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La dette
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Livre électronique372 pages5 heures

La dette

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À propos de ce livre électronique

JE M’APPELLE GABRIELLE. J’AI VINGT ANS
ET JE SUIS MÈRE MONOPARENTALE.

— Hé, beauté ! Heureux de te voir. Tu as trouvé mon argent plus vite que prévu ?

J’expose de but en blanc à Peter, mon pimp d’autrefois, le résultat de mes réflexions :

— Ma voiture vaut encore dix mille dollars sur le marché. L’autre cinq mille, je vais le rembourser en dansant pour toi, mais selon mon horaire et mes exigences.

Il éclate de rire, il en fait même tomber son crayon sur la table.

— Tu penses être en mesure de t’imposer ? De venir faire ta loi dans mon bar ? Tu es moins soumise qu’à l’époque, ma belle.

— C’est à prendre ou à laisser ! Cinq mille ! Ensuite, je te quitte et on ne se revoit jamais.

Je tourne les talons, puis, avec un arrière-goût amer, je marche vers mon ancienne vie.
LangueFrançais
Date de sortie2 oct. 2019
ISBN9782898040504
La dette
Auteur

Marie-Soleil Hébert

La tête en constante ébullition, Marie-Soleil Hébert signe ici un roman chavirant qui nous transporte dans un univers à la fois dur et réaliste, où les orages et les éclaircies de l’adolescence tiennent le premier rôle.

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    Aperçu du livre

    La dette - Marie-Soleil Hébert

    fauxtitre.jpg

    De la même auteure

    aux Éditions JCL

    Délinquante, 2019

    La fugue, 2019

    1

    Je m’appelle Gabrielle, j’ai vingt ans et je suis mère monoparentale. Ma fille et moi sommes, depuis déjà deux ans et demi, inséparables. Son arrivée dans ma vie était loin d’être prévue, surtout qu’au moment où j’ai su qu’elle grandissait en moi, je n’étais qu’au milieu de mon adolescence.

    L’adolescence est une période de la vie essentiellement dédiée à la construction de l’avenir. C’est à cet âge que les jeunes font leurs expériences, bonnes ou mauvaises. C’est également le moment où l’on commence à penser à ce que nous aimerions faire plus tard. Pour moi, il a toujours été question de danse, du moins jusqu’au jour où je me suis retrouvée dans un gang de rue à Montréal. J’ai fait des expériences plutôt anormales pour une jeune fille de mon âge : prostitution, drogue, etc. J’ai aussi été danseuse nue. Mon affectation à Toronto a changé ma vie à tout jamais. Dès le début de ma relation amoureuse avec Sammy, Peter, mon pimp, m’avait mise en garde : mon chum n’allait pas y parvenir, il n’arriverait pas à prendre la relève, à devenir proxénète et à me protéger. Je n’aurais jamais dû sous-estimer Peter. Dès notre première rencontre, je savais que Sammy était différent, et l’entraîner dans ce gang n’était pas la meilleure idée, mais il était si gentil…

    J’ai appris que j’étais enceinte de deux mois lorsque j’ai été admise dans un hôpital devant lequel on m’a laissée pour morte à la suite d’un viol collectif. Sammy ignore qu’il a une fille et je ne veux pas savoir où il vit.

    Malgré tous les sévices que j’ai subis cette nuit-là, ma petite crevette est restée bien accrochée. L’idée de partager mon existence avec un poupon m’a semblé inconcevable a priori, d’autant plus que j’avais du mal à m’occuper de moi-même. Jamais je ne m’étais imaginé devenir mère monoparentale à dix-sept ans. Depuis sa naissance, je fais tout en mon pouvoir pour tenir ma fille loin des ennuis. Je m’efforce de reprendre ma vie en main. La seule chose dont je suis certaine, c’est que je protégerai l’identité de mon enfant coûte que coûte.

    Aujourd’hui, je suis en mesure d’affirmer que c’est elle qui m’a sauvé la vie. Il est faux de penser que les filles qui sortent indemnes de gangs de rue s’en tirent sans séquelles. Il m’a fallu des semaines, des mois, même, pour m’en sortir, et pourtant, il m’arrive encore souvent de rêver à cette terrible nuit où mon sort se trouvait entre les mains de mes agresseurs. J’en ai vu de toutes les couleurs. Mes parents aussi ont vécu un enfer. Depuis plus de deux ans, ma mère et mon père sont mes piliers. Ma vie ne serait pas ce qu’elle est maintenant s’ils ne m’avaient pas accueillie, malgré leurs cœurs sciés en deux. Cette dure épreuve qu’a été mon adolescence, nous avons d’un commun accord décidé de la laisser derrière nous.

    asterisque.jpg

    J’attends en rang dans le corridor de l’école de danse la plus hot en ville. Plus que trois filles avant que mon tour arrive. L’angoisse est beaucoup moins présente que je l’avais imaginé. J’ai confiance en mon numéro, mais surtout en moi, ce qui m’étonne encore. Ce trait de caractère a longtemps été déficient chez moi.

    — Gabrielle Davis ! dit la jeune femme qui nous invite à entrer l’une après l’autre, qui attendons depuis déjà plus d’une heure derrière cette porte rouge.

    Elle est jolie, sa longue chevelure blonde brille, elle est vêtue d’une discrète robe grise, d’un collant opaque noir et de bottillons qui me font envie. J’essaie de ne pas laisser ma timidité prendre le dessus. C’est fou comme le simple fait de passer une porte peut nous faire sentir petite. Elle m’indique de son bras l’endroit où je dois me positionner au milieu de la salle. Je dépose mon sac près de l’entrée, retire mon coton ouaté, puis je m’installe sur la croix désignant le centre de la pièce.

    Face à moi, il y a une table où trois personnes sont assises, les yeux posés sur leurs feuilles placées devant eux. Aucun n’ose relever la tête. Il y a deux femmes et un jeune homme. C’est la dame la plus âgée qui prend la parole la première :

    — Laisse-moi regarder ton curriculum vitæ ! Je ne vois rien de bien particulier à ton actif. Pourquoi es-tu ici ?

    Si j’avais souhaité me retrouver devant quelqu’un d’aussi bête, c’est elle que j’aurais choisie.

    — Eh bien, il y a une première à tout, non ? Dans la publicité annonçant les auditions, il n’était pas question d’avoir une expérience quelconque, dis-je pour me donner une certaine contenance.

    Elle enlève le crayon qu’elle tenait entre ses dents pour me dire de commencer, et ce, sans même donner l’impression d’avoir de l’intérêt pour ce que je m’apprête à faire. Persuadée que cette femme cherche à me déstabiliser, je décide de faire abstraction de sa présence. Après tout, ce numéro, je l’ai pratiqué un nombre incalculable de fois avec Sandrine.

    Sandrine est une enseignante, tout comme moi, à l’école de danse familiale où je travaille depuis près d’un an maintenant, et nous sommes devenues de bonnes amies. Cette école, ma mère l’a ouverte avant de donner naissance à ma grande sœur, Judith.

    Au moment où je m’apprête à commencer mon audition, la femme ajoute :

    — La plupart des filles qui sont passées avant toi ont déjà joué dans une comédie musicale, elles ne sont pas que de simples professeures de danse pour enfants de trois ou quatre ans.

    — Si vous croyez que je n’ai aucune chance, pourquoi ne pas le dire maintenant ? Honnêtement, ça éviterait de faire perdre du temps à bien des gens qui ne demandent qu’à obtenir une petite chance. Vous devriez au moins nous laisser espérer, ou je devrais plutôt dire « rêver ». Je pars si vous insistez !

    J’ai exprimé le fond de ma pensée tout en parvenant à garder mon calme. Elle sourit. Les deux autres relèvent la tête. La dame à l’air sévère se lève et appuie ses fesses sur le rebord de la table, sans rien dire. Mon pouls doit s’élever à cent battements à la seconde.

    — Musique ! dit-elle, sans même prendre la peine de m’annoncer que c’est maintenant que débute mon audition.

    Je me repositionne sur le x et, dès que la musique commence, je me mets à danser. Je m’efforce de m’imaginer ailleurs que devant ces personnes, car à cause de mon audace, elles ne me sélectionneront sans doute pas. Mon imagination me transporte devant le miroir de la salle où je danse tous les samedis depuis ma tendre enfance. J’oublie que leur décision est fort possiblement déjà prise. Tout ce que je veux, c’est me prouver que je peux y arriver. Longtemps, j’ai refusé de tenter ma chance de peur de me faire dire non. Cependant, Sandrine m’a répété à maintes reprises que le pire qu’il pourrait arriver, c’est que je sois choisie parmi ces nombreuses filles qui souhaitent la même chose que moi. Chaque fois qu’elle me dit cette phrase, elle me fait rire, parce qu’au fond, dans le pire des cas, je ne serai pas choisie. La musique s’arrête. La dame me surprend ensuite en me demandant de chanter un petit bout de la chanson d’ouverture. Je m’exécute nerveusement. Je suis consciente que le chant est loin de faire partie de mes compétences. En espérant que ça ne vienne pas gâcher mon audition… Dès que j’ai terminé, sans même lui jeter un regard, je me retourne afin de récupérer mon sac. Cette fois, c’est le jeune homme qui m’adresse la parole.

    — Sais-tu que ce n’est qu’un poste de substitut uniquement dans le cas où Éloïse serait malade ou qu’elle aurait besoin de se reposer ?

    J’arrête de marcher, étonnée qu’il me parle encore. Ma mère m’a toujours recommandé d’éviter de donner l’impression que je me crois meilleure qu’une autre. Après l’audition, il est préférable de partir, et si les juges ont de l’intérêt, ils me feront signe.

    — C’est effectivement ce qui était écrit sur l’affiche envoyée à l’école de danse, oui !

    — Es-tu disponible en tout temps ? s’informe le jeune homme.

    Je ne dois pas hésiter. J’ai néanmoins une pensée pour ma crevette, mais mes parents seront toujours là pour elle dans le but de m’aider.

    — Oui, j’ai une voiture pour les déplacements. C’était un critère, si je me souviens bien.

    — Alors, demain à huit heures, rends-toi à cette adresse, tu feras une seconde audition avec d’autres participantes retenues. Tu n’as rien à préparer. Prévois de passer la journée avec moi… si tu réponds aux exigences.

    Je m’avance vers lui, arborant un grand sourire, tout en approchant ma main pour prendre le papier qu’il me présente en reculant sa chaise pour se lever. Il n’est pas tout à fait mon genre, mais il est tout de même beau gosse malgré son air trop sérieux. Il porte un pantalon noir, et sa chemise donne l’impression qu’il sort tout droit d’un mariage.

    — J’y serai avec plaisir !

    La femme, qui affiche soudainement un semblant de sourire, me tend mon sac. Je l’agrippe et le pose sur mes épaules. Au moment où j’entoure ma taille avec mon chandail, elle ajoute :

    — J’adore que les gens n’aient pas peur de moi ! Tu es la seule à être restée forte à la suite de mon commentaire ! Prépare-toi à me donner tout ce que tu as, demain.

    Je sors de la pièce, heureuse de ne pas m’être laissé intimider par cette dame. Je réalise que les gens aiment quand nous paraissons sûrs de nous, c’est pourquoi j’ai joué la carte de la femme confiante malgré le fait que j’avais envie de me mettre en boule et de pleurer. Je la voulais, cette chance, et je l’ai eue, et ce, sans l’aide de personne. Je suis la seule à avoir fait en sorte que ça marche. Je ne peux pas être plus fière de moi que je le suis en ce moment. La fille derrière moi dans la file d’attente ne cessait de dire que sa mère connaissait bien le metteur en scène et qu’elle était assurée d’avoir la place. J’ai hâte de voir si elle sera là aussi, demain matin.

    À bord de l’autobus, je dois me faire violence, car crier ma joie ici serait inadéquat. Je n’ai pas l’habitude de me balader autrement qu’en voiture, mais le stationnement se fait rare dans le quartier où a lieu l’audition. Parfaitement consciente que je n’ai pas encore été choisie, je trouve que ce qui m’arrive est juste incroyable. Je regarde ma montre et constate que mes chances d’être à la garderie avant ma mère sont trop minces. Ignorant le temps que prendrait l’audition, nous avions heureusement convenu qu’elle s’y rendrait de toute manière. Partant à la vitesse de l’éclair ce matin, j’ai malencontreusement oublié mon cellulaire sur le lit. Personne n’est donc au courant de la bonne nouvelle. Je descends du bus, puis je marche vers le duplex où j’ai grandi. Mes parents habitent le rez-de-chaussée alors qu’Ally et moi habitons au-dessus. Le logement est entièrement rénové, c’est le cadeau qu’ils m’ont offert lors de mon dix-huitième anniversaire de naissance. Mon papa avait l’intention de récupérer le logement, et le hasard a fait en sorte que le locataire lui a annoncé qu’il partait. Mes parents ont pris quelques mois pour effectuer les rénovations et m’ont proposé d’y emménager. Je dois avouer que j’étais plus à l’aise d’accepter sachant que l’occupant n’a pas été mis à la porte à cause de moi. Ally, quant à elle, a été un bébé facile à part ses nombreux pleurs nocturnes, surtout lorsqu’elle était nouveau-née. Mes parents devaient en avoir assez.

    Je monte les cinq marches menant à la porte que j’ouvre sans même m’annoncer. La voiture dans l’entrée m’indique qu’ils sont déjà arrivés. Ma poule accourt vers moi en criant « maman ». Je la prends dans mes bras dès que mon sac est déposé sur le sol.

    — Coucou, bel amour ! As-tu passé une belle journée ?

    — Oui, bisou… amis, dodo !

    Elle est si mignonne ! Je lui fais la bise en lui demandant :

    — Elle est où, Mamie ?

    Ma mère se pointe au bout du corridor, le linge à vaisselle dans les mains. Je sais qu’elle se retient de me poser la question de peur de m’offusquer dans le cas où je n’aurais pas réussi. Je la fais languir un peu.

    — Ton père prépare des grillades sur le barbecue. Restez-vous pour manger avec nous ?

    — Hum… il y aura du vin ?

    Pauvre femme ! Si j’avais su qu’elle deviendrait si blême, je n’aurais pas blagué de la sorte.

    — Depuis quand as-tu recommencé à boire ?

    — Relaxe ! Vous allez célébrer à ma place. J’auditionne à nouveau demain ! lui dis-je, tout sourire.

    — Tu rigoles ! s’exclame mon père de l’autre côté de la moustiquaire.

    Il dépose ses pinces pour me prendre dans ses bras et me faire tourner. Je ne touche même plus le sol. Il y a longtemps que je n’ai pas été aussi heureuse.

    asterisque.jpg

    Ally, mes parents et moi sommes assis sur la terrasse par cette belle fin de journée où la température est parfaite. Le repas terminé, mon père s’apprête à rentrer avec ma fille pour lui donner son bain. Ma mère semble tourner en rond, comme chaque fois qu’elle est tourmentée. Je n’attends même pas que papa passe la porte, je dois savoir.

    — Maman, parle-moi… Je sais que tu veux me dire quelque chose.

    Elle vide son verre de vin, le dépose devant son assiette et relève la tête vers moi.

    — Bien que nous soyons fiers de toi, je dois t’avouer que…

    — Ah ! Ça va… cesse de tourner autour du pot !

    Elle perd patience à son tour, puis elle ajoute :

    — Et si ton visage se retrouvait partout sur les affiches de la ville ? On a peur pour toi…

    Je retiens mon souffle et m’efforce de contrôler mes réactions. Il y a longtemps qu’elle n’a pas abordé le sujet. Même si je dois lui donner raison, je ne laisserai pas mon rêve me filer sous le nez, j’affronterai mon passé s’il me rattrape. Ma mère et ses inquiétudes ne m’aident vraiment pas à savourer pleinement les événements de la journée. Il y a des lustres que nous n’avons pas fait allusion aux dangers de me pavaner sans gêne. Lorsque Val et Eddy, deux amis du gang de Montréal, sont morts, j’ai accepté d’être affectée à Toronto où Peter m’a prise sous son aile. J’aurais dû suivre les conseils que j’avais pourtant donnés à Joëlle, une nouvelle venue, et faire comme elle, c’est-à-dire retourner chez moi. Je ne serais pas dans cette situation et ma vie serait bien différente. Comme je suis restée à Toronto pendant plus d’un an, les membres du gang de Montréal auquel j’ai appartenu ont sans doute changé. Les probabilités d’être reconnue sont donc minimes, mais par précaution je ne vais jamais au centre-ville. C’est en particulier pour cette raison que je m’abstiens de fréquenter les bars. De toute manière, j’ai cessé de boire.

    Pendant les mois où j’ai travaillé pour Peter à Toronto, j’ai usé de toutes les drogues, et l’alcool coulait à flots. Depuis ma sortie de l’hôpital, après cette nuit où Sammy, mon petit ami, a dû les laisser abuser de moi, je n’ai touché à rien. Sammy ignore qu’il est père et je préfère qu’il ne soit pas au courant. Heureusement, il n’a jamais su où j’habitais. Lorsque j’ai quitté en douce l’hôpital de Toronto avec mes parents, j’ai probablement fait le bon choix, mais je sais que LE gang ne m’a pas oubliée.

    Les mois de ma grossesse, je les ai passés chez moi, entrecoupés de quelques rares sorties. Par la suite, j’ai travaillé à l’école de danse et j’ai fini mon secondaire à distance.

    Sans trop donner d’importance aux inquiétudes de ma mère, je me lève pour desservir la table.

    — Pourquoi paniquer maintenant, maman ? Je ne serais qu’une simple substitut, on ne mettrait pas ma photo partout.

    Les mains chargées d’assiettes sales, je dépose un baiser sur le dessus de sa tête au passage.

    — Arrête de t’en faire, je t’en prie…

    Elle me sourit, mais je suis consciente qu’elle ne cessera jamais de s’inquiéter.

    Dès que tout est rangé, je prends ma fille qui relaxe confortablement sur mon père au salon et je monte chez moi.

    Je dépose Ally sur son lit, lui raconte une histoire avant d’aller m’installer sur mon balcon afin de relater mon aventure à Sandrine au téléphone.

    — Gaby, dis-moi que tu es choisie ! me dit-elle en répondant.

    Son enthousiasme me fait toujours sourire. C’est avec plaisir que je lui annonce la bonne nouvelle.

    — Aaah, c’est super ! Viens me rejoindre et l’on sort faire la fête, s’empresse d’ajouter mon amie.

    — Non, tu sais que je ne peux pas me permettre de folie.

    — Je te paie une gardienne, tes parents n’y verront que du feu.

    Je souris, mais le risque de croiser des membres du gang est trop grand, je ne peux pas succomber à son invitation. C’est dans des moments comme celui-là que je réalise que je passe vraiment à côté de ma jeunesse. Mes amies sortent dans les bars, elles font la fête et elles rencontrent de beaux mecs, pendant que moi, je prends soin de ma petite crevette. C’est mon choix et je l’assume, bien que je me remémore parfois les folles nuits que j’ai eues, tout en étant consciente que mon vécu dépasse largement celui des jeunes filles de mon âge.

    — Merci, Sandrine, mais je vais me reposer, je veux être en forme pour demain.

    — OK, je respecte ta décision, mais ta présence serait appréciée, les filles s’ennuient de toi.

    — Amusez-vous, mes petites fofolles ! On s’appelle demain.

    — Oui ! Et merde pour ta deuxième audition !

    Je dépose mon cellulaire sur la table du salon et m’installe pour regarder un épisode de la série humoristique que je suis sur Netflix, mais mes pensées naviguent constamment dans tous les sens. Incapable de me concentrer, étant trop ballottée par tous ces souvenirs, je décide de fermer la télé et d’aller prendre une douche. Il ne me sert à rien de ruminer tout ce négatif. Je me couche aussitôt sortie de la salle de bain en songeant que je vais bien, que tout le monde est heureux et qu’il n’y a aucune raison pour que ça change.

    2

    Ce matin, le lever est difficile, c’est à croire que j’ai passé la nuit sur la corde à linge. La sécheuse termine son œuvre au moment où maman entre dans mon appartement. Elle est surprise par Ally qui l’attrape par la jambe.

    — Bon matin, les filles ! Gaby, tu as mauvaise mine.

    — Peut-être que tes commentaires d’hier m’ont hantée une partie de la nuit ! rétorqué-je bêtement.

    Elle me donne un coup de main pour sortir les serviettes qui sont sèches, puis je m’installe sur le divan pour les plier. Malgré son aide, je reste de marbre. Mon sommeil a été entrecoupé de cauchemars et de souvenirs que je m’efforce chaque fois de ne pas laisser revenir.

    — Va te faire belle, je m’occupe du lavage, puis je descends Ally avec moi. Excuse-moi, Gaby, je n’aurais pas dû…

    Je ne l’écoute plus. Je claque la porte de la salle de bain et je m’y adosse quelques minutes avant de sauter à nouveau dans la douche. Je me savonne et laisse longuement couler l’eau sur mon dos. Je fonds en larmes. Il me semble qu’un siècle s’est écoulé depuis ma dernière crise de panique. Au bout de quelques minutes, je me calme. Il me passe par la tête de ne pas me rendre à l’audition, mais je ne dois en aucun cas permettre à mon passé de gérer ma vie. Je sors de la cabine de douche, me maquille légèrement, puis j’enfile des vêtements confortables pour danser. Un legging, une camisole et une chemise à carreaux feront l’affaire. De toute manière, je n’ai personne à charmer. Un dernier coup d’œil dans le miroir avant de m’emparer de mon sac à dos et de mes clés. Je passe chez mes parents afin de dire au revoir à Ally et, sans un mot pour eux, je sors de leur logement pour me diriger vers ma voiture. Ce n’est pas un modèle de l’année. Cependant, elle me sert à me rendre du point A au point B. Ce petit luxe, je l’ai acheté afin de me libérer de ma dépendance à l’égard de mes parents concernant mes déplacements.

    En reculant, je remarque l’air inquiet de ma mère qui me regarde partir par la fenêtre, accompagnée de ma fille qui affiche un sourire candide. Mon attitude ne permet pas de croire que je me porte bien, alors elle n’a pas tort. Seulement, je me dis que ce n’est pas la peine de paniquer avant que mon visage soit exhibé partout, chose qui ne risque pas d’arriver de sitôt.

    asterisque.jpg

    Mon audition se déroulera dans une école de danse de réputation internationale. Celle de ma mère est bien classée, mais elle a moins d’envergure que celle-ci. Une grande partie des danseurs de l’établissement où je m’apprête à mettre les pieds travaillent pour des artistes de renom. Il ne serait pas étonnant que ma mère connaisse la propriétaire. Mais elle sait que le plus important pour moi, c’est d’arriver à me tailler une place sans qu’un mot ait été dit en ma faveur. La chance que la dame, que je suppose être celle qui avait un air si austère lors de ma première audition, établisse un lien est nulle puisque je porte le nom de famille de mon père. J’ai perdu suffisamment de temps, je prends mon courage à deux mains, je laisse toutes mes inquiétudes à l’extérieur et je pénètre dans l’école pour ce que j’espère être une nouvelle aventure.

    Dans le hall, il y a une feuille indiquant que l’audition se déroule dans le local au fond du couloir. En m’y dirigeant, je regarde subtilement dans les classes qui sont remplies de jeunes filles qui aspirent probablement à la même chose que moi. La seule différence, c’est qu’elles ont entre cinq et six ans. Elles ont amplement le temps de rêver, alors que moi, j’ai perdu plus de deux ans dans un gang de rue à passer à côté de cette adolescence qui me paraissait bien morne. Si seulement j’avais écouté les adultes autour de moi ! Je secoue la tête, tentant une fois de plus de chasser ces images désolantes, voire dégradantes, de mon esprit. Je ferme la sonnerie de mon cellulaire et, ce faisant, j’entre en collision avec la femme au sourire déficient.

    Bravo, Gaby, tu es vraiment à ton affaire !

    — Gabrielle, tes soucis sont-ils à ce point sérieux que tu ne peux t’empêcher de poser tes yeux sur ce handicap sans arrêt ? me dit-elle avec arrogance.

    Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire.

    — Je fermais seulement la sonnerie de mon cellulaire. De quel handicap parlez-vous ?

    — Ton téléphone… De quoi d’autre crois-tu que je parle ? Vous… Votre génération, vous êtes une cause perdue !

    Toujours de son air hautain et, pour être honnête, de son air « chiant », elle m’expose sa vision des choses. Selon ses dires, les jeunes de mon âge sont plus à l’aise en ligne que lors de rencontres physiques. Elle est persuadée que chaque fois que nous posons notre regard sur ce « machin », comme elle se plaît à le nommer, nous gaspillons notre temps sur Facebook ou Instagram.

    — Excusez-moi, je ne voudrais pas être désagréable, mais je ne faisais que fermer la sonnerie afin de ne pas être dérangée. Je n’ai aucun compte sur les réseaux sociaux, alors aucune chance que je sois en retard à cause de ce genre de distractions. Je partage votre opinion sur ce sujet, donc je crois qu’on peut juste oublier tout ça.

    En passant près d’elle pour entrer dans la salle, je prends conscience que je n’ai aucun filtre. Je dois vraiment me calmer et cesser de dire tout haut ce que je pense tout bas. Ce qui me semble étrange, c’est que plus je dis ce que je pense, plus ses traits s’adoucissent.

    asterisque.jpg

    Je suis vraisemblablement la première arrivée.

    — Puis-je savoir où sont les autres ?

    Elle sourit, puis elle s’installe sur sa chaise en mettant son cellulaire bien en évidence devant elle. J’aurais envie de rire dû au fait qu’elle se permet de me reprendre alors qu’elle l’utilise elle-même sans gêne. La femme me regarde tout en le poussant un peu plus loin, mais toujours de façon à avoir un œil sur l’écran.

    — Ils arriveront dans une trentaine de minutes. Vous n’êtes que trois. Les deux autres juges sont avec les autres filles, dans une autre salle au fond du couloir.

    Elle se lève et marche vers moi. Elle me tend une feuille en m’indiquant qu’elle reviendra avec tout le monde dans trente minutes.

    — Bon courage ! Et, juste comme ça, ne te gêne surtout pas pour utiliser ton téléphone pour trouver une musique qui te convient !

    Je ne suis pas certaine de la suivre… Je me mets donc à la lecture de ladite feuille, qui elle, est bien claire. Si

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