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Moribonds: Roman
Moribonds: Roman
Moribonds: Roman
Livre électronique168 pages2 heures

Moribonds: Roman

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À propos de ce livre électronique

Devant le grand portail en bois, les filles enlacent tour à tour leurs camarades de classe. Personne n’ose réagir face à la mine terne de la malade. Le contraste étant d’autant plus déroutant que la rouquine est encore plus expansive qu’à son habitude. À l’arrivée de Mahels, suivi de près par Gabriel, l’illusion d’une gêne inexistante est mauvaise. Néanmoins, ils gardent le silence. Certainement pas par pudeur, plutôt par amour du paraître, du mystère et de la mise en scène. Un salut de façade de la part d’Eugénie envers Gabriel. La recherche d’un regard amical de la part de Mahels. Et cela dans un bruit propre à la foule d’élèves réunis devant leur lycée un jour de rentrée.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Dans Moribonds, Nolwenn Ragot ressasse ses années d'adolescence pour y trouver un tremplin lui permettant d'affronter et de réussir sa transformation en jeune femme.
LangueFrançais
Date de sortie8 juin 2022
ISBN9791037758927
Moribonds: Roman

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    Aperçu du livre

    Moribonds - Nolwenn Ragot

    Nolwenn Ragot

    Moribonds

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Nolwenn Ragot

    ISBN : 979-10-377-5892-7

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Avant-propos

    C’était il y a plus d’un an, bien avant Cassis, bien avant leur première crise, celle en apparence causée par le vol de l’engin. C’était bien avant les larmes, avant la peine et les aboiements. C’était avant Alice, avant la jalousie, avant même l’attirance. C’était avant les maux, les horribles sensations dans la poitrine, avant la folie. C’était bien avant l’affection, bien avant les confidences, avant les mensonges en somme. C’était un jour plus qu’ordinaire, un jour où les littéraires terminent les cours avant tout le monde. Ils se sont donc tous installés au café. Un de leurs premiers cafés. Ils parlent de leurs camarades de classe, ils échangent sur leurs lectures du moment. Maupassant ou Duras ? Beckett ou Guitry ? Ils débattent sur leurs divergences politiques, sur un ton tempéré, curieux, respectueux encore. Ils apprennent à se connaître. Ce rendez-vous est simple, bon enfant, heureux. Ils fument, fument encore, et leurs haleines empestent le tabac froid et le café.

    Ils n’en ont que faire, ils sont Parisiens, c’est bien leur veine !

    Ici, les adultes n’ont pas leur place, roulez jeunesse, soyez prudents. Elle se joue là votre vie, elle se joue là votre histoire. Elle commencera ici tout du moins, dans ce resplendissant café, dans cette chaleur humaine, dans ce nuage de fumée. Ils parlent fort, et ils s’en moquent. Les serveurs sont désagréables : « C’est dégueulasse la façon dont on nous traite sous prétexte qu’on est jeunes ! » Chacun acquiesce. Les garçons de café sont surtout dérangés par le brouhaha, l’impolitesse, l’absence totale de gêne, d’éducation de cette table en coin de terrasse. Il y a ceux qui se balancent sur leurs chaises tissées aux couleurs bois et beige, ceux qui cendrent sur le sol plutôt que dans le cendrier, qui est pourtant bien là, posé en évidence sur la table. Les heures passent, les commandes n’affluent pas pour autant.

    Ils rient, ou plus exactement, s’étranglent de rire. Ils sont intenables, avides d’expérience, excités de faire de nouvelles connaissances. L’innocence même serait le terme adéquat pour les définir à cette heure. À l’heure de cet arrêt sur image. Et quelle image ! Ils sont si insolents et pourtant si sages. Ils ne sont personne encore, n’ont pas pris possession de leurs personnages. Et quels personnages !

    C’est l’heure du casting, dira-t-on, celui de l’incertitude. Seront-ils retenus ? Seront-ils amis ? Ennemis ? Seront-ils de simples figurants, de simples seconds rôles ou bien les principaux protagonistes d’une histoire commune ? L’avenir est exaltant dans son incertitude. L’avenir est là, en passe d’être découvert. Les lumières sont orangées, la nuit tombe. Le décor est planté, immobile ou presque. L’histoire commence doucement, rythmée par les va-et-vient de ces adolescents indiscrets, fondus dans la masse, sortant du lot peut-être. Jeunesse dorée, bobos refoulés, imbéciles heureux.

    I

    Sans un mot, ils se dévisagent. Assis les uns en face des autres, ils se regardent dans le blanc des yeux. Se demandant ce qu’ils peuvent bien faire ici. Se demandant pourquoi eux, ensemble, si seuls et désemparés. Leurs vies sont minables. Ni dramatiques ni fantastiques. Ils sont comme des âmes en peine. Mais quelles peines ? Pour quels maux ?

    Dans la petite véranda, rien ne paraît plus gai qu’eux. Il fait chaud, l’ambiance ne fait qu’alourdir l’atmosphère. La véranda sur laquelle sont installés nos jeunes est aussi triste que leurs pitoyables existences. Les dalles grises sont salies par les cendres de cigarettes, les fauteuils sont jaunis par le temps, les couleurs chaudes du sud ont perdu de leur éclat. La plante verte posée dans un coin de la salle est elle-même à demi morte. Sur cette petite véranda, tout est triste, tout est presque mort, chacun est éteint. Scène moribonde. Eugénie tousse. Le silence est installé depuis quelques minutes déjà. C’est qu’ils sont pensifs nos jeunes, c’est qu’ils font le bilan de leur séjour ici, à Cassis.

    Il était beau ce séjour, il était frais et revigorant. Il avait commencé dans une fanfare inattendue. Et pourtant, tout a changé, en une nuit, en une soirée, par quelques mots prononcés, quelques paroles indélébiles. Pourtant, la scène est celle-ci, étouffante. La véranda souffre bel et bien d’une ambiance lourde et palpable, d’un sentiment d’abandon. Il y a un peu de mistral ce soir, le bruit du vent pourrait bercer un nourrisson. C’est cette fraîcheur qui permet à elle seule d’adoucir la tension qui se fait sentir à la véranda.

    La main de Gabriel tremble, il ne saurait dire pourquoi. C’est qu’il doit être plus perturbé par les événements qu’il n’aimerait l’admettre. Son regard se durcit au fil de ses pensées. C’est dans ces moments-là qu’Eugénie le trouve très beau, ces moments où, malgré lui, il abandonne son visage d’enfant au profit d’expressions graves. En dehors de ces moments-là, il n’a pas le physique très attrayant, sans être vilain pour autant. Il a les traits grossiers, le nez large, non, plutôt grand, et les yeux ronds. Physique simple, sans grande spécificité. Son charisme est ce qui le rend si désirable, son humour et sa voix grave. Elle, aussi, est assise dans un gros fauteuil verdâtre. Elle contemple ses trois camarades. Elle contemple ces personnages à qui elle s’est donnée tout entière, à qui elle a consacré son temps, son énergie, ses pensées et sa santé. Elle détourne le regard, le dirige vers ce vieux frigidaire d’un blanc devenu gris et terne. Elle porte sa cigarette à ses lèvres, et son feu à celle de Zoé. Cette dernière, à la crinière rousse et frisée, à la peau pâle et aux grosses lunettes fatiguées, emplit enfin ses poumons de la toxine tant attendue. Le temps d’une inspiration, d’un simple passage de fumée dans ses poumons encore jeunes, elle s’évade. Se réveille aussitôt. Se mine de constater que l’ambiance est restée immobile. Elle a un regard vers Eugénie, un qui signifie à la fois merci et au secours. Gabriel les surprend, il les comprend. Tous trois sont liés par une même incompréhension, une même incertitude. Ils ne savent que faire, que penser, que dire et s’embourbent ensemble dans la gêne.

    — Tu es déjà allé lui rendre visite à l’hôpital ? se risque à demander Zoé.

    — Jamais, lui répond Mahels d’une voix rauque.

    Ils frissonnent à cette annonce, ils ont peur finalement. Plus horrifiés que déçus désormais.

    — Mais tu es sûr que c’est toi qui as… qui as porté… le coup fatal, enfin le coup de trop, enfin tu vois ?

    — C’est moi qui l’ai mis à terre, répond-il à nouveau, d’un ton mi-malaisé, mi-fier, les tétanisant d’autant plus.

    Gabriel sourit nerveusement, ou peut-être qu’il n’est pas convaincu. Mais il sourit. C’est un enfant de dix-huit ans. Un petit garçon inconscient. Ils le sont tous. Eugénie se mord la lèvre, elle doit se contenir, empêcher ses pensées de se dévoiler. Elle a bien trop peur de la réaction que pourrait avoir Mahels. Bien trop peur de contrarier celui qui a généré cette ambiance. C’est qu’il est impressionnant ce Mahels, du haut de ses un mètre quatre-vingt-cinq, il est imposant. Physionomie robuste et poilue. Difficile à assumer quand on a dix-huit ans. Ingrate certains jours, attendrissante le plus souvent. Mais ce soir, elle est bien effrayante. C’est par crainte encore une fois que la jeune Eugénie se tait. Elle sait qu’ils ont tous deux une relation privilégiée. Qu’ils sont amis, qu’ils comptent beaucoup l’un pour l’autre. Qu’elle compte peut-être un peu plus pour lui que les deux autres âmes en peine présentes dans la pièce. Pour cela, elle se doit de retenir ses mots peut-être plus qu’eux. Mais c’est bien elle la plus déçue. Celle qui prend la situation le plus à cœur à force d’avoir estimé le garçon. Tous deux se sont beaucoup confiés l’un à l’autre, comme le font des adolescents de dix-sept ans qui s’apprécient. Et la surprise de ce soir n’en est que plus déroutante pour elle. Elle aurait pu pleurer ce soir, mais n’en a rien fait. Enfant chouineuse ou simplement fille désemparée. Elle fut prise d’angoisse en apprenant la nouvelle. Maux de tête, cœur affolé. Elle a l’habitude de ce genre de crise.

    — Qui veut un verre ? propose Zoé, comme pour marquer un ras-le-bol général.

    — Je vais me coucher, bougonne l’élément perturbateur.

    Personne ne le retient. Ils lui souhaitent d’ailleurs tous une bonne nuit hypocrite. Le garçon se lève et se dirige d’un pas lourd vers la baie vitrée, s’évanouit dans l’obscurité du salon et laisse la soirée reprendre son cours.

    — J’en pouvais plus ! Il est pas croyable celui-là, on balance pas des bombes comme ça pour se fermer à toute discussion derrière. Il est super égoïste ce con-là !

    Zoé a raison de soulever cet égoïsme. Mais ils le sont tous, égoïstes, égocentriques, destructeurs en définitive pour tous ceux qui auraient le malheur de vouloir faire partie des leurs.

    Gabriel rit encore – jaune, c’est évident –. Insolent et amusé par tout ce cinéma. Il fume aussi. Jette un regard global sur la pièce dans laquelle il est installé depuis trop longtemps. Elle n’a pas changé, elle est toujours aussi triste. Que fait-il ici ? Lui pour qui tout est toujours étincelant et moderne. Lui qui ne connaît que des intérieurs correspondant aux standards des magazines. Lui pour qui l’apparence est tout ce qui compte. Que fait-il dans cet endroit d’une pâleur sans nom ? Pourquoi fréquente-t-il ces gens pour qui la mode, le maquillage, la plastique ne sont pas une priorité ? Pourquoi s’est-il fourvoyé autant en s’éloignant de son monde de strass et de paillettes ? Tous, sauf lui, auraient une théorie sur la question. Mais le point que personne n’osait jamais remettre en question, c’est qu’il s’était fait exclure de ce monde doré.

    Eugénie attrape la main du garçon. Elle fait ça souvent, voire trop souvent pour une amie. Elle lui caresse le bras et lui se laisse faire. Il lui ressert du rosé – cette piquette qu’on a tous bue à dix-sept ans –, lui tend une cigarette qu’il allume tandis qu’elle la tient entre ses dents. On croirait qu’elle se vulgarise volontairement, mais rien n’y fait, elle a le regard doux. Et puis, ils inversent les rôles. C’est toujours ainsi entre eux, et Zoé ne s’étonne guère. Elle continue à parler, puisque rien depuis le départ de Mahels n’est différent de leur quotidien. Eugénie pose ses jambes sur celles du garçon, qui y pose ses mains comme pour l’empêcher de s’enfuir. Zoé avale d’une traite son verre pour le remplir à nouveau. Assise en tailleur dans son fauteuil de bois, elle est avachie. De son téléphone, il change de musique. Ils changent alors d’ambiance.

    Comme si le temps s’était arrêté, comme s’ils étaient seuls au monde et comme si Mahels n’existait pas, ils boivent, rient, chantent et dansent. Faisant abstraction de tout, de leur passé tant que de leurs propres personnalités. C’est dans ces moments-là que finalement, ils trouvent toute leur envie d’être réunis, de front envers et contre tous. Dans ces moments-là, la vie semble tellement simple, tellement légère. Désinhibés, sans aucune notion de pudeur, et sans même avoir recours à des substances illicites, ils sont heureux. Malgré tout. Ensemble. Le carrelage noircit, plus les heures passent, mais à mesure qu’ils salissent les lieux, les couleurs redeviennent vives à leurs yeux. À chaque minute, ils se sentent encore plus légers que la précédente. Parlant de tout et de rien, surtout de rien, mais cela leur importe peu. Dans ces moments-là, le regard de leurs amis a sur eux un effet incroyable, leur simple présence leur donnant l’impression d’être invincibles, jeunes, peut-être insouciants, mais heureux. Minutes passantes, à la fois éternelles et vives.

    Une fois les bouteilles terminées, les mégots amassés, les jambes lourdes d’avoir dansé, les yeux affaiblis par la boisson, Zoé, Gabriel et Eugénie se laissent tomber une fois de plus dans les fauteuils. Ils attendent la fin de la musique mais ne peuvent se résoudre à partir.

    Zoé, tout en changeant de chanson pour une atmosphère plus douce, regarde la jeune

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