Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Farid le Fou… d'Amour: Victime du système
Farid le Fou… d'Amour: Victime du système
Farid le Fou… d'Amour: Victime du système
Livre électronique332 pages9 heures

Farid le Fou… d'Amour: Victime du système

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

C'est l'histoire d'une descente en enfer. C'est le récit d'une vie gâchée, d'un enfant battu qui vécut son premier placement dès sept ans par décision d'un juge de la jeunesse.

J'ai connu Farid Bamouhammad, jeune adolescent placé au centre fermé pour délinquants juvéniles de Braine-le-Château. J'étais un jeune sous-directeur pédagogique du Ministère de la Justice. Lui était déjà considéré par ses pairs comme un dur, une tête brûlée. Une certaine presse le surnommait déjà " Farid le fou " tant son comportement était rebelle, parfois déraisonnable, au sens où nous, adultes, ne pouvions comprendre ses gestes insensés apparemment gratuits, hors des normes communément admises. Prévenons tout de suite le lecteur, le livre témoigne d'une violence extrême, mais n'est qu'un épisode de la vie de Farid Bamouhammad. Depuis la rédaction, Farid a replongé et a été condamné à une nouvelle lourde peine. Aujourd'hui, il va d'un quartier de haute sécurité à un autre, d'une prison à une autre. Et il n'est pas rare que les gardiens d'une prison ne se mettent en grève avec pour seule revendication son départ. J'ai pu être le témoin de mises au cachot suite à des incidents avec, en corollaire, des mesures de sécurité particulièrement dégradantes pour l'individu. Revenons au livre. Le récit est une sorte de journal décrivant principalement la situation carcérale et sa violence. Il est d'abord cathartique en ce sens que Farid se défoule en dénonçant les conditions de ses détentions successives. C'est surtout un cri d'amour désespéré à l'égard de sa fille qu'il sent lui échapper de plus en plus au fur et à mesure que son incarcération dure et que les incidents qui l'accompagnent se font de plus en plus nombreux. Huit années d'orphelinat et déjà vingt ans de prison ! " Je crains mes réactions ", écrit-il. Pourtant, son livre se termine par une volonté d'espérer et de construire pour et avec sa fille. - Claude LELIEVRE, Délégué général aux Droits de l'Enfant.

Le récit interpellant de l'un des criminels les plus médiatisés de notre génération

MOT DE L'AUTEUR

Ce livre, je l'ai écrit en prison. Ce ne fut pas facile tous les jours. La prison est un univers violent. Outre ma feuille et mon stylo, il m'aurait fallu des boules " Quies " pour pouvoir m'isoler des bruits carcéraux, des cris, des ricanements sournois, des pleurs aussi. Comment parler de sentiments ou d'émotions autres que la rage et la violence dans un tel endroit ? La vie en prison, c'est la détresse totale, l'absence de compassion, la jalousie, les coups, la terreur, l'abandon et l'injustice. J'espère de tout mon coeur pouvoir atteindre mon but ou, à tout le moins, que ce livre pourra ouvrir les yeux de quelques personnes, celles qui ne savent pas ce qu'est la vie en prison ou celles qui ne comprennent pas le cheminement de certaines vies. Personne n'est à l'abri d'un incident de parcours. Le mien aurait pu être le leur.
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie2 mars 2017
ISBN9782870955505
Farid le Fou… d'Amour: Victime du système

Lié à Farid le Fou… d'Amour

Livres électroniques liés

Criminels et hors-la-loi pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Farid le Fou… d'Amour

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Farid le Fou… d'Amour - Farid Bamouhammad

    LELIÈVRE

    Introduction

    J’ai écrit ceci en espérant que plus personne ne vivra ce que j’ai enduré en prison pendant toutes ces longues années.

    Plus de vingt-trois années de ma vie où j’ai pu voir, ressentir et subir toute la haine et cette violence du personnel pénitentiaire. La barbarie et la souffrance. L’intolérance dans la tolérance. L’injustice dans la justice et dans les prisons belges.

    1967 – 1984

    Je suis né le 9 décembre 1967 à Saint-Dizier, en France. Je suis le cadet d’une fratrie de sept enfants.

    Ma maman est de nationalité française et mon père est marocain. Il est venu en France dans le courant de l’année 1955.

    J’étais âgé de six mois lorsque nous sommes arrivés en Belgique. Mon père espérait y trouver du travail. Nous avons d’abord vécu dans la région de Charleroi. J’avais environ cinq ans lorsque nous avons emménagé à Bruxelles.

    Mon père était alcoolique et violent. Il frappait ma pauvre maman.

    Elle n’avait rien à dire. Les coups ne m’étaient pas épargnés ni à mes autres frères et sœurs.

    La police avait déjà dû intervenir à différentes reprises à cause du comportement très brutal de mon père. Il était arrivé très souvent que les autres locataires de l’immeuble téléphonent à la police lorsqu’ils entendaient nos hurlements.

    Par ailleurs, mes frères aînés devaient voler pour mon père.

    J’ai très peu de souvenirs de mon enfance, avant mes sept ans, juste quelques images, comme des flashes. Je me souviens notamment d’un événement qui m’a fort marqué.

    Un jour, en rentrant à la maison, j’ai retrouvé ma mère dans un piteux état. Elle était à terre, inconsciente et son visage était ensanglanté. Mon père l’avait frappée. Cela m’avait bouleversé.

    J’ai alors pris un couteau de cuisine et me suis dirigé vers le salon où mon père cuvait son vin. Il ne somnolait qu’à moitié. Lorsque j’ai voulu le frapper avec le couteau et avant que je ne le blesse, il m’a saisi les poignets. Il s’est ensuite levé et m’a battu avec sa ceinture.

    Entre-temps, ma mère était revenue à elle et s’est placée entre mon père et moi pour me protéger.

    Son intervention m’a permis de m’enfuir et de me réfugier sous un lit.

    J’adore ma maman. Elle a toujours essayé de nous protéger de la violence de mon père qui était fréquemment ivre à cette époque.

    C’est quasiment le seul souvenir que j’ai de cette période.

    Je connais très peu mes frères et sœurs. La vie que nous avons menée nous a éloignés les uns des autres. Au fil du temps, ils sont devenus des inconnus. Nous sommes des frères et sœurs de sang, mais pas de sentiments.

    J’étais néanmoins très proche de l’un de mes frères aînés, Ouafick et de Nadia, l’une de mes sœurs. Je l’adorais. Elle était mon aînée d’un an. Elle était extrêmement jolie, gentille et sensible. Elle était la seule fille présente à la maison et j’y étais particulièrement attaché. Nous étions solidaires et complices. Je pouvais compter sur elle.

    Tout ce qui nous était arrivé, toute notre famille dispersée rendait Nadia dépressive. Elle avait tenté à plusieurs reprises de mettre fin à ses jours en abusant de médicaments et en se coupant les veines.

    Dès l’âge de sept ans, j’ai été placé par un juge de la Jeunesse à cause de la violence et de l’alcoolisme de mon père. Le juge de la Jeunesse savait que mon père avait déjà été arrêté à de nombreuses reprises pour des bagarres. La police avait aussi dû intervenir à plusieurs reprises à la maison.

    Je suis resté quelques mois dans ce home. J’en ai peu de souvenirs, si ce n’est que je ressentais une énorme tristesse de devoir quitter ma famille. J’étais complètement perdu. Je me souviens aussi que j’avais des problèmes d’énurésie et que tout le monde dormait dans un grand dortoir.

    Ma maman venait aussi souvent que possible me visiter, accompagnée par Nadia, mais elles dépendaient du bon vouloir de mon père qui les conduisait en voiture. Ma mère devait payer à mon père l’essence utilisée pour le déplacement engendré pour ces visites. Un jour, je me souviens avoir vu ma mère et Nadia arriver toutes essoufflées. Ma mère avait tenté de tenir tête à mon père, pour les frais d’essence, lui expliquant que j’étais aussi son fils. Il s’était alors arrêté et les avait tout simplement débarquées, en pleine autoroute.

    Mon père n’était visiblement pas du tout affecté par mon placement et ma mère devait se plier à ses décisions, sans quoi, elle était battue. Ma mère était une femme très fragile et soumise.

    Ces visites étaient comme une déchirure. Je voulais repartir avec elles. Les voir s’en aller m’écartelait le cœur. Je les regardais me quitter et me sentais infiniment seul avec mon incompréhension et ma douleur d’enfant.

    Je ne comprenais pas la décision du juge de la Jeunesse. Je la vivais comme une sanction qui m’éloignait et me privait de l’amour de ma maman. C’était mon père qui était violent, mais c’était moi qu’on punissait.

    J’ai ensuite été placé dans un home mixte, très catholique et très sévère, à Courrières. C’était comme une grande famille d’accueil. Il y avait une trentaine de pensionnaires. Cette maison était tenue par un directeur et sa femme. Nous devions les appeler « mon oncle et ma tante ».

    C’était un home très strict mais aussi chaleureux comparativement aux autres homes que j’ai connus bien plus tard. Toutefois, je ne bénéficiais pas de l’amour maternel, que seule une mère peut apporter.

    C’était une énorme maison. À l’arrière de celle-ci, il y avait un enclos avec des animaux.

    En journée, j’allais à l’école. Après l’école, je faisais mes devoirs. Ensuite, nous soupions.

    Le soir, nous avions l’occasion de jouer à des jeux de société ou nous regardions la télévision.

    Vers 20 heures, les plus jeunes allaient se coucher.

    Je partageais ma chambre avec la directrice et une autre pensionnaire.

    Un éducateur pervers et pédophile travaillait dans ce home. Un jour, alors que j’étais occupé à jouer avec les animaux dans l’enclos qui leur était réservé, cet éducateur s’est approché de moi. Il a voulu m’accompagner dans mon jeu. Mais il s’agissait d’une ruse afin de m’amadouer. Je crois que ce style d’approche est fréquemment employé par ce genre d’individu. Tout en jouant avec les animaux, il me parlait et essayait de me toucher. Lorsque j’ai compris ce qu’il me voulait, je me suis enfui, pris de panique. Je suis entré dans la maison et me suis réfugié auprès de la directrice, assise dans le salon. L’éducateur m’a poursuivi, mais en apercevant la responsable, il s’est arrêté et s’est comporté comme si rien ne s’était passé. Toutefois, je sentais bien qu’il m’observait, de peur probablement que je ne le dénonce. Je ne l’ai pas dénoncé. De honte, j’ai préféré me taire. Depuis ce jour, il n’a plus essayé de m’approcher pour assouvir ses pulsions sexuelles perverses, ni même tenté de me parler. Combien d’enfants ont-ils été abîmés dans leur chair, combien de victimes a faites ce détraqué sexuel ?

    Dans cette maison, lorsqu’un enfant commettait une bêtise, le directeur appelait le curé de la paroisse à la rescousse. C’était une sorte de coutume. Ce curé, qui habitait en face de la maison, s’occupait de la sale besogne. Il nous grondait et parfois nous frappait. À l’exception de ces deux exemples, c’était un bon home, sans délinquant.

    Les week-ends et les vacances, je devais les passer dans cette maison avec certains autres pensionnaires. Je n’avais pas le droit de rentrer chez moi. Le juge de la Jeunesse me l’interdisait. Cette interdiction me donnait toujours l’impression d’être différent des autres enfants. C’était douloureux de les voir rejoindre leurs parents. C’est ainsi que vers 11 ans, je me suis mis à fuguer pour retrouver ma maman.

    Je me souviens de ces fugues, c’était comme un jeu pervers et douloureux. Je devais être sans cesse aux aguets par rapport aux forces de l’Ordre. Lorsque je voyais la police, je devais me cacher et ensuite, prendre mes jambes à mon cou pour fuir. Parfois, ils me rattrapaient et me conduisaient devant mon juge de la Jeunesse.

    Pendant mes fugues ou lorsque le juge décidait parfois de me rendre à ma mère, je rejoignais mes copains dans le quartier de ma jeunesse. Nous nous réunissions dans un petit parc où nous bavardions et nous jouions au football.

    Le bruit de nos jeux agaçait les riverains qui appelaient régulièrement la police.

    La police arrivait et avait pris l’habitude de s’amuser avec nous en nous encerclant.

    Ensuite, elle tentait de nous attraper. C’était à celui qui courait le plus vite !

    De temps en temps, je me faisais prendre avec quelques-uns de mes camarades.

    La police nous conduisait alors au commissariat. C’est là qu’un autre type de jeu commençait…

    Nous avions droit à une fouille corporelle et nous devions ensuite rester nus devant eux, dans un coin de la pièce. Les flics ne manquaient pas de se marrer de notre gêne. Parfois, un policier un peu plus humain entrait dans la pièce et nous disait de nous rhabiller.

    Nous étions ensuite placés dans une sorte de cage, une cellule d’attente. Cela durait des heures. Finalement, mes copains et moi insultions les policiers. Leurs réponses à nos insultes étaient toujours pareilles : ils nous jetaient des seaux d’eau à travers les grilles pour nous faire taire. Cela les faisait beaucoup rire. Moi, j’avais la rage. Je ne comprenais pas pourquoi ils nous enfermaient. Notre seul délit était d’être des enfants d’origine maghrébine et de jouer au football…

    Ils nous libéraient au compte-gouttes, souvent pendant la nuit. C’est ainsi que je me suis souvent retrouvé, seul, devant la porte du commissariat à 3 ou 4 heures du matin, alors que je n’étais qu’un enfant.

    Quelques années plus tard, en 1985, quelques hommes de cette brigade furent condamnés pour le cambriolage d’une bijouterie…

    Malgré mes fugues, ma scolarité se déroulait relativement bien. J’étais toujours parmi les premiers de ma classe. Notre vanité et nos jalousies de petits garçons nous amenaient à être en compétition les uns avec les autres. C’était comme une sorte de concours entre copains.

    Je suis resté dans cette maison pendant plus de quatre ans.

    Un jour, j’ai cassé un carreau et me suis disputé avec un éducateur. J’ai été renvoyé. Je me souviendrai toujours du jour où je suis parti : la femme du directeur était en pleurs, mais elle n’avait pu s’opposer à la décision de son mari.

    À la suite de ce renvoi, j’ai été placé au home Jules LEJEUNE, un home qui accueillait une majorité de jeunes délinquants. Ma vie a alors basculé, ma scolarité s’est arrêtée. J’étais en deuxième secondaire. Les fugues se sont intensifiées et la délinquance a commencé.

    Je partageais ma chambre avec trois autres pensionnaires. Le soir, nous avions pris l’habitude de sortir en cachette pour fumer des cigarettes. Nous nous prenions pour des durs. Nous n’étions que de jeunes mômes.

    Après l’école, certains des jeunes se réunissaient pour aller voler dans des magasins.

    Ensuite, nous rentrions pour faire nos devoirs.

    En soirée, nous avions le choix de nous rendre dans une salle de jeux ou de regarder la télévision.

    La plupart des éducateurs étaient sympathiques. D’ailleurs, j’étais tombé amoureux de deux éducatrices. J’avais offert une chaîne avec un médaillon à l’une d’entre elles. Je crois que j’étais à l’âge où l’adolescent tombe amoureux de femmes plus âgées.

    Je me rappelle un autre éducateur, un moniteur de sport. Nous le narguions à cause de son homosexualité. En réalité, il abusait des enfants.

    Le week-end, je regardais avec toujours la même tristesse, mes camarades qui retournaient chez leurs parents. Je ne pouvais alors m’empêcher de fuguer.

    À cet âge, je ne réfléchissais pas. Très vite, cela devient comme un jeu ; on fait le dur, le caïd et celui qui fait la plus grosse bêtise est le plus respecté. C’est cela, les homes. J’étais obligé d’être dans ces normes, sans quoi, j’étais exclu.

    On vous place au milieu de jeunes délinquants. Comment ne pas le devenir si vous voulez vous faire accepter, respecter, pour ne pas être écrasé et abusé ? Vous êtes obligé de faire pareil.

    Je crois pouvoir dire que les homes sont l’apprentissage de la délinquance. La preuve est que 80 % des enfants et des jeunes qui ont été placés se sont retrouvés en prison en étant majeurs. Drôle de constat !

    À la suite de mes multiples fugues, le juge de la Jeunesse a ordonné mon placement à Brasschaat. J’avais à peine 12 ans.

    C’était une sorte de maison de redressement néerlandophone, dont la réputation n’était plus à faire. À l’époque, les juges de la Jeunesse y plaçaient les jeunes délinquants, les fugueurs et les soi-disant « durs à cuire », les plus récalcitrants.

    Ce home était composé de plusieurs pavillons. Nous dormions dans des dortoirs. Je me suis retrouvé confronté avec de jeunes délinquants plus âgés.

    À mon arrivée à Brasschaat, j’étais l’un des plus jeunes et j’ai dû faire ma place, ce qui signifie notamment se battre contre les plus grands.

    C’est à la force de mes poings que j’arrivais à me faire respecter.

    Les journées étaient rythmées par des sonneries de cloches : le départ pour les cours, le retour, les repas, …

    Vers 20 heures, nous devions réintégrer nos dortoirs. C’était le moment le plus opportun pour fumer des cigarettes ou des joints.

    Parfois, en pleine nuit, des bagarres éclataient. Nous étions livrés à nous-mêmes et c’était la loi du plus fort.

    J’avais peu de contacts avec les éducateurs. La langue utilisée et certains comportements racistes étaient des obstacles.

    Le week-end, j’avais toujours très rarement la chance et l’occasion de pouvoir rentrer chez moi. Le juge de la Jeunesse se montrait toujours aussi réticent.

    Dans ces moments-là, j’étais là, accoudé à ma fenêtre, mon cœur d’enfant meurtri par le chagrin, à regarder les autres pensionnaires rejoindre leur famille.

    Pour fuir ces injustices, j’ai également fugué à maintes reprises de Brasschaat. Lors de ces fugues, je profitais de l’inattention d’un éducateur et je détalais à toute vitesse. Ensuite, je marchais pendant des kilomètres, pendant des heures, dans la chaleur ou le froid afin de retrouver le chemin qui m’amènerait chez moi. Je traversais les bois, les fils barbelés et les clôtures pour ne pas être repéré. J’ai dû voler pour prendre un train.

    Il m’arrivait également de dormir à la belle étoile, dans la rue ou lorsque j’avais de la chance, chez un copain. Être en fugue, c’est comme être en cavale d’une prison ; on est traqué par la police et donc obligé d’être sans cesse sur le qui-vive.

    Au lieu de profiter de la tendresse de ma mère, j’ai dû me battre pour survivre.

    Très vite, j’ai commencé à voler des cigarettes dans les grands magasins. À ce moment, je me prenais pour un dur. Ensuite, ce furent des cambriolages dans les maisons. Cela me permettait notamment de pouvoir me payer de quoi rentrer chez moi. Puis ce fut l’engrenage, les cambriolages, les vols dans les voitures, le vol de la recette des magasins, etc. C’est toujours comme cela – une chaîne sans fin –, on vise de plus en plus haut.

    Je regrette sincèrement les délits que j’ai commis entre mes douze et seize ans. À cet âge-là, on ne réfléchit pas ; je me trouvais dans une sorte de spirale et j’étais obligé de réagir de la sorte.

    La vie ne m’a pas laissé l’opportunité de choisir. Sans le savoir, le juge qui m’avait placé avec de jeunes délinquants m’a fait devenir pareil à mes compagnons d’infortune.

    Je n’ai pas arrêté de fuguer à cause de tout ce que je voyais et subissais à Brasschaat. On me suspendait mes rares permissions de week-end pour une futilité ou une autre. Les gifles étaient très régulièrement distribuées. Je voyais aussi des éducateurs qui emmenaient souvent des jeunes garçons dans leur chambre. Le chef éducateur était un pédophile notoire, il y en avait d’autres. Tout le monde le savait, mais personne n’en parlait.

    Ce chef éducateur était très dur avec les « têtes brûlées ». J’en faisais partie.

    Par contre, il se montrait bien plus aimable avec les jeunes les plus fragiles. Il les amadouait, leur octroyait certaines faveurs en contrepartie d’abus sexuels.

    Lors d’altercations avec les éducateurs, il m’est arrivé plus d’une fois d’être ceinturé et traîné par les cheveux jusqu’à ma chambre. Si je faisais mine de me défendre, j’avais alors droit au cachot.

    Je me rappelle qu’une fois, je suis resté pendant 45 jours dans ce cachot. J’avais 12 ans et je me suis retrouvé pendant un mois et demi dans une pièce de trois mètres sur six, éclairée jour et nuit d’une vulgaire ampoule protégée par une petite grille et fixée au plafond. Le sommier de mon lit était en béton, un matelas y était déposé. En guise d’aération, il y avait une petite fenêtre en Plexiglas, rempli de petits trous pour la ventilation. Lorsqu’il faisait chaud, les moustiques envahissaient le cachot.

    J’en sortais à chaque fois, la peau complètement boursouflée, par les piqûres.

    Comment peut-on punir un enfant de 12 ans de la sorte ? Je voulais juste fuir l’injustice qui régnait dans ce home et rejoindre ma mère.

    J’ai été dans ce cachot à de nombreuses reprises.

    C’est ainsi que des enfants tombent dans la marmite de la délinquance, par la violence, la peur et l’injustice. Lorsqu’aujourd’hui j’y pense, je suis encore meurtri. Qu’avais-je fait pour mériter tout cela ? J’étais juste un enfant malheureux…

    C’est la Justice qui m’a fait devenir tel que je suis. Malgré tous ces cauchemars que j’ai vécus, j’ai gardé mon cœur, même s’il saigne sans arrêt.

    Qui mon juge de la Jeunesse aurait-il cru ? Un enfant de douze ans ou cette variété d’hommes, ces éducateurs qui abusaient des enfants qui leur étaient confiés et sur qui ils avaient autorité ?

    Tous ces enfants ont été abîmés, parfois pour le restant de leur vie.

    En vivant tant d’années dans cette jungle où règnent la loi du plus fort et la sécheresse humaine, j’aurais dû devenir, comme un grand nombre de mes comparses, ceux qui pour différentes raisons exploitent la faiblesse des autres afin d’en tirer profit. J’aurais pu également ressembler à mes bourreaux, mais fort heureusement, je ne suis pas devenu comme eux. Quelle que soit la lourdeur des peines que j’ai dû endurer, mon âme n’a pas changé. Bien au contraire, je n’ai eu que davantage d’espérance en ce que je n’ai pas connu et que j’ai tant rêvé : l’amour.

    Je suis resté environ deux ans dans l’enfer de Brasschaat.

    Quelques années plus tard, certains éducateurs de ce home furent condamnés pour différentes sortes de maltraitance sur les enfants (abus de pouvoir, violence physique et morale, attouchements sexuels et viols sur les enfants). Le home a été fermé.

    J’ai vu ces différents abus et en ai été partiellement victime. À l’époque, nous traitions les éducateurs qui abusaient les enfants sexuellement de « pédés », vu qu’à notre âge, le terme « pédophile » ne nous était pas connu.

    Mes parents se sont séparés en 1979. Mon père imposait sa dictature. Ma mère en avait tellement peur qu’elle acceptait tout.

    Peu avant la séparation, il est parti seul au Maroc afin de rendre visite à sa famille. À son retour, il était accompagné par une adolescente, Zhora, qu’il nous présenta comme étant sa cousine. Cette jeune fille, âgée à l’époque de seize ans, s’installa chez nous.

    Quelque mois plus tard, le ventre de Zhora s’arrondit. Elle était enceinte. Comme elle ne sortait jamais, ma maman demanda des explications à mon père. La seule explication qu’elle reçut, ce fut une volée de coups ! Mon père quitta ensuite la maison avec Zhora, non sans avoir volé une importante somme d’argent à ma mère.

    En réalité, son voyage au Maroc pour saluer sa famille avait été un prétexte. Au Maroc, il avait organisé un second mariage avec cette jeune Marocaine de seize ans !

    Lors de mes retours à la maison, je retrouvais avec bonheur ma mère et Nadia.

    Un jour, lorsque j’étais âgé de treize ans, en allant retrouver ma sœur dans sa chambre, je l’avais découverte inanimée, droguée par des somnifères et les poignets tailladés à coup de cutter. J’avais hurlé après ma mère et avais tenté de ranimer Nadia en lui tapotant le visage. Ma maman avait accouru, complètement affolée, et m’avait aidé à enserrer les poignets de ma sœur, de manière à ce que le sang s’arrête de couler. L’ambulance arriva et elle fut sauvée. Je ne comprenais pas pourquoi elle voulait tellement mourir.

    Pendant mes fugues, je fréquentais d’autres fugueurs et des jeunes délinquants plus âgés que moi. Ils consommaient des stupéfiants. Dans les années 80, la consommation de drogues dépendait du lieu de résidence. En effet, à certains endroits, ces jeunes ne fumaient que du haschisch, alors que dans d’autres lieux, ils prenaient de préférence des médicaments ou de l’héroïne. Je suis moi-même passé par ces différents stades et ai consommé tous les types de drogues. Je me comportais comme ceux que je fréquentais, de manière à être valorisé et accepté. J’avais à peine treize ans lorsque j’ai consommé de l’héroïne et de la cocaïne en intraveineuse. Cela a duré un an.

    J’aurais pu devenir dépendant, mais fort heureusement, mon corps ne supportait pas ces produits et les rejetait par des vomissements. Par ailleurs, je n’aimais pas l’effet des drogues.

    Dès que je fuguais, le jeu pervers avec la police reprenait de plus belle.

    Dans ces mêmes années, la police avait ses méthodes pour nous forcer à avouer tel ou tel délit.

    Je me rappelle avoir reçu des gifles et des coups de matraques dans le ventre (ces coups ne laissent pratiquement pas de traces !).

    Ils privilégiaient également deux techniques : ils me frappaient sur le crâne à l’aide d’un bottin de téléphone ou m’obligeaient à rester debout en portant deux ou trois bottins à bout de bras. Lorsque je lâchais pour reposer mes bras, je recevais une gifle. Ils « amélioraient » parfois cette dernière technique en m’obligeant à porter ces bottins, non plus debout, mais agenouillé sur une règle en fer. La douleur était terrible. Très rapidement, la peau de mes genoux se mettait à brûler.

    Aujourd’hui encore, ces souvenirs me broient et me bouleversent.

    Pendant l’une de ces fugues, j’ai été accusé d’un meurtre que je n’avais pas commis. Une vieille dame avait été tuée à coups de cutter, dans son appartement. J’avais 14 ans et j’étais accusé d’un crime crapuleux.

    C’est un peu avant cette accusation qu’on m’a surnommé « Farid le Fou ». Je ne sais plus exactement pourquoi. Lors de mes fugues, je n’hésitais pas à voler de façon audacieuse. J’étais très inconscient. Je pensais que c’était la seule manière d’être valorisé et respecté par mes copains. Je voulais montrer que j’étais un homme alors que j’étais encore un gamin qui dissimulait ses peurs, sa solitude, sa souffrance et ses angoisses. Par ailleurs, je répondais toujours présent lors d’une bagarre. J’ai souvent fait usage de violences, soit en me défendant mais aussi en provoquant.

    Aujourd’hui, je regrette cette jeunesse tumultueuse. J’ai fait du mal à certaines personnes.

    J’étais jeune, inconscient et naïf. J’avais atterri de nulle part dans un cercle vicieux, une chaîne sans fin. C’était la vie qu’on m’avait donnée.

    Peut-être avais-je aussi hérité de ce surnom à cause de certains de mes principes. En effet, à l’époque, j’aurais été prêt à faire n’importe quoi pour aider ou pour défendre un copain. C’était ma manière de respecter mes engagements. Jamais, je n’aurais laissé tomber un copain en difficulté. Le respect de la parole donnée m’a peut-être valu ce stupide surnom. Bien des gens en ont profité. Beaucoup se sont servis de moi, de ma loyauté, de ma candeur et de mon courage. Mais à cet âge-là, je croyais que c’était de l’amitié.

    Ce surnom m’a poursuivi et s’est encore amplifié à la suite de l’accusation de ce meurtre.

    J’ai conservé ce sobriquet étant majeur. Ma réputation me collait à la peau. Les différents actes délictueux que j’ai commis l’ont encore accru.

    Les gens ont trop souvent vite tendance à juger sans connaître.

    En 1982, à la suite de l’accusation du meurtre, j’ai à nouveau été arrêté. Le juge de la Jeunesse m’a placé à la prison de Saint-Gilles. Je me souviens de ce séjour : lever à 6 heures trente, interdiction de se coucher après cette heure, interdiction de parler à son co-détenu sous peine de sanction…

    Ce n’est que bien plus tard que j’appris des surveillants eux-mêmes les raisons de ce régime pénitentiaire : ils espéraient faire entendre raison aux jeunes détenus et espéraient les « redresser » !…

    Pendant cette incarcération, j’ai été quotidiennement interrogé sur ce meurtre par la police. Du matin au soir, les enquêteurs se relayaient et me harcelaient de questions. Ils essayaient d’obtenir des aveux par la fatigue. De temps à autre, une gifle ou un bottin de téléphone atterrissait sur mon visage. Je devais donc être sans cesse sur mes gardes afin d’encaisser au mieux les coups qui m’étaient donnés. Je n’ai pas avoué ce que je n’avais pas commis, mais ai eu droit à toute la violence gratuite de la police judiciaire.

    Pendant sept ans, je n’ai cessé de clamer mon innocence, mais personne ne m’a cru.

    Après sept longues années, le meurtre a enfin été élucidé. Le vrai coupable était un gitan qui habitait dans le même immeuble que la victime.

    Après sept années d’accusation et d’injustice, on m’a simplement signifié, comme si de rien n’était, sans un mot d’excuse, que j’étais effectivement innocent. Cette terrible accusation m’a néanmoins poursuivi pendant toute mon adolescence.

    Après avoir passé une quinzaine de jours à la prison de Saint-Gilles, le juge a décidé de me placer dans la section fermée de Braine-le-Château, c’est-à-dire une prison pour jeunes.

    Nos chambres étaient des cellules, identiques à celles des prisons. Nous étions une douzaine de jeunes.

    Certains y avaient été placés pour avoir commis des meurtres, d’autres pour des vols avec violence, d’autres encore étaient seulement des fugueurs invétérés. Ce mélange favorisait l’apprentissage d’une délinquance encore plus importante. Cette prison pour jeunes était un lieu parfait pour enclencher un engrenage infernal.

    Je me suis toujours

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1