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Une femme inventée
Une femme inventée
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Livre électronique167 pages2 heures

Une femme inventée

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À propos de ce livre électronique

Une chute, et c'est l'amnésie. Axelle, prénom fictif, se sauve de la clinique où elle végète et, au fil des rencontres, sculpte sa vie, à défaut de se souvenir du passé. Ravie, elle se découvre des talents de photographe. Puis tombe sur un étrange voleur de baskets qui va finalement la guider jusque chez elle. Sur la porte, il est écrit : Nadège. Comment la jeune femme va-t-elle réagir en découvrant qui elle était et quelle sorte de vie elle menait alors ?
LangueFrançais
Date de sortie27 sept. 2012
ISBN9782312004778
Une femme inventée

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    Aperçu du livre

    Une femme inventée - Eveline Gaille

    978-2-312-00477-8

    Chapitre N° 1

    Amnésique

    Il avait failli buter contre elle, étendue là dans le petit matin sur la chaussée, sans connaissance ni personne et, déchaussée. Pieds nus. Pour le reste, elle était bien vêtue. Un survêtement Lacoste blanc la recouvrait du cou aux chevilles. Singulièrement, elle conservait sa dignité, bien que démunie de papiers, de mémoire et de quoi que ce fût qui aurait pu lui donner un nom, un âge, une origine, une profession, une histoire… Nulle adresse, ni même un numéro de téléphone gribouillé sur un papier à l’arraché. Pas un seul ticket de caisse, de cinéma, ou de métro…

    – Quel est votre nom ? essaie-t-il encore.

    – Mais je ne sais pas ! gémit-elle.

    – Cessez donc de répéter : « Je ne sais pas ! », réplique le médecin en la singeant.

    L’inconnue lui sourit. Tout timide. Tout triste. Mais enfin, c’est un sourire qu’elle a accroché là et qui tient le temps de la rendre jolie. Sous la frange noire et bouclée, le regard se cache encore. Depuis le début, elle garde les yeux baissés. Comme si elle avait honte d’être ainsi livrée à elle-même sans rien à se rappeler.

    Personne n’est venu la chercher. Nul ne l’a réclamée.

    Objet perdu sans valeur.

    Alors elle se croit seule au monde. Abandonnée. Avec un passé vierge qui ne lui procure aucun indice, rien à quoi s’agripper. Elle a peur de glisser.

    – Ça brille, ça scintille, peut-être suis-je une star ? hasarde-t-elle avec une mimique comique. Tout est blanc, continue-t-elle. Je ne vois rien d’autre. Où que je regarde, n’importe comment, ça m’éblouit et c’est blanc à gerber.

    Elle en a assez pour aujourd’hui.

    Perplexe, le toubib se pince le lobe de son oreille gauche. Il ignore dans quelle catégorie ranger cette jeune femme amaigrie, qui vacille debout près de lui.

    Jusqu’à hier, elle est demeurée muette, prostrée du matin au soir, depuis… la nuit des temps, lui semble-t-il. Et maintenant qu’elle a retrouvé la parole, elle persiste à voir tout en blanc, alors qu’elle devrait broyer du noir, enfin, façon d’imager les choses. Lorsqu’on sombre dans l’oubli, on est supposé ne percevoir qu’un champ noir, non ? Aussi, cette blancheur inattendue dont sa patiente paraît prisonnière, l’intrigue. Il improvise :

    – De la neige ? Ou peut-être de la glace ?

    Avec un clin d’œil malicieux, il suggère, histoire d’alléger l’atmosphère :

    – Chantilly ?

    Très drôle, pense-t-elle. Elle dit :

    – Je ne sais pas.

    – Allons ! Faites un effort !

    – C’est comme si ma vie n’était plus qu’un long fil blanc. Je ne sais plus, soupire-t-elle, découragée.

    Le médecin l’observe. Si la jeune femme toujours debout près de lui se redressait, elle serait aussi grande que lui. Un mètre soixante-quinze. Il décide de changer de tactique, d’innover. Il lui sourit et lance :

    – A vous de la colorier !

    – Quoi ? fait-elle interloquée.

    – Votre vie : mettez-y un peu de rêve et d’espoir, que diable ! Cherchez des idées, fixez un but. Vous avez perdu un passé, et alors ? Il vous reste encore le présent et le futur, si je ne m’abuse. Profitez-en !

    La jeune femme réfléchit.

    – Ce n’est pas bête en fin de compte, concède-t-elle. Je veux bien essayer. Mais par quoi commencer ?

    – Eh, bien, quel prénom vous plairait-il ? Choisissez !

    – Axelle ! lance-t-elle tout à trac.

    – Parfait. Continuons : quel âge avez-vous ?

    Axelle se dirige vers le miroir fixé au-dessus du lavabo.

    – Hé ! Sans tricher ! plaisante le toubib.

    La jeune femme se retourne.

    D’un seul coup elle ouvre son regard sur lui. Et c’est le choc. La croisée des chemins. Elle est là, elle existe, même s’il a eu l’impression d’avoir dû aller la chercher très loin, tandis qu’une nuit étoilée recouvre ce passé que la mémoire d’un seul trait a effacé. Au milieu de cette pièce blanche, une jeune femme prénommée Axelle pour la circonstance, se tenait là au bout de lui, avec sa propre vie et sa vérité, sans pouvoir en déceler la plus infime parcelle.

    Axelle demande enfin :

    – Et vous ? Comment vous appelez-vous ?

    – Je suis le docteur Marron. Marcel Marron. Allons… quel âge ? reprend-il en douceur.

    Axelle se colle au miroir, interroge ces yeux de la nuit où s’effilochent les lueurs, demeurent les mystères…

    – Je ne sais pas, murmure-t-elle dans la glace.

    Puis elle se ressaisit. Elle se redresse et lance :

    – Trente-trois, docteur.

    Amusé, Marcel Marron rejoint sa patiente près du lavabo. Il la dévisage, attentif, tandis qu’il lui demande :

    – Vous m’avez entendu, ce matin ?

    – Ce matin ?

    – Oui. Qu’est-ce que je disais à la jeune fille que j’auscultais ?

    – La jeune fille ?

    – Non, rien, inutile, grommelle-t-il, en se traitant mentalement d’illuminé. Le toubib avait un instant cru saisir déjà un fil à tirer.

    – Rien du tout, répète-t-il, las tout à coup.

    Axelle fronce les sourcils, se concentre : Matin… Jeune fille…

    – Comment me trouvez-vous, docteur ? questionne-t-elle à brûle-pourpoint.

    Marron tressaille, réplique néanmoins d’une voix ferme :

    – Courageuse, et sûrement pleine de talent.

    – Dites trente-trois ! s’exclame-t-elle soudain.

    – Pardon ?

    – C’est ce que vous avez ordonné à votre malade qui tousse dans la chambre au bout du couloir. La porte était ouverte. Je passais. Je vous ai entendu. Vous m’avez vue…

    – Et bien, nous y voilà ! Nous sommes sur le bon chemin, Miss Axelle, triomphe le médecin.

    – Et physiquement ? enchaîne Axelle sans transition. Comment suis-je ?

    – Euh… en bonne santé, rétorque le toubib avec sérieux.

    – Oui, mais encore ? insiste-t-elle.

    Marron laisse passer un moment. Mais il va le lui dire. Pour la stimuler. Et parce que c’est vrai.

    – Vous êtes belle, Miss Axelle, prononce-t-il.

    – Et bêtement seule, conclut-elle, en fixant d’un air désabusé son annulaire gauche dépourvu de toute trace d’alliance.

    La jeune femme hausse les épaules, agacée, fatiguée tout à coup de cette espèce de jeu de rôle.

    – Et après ? Ça m’avance à quoi ? Une femme inventée. C’est tout ce que je serai alors. Et pour finir, je me prendrai pour une espionne menant une double existence. Sauf que ma vraie vie restera une énigme… Une triste farce.

    Se laissant choir sur le lit, Axelle promène son regard autour d’elle.

    – Même ma chambre est blanche, constate-t-elle, écœurée. Les murs, le lavabo, le lit, les draps, ma chemise… et toutes ces pilules ! Il y a de quoi tomber malade, gémit-elle.

    – Mais vous avez raison ! s’exclame Marron, ça manque de couleurs par ici.

    En trois enjambées, le toubib atteint la porte. Il pivote et intercepte l’expression mitigée de la jeune femme.

    – Axelle, il serait sage de vous reposer un peu, lui conseille-t-il avec un sourire bienveillant.

    – Je suis ici depuis combien de temps ? s’intéresse-t-elle soudain.

    – Euh… un mois environ. Etendez-vous maintenant, Axelle. Je reviens dans un moment.

    La jeune femme s’allonge.

    Un mois !

    Seigneur ! Qu’avait-elle fait durant toutes ces journées sinon végéter comme une courge ? Et d’abord, je suis beaucoup trop docile, constate-t-elle avec humeur.

    Axelle se relève.

    Perplexe, elle inspecte son placard. Il n’y a là qu’un pantalon de jogging blanc – décidément, ça doit être sa couleur favorite - déchiré au genou, avec le haut muni d’une poche intérieure qui se ferme à l’aide d’une bande Velcro. Pour la énième fois, elle provoque le fameux scratch, plonge la main et tâte du bout des doigts tout le long de la couture sans rencontrer quoi que ce soit d’autre que le tissu. L’unique poche de son ensemble de jogging et il fallait qu’elle soit vide. Mince ! se dit-elle, j’aurais au moins pu emporter un mouchoir, de la monnaie… ou une clef, par exemple. Et comment je fais pour rentrer chez moi sans sésame ? Je passe peut-être à travers la muraille… Encore faudrait-il savoir où j’habite.

    « J’ai tout d’une âme en exil… » murmure-t-elle, découragée.

    Tout en soliloquant, Axelle continue de fureter çà et là. Mais elle tourne en rond. Prise de vertige, elle s’assied sur son lit. Elle tire à petits coups le tiroir récalcitrant de sa table de chevet, en sort un bloc de papier, deux stylos, et trois bonbons à la menthe qu’elle dépiaute l’un à la suite de l’autre. Sans hésiter longtemps, elle enfourne le lot. Avec mes abajoues, je dois ressembler à « Chouia » ! Le pauvre hamster qui fait tourner sa roue dans la salle à manger en bas. A la bonne heure ! C’est déjà plus réel qu’un fantôme, marmonne-t-elle entre ses dents.

    Pour finir, elle s’installe à la petite table près de la fenêtre grillagée. A son premier réveil, la jeune femme a d’abord cru qu’on l’avait enfermée dans une cellule. Mais un oiseau de toutes les couleurs était venu se percher sur le rebord, chantant pour elle, et chaque jour suivant, fidèle à ce rendez-vous organisé elle ne savait d’où, il revenait. Il lui faisait admirer son beau plumage le temps d’une sérénade, puis il s’envolait, satisfait. Ainsi donc, il suffisait qu’elle le suive du regard pour s’imaginer libre elle aussi.

    Axelle n’en avait parlé à personne.

    Au fil des jours, elle avait compris qu’elle avait atterri dans une espèce de clinique, genre maison de repos ou de convalescence. Dès lors, elle légumait en toute simplicité et sans histoire, la tête dans des nuages blancs et les pieds à l’air. Aucune trace de chaussures dans les parages.

    Est-ce à dire qu’on lui avait fauché ses pompes ? se demande-t-elle en repoussant brusquement sa chaise. Comme ça ? Dans la rue ? Axelle contemple ses orteils nus. Le vernis sur les ongles s’était écaillé et laissait quelques petites plaques rouge vif. « Un voleur de baskets ! » s’exclame-t-elle à mi-voix. Et la voilà tout excitée. Quelque chose la relie à quelqu’un. Mais ça non plus, elle ne pouvait en parler. Tant pis, sa vie au moins frétille à nouveau au rythme d’un oiseau de toutes les couleurs et d’un voleur de godasses. Axelle n’est plus seule dans sa tête.

    Elle arpente la pièce, tourne en rond, se retrouve assise sur le bord de son lit. Elle attrape un stylo et le bloc de papier, elle écrit : Qui ? et Pourquoi ? Elle hésite à ajouter toute explication complémentaire pour le cas où sa mémoire ne suivrait pas. Elle se méfie. Quand bien même son toubib lui affirmait que c’était juste son passé qui avait crapahuté. Juste. Il en avait de bonnes, lui. Et si elle ne parvenait pas à le récupérer, son passé ? Elle n’aurait jamais de racines, ni d’origine, orpheline à vie. Une authentique escroquerie. Elle serait condamnée à avancer nus-pieds parce qu’elle n’avait plus de passé à enfiler. Allons donc, elle n’avait qu’à emprunter un peu d’argent, si elle voulait s’acheter une nouvelle paire de baskets. Mais à qui ? Au toubib peut-être ?

    Dépitée, Axelle arrache la page du bloc, la plie en quatre et enfouit ses deux mots-clé sous une pile de mouchoirs en papier tout au fond du tiroir qui grince quand elle le referme. Puis elle roule sur le côté, rabat son drap en désordre autour d’elle.

    S’endort.

    …Les Reebok, je les ai accrochées au-dessus du lit à la place de Jésus-Christ. C’est la première chose que j’apercevrai en me réveillant le matin. Ça va être d’enfer. Putain, si ma mère savait ! Au fond de la poubelle, son vieux crucifix ! N’empêche, je sais pas ce qui m’a pris. Mais je m’en fous. Ça valait le coup. Pour une fois que je me marre. Comme un idiot je l’ai prise pour Blanche-Neige. Avec ses cheveux noirs bouclés autour du visage et ses lèvres roses, j’ai pas pu me retenir : je lui ai collé un patin…

    Les bras chargés de colis et d’un bouquet de fleurs, le docteur Marron envahit la petite chambre.

    Il semble tellement emprunté que la jeune femme, qui vient de se réveiller, éclate de rire.

    – Vous paraissez en forme, vous ! grogne le médecin en lâchant les paquets dans un joyeux désordre sur le lit blanc. Voilà, explique-t-il, satisfait. J’ai pensé qu’il était temps pour vous de vous occuper, car ça fait exactement trente-trois jours, je viens de le calculer, que vous

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