Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Derrière le rideau, Sigismond ?
Derrière le rideau, Sigismond ?
Derrière le rideau, Sigismond ?
Livre électronique279 pages3 heures

Derrière le rideau, Sigismond ?

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

« Et alors, ô miracle ! Oubliés l’hôpital, l’attente, l’ennui, la frousse, les patients, tout s’efface devant la reproduction de l’aquarelle qui s’offre à mon regard. Sur la façade couverte de crépi rose tirant sur le mauve, couleur probablement due aux intempéries, entre deux volets de bois d’un bleu délavé, sommairement raccommodés, l’un fermé et l’autre ouvert, un rideau de dentelle déchirée semble s’envoler comme s’il voulait se moquer du temps qui passe. Magnifique ! »


À PROPOS DE L'AUTEURE


Après six années dans l’enseignement, Marie-France Mangin est auteure de romans de jeunesse édités. Elle décide de publier aux Éditions Le Lys Bleu son manuscrit, troisième prix au concours national Prix Thérèse Gabriel, intitulé Derrière le rideau, Sigismond ?
LangueFrançais
Date de sortie20 sept. 2022
ISBN9791037768681
Derrière le rideau, Sigismond ?

Lié à Derrière le rideau, Sigismond ?

Livres électroniques liés

Biographique/Autofiction pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Derrière le rideau, Sigismond ?

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Derrière le rideau, Sigismond ? - Marie-France Mangin

    Chapitre 1

    Janvier 2019, quelque part en Occitanie

    Hé, tu dors, Steph ?

    Oui, mais vas-y, je t’écoute, ça ne va pas ?

    Au contraire, j’ai une idée, je vais écrire !

    Maintenant ? Tu auras le temps demain !

    Tu ne comprends pas ! Je vais écrire un livre !

    Raison de plus : tu peux attendre pour le commencer ! Bonne nuit, Jo ! Chauffe tes pieds contre moi, ils sont tout froids !

    Mon mari se retourne dans notre lit, mais je continue, imperturbable :

    Ce sera un livre sur nous !

    Sur nous ? Mais on n’est personne et personne ne nous connaît, ou presque, à part la famille !

    Justement, il est grand temps de laisser une trace de notre passage sur la terre ; à notre âge, on commence à faire partie du patrimoine et le patrimoine doit se transmettre d’une génération à l’autre, tu es d’accord avec moi, j’espère ?

    Je suis d’accord avec tout ce que tu voudras si tu dors d’abord !

    OK, ça marche !

    C’est au cours de cette nuit-là que l’histoire de Steph et de Jo, deux inconnus parmi tant d’autres, a vu le jour…

    Après de joyeuses fêtes de famille, mon mari et moi abordons la nouvelle année avec sérénité. Le temps est agréable et nous étrennons notre deux-pièces construit aux nouvelles normes à Espalion, petite ville de l’Aveyron chargée d’Histoire où nous nous préparons à passer l’hiver, la belle saison restant réservée à la minuscule maison recouverte de lauzes du hameau qui nous a fait craquer tous les deux au moment de notre retraite.

    Depuis le balcon de notre appartement, nous n’avons qu’à lever les yeux pour l’apercevoir sur la colline d’en face ! Comme dit Steph, pourquoi aller loin quand on peut faire court, que le coin nous plaît et qu’enfants et petits-enfants nous y rejoignent au moment des vacances ?

    Il n’y a pas plus casanier que mon mari, mais tant qu’il me promet d’aller voir la mer une fois par an, cela me va.

    Tout irait donc comme sur des roulettes si je n’avais, bien ancrée en moi, une sorte d’incertitude du lendemain qui m’empêche de profiter totalement de la vie. Je croyais jusqu’ici tenir cette inquiétude permanente d’une enfance bousculée par la séparation de parents dont l’un voulait divorcer et l’autre pas. Pourtant, selon l’avis de mon entourage je suis une personne discrète, mais souriante, qui ne manque pas d’humour ni d’idées sidérantes et même parfois foldingues !

    L’âge accentuerait-il alors une prédisposition à la mélancolie ? Un, deux, dix, vingt, quarante, soixante, non, ce n’est pas possible, je cours, enfin façon de parler, depuis les quelques signaux d’avertissement lancés par une attaque sournoise d’arthrose de la hanche qui m’empêche de le faire avec la souplesse d’hier encore. Je file, je le répète, sur mes quatre-vingts piges, balais, bougies, LXXX en chiffres romains ou pour faire preuve d’optimisme, sur mes quatre fois vingt ans !

    Si j’avais su à cet instant que cette angoisse du lendemain allait se vérifier quelques mois plus tard et qu’elle serait partagée par des millions de personnes dans le monde, je n’aurais peut-être pas entrepris d’écrire les joies et les tribulations de Steph et de Jo, mais ce serait sans compter sur la curiosité qui me poussait à savoir ce qui avait bien pu se passer derrière un vieux rideau…

    Mon histoire, qui est aussi celle de Steph, démarre dans la salle de bain, alors que je m’apprête à passer sur mon visage une nouvelle crème d’hydratation intense dont j’attends un bienfait instantané.

    Là, je m’examine devant la glace, l’indispensable conseillère de toute femme, et contrairement aux autres matins, j’éprouve soudain le sentiment effrayant que ma vie est en train de couler entre mes doigts comme l’eau d’un robinet mal fermé alors que les temps actuels sont plutôt à l’économie d’eau, de gaz, d’électricité et de tout ce qui pourrait nuire à notre chère planète Terre, aussi éprouvée que je le suis à cet instant…

    Je me penche légèrement au-dessus du lavabo et me lance un regard insistant. L’image que la glace me renvoie a bien quelque chose de la petite fille malicieuse à la bouille ronde que j’étais avant, mais en tellement plus floue ! Celle de l’adolescente aux pommettes hautes et au regard sévère qui l’a suivie ensuite fait place à celle d’une jeune femme souriante, mais réservée à laquelle je m’étais habituée en dépit de fines ridules et timides pattes d’oie qui annoncent la quarantaine. Est-ce parce que je me suis réveillée du mauvais pied que celle qui me fait face là, tout de suite, ressemble plutôt à une peinture exécutée à la gouache et au couteau ? Toujours est-il que j’ai l’air d’une golden pas encore blette, mais un peu trop mûre ! On a beau dire que tout est bon dans une pomme, je préférais ma pomme d’avant !

    Je tends mon cou au plus près du miroir de verre qui fixe tel un juge impartial, un peu moqueur sur les bords, la femme actuelle au moral en compote et je murmure :

    Miroir, mon beau miroir… Tiens, c’est curieux, il me semble avoir déjà entendu cette question, mais quand, mais où ?

    Ma pauvre fille, me taquine celui-ci, tu as la mémoire qui flanche comme dit une chanson bien connue ! Enfin, cela arrive à tout le monde, et même à des gens très bien. Ce qui m’inquiète un peu pour le moment serait plutôt cette ride du lion, au-dessus du nez, qui persiste malgré le cocktail vitaminé avec lequel tu te tartines le visage chaque soir. Dis-moi, chère amie, tu en penses quoi de cette charmante ride en formation ?

    Le sentiment de révolte n’étant pas exclusivement réservé aux adolescents, je me rebelle :

    D’abord, je te signale que mon vrai nom est Josette ! Je t’avais expliqué lors de notre premier face-à-face que, peu avant ma naissance, ma mère désirait une petite Josette, seulement mon père étant de souche alsacienne, elle a eu peur que les gens ne transforment la petite Josette en petite Chaussette, tu me suis ?

    Ah oui, c’est drôle, cela fait penser à du jus de chaussettes qui puent !

    Si tu veux. Donc, ils ont préféré m’appeler par mon petit nom.

    Qui est ?

    Jo, bien sûr, tu devrais pourtant le savoir, on se voit tous les matins et même plusieurs fois par jour !

    De toute façon, tous les enfants voudraient s’appeler autrement, approuve la glace… alors, c’est bien Jo, ton prénom de cœur ?

    Oui, mais il n’est réservé qu’aux proches !

    Mais je suis à vingt centimètres de ton visage, on ne peut pas être plus près, à moins que tu ne m’embrasses ?

    Si dans ma jeunesse, il m’est arrivé une ou deux fois de déposer un baiser sur un autre miroir, cette expérience n’avait laissé qu’une auréole de pommade rosat que j’avais eu un mal de chien à enlever avant que ma grand-mère paternelle qui nous a élevés, mon frère, ma sœur et moi après le divorce de mes parents, ne me fasse la morale, car tout le monde le sait, la coquetterie est un vilain défaut. Défaut peut-être quand on se maquille à outrance, mais un petit brin de coquetterie n’a rien de vilain, bien au contraire !

    Je hausse les épaules, m’approche et m’examine à nouveau. D’accord, ma peau s’est affinée, mon teint a pâli, mes cernes sont plus prononcés, mais enfin, la pomme que je suis ne va pas se laisser ratatiner le moral ; c’est pourquoi j’ajoute tout haut d’une voix glaciale :

    Regarde-toi plutôt, si cela t’est possible ; je constate qu’il te manque du tain par endroit ! Vieillirais-tu, toi aussi ?

    Dis donc, tu ne réagis encore pas mal pour ton âge, Jo !

    Et là, je craque…

    Chapitre 2

    Il y a trois semaines, Steph enroulait le store de la baie vitrée de notre appartement avant de prendre tranquillement notre petit-déjeuner lorsque soudain, j’ai vu avec stupeur les barreaux du balcon, de solides barres d’acier pourtant, se tordre dans une fantastique chevauchée digne des Walkyries, la musique du grand Wagner en moins !

    J’ai vécu alors en quelques secondes la scène vue et revue à la télé où une gentille grand-mère pousse un cri d’effroi devant les lignes verticales qui se gondolent comme des spaghettis cuits lorsque sa petite fille lui masque un œil pour jouer au docteur.

    Prépare-toi, je vais te conduire chez l’ophtalmo, a décidé Steph.

    Mais je n’ai pas de rendez-vous !

    Tu verras, il te prendra entre deux patients !

    Mon mari avait raison.

    La salle d’attente était bondée, mais… j’étais une priorité selon la secrétaire médicale.

    Après un examen minutieux de l’œil en question, le verdict est tombé comme une grosse pierre dans un éboulis, dévalant la pente de cailloux en cailloux jusqu’à se perdre au fond d’un océan minéral.

    C’est bien la DMLA, ma pauvre, c’est une vraie vacherie !

    Je tiens à préciser que le mot vacherie n’est pas péjoratif puisque nous avons choisi de vivre notre retraite dans une contrée où la race Aubrac est connue pour sa beauté et sa qualité !

    Une vache d’Aubrac, c’est la classe, robe beige, œil de velours magnifié par un trait de khôl naturel.

    L’air navré, l’ophtalmologue a secoué la tête d’un côté et de l’autre avant de me demander si j’avais des antécédents dans ma famille.

    Oui, ma grand-mère paternelle, mon père…

    Inutile de chercher plus loin, c’est génétique !

    Il semblait totalement affirmatif sur ce dernier point.

    C’est grave, Docteur ?

    Combien de personnes avant moi ont dû poser un jour cette question angoissée à leur médecin ? Oui, mais cette fois, c’était de moi qu’il s’agissait et mon moi, j’y tiens encore beaucoup. Comment exister sans mon moi ? Je ne tiendrais pas debout, c’est du moins ce que j’imaginais sottement, car finalement, assis, debout couché, tout le monde a son moi en lui, le plus difficile étant de le trouver et de prouver aux autres qu’il existe.

    Le spécialiste s’est voulu rassurant :

    Non, ce n’est pas vital, seulement cela ne se guérit pas… du moins pas pour le moment. MAIS… il a insisté sur le mot avec un sourire encourageant, les chercheurs progressent à pas de géants sur l’étude d’un traitement radical contre cette dégénérescence de la vision, qui est presque toujours héréditaire.

    Un traitement dont je pourrais profiter, Docteur ?

    Mon œil valide s’accrochait à lui, qui avait alors hoché la tête :

    J’aimerais beaucoup… qui sait ? Pour vos enfants peut-être, et pour vos petits-enfants, c’est certain !

    Se penchant vers mon un mètre cinquante, il m’a gentiment tapoté l’épaule et ajouté, presque triomphant :

    La bonne nouvelle est que votre macula est sèche. Vous n’aurez donc pas besoin que l’on vous fasse des piqûres dans l’œil.

    Si j’ai poussé un soupir de soulagement à ce moment, ce n’est pas uniquement parce que je déteste les piqûres, encore plus lorsqu’il s’agit d’un de mes yeux, mais parce qu’il venait de prononcer un mot qui me paraissait plus acceptable ; il avait dit macula. Quitte à choisir, je préfère dire que j’ai une macula plutôt qu’une dégénérescence de l’œil même si le résultat est le même. Macula fait moins vieux dans ma tête à trous par lesquels mes rêves rentrent et sortent au gré des vents !

    Macula, maculorum me paraît aussi chantant que saecula saeculorum !

    Il est curieux comme les mots exercent un grand pouvoir sur nous !

    Mon ophtalmo, car du coup il était devenu mien, s’est tourné alors vers Steph qui avait l’air encore plus bouleversé que moi :

    Ne vous en faites pas, on va la suivre de près, on se reverra prochainement pour un scanner sans compter un suivi régulier. En attendant, voici son ordonnance.

    Il parlait de moi comme si j’étais une chose ! Il préférait sans doute s’adresser à quelqu’un de plus sensé que l’infortunée qu’il avait devant lui. Il est vrai qu’à ce moment, c’était plutôt pluies et brouillards sous mon crâne !

    Dans la rue, Steph a glissé son bras sous le mien.

    On se boit un petit café, Jo ?

    Pourquoi pas ? a répondu la chose en reniflant.

    Et un peu plus tard, en tournant énergiquement la cuillère dans son expresso :

    Il a dit héréditaire, tu crois que nos enfants peuvent…

    Tu tournes et tournes dans ta tasse alors que tu n’as pas encore mis ton sucre !

    Je ne l’écoutais pas, je pensais à nos trois Stars. Je ne dévoilerai pas leurs véritables prénoms, car il est vrai que nombreux sont les enfants qui n’aiment pas celui que leurs parents ont mis pourtant des mois à choisir avec tendresse. C’est vrai que la mode change et qu’un prénom, on l’a pour la vie !

    Leur pseudonyme, emprunté à Orion facilement repérable par nuit claire même pour la nulle en astronomie que je suis, les surprendra peut-être ! Cette constellation représente un chasseur (pourquoi pas Steph ?) qui aurait capturé à l’aide de son arc une étoile filante (pourquoi pas Jo ?).

    Tous deux se sont aimés et ont fondé une famille nettement visible sous la ceinture du baudrier d’Orion où chacun peut admirer trois étoiles brillantes alignées verticalement : Alnitak, Alnilam et Mintaka ! Que le Ciel me pardonne d’avoir emprunté le nom de ces trois étoiles pour l’attribuer à nos enfants, nos stars à nous, pauvres humains ! Je m’empresse de préciser qu’il ne s’agit là que d’une métaphore, car nous avons les pieds bien sur terre, Steph et moi ! Enfin, Steph plus que moi, car il me rattrape toujours au moment où je suis prête à décoller dans n’importe quelle direction !

    Bois ton café Jo, toi qui l’aimes chaud ! Ne te fais pas de bile, tout ira bien pour nos gosses ! D’ailleurs, ta macula n’est peut-être pas fatalement héréditaire et d’ici qu’ils aient notre âge, la science aura fait des progrès considérables.

    Chapitre 3

    Steph m’appelle alors que je m’évertue à rayer des mots qui se croisent ou s’alignent obstinément dans tous les sens sur un catalogue de sport cérébral, exercice amusant quand on jouit d’une vue normale, mais qui s’avère un vrai parcours de combattant lorsqu’il s’agit d’une vision brouillée.

    Dépêche-toi, le héron vient de se poser !

    Munie de mes vieilles lunettes de moins en moins à ma vue, j’arrive sur le balcon à problème d’horizontalité et de verticalité et réussis à repérer l’échassier dans le pré, une véritable lande de biodiversité qui s’étend devant notre petit immeuble. La rivière roule ses eaux en contrebas de cette zone-tampon très utile en cas d’inondation et qui se révèle être un véritable paradis pour les grenouilles dont notre héron semble se régaler.

    Tu le vois ? s’enquiert Steph.

    Bien sûr que je le vois, qu’est-ce que tu crois ? Je ne suis tout de même pas miro ! je m’exclame avec vigueur.

    Comme mon compagnon se tait et que cela m’agace que tous les gens, même lui, aient l’air de croire que la macula puisse altérer totalement l’iris de mon œil qui est presque aussi noir que ma pupille, j’attaque :

    Je vois même très bien de loin !

    Et, tout en désignant un chapelet de mottes sombres à la limite de la clôture qui nous sépare la Lande, notre immeuble, je triomphe :

    Tiens, là, ce sont les monticules de terre laissés par une taupe, alors tu vois que je vois !

    Steph se penche :

    Bon… bon, marmonne-t-il.

    Comme il n’a pas l’air très convaincu, je ferme l’œil gauche, celui qui est en veilleuse depuis qu’il m’a joué le tour de la macula et vrille de l’autre les monceaux de terre en question avant de constater, effarée :

    La vache, ce sont des bouses !

    Remarque, cela pourrait ressembler à des petits tas laissés par des taupes, comme tu le dis… minimise mon compagnon dont le ton conciliant ne réussit qu’à augmenter mon dépit.

    Je tape sur cette tordue de rambarde qui résonne sous mon coup de poing.

    Et bouse de merde ! Je lâche avec une colère qui ne semble plus avoir aucun frein.

    Tu l’as dit ! approuve Steph.

    Et nous finissons par éclater de rire comme des gosses, les coudes appuyés sur le balcon, observés par le héron qui s’apprête à décoller devant ces deux olibrius qui s’agitent à deux étages au-dessus de lui !

    Cela va faire dix lustres que Steph et moi vivons face à face et côte à côte ; c’est dire si on en a passé des jours ensemble !

    Des jours heureux, d’autres moins, des heures inoubliables, des heures d’espoir, de crainte, de doute et d’euphorie, bref une vie de couple dans tous ses états avec des hauts et des bas et des sens dessus-dessous ! Mis à part les petits moments cette fois sans dessus, ou encore sans dessous réservés à la vie privée de tous les couples, on s’accroche, on se décroche, on s’anicroche, on se reproche et on se rapproche, voilà, grosso modo, comment nous fonctionnons, mon mari et moi. Et cela marche ! Pas forcément toujours et pas obligatoirement pour tout le monde, mais nous ne sommes sûrement pas une exception, loin de là !

    Aux yeux de la nouvelle génération, celle-ci évoluant à une vitesse vertigineuse dans un monde de découvertes et de changements incessants dans tous les domaines possibles et inimaginables, il est bien possible que nous soyons devenus, passés cinquante ans de mariage et malgré tout le respect que nos jeunes nous montrent, un couple difficilement imaginable, une race à part, peut-être l’image qui représenterait le symbole de l’union chez les Dinosaures ?

    De nature méfiante comme ces reptiles à quatre pattes de l’ère secondaire que l’on croyait complètement disparus, nous avançons à pas lents vers un monde qui nous fascine autant qu’il dérange nos vieilles habitudes !

    De cette façon et grâce l’aide de notre progéniture et de notre entourage, sous le regard un peu déconcerté de nos petits-enfants face à notre grande naïveté, Steph et moi avons décidé d’un commun accord de nous lancer, d’abord à tâtons, mais avec obstination, dans le maniement de la téléphonie mobile avant d’en arriver à l’achat de notre premier ordinateur !

    Dinosaures ou pas, nous avons trouvé fabuleux de taper d’un doigt maladroit sur les touches d’un clavier azerty et de voir apparaître nos propres idées sur un écran lumineux ! Et foi de Dinosaure, il y a même un petit côté jouissif d’être considérés comme une espèce rare aux yeux des nôtres ! Je tape, et retape, efface et recommence, sous l’œil, plus affûté que le mien, de mon Dino-maître qui a bien potassé le bouquin pour les Nuls offert par notre chère descendance…

    Pas peu fiers de nos progrès, nous commençons même à jongler entre tablettes tactiles et mots inconnus tels que I phone, I pad, le plus terrifiant étant pour moi WhatsApp sur Smartphone ! Lorsque je découvre mon visage, sur la vidéo, en haut de l’écran, les malicieuses ridules qui parcheminent l’épiderme de toute grand-mère qui s’achemine vers ses quatre-vingts ans et bientôt plus semblent se transformer en une véritable météorite fissurée, tombée du ciel.

    Plus jamais ça, je crie, c’est Hulk en pire !

    Mais non, pas du tout ! C’est bien de se voir, affirme une voix lointaine qui ne doit pas se rendre compte dans quel état je suis.

    Curieusement, au bout d’un moment de bavardage avec mes interlocuteurs, j’ai l’impression que mes rides s’estompent ou bien est-ce la macula de l’œil qui m’offre cet avantage à titre gracieux ?

    Steph est justement en train de scruter la nature environnante avec ses jumelles.

    Et voilà à nouveau notre héron, si tu veux le voir, ne fais pas de bruit.

    Sigismond, je m’exclame sur le même ton que Pythagore a dû saluer son théorème avec son immortel : Eureka, j’ai trouvé !

    Pas si

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1