Alice au pays des hommes
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À propos de ce livre électronique
En pleine crise existentielle, Alice abandonne son emploi et se fait embaucher dans une boutique d’accessoires érotiques. Tandis qu’elle part à la découverte d’elle-même, son couple pourra-t-il survivre ?
Alice au pays des hommes est un roman qui « fait du bien », au propos authentique qui aborde la féminité, explore la sexualité et les différences entre les sexes avec une bonne dose d’humour et de légèreté.
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Aperçu du livre
Alice au pays des hommes - Patricia Bouchard
¹. L’étrangère se dandinait sous le comptoir d’où elle finit par sortir, les cheveux en bataille et la bouche ouverte de surprise :
Glup. Ça y est, j’avais avalé mon motton de salive. Une greluche sous mon toit. Un peu de féminin pour m’accompagner, me direz-vous. Non. Il s’agissait là d’un spécimen féminin camouflé par le chandail BLANC et TRANSPARENT appartenant à Benjamin. Je n’arrivais pas à détacher mes yeux des deux cerises qui semblaient vouloir transpercer le tissu. Misère ! Et toute cette testostérone qui allait se bousculer à la porte dans exactement quatre minutes, 6 h 30, top chrono du lever familial.
Il y a du sang partout. C’est le sien. J’ai enlevé ma plaque dentaire et j’ai passé mes nerfs sur elle, pauvre petite brebis égarée ! Je m’étirai le bras vers l’armoire du haut et lui donnai une serviette hygiénique. Je ne pensais jamais avoir à partager cela de mon vivant. Elle sembla déçue, l’attrapa tout de même et ferma la porte sans plus de manières.
— Benjamin !
Attention, mesdames, voici : Benjamin. Un presque homme qui à mi-chemin de ses 17 ans a parcouru les plus belles contrées féminines du quartier. L’odeur de son eau de Cologne bon marché suffisait à m’horripiler. En revanche, son père lui portait une admiration sans bornes.
J’attrapai la tasse de café qu’il me tendait gentiment comme tous les matins. Voilà sans doute le geste le plus tendre qu’il me témoignait, en tout cas, celui que j’appréciais le plus. Désormais, j’étais en mesure d’admettre qu’il serait encore plus profitable de m’injecter cette substance par intraveineuse. On aurait dit que la caféine n’avait plus le même effet qu’autrefois, mon corps s’y était habitué et je n’atteignais jamais la satiété.
Ce fut à ce moment que la brunette refit son apparition, tout aussi dévêtue qu’à sa première prestation. En la voyant, Charles s’étouffa avec sa gorgée de café. Son visage masquait bien sa surprise, mais il redressa les épaules, lissa ses cheveux, se racla la gorge, tandis que ses yeux détaillaient la jeune fille de haut en bas et de bas en haut. Non… attendez, correction : du milieu au derrière, suivant les courbes de l’arrière à l’avant.
Elle secoua la main de mon homme comme une gamine tandis que ses cerises sautillaient sous le chandail tout aussi BLANC et TRANSPARENT qu’auparavant.
Était-ce des gouttelettes de sueur qui perlaient sur le front de Charles ? Le corps athlétique de Benjamin gravit les marches quatre à quatre, sa démarche « macho » le précédait tandis qu’il s’approchait de Jennifer. Ne se formalisant pas de notre présence, il lui décocha une tape sur les fesses et l’invita à le suivre.
Benjamin éclata de rire tandis que sa Jennifer gloussait comme une…
Jennifer, contente d’être enfin considérée « Femme », s’élança vers la salle de bain, laissant un Benjamin fort contrarié derrière elle. Ce dernier s’approcha de son père et lui dit tout bas, mais assez fort pour que je puisse l’entendre :
Il dévala l’escalier et claqua la porte de sa chambre. Charles n’osa pas lever les yeux vers moi, il les baissa plutôt en direction de son journal. Je me sentis si seule, si en colère, si victime, que je m’exaspérais moi-même. Tandis que je m’apitoyais ainsi sur mon sort, on tira légèrement sur ma robe de chambre.
Gabriel
Rien n’y faisait. Mes yeux étaient rivés sur lui. Trois longs poils lui pendaient du menton. La main au fond de ma sacoche, je tâtonnais frénétiquement ma pince à épiler. « Non Alice. Retiens-toi. Pas ici. Pas devant tout le monde. Il ne te le pardonnera jamais. »
Une longue mèche de cheveux gras cachait une partie de son acné. Les yeux baissés, le corps voûté de Gabriel semblait vouloir s’enfoncer dans le fauteuil de la salle d’attente. Ma grand-mère disait que l’adolescence est une période qu’on devrait pouvoir éviter : pour soi et pour les autres. J’étais d’accord avec elle.
« Gabriel Dubois en salle 7 s’il vous plaît », annonça l’interphone.
Aucune réaction.
Sans un mot ni même un coup d’œil vers moi, le fils de mon conjoint se leva et emprunta le long corridor qui mène aux salles de consultations médicales. J’observai les petits microbes ambulants qui pleurnichaient, s’accrochant à leurs parents découragés. Ils semblaient se livrer bataille : qui réussirait à pousser le hurlement le plus strident ? J’étais remplie de compassion, ou presque. J’étais habitée par un soupçon de vengeance. Après tout, c’était leur tour. J’étais passée par là et j’y retournais encore parfois avec mon plus jeune.
Je somnolais bercée par le concert de pleurs, de reniflements, de toux et des voix d’enfants. Voilà un exemple concret démontrant que toute ma vie fonctionnait à l’envers du bon sens. J’avais besoin de conditions extrêmes pour arriver à me détendre. Ce n’était pas dans le confort silencieux de ma maison que j’y arrivais. Si c’était calme autour de moi, c’était la folie à l’intérieur.
« La méchante belle-mère de Gabriel Dubois, en salle 7 s’il vous plaît », annonça l’interphone.
J’en imaginais peut-être un peu. N’empêche qu’on m’appela vraiment en salle 7. Gabriel arrivait à sens inverse et ne leva même pas les yeux vers moi. Il prit la sortie qui menait au stationnement. Mon cœur s’emballa. Peut-être qu’on venait de lui apprendre qu’il avait le cancer ou une maladie incurable. Comment allais-je annoncer ça à son père ? J’accélérai le pas et débarquai en panique dans le bureau de médecin.
Sans relever la tête, elle me regarda par-dessus ses lunettes, comme si j’étais une apparition bizarre, quelque chose d’étrange à analyser. La cause du diagnostic qu’elle venait tout juste de révéler à notre ado de 15 ans. J’avais l’impression d’être étudiée. Non, correction : je me sentais jugée.
Je l’écoutai même si je n’arrivai pas à déchiffrer son sourire. Était-ce de la compassion, de la pitié, de la condescendance ? Je détestai me sentir analysée. Surtout par quelqu’un qui avait plus de diplômes que j’ai d’enfant. Elle n’avait pas commencé à parler et déjà j’étais prête à la mordre.
J’accusai le coup. Je ne m’attendais vraiment pas à celle-là. « Docteure, j’aimerais d’abord être capable d’en parler ouvertement avec mon conjoint, après on verra si j’y survis », me dis-je, sans qu’un seul mot ne puisse franchir mes lèvres.
Je la regardais, pétrifiée. Il me sembla avoir dit : « Mmm… » en signe d’assentiment.
Trop tard ?! Trop tard pour quoi ? On s’était débrouillé étant jeune. Il fera son bout de chemin par lui-même et apprendra sur le tas, comme tout le monde. Qu’avons-nous raté au juste ? Je bouillonnais. C’était à son père de recevoir la leçon. Je ne connaissais rien à ÇA, moi !
Elle griffonna sur son bloc-notes et me tendit la prescription :
Elle s’était levée tout en parlant et se tenait maintenant devant la porte ouverte de son bureau, m’indiquant clairement que la consultation se terminait. Il n’était pas question que je reste seule avec ma rage et mon indignation. Avant de retourner à la voiture et d’être confrontée au mal-être de Gabriel, j’envoyai un message texte à Charles : « On a raté notre coup avec Gabriel selon la pédiatre. Un gros zéro pour la communication. Tu devras commencer son éducation sexuelle. » C’était peut-être un peu fort comme message. Mais la réponse fut bien pire : « T’inquiète, je vais lui offrir une belle boîte de mouchoirs. » Sauf que ce n’était pas Charles qui venait de me répondre. Je venais bêtement de me tromper de destinataire. C’était Benjamin ! Tout pour tisser un lien de confiance avec nos ados.
Complètement nulle la belle-mère.
Vincent
Il y a de ces choses que je savais impossibles à exiger et parfois même à espérer. Dans notre maison, le siège de toilette était rarement abaissé. Après une longue réflexion, les fesses au fond du bol, j’en ai conclu que ma minorité visible n’était pas suffisante et que mieux valait le relever après usage. Sauf qu’à l’extérieur, hors de chez nous, le pire des calvaires : être la seule fille et avoir envie de pipi. Je m’étais retenue tellement souvent que je risquais de finir mes jours incontinente.
Ils me donnaient tous des envies de meurtre. Et malgré cela, au paroxysme de mes contradictions, j’angoissais à l’idée de les faire attendre. Au cinéma, j’avais pris l’habitude de sortir avant la fin d’un film pour aller faire pipi. Autrement, je devais me résoudre à ne pas y aller du tout, car mes hommes fonçaient droit vers la sortie lorsqu’ils voyaient la lignée interminable qui m’attendait. Avant, ils osaient me narguer, mais plus maintenant. Plus depuis la fois où, mine de rien, j’étais entrée avec eux dans les toilettes des hommes. La honte. Surtout pour nos ados. Vive les toilettes mixtes.
Il faut quand même admettre que j’eus l’occasion de me venger. Ce fut Vincent qui