés arrivent de l’un des greniers. Je hurle :

    — Ça y est ?

    — Oui, tu peux venir ! me répond innocemment mon frère.

    Je sais où il est, mais j’ai peur. J’ouvre doucement la porte, tout en parlant pour me donner du courage. De lourdes caisses s’entassent sur le ciment nu et semblent s’accrocher à ces chevrons qui brisent l’harmonie des rangées de tuiles.

    — Je t’ai vu, Paul, sors de là !

    Rien ne bouge, seul le vent violent semble me répondre… Une sourde angoisse monte en moi, et si je m’étais trompé de grenier ! Je ne peux supporter l’idée d’être seul dans cette pièce froide et secrète. Je sors précipitamment. Il faut pourtant que je les trouve, sinon, ils vont encore se moquer de moi. J’ouvre bruyamment les deux autres portes, en hurlant :

    — Sortez de là ! Je vous ai vus…

    Rien ne se passe ; je suis de plus en plus seul… Ils ne sont quand même pas allés se cacher au-dessus de la mairie ! Ils ne m’auraient pas fait ça ! Pour y accéder, il faut traverser le grenier du fond, passer par une toute petite porte basse et surtout affronter les ombres mystérieuses du linge qui sèche. Non ! Ce n’est pas possible. Je vais attendre…

    Un appel de délivrance me vient du bas de l’escalier :

    — À table ! C’est prêt !

    Je me précipite, je dévale les marches. J’arrive essoufflé dans la salle à manger, où déjà tout le monde est installé ; je réalise tout à coup ! J’étais seul là-haut face aux ombres mystérieuses. Paul et Sophie, la Bonne, avaient dû profiter de mes nombreuses hésitations pour descendre subrepticement. Alors, « j’éclate » face à leur visage rieur :

    — Je joue plus ! Vous trichez tout le temps !

    Malgré mes promesses de petit bonhomme, je joue toujours, j’aime ne pas être moi, je suis tout à la fois, mais pas « pour de rire ! Pour de vrai ! »

    — Haut les mains, Zorro, ne bouge plus ! s’écrie le Sergent Garcia.

    Mon « colt » tombe à terre, mes bras s’élèvent vers le ciel : je suis prisonnier ! Bouboule, le plus gros de mes copains, me lie les poignets avec de la ficelle ; il me fait mal !

    — Arrête, c’est pas du jeu !

    Un ricanement cruel me plonge dans l’incertitude… et si c’était la vraie vérité que je sois prisonnier…

    — Allons ! En tôle !

    Nous nous dirigeons vers le poulailler qui est derrière l’école. La lourde porte de fin grillage se referme sur ma « Liberté » !

    Cela fait maintenant deux jours que je suis le Zorro prisonnier, en réalité quelque trois ou quatre minutes de l’autre « moi » se sont écoulées, mais j’en ai déjà « marre » !

    — Eh, les gars, je serais plus enfermé, je serais un évadé.

    — Pas question ! me crie le Sergent en courant après mon autre copain, un « bon » lui, il est pour moi.

    Hélas, trois fois hélas, de sa carabine à air comprimé, Bouboule a atteint Robert en pleine cuisse… Le morceau de patate crue, servant de projectile, est allé cingler le « cheval » de Pancho. Celui-ci s’est écroulé avec des hurlements. En un instant, les mains liées derrière le dos et tout en pleurs, mon camarade, poussé par l’intraitable Sergent Garcia, est entré en prison. Nous n’avons plus d’espoir !

    Sous la torture, nous essayons de ne pas dire où nous avons caché le plan du trésor. Mais une cruelle pensée illumine le visage tout rond.

    — Si vous ne parlez pas, vous allez mourir ! J’ai deux chewing-gums, et je vais vous les faire avaler, ça vous bouchera le trou du c…

    Une peur immense nous envahit, le pire, c’est qu’il est capable de le faire…

    — Arrête, Bouboule, t’es fou, c’est trop dangereux !

    — N’oubliez pas que vous parlez au Sergent Garcia ! Alors, il faut du respect !

    — Écoute, nous on joue plus !

    — M’en fous, je veux savoir où est votre trésor ! C’est moi le chef !

    Nous lui révélons alors notre secret, après tout, ça n’est qu’un bout de papier que « pour jouer » nous avons caché. Notre honneur ne risque rien, Zorro et Pancho ont disparu. D’abord, on a déjà crié « mouillette », ce mot qui, dans les cas critiques, transforme notre vie immédiatement.

    Bouboule, en sautant partout, se prend à chanter sur l’air des lampions :

    — J’ai gagné, j’ai gagné ! Il en oublie presque de nous délivrer…

    Ce soir, j’ai besoin de la douce chaleur de l’amour et de la maison. Assis sur le canapé, à côté du chat et du chien, je ronronne en suçant mon pouce. Je suis bien. Dans mon cocon, rien ne peut m’arriver. Dans ce ventre chaud de la pièce, j’entends les bruits nombreux de la cuisine, assourdis par le halo protecteur de mon bonheur. J’écoute le vent, la pluie, je suis aveugle du monde extérieur, j’ai envie de nager dans le liquide de l’enfance. Pour une fois, je ne suis pas le spectateur extérieur de moi-même ; tout est moi, le chien, le chat, la maison et surtout les bruits : je ne les entends pas, je les possède. Mes yeux, brouillés d’une douce langueur, ne voient pas, ils sont la frêle barrière de mon esprit.

    Peu à peu, comme l’on sort d’un songe ou comme l’on naît peut-être, je reprends mon masque. Une folle envie de jouer à l’aviateur m’éveille. Aussitôt, les coussins sont entassés et le vrombissement des moteurs efface le calme de la salle.

    — Attention ! Attention ! Chers passagers, nous sommes au-dessus de la mer, attachez vos ceintures !

    L’hélice ne tourne plus rond, le canapé fait des bonds violents. Le chat affolé saute dans le vide. Le fou ! Il n’a pas mis son parachute ! N’écoutant que mon courage, je m’élance après lui. Je réussis à l’attraper par une patte avant qu’il ne plonge dans les flots ! Mais cet ingrat me griffe instantanément. Mes cris attirent aussitôt toute la famille. On gronde le chat, on me soigne, pendant que le chien continue de dormir dans le désordre des coussins, non sans avoir, auparavant, ouvert un œil compatissant…

    Rampant sur le sol, je nage sur le parquet. Je rejoins péniblement l’avion en détresse et parviens à me hisser à son bord. Tout peut enfin rentrer dans l’ordre, le long voyage reprend… De mes lèvres sort le doux « ronron » du moteur. Je transporte du courrier, comme dans le livre que j’ai lu. C’est un Saint qui l’a écrit ; c’est normal, un Ange, ça vole toujours un peu et ça apporte de bonnes nouvelles. C’est le Curé qui le dit au Caté !

    Laissant là mes réflexions mystiques sur l’aviation, je m’aperçois que nos combinaisons sont incomplètes. Je me pose aussitôt et cours chercher des bonnets, des gants et des lunettes de soleil. S’il y en a un qui regrette cette escale forcée, c’est bien mon chien ! Le voilà maintenant affublé d’un superbe casque ; du coup, tout doucement, son museau s’enfonce entre les coussins : c’est lui le mécanicien ! Il va sans doute voir ce qui se passe dans le moteur !

    Le chat, intrigué par l’allure étrange de son compagnon, descend souplement du radiateur sur lequel il se chauffait et d’un léger bond, nous rejoint dans la carlingue. Inquiet, il se met à sentir cet être étrange, ses narines s’ouvrent convulsivement. Il ne comprend plus. Sa vue ment à son flair : c’est lui, le chien, sans l’être ! Alors comme il le fait toujours, il se met à ronronner et à se frotter contre son copain, tout en gardant une réserve bien étrange. Il est double, tout à la fois la douceur et l’inquiétude, prêt à bondir, à griffer si son ami n’est pas lui. En fait, le jeu, c’est sans doute ça : ce faux mensonge, cette fausse réalité qui finissent par faire que l’imaginaire et le réel ne sont qu’un.

    Mes parents et mon frère essayent vainement de travailler dans le bruit que je fais. Ils font leurs « leçons » à la table de la salle à manger. Mon père est professeur, ma mère institutrice, Paul, lui est élève au Lycée. J’aime bien être à leur côté dans ces moments-là. Je suis près d’eux et ils ne font pas de bruit. Au moins, ils ne me gênent pas pour jouer ! L’inverse, cependant, n’est pas aussi évident !

    — Arrête un peu ! Ça fait quatre fois que je relis cet exercice ! Ça n’est plus possible ! Va jouer ailleurs ! me dit ma mère.

    Mon avion, d’un seul coup, s’écrase dans la forêt amazonienne. J’entre dans le monde hostile des pièces inhabitées. Ma progression est lente, la peur me serre la gorge… J’escalade en rampant l’escalier-montagne qui se dresse devant moi. J’arrive enfin au bord d’un torrent dont les eaux tumultueuses chutent dans un gouffre : je suis dans la salle de bain et j’ai ouvert en grand le robinet de la baignoire. Je me repose un instant. Un bruit étrange de tam-tam parvient à mes oreilles ! Voilà les Indiens de la forêt qui m’attaquent. Mais comme je suis un courageux et admirable héros, ils m’acceptent très rapidement…

    Mon regard est attiré par le tube de rouge à lèvres de ma mère. Les voilà les peintures du Grand Sorcier ! Je me badigeonne le visage. Que je suis étrange ! J’ai peur en me regardant dans la glace ! Je m’approche de celle-ci et mes yeux regardent mes yeux… J’essaye de voir mon cerveau par le petit trou noir… C’est beau un œil, ça n’est pas uniforme. On dirait une anémone de mer. L’iris est immobile mais combien vivant ! Ses couleurs sont multiples et distinctes. Cela va du doré au noir en passant par le marron. Il se dégage de cette vision, une étonnante impression. Ce que je suis, je le découvre comme un étranger. Rien n’est plus proche de moi que cet organe par lequel je perçois le monde et, pourtant, je ne le connais pas ! Je me vois voyant. Un certain malaise s’installe en moi. Je m’éloigne alors de cet univers troublant et, lentement, je descends les marches pour me rassurer un peu auprès de Sophie qui prépare le repas à la cuisine. Lorsqu’elle m’aperçoit, le visage bariolé de rouge à lèvres, elle s’écrie :

    — Oh la jolie poule, viens vite, je vais te mettre dans la cocotte-minute, tu pourras chanter en cuisant, c’est fait pour ça !

    Joignant le geste à la parole, elle m’empoigne et commence à me soulever en direction de la marmite. Je hurle comme un forcené, je pleure, je me débats. Mes parents suivis de mon frère arrivent aussitôt. Mon père gronde la Bonne en lui disant que ça peut traumatiser un enfant de faire de telles bêtises.

    Elle est jeune : elle ne sait pas, la malheureuse, que déjà mon corps se couvre de plumes et que la nuit prochaine, dans mon sommeil, je pousserai les « cocoricos » triomphants de mon enfance heureuse.

    Chapitre II

    J’aime l’odeur de mon école. Une lourde senteur de cire patinée, de bois de crayons que l’on a taillés, de vieux livres aux feuilles assouplies par la moiteur des mains d’élèves, nous enveloppe à la porte de la classe. La douce chaleur du chauffage central réchauffe nos membres transis par le vent glacial de la cour de récréation. La Maîtresse, qui n’est autre que ma mère, et que j’appelle Madame, comme tous les autres élèves, une fois le seuil franchi, nous demande de nous installer rapidement.

    Antoine, qui habite auprès de la rivière et des marécages, lève la main et nous apprend qu’il a une nouvelle fois capturé une salamandre et que, bien sûr, il l’a apportée avec lui. Jean-Paul, comme c’est la coutume, se lève et va dans le couloir chercher un bocal. L’animal est bientôt offert aux yeux de tous. Le petit dragon noir et jaune semble effrayé. On le serait à moins, alors que vingt-huit paires d’yeux, démesurément grandis par le verre, scrutent dans les moindres détails cette fille de légende.

    Bouboule qui n’aime ce genre de bêtes que pour les faire souffrir, essaye d’expliquer en vain que la peau de l’animal est venimeuse comme celle des crapauds qu’il s’amuse d’ailleurs à faire fumer jusqu’à ce qu’ils éclatent. Les filles, plus par habitude que par conviction, se reculent en prenant des airs horrifiés. Daniel, que l’immobilité de cet être semble agacer, essaye de secouer discrètement le bocal. Rien ne se passe, seuls les flancs luisants battent à un rythme plus élevé. Nous semblons contempler quelque ancêtre de la préhistoire que l’usure du temps aurait réduit. Notre esprit vagabonde de dinosaure en dinosaure. Les images des livres se superposent à la vision de l’animal et, peu à peu, une envie d’exorciser le monstre succède à notre peur primitive. Comme pour nous rassurer, un furieux désir de faire des « expériences » monte en nous !

    — Madame, dit Robert, si on lui coupait la queue, on verrait bien si ça repousse comme pour les lézards !

    — Oh oui ! Et si on la faisait fumer ! S’exclame Bouboule, radieux à cette idée.

    — On pourrait, peut-être, regarder ce qu’elle a dans le ventre ! ajoute Benoît qu’une vocation médicale précoce semble travailler.

    — Vous n’avez pas bientôt fini de dire des monstruosités, s’exclame la maîtresse. Vous devez avoir le respect de la nature et des animaux. Elle ne vous a rien fait cette pauvre bête ! Allez maintenant rejoignez vos places et, à midi, Antoine la relâchera.

    Chacun regagne sa table et prend le cahier de calcul. Nous avons deux problèmes à faire. Il y en a encore un qui a des ennuis avec les robinets de sa baignoire. Il vaudrait mieux changer le joint que de chercher à savoir combien de litres d’eau ont pu s’écouler en vingt-quatre heures, à raison de trois cent soixante-quatorze gouttes d’un millilitre chacune dans une heure…

    Elle a bien de la chance cette salamandre, elle peut jouer toute la journée, elle ! Mon esprit vagabonde vers les marécages où je rencontre tour à tour les personnages et les animaux de mes livres. De mon regard brouillé par le rêve, sortent les visions les plus fantastiques… Mais lentement déjà, l’hippocampe de mon 2 redevient le chiffre noirci sur la surface liquide et fluctuante de la page de mon cahier. Le devoir de Calcul redevient réalité…

    — Penalty ! Penalty ! hurle Robert qui vient d’être « fauché » devant les buts adverses.

    La récréation bat son plein. La partie de Foot est déjà bien engagée. Nous sommes à égalité : zéro à zéro !

    Joseph, après avoir embrassé le ballon, comme un vrai Professionnel, le dépose avec une délicatesse inattendue. Jacques, le gardien adverse, ajuste des gants empruntés pour l’occasion. La foule des gradins gronde… Quelques trompes finissent par se taire… Enfin, la masse mouvante se fige, les bouches se ferment, les cœurs ne battent plus, le silence envahit le stade. Des milliers de regards cessent de vivre pour ne fixer que cette terre de cuir miniature pour laquelle, le monde s’arrête de tourner. Le numéro dix s’élance… Au moment même où il va frapper… Un cri terrifiant sort des urinoirs de la cour de récréation. Nous nous précipitons tous inquiets et curieux ! C’est T’i frère ! Lolotte, sa grande sœur, qui vient de le faire

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