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Hommes de l'ombre: De la visite à la rencontre en milieu carcéral
Hommes de l'ombre: De la visite à la rencontre en milieu carcéral
Hommes de l'ombre: De la visite à la rencontre en milieu carcéral
Livre électronique217 pages2 heures

Hommes de l'ombre: De la visite à la rencontre en milieu carcéral

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À propos de ce livre électronique

Un détenu. Que je quitte les larmes aux yeux. Un dur à cuire pourtant. Un gros nounours. Deux vieillards assassinés : « Je n’y crois pas ! Je n’y crois pas ! Il faut que j’aille en taule pour découvrir ce qu’est l’amour ! »
Munis de bienveillance et d’ouverture d’esprit comme de cœur, les visiteurs de prison sont des « passe-muraille » qui apportent un peu d’air de « l’extérieur » et qui repartent avec un extraordinaire capital de vie. Rencontres improbables, confidences surprenantes, mais aussi détresses silencieuses. L’auteur, Delphine Dhombes, accompagne des détenus âgés, parfois malades, toujours écrasés de solitude. Avec sa plume alerte, Hommes de l’ombre donne la parole à ces « sans-voix », à ces hommes de l’ombre, et nous fait revivre l’incroyable de rencontres où la joie jaillit du vis-à-vis.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Delphines Dhombres a 44 ans, professeur de lettres à Paris, est bénévole à la Maison d’arrêt de Fresnes. Elle a une longue pratique de l’écoute et de l’accompagnement des détenus, particulièrement des plus vulnérables.
LangueFrançais
Date de sortie29 nov. 2019
ISBN9782375821091
Hommes de l'ombre: De la visite à la rencontre en milieu carcéral

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    Aperçu du livre

    Hommes de l'ombre - Delphine Dhombres

    On entend…

    Un quidam : Faut vraiment pas se respecter, ne vraiment pas avoir de respect pour soi pour aller voir des gens comme ça.

    Un surveillant : Non mais quand même… ! Venir en prison, un samedi matin, pour aller voir des gens qui ne le méritent pas… même pas pour travailler, gagner de l’argent ! Avec un soleil pareil en plus ! Non mais vraiment, vous n’avez vraiment rien d’autre à faire ??

    – Comme quoi ? Les soldes ? Eh bien je viens justement partager un peu de soleil !

    Un surveillant : Vous êtes mariée ? Vous avez des enfants ? […] Eh ben… Vous n’avez vraiment rien d’autre à foutre le samedi matin comme de rester au lit avec vot’mari, ou vous occuper de vot’fils au lieu d’venir voir des gens qui ont fait l’mal ? Des criminels, des pédophiles, des… Ou alors, je sais pas moi, allez donc voir plutôt les enfants malades, dans les hôpitaux, qui en ont besoin ! Mais pas eux !

    Un détenu : Bonjour… Je vous en prie… Installez-vous… Là…, dans mon fauteuil roulant… y a pas d’autre chaise… Voilà. Moi je reste sur mon lit. Et dire qu’il n’y a même pas d’eau chaude pour vous offrir un café… !

    Ça commence comme ça

    Janvier

    Aux infos tous les matins à mon réveil

    non pas la litanie des saints

    mais la litanie des morts.

    Des morts de la prison

    Par suicide

    Déjà une bonne dizaine. En trois semaines

    Je sors des fêtes. Repue et joyeuse. Douce ivresse

    Tandis que là-bas,

    en France, en marge,

    à part, quelque part

    sur fond de liesse nationale

    en sourdine

    on se pend, on s’étouffe, on s’immole

    dans la vulnérabilité d’une solitude

    dans la violence de l’isolement

    de la promiscuité

    Ah bon ? Parce que ce n’est pas « l’Club Med » ?

    Comme beaucoup

    je croyais

    Il est ainsi des débuts d’année qui vous tirent de vos gueules de bois

    plus violemment que d’autres

    plus aigrement que d’autres

    tant il est impensable que l’on se pende, que l’on s’étouffe, que l’on s’immole

    des jours de liesse nationale, en France,

    que je pensais, rêvais, voudrais pays de Cocagne, d’humanité, de dignité, de vie et de joie

    pour tous

    y compris pour ceux qui « ne le méritent pas », qui « ont fait le mal », qu’on emprisonne :

    raison pour lâcher leur main ?

    Raison pour stopper le regard à la faute, au numéro d’écrou ? Raison pour emmurer l’humain, devenir aveugle, sourd et muet à l’homme ?

    La détresse m’est insoutenable. Quelle qu’elle soit. D’où qu’elle vienne.

    Il y a longtemps qu’il ne m’appartient plus de juger, que je ne prends plus parti

    Comme il y a longtemps que j’ai appris qu’il est des regards qui vous sauvent,

    parce qu’ils vous considèrent

    vous espèrent

    Douce et humble espérance,

    cette petite fille de rien du tout, comme l’appelait Péguy, plus accomplie, accomplissante que l’attente

    tapie dans le creux d’une oreille, nichée dans l’orée d’une écoute,

    souriante,

    qui attend, qui entend, qui espère,

    et aime, souvent

    Qui ? Quoi ?

    Qui se murmure

    Paris gare de Lyon

    Dans le hall des pas perdus

    J’attends.

    Il y a de cela une bonne dizaine d’années.

    Je venais chercher quelqu’un. À la descente d’un train. Mon mari. Ou peut-être une amie. Je ne sais plus.

    Comme d’habitude, pour patienter, le nez dans mon bouquin, l’esprit concentré, mes yeux parcourent les lignes. Prolongent le rail. Partent. Ailleurs.

    Alors tout disparaît. Les gens. Le monde. Tout disparaît. Seul l’ouïe reste attentive, veille. En suspens. Aux annonces.

    C’est une voix

    qui me ramène dans le monde : « Vous n’auriez pas une p’tite pièce s’il vous plaît ? Pour prendre un café. »

    Un jeune, plus très jeune, se tient devant moi. Habillé de noir. Tatoué. Crade. Déchiré. Pas un sou neuf. Nauséabond. Je réprime un bond. De recul. De côté. De malaise. C’est que, diable, il me ferait presque peur !

    Presque.

    Une béance dans laquelle je refuse de m’engouffrer. Que je comble aussitôt d’un sourire, d’un regard, d’une politesse. Malgré ce « presque peur », j’ai toujours eu à cœur de voir en l’autre moins un ennemi dont il faut me protéger qu’un frère potentiel. En humanité. D’aucuns crieraient Naïveté ! Inconscience ! Imprudence !

    Je préfère parier. Au risque de perdre.

    Me perdre.

    Ce qui, grand Dieu, ne s’est jamais produit.

    À croire que j’ai une bonne étoile.

    « Une petite pièce ? Pour prendre un café. J’n’ai plus rien : j’sors de prison. »

    Je ne sais plus ce que je lui réponds, prenant conscience, alors, des regards étonnés, réprobateurs autour de nous. Au mot prison. Un bond. De côté. De recul. De mépris. Autour de nous. Car nous sommes « nous » à ce moment-là. Dans l’échange et la relation. Et les bonnes gens, autour de nous, le condamnent. Et me condamnent. Moi avec.

    De le voir.

    De lui parler.

    De lui sourire.

    Je vois des visages se fermer, se détourner, s’effacer derrière des journaux.

    Se protéger. Comme d’une lèpre.

    « J’sors de prison. » Je percute seulement. Réalise l’infamie.

    Il n’a rien. Et encore moins de carnet jaune à présenter. Mais rien n’a-t-il donc changé, depuis Victor Hugo, qu’un seul mot ferme porte et fenêtre ?

    Alors je voudrais comprendre. Quoi au juste ? Je ne sais pas. Ou peut-être par bravade. Être avec lui. Faire corps avec lui. Et puis tant pis, tant mieux si ça choque le bourgeois !

    Déterminée, confiante, même pas peur !, je lui propose non seulement de lui donner une pièce pour prendre un café, mais surtout de l’accompagner, d’en prendre un avec lui (même si je déteste le café).

    Pour qu’il me raconte

    me raconte la prison

    sa prison

    Je l’écoute

    j’écoute, comme j’écoutais, enfant, entre les lignes, les colères et le désespoir de Jean Valjean. Sa misère.

    J’écoute

    ses mille et une nuits. Sans étoile. Sa traversée de l’enfer

    J’écoute

    des romans, comme des vies

    et des vies

    comme des romans

    En route !

    7 h 10 sur le panneau des gares desservies. Je monte dans la dernière voiture du RER B.

    Châtelet Les Halles. Quai désert. Le choc reste brutal : à mes quatre journées en semaine, où la masse indéfinie du « on » se presse, opprimée oppressée, entre Charles-de-Gaulle-Étoile et La Défense – telles des sardines asphyxiées sur le petit navire A de la RATP – succède mon aller-retour du samedi matin, via un hall souterrain, à une heure où l’être humain raréfié erre… Denfert-Rochereau. Il est 7 h 20. Paris s’éveille, Paris s’endort. C’est selon.

    Il. Lui. Il s’installe en face de moi. Ce n’est pas la place qui manque pourtant : il n’y a pas d’autre sardine que moi dans la boîte. « Il » me fait face, me fait front, m’affronte. « Il » en deux tons : sac de plastique blanc au pied, baskets blanches, jean et veste noirs, chaîne autour du cou, chewing-gum, casquette noire de travers. « Il » me scrute, me perce : « Bonjour. » « Il » récidive, s’acharne : « Bonjour ! Bon-jour !!

    – Bonjour.

    – Je vous dérange dans vot’ bouquin là ? » Nous sommes seuls et le RER B poursuit son train d’enfer. « Purée ! J’ai passé une nuit d’enfer : la tournée des bars entre Clichy et Montparnasse ! Sans faire de mélanges, hein ! J’rentre me coucher là. Mais en rapportant des croissants à Madame, pour lui faire plai-sir. Vous en voulez un ? » Sourire. « Je reprends le boulot à 11 heures. Et vous ? Vous rentrez vous coucher ?

    – Non.

    – Vous partez travailler alors.

    – Non.

    – Ben, j’comprends que dalle, là : c’est forcément l’un ou l’autre. » Sourire jusqu’aux racines du ciel : « Je vais rencontrer des prisonniers.

    – Ouf, c’est dar ! Eh ben… Moi aussi, j’ai failli faire d’la prison. On m’a dit que là-bas, on passait ses journées à faire de la muscu. » Éclat de rire. « Bah… c’est bon, hein : la muscu, je peux en faire chez moi […]. » Éclats de rire communicatifs tordant le cou au silence et envahissant l’espace.

    Heureusement que nous sommes seuls, intarissable qu’il est ! Comme ces fruits du dragon : tout en piquant à l’extérieur, mais rose tendre et gorgé de sucre à l’intérieur. En témoigne son baisemain des plus classes. Incandescent, éthylisme oblige ! Il rayonne du mirage ensoleillé de son bled natal. De mes éclats de rire, de ses éclats de soleil, nous nous abreuvons l’un de l’autre. Un bon punch pour nous donner la pêche et colorier au mieux notre journée à venir, forts de cette palette d’humanité. Le temps de trois stations. Dopamine d’un court instant. Il en oublie d’ailleurs de descendre. Je le mets à la porte : « Et promis, hein ? Que je ne vienne pas vous rendre visite à Fresnes ! » Des au revoir à grandes envolées de gestes sur le quai désert. 7 h 30 sur le panneau de la gare bon Accueil. Une autre « illusion » d’optique ? Ensommeillée, à moins que ce ne soit alcoolique, ou ensablée. C’était à Arcueil-Cachan. Trafic de zygomatiques à A(r)cueil-Cachant !

    Baptême de taule

    « T’as de beaux seins, tu sais… » : derniers mots qui galopent dans ma tête comme une traînée de poudre quand je m’extrais de sa cellule, quand la porte grince en se refermant sur son antre. Un ours, le type, une bête, me dis-je. Malotru, qui plus est, pour la petite bourge du 17e que je suis. Un taré. Un fou. Un monstre ! Quelque chose d’énorme. Sonnée et sur le carreau, la petite vierge effarouchée. Me faut cinq secondes pour récupérer de cette visite surréaliste.

    Bon, il ne lui a pas dit les choses exactement comme ça, à l’infirmière. J’avoue… C’est mon filtrage poético-cinématographique pour désamorcer l’inquiétude qui me grimpe dans l’échine, qui me fait froid dans l’dos. Après coup. Jean Gabin et Michel Morgan, un bon remontant pour garder le sourire en bandoulière, tant la réplique m’a laissée interdite, fusillée sur place. Sans vider toutes mes cartouches. Le liquider. De mes yeux assassins. De mon regard sur la défensive, revolver.

    Pourtant moi, je m’en sors bien : il m’a juste demandé si j’étais bonne sœur, mariée ou fiancée, juste demandé quand je reviendrais le voir après avoir cerné l’état du lieu. Quel jour, quelle date, quelle heure ? Et l’infirmière, de passage dans le couloir avec son chariot, de m’expliquer qu’il faisait le coup à toutes les aides-soignantes. De reluquer leur postérieur, de vouloir palper leurs seins. Juste demander quand on repasserait le voir, nous, les belles. Avec leurs nibards, lis-je en surplus dans le regard goguenard du surveillant. Oui, précise-t-elle, parce qu’à chaque fois il essaie de nous toucher, de nous p’loter. Eh bien voilà qui est dit. Crûment et clairement dit. À bonne entendeuse salut !

    « D’ailleurs, vous n’auriez pas dû aller le voir. Je ne sais pas qui vous a autorisé…

    – Mais il n’y a pas d’autorisation pour nous : nous pouvons rencontrer tous les détenus, sans exception, rectifie mon tuteur.

    – Peut-être, mais là, précise le surveillant, il s’agit d’un DPS, isolé. Raison pour laquelle je suis resté derrière la porte. Mais ça va que vous étiez deux… » Je les écoute, le gardien et l’infirmière. Et regarde mon co-équipier, impassible. Abasourdie. Ne comprenant plus rien, ne sachant que penser de notre visite. Une rencontre avec le troisième type ne me saisirait pas plus. Je viens de quitter un homme surhumain, exceptionnel, brillant d’un feu on ne peut plus particulier, prométhéen. Et j’apprends que moi et mon collègue venons de passer trois quarts d’heure avec un obsédé sexuel, un meurtrier multi-récidiviste. Deux innocents qui auraient accordé une auréole au Diable lui-même. « C’est quoi un DPS, Pierre ?

    – Oh, ne t’en fais pas, ce n’est rien pour nous, me répond-il avec un sourire malicieux en bord de lèvres… DPS ? Ça signifie juste détenu particulièrement surveillé. Très dangereux quoi, un euphémisme, une litote. Mais t’inquiète : un prisonnier n’a jamais mangé une bénévole ! »

    Bienvenue Delphine dans le monde carcéral ! Nous sommes le vendredi 8 décembre 2011. C’est ma première après-midi à l’hôpital carcéral de Fresnes. En qualité de novice. Mon deuxième prisonnier. « Un beau baptême !, poursuit mon confrère, taquin, en pouffant de rire. En la fête de l’Immaculée Conception en plus ! On ne pouvait pas tomber mieux ! Mais je te rassure, de pareils cas se font de plus en plus rares. Ils sont habituellement isolés au quatrième étage ! » Je sens perler des gouttes de stress… Heureusement, car, les prochaines fois, pour le coup, je devrai me débrouiller toute seule, sans tuteur, comme une grande. Gloups.

    Quelques années plus tard, je repense encore à cette toute première fois.

    Des barreaux de pluie s’abattent sur la campagne béarnaise où je passe quelques jours de vacances. La sieste est à la lecture tandis que les enfants rigolent des facéties de frère Luc et de Robin de Sherwood : « Ben, maman, je ne vois pas ce qu’il y a de mal à voler les riches pour aider les pauvres ! », intervient mon fils. Je souris de cette logique juvénile, en reprenant la lecture de Marc Aurèle. Une envie, une promesse, un souvenir vieux de trois ans.

    Oui : car c’est d’un sceau avant tout philosophique que ce DPS aura marqué notre entrevue, avant l’arrivée de l’infirmière.

    Je me souviens de la forte impression qu’il m’avait faite lorsque je suis entrée dans sa cellule, ce vendredi après-midi de décembre. Comme il n’y a pas de dépense calorifique de trop, j’avais gardé, à l’intérieur de sa chambre-cellule, mon manteau d’hiver sur ma polaire. Double couche pour conserver, bien au chaud, mon peu de chaleur. Petits reniflements et goutte au nez sont réprimés au moment d’entrer dans son terrier.

    Le surveillant ouvre sa porte, s’efface du seuil. Mon regard plonge dans un tableau improbable, en clair-obscur, à la Rembrandt : une lumière blafarde émanait d’une fenêtre grande ouverte, de laquelle se détachait la silhouette titanesque d’un « homme » colossal : une force de la nature. À l’état brut. Il se retourna de la fenêtre où il respirait, face contre l’air, la liberté, la vie, le ciel à pleins poumons.

    « Ah ! de la visite ! Que ça me fait plaisir bon sang ! J’vous en prie, entrez ! Excusez-moi, que je débarrasse tout ça, madame, attendez, j’vous fais de la place, excusez le dérangement, y en a de partout, voilà, une chaise, ne restez pas debout, ne vous donnez pas la peine. »

    J’obtempère, les yeux grand écarquillés sur l’armoire d’ébène qui s’avance vers moi. Je m’affale

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