Le leurre d'une vie
Par Jacqueline Rozé
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À propos de ce livre électronique
Jacqueline Rozé
Après avoir vécu plusieurs années à Chartres, quelques autres dans le Midi, où elle a exercé l’activité de magnétiseuse, Jacqueline Rozé est venue s’installer à Nantes où elle s’est lancée dans l’écriture. Elle a ainsi publié une dizaine d’ouvrages, des livres qui racontent sa vie, des romans inspirés de situations croisées, mais aussi des romans policiers inspirés de faits réels, et un recueil de poésies. « Le Chemin magnétique autour de la Terre » est son douzième ouvrage, un travail basé sur les études du docteur Franz-Anton Mesmer, chercheur alors fort décrié à son époque.
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Aperçu du livre
Le leurre d'une vie - Jacqueline Rozé
Du même auteur :
Les marches de la sagesse - 2006, Les 2 Encres - 2015, BoD
La mal venue - 2006, Les 2 Encres
L’ingénue des Folies Siffait - 2009, Les 2 Encres
Marchands de mort - 2010, Les 2 Encres
Adieu primevères et coquelicots - 2010, Les 2 Encres
Le Ressac de la Loire (poésies) - 2011, Les 2 Encres
Le manoir de la douleur - 2011, Les 2 Encres
Les Sourires d’inconnus - 2012, Les 2 Encres
Le leurre d’une vie - 2013, Les 2 Encres - 2016, BoD
Moi, Titi, chat-guérisseur - 2015, Les 2 Encres - 2015, BoD
L’injustice que l’on souffre de la part de ses proches cause une douleur plus cruelle que le fer
Tarafa an Baki
La vie heureuse, c’est une âme libre élevée, intrépide et inébranlable
Sénèque
La vie d’un homme de bien est un combat continuel des mauvais penchants
Louis Philippe de Ségur
On n’est jamais trahi que par les siens
Bible, manuscrit du XIVe siècle
Chacun est prisonnier de sa famille, de son milieu, de son métier, de son temps
Jean d’Ormesson
Tout arrive dans la vie tôt ou tard
Proverbe yougoslave
Le destin est ce qui nous arrive au moment où on ne s’y attend pas
Tahar Ben Jelloun
Remerciements
Je dédie ce livre à ma mère qui a eu le courage de se confier à moi avant de partir. Ces quelques mots que j’ai toujours entendus « Tu es venue trop tôt ou trop tard », que voulaient-ils dire ? Toute une vie, j’ai cherché à comprendre. J’arrive bientôt à la fin de mon existence, pour enfin saisir le sens de ses paroles, en imaginant en parallèle ce qu’aurait dû être ma vie, si ma mère avait pu épouser celui qu’elle aimait et qu’elle a toujours aimé jusqu’à la fin de sa vie…
Ce livre, Le Leurre d’une Vie, est ainsi né des confidences de ma mère, il m’a été inspiré par ce qu’elle m’a confié. Certes, il s’agit d’un récit de fiction mais directement inspiré de faits réels. Certains lecteurs que je ne connais absolument pas, que je n’ai jamais rencontrés, se reconnaîtront peut-être dans la vie de Georgette et de Bernadette, car les destins, malgré leur singularité, se ressemblaient parfois, au siècle passé. Au siècle passé, tout comme de tout temps, en fait...
En effet, ce leurre dans lequel Bernadette a grandi n’a-t-il pas été celui de nombreux enfants et ne le demeure-t-il pas encore, parfois ?
Toute ma reconnaissance à tous ceux qui m’ont aidée dans mes recherches :
- La mairie de Château-Gontier
- La mairie de Pornic, l’urbanisme et tous les services annexes
- La Mairie du 13e arrondissement de Paris
- Les Archives départementales de Laval et de Pau
- L’Hôpital Bichât, à Paris
- La médiathèque principale de Nantes ainsi que les Archives Départementales
Mes remerciements également à cette brave personne de Pornic rencontrée au cours de mes recherches, ainsi qu’à Thérèse Delaforge et à Christiane Legris-Desportes.
Je n’ai trouvé que compréhension, gentillesse et aide. Merci à tous.
Sommaire
Prologue
Georgette
Bernadette
Les révélations
Lohan
Prologue
Longtemps, j’en ai voulu à ma mère.
Je lui en ai voulu longtemps, parce que je ne comprenais pas…
Je n’admettais pas qu’elle ait accepté de mener cette existence où elle était tout sauf heureuse, je ne la supportais pas soumise, courbant la tête, se laissant dominer, me laissant malmener. Je la devinais autre que la façade qu’elle nous montrait, je devinais la déchirure qu’elle tentait de cacher…
Avec toutes ses qualités, elle aurait pu – dû, pensais-je – prétendre à une autre vie.
Je lui en ai voulu de n’avoir pas été une mère plus aimante, plus protectrice envers moi. Bien sûr elle s’occupait de moi, j’étais nourrie, vêtue, scolarisée, mais où était la tendresse ? Où étaient les marques d’affection ? Où, la chaleur enveloppante d’un amour maternel ?
Pourtant, de l’amour, de la tendresse, elle était capable d’en donner. Gérard, mon petit frère, en recevait. Elle avait épousé mon père pour aimer son fils, Roger, né d’un précédent mariage. Pourquoi pas moi ? Pourquoi laissait-elle mon père me malmener, me maltraiter, comme il le faisait le plus souvent ? Pourquoi ne répondait-elle jamais aux questions que je lui posais ? Pourquoi se détournait-elle de moi quand il aurait fallu simplement m’expliquer, dire la réalité des choses ? Les enfants comprennent tout quand on les aime. Pourquoi les adultes l’oublient-ils si fréquemment ?
Souvent, seule sur ma chaise, dans un coin de la maison, je souhaitais être orpheline. Je désirais ne pas être celle que j’étais, celle qu’on ne voulait pas que je sois.
Et puis, à quatre-vingt-douze ans, ma mère m’a enfin parlé ; elle s’est enfin ouverte et confiée, elle m’a raconté sa vie, elle a répondu à mes questions, elle a effacé les zones d’ombre qui nous empêchaient de nous voir, de nous comprendre et de nous aimer.
C’était bien tard. Mais il n’est jamais vraiment trop tard pour comprendre l’autre, lui dire qu’on l’aime.
Alors j’ai compris, j’ai admis, j’ai accepté.
J’ai des regrets, certes. Tout aurait pu être tellement différent, tellement plus lumineux ! Mais, toute rancœur a disparu, mon cœur se sent plus serein et a libéré mon corps, bloqué, qui refusait d’avancer...
Et je me suis rendu compte que ma vie et celle de Georgette, ma mère, se ressemblaient beaucoup, se faisaient écho à travers le temps.
Aujourd’hui, je livre cette histoire telle qu’elle me l’a racontée, ou plus exactement telle que je l’ai recomposée au fil du temps. L’histoire de sa vie, de la mienne : la face immergée du leurre, de la douleur, mais malgré tout un hommage à sa mémoire. Elle, ma mère, celle qui s’est tue, croyant bien faire, ou ne sachant pas, tout simplement, que la vérité, loin de détruire, est une lumière qui aide à avancer.
Et, je l’avoue, cette vérité, cette histoire, j’ai besoin de me dire qu’un jour, peut-être, elles iront jusqu’à toi.
En vain, probablement, car il est bien tard, mais peu importe.
I.
Georgette
Quand Georgette, ma mère, y naît en 1913, Pornic n’est pas le joli port de plaisance de la côte de Jade que les touristes recherchent de nos jours pour y passer d’agréables moments de vacances, loin du stress quotidien. C’est une petite bourgade d’un millier d’habitants, où tout le monde connaît tout le monde et où les langues vont bon train. Un endroit rude où la vie est dure pour les petites gens qui s’usent au travail pour éloigner la misère, tenace, obstinée, toujours prête à se manifester sous une forme ou sous une autre. Certes, des baigneurs venus des villes commencent à s’y rendre régulièrement en villégiature, mais ces étrangers, comme on les appelle, ne viennent qu’aux beaux jours pour prendre leurs bains de mer. Bourgeois et aristocrates, hommes en passe de devenir célèbres – Lénine, Proust – affluent alors, les cabines à roulettes devenant visions familières. Mais la population locale ne profite pas encore vraiment de l’activité ainsi générée par le développement balnéaire, même si elle fait le bonheur des saisonniers et de certains commerçants. Loueurs, restaurateurs et femmes de marins qui poussent leur baladeuse pour vendre poissons et pommes de terre sont contents de l’aubaine, après les crises successives de la pêche sardinière. Cependant, bon nombre d’habitants restent touchés de plein fouet par la crise économique, et ce, chaque jour que Dieu fait.
La France vient d’instaurer un service militaire de trois ans, l’incertitude règne en Europe, les tensions sont vives et la guerre approche même si, chacun se cantonnant à sa vie laborieuse, personne alors ne l’imagine si proche… Georgette, moins que quiconque, bien sûr, nouvelle née ignorant encore tout de la vie, de la petite et de la grande histoire.
Il y a déjà deux enfants dans cette modeste famille de bons chrétiens qui vit en travaillant beaucoup, en parlant peu, juste ce qu’il faut, en rendant souvent service aux autres, parce que l’entraide ne doit pas se refuser : aujourd’hui moi, demain toi, peut-être. On n’est jamais à l’abri d’un malheur, d’une misère, d’une maladie, et chacun y songe souvent.
Ma mère vient au monde en été, le 15 août exactement, le jour de la célébration de la gloire de Marie au terme de sa vie terrestre. C’est quand même beau, non, de naître quand l’on fête l’Assomption, c’est un peu comme une promesse que la vie vous fait. Enfin, c’est ce que je me dis. D’autres pourront me rétorquer que le 15 août, c’est seulement, dans le calendrier républicain français, le vingt-huitième jour du mois de thermidor et la fête du lupin. Mais peu importe, car associer la naissance de ma mère à cette fleur me paraît très juste aussi. Le lupin a de multiples facettes, il est beau, multicolore, il est grand, noble, il peut nourrir mais parfois, il s’avère également toxique. Il en existe des variétés douces, d’autres amères. Et il me faut bien le reconnaître, longtemps j’en ai voulu à ma mère, douce avec mon frère, dure avec moi, semant dans ma conscience les graines qui empoisonneront toute ma vie, détruiront ma confiance en moi.
Deux jours après la naissance, c’est le baptême. En ces temps, la vie des nourrissons était souvent de courte durée, il valait mieux leur garantir rapidement la vie éternelle.
Ô ce n’est pas une grande cérémonie, bien sûr, Jeanne, juste accouchée, n’est pas au meilleur de sa forme, mais la famille est fière de présenter le bébé à monsieur le curé. Dans la belle église Saint-Gilles dressée majestueusement face au port et à l’hospice, ils sont tous là, à écouter le son de ses trois cloches : Jules, le père, grand et bel homme à la moustache fournie ; Jules, le fils, frère de Georgette, presque un homme déjà à douze ans ; Gabrielle, petite fille chétive de dix ans qui, quelques années plus tard, prendra une grande place dans la vie de ma mère, l’élevant en partie. Mais là, je vais trop vite… Pour en revenir à ce jour du 17 août, engoncé dans ses vêtements du dimanche revêtus pour l’occasion, redressant la tête pour mieux faire sentir son importance, Jules est fier : le parrain de cette petite sœur qui vient de naître, c’est lui ! Tante Marie, la sœur du père, est venue pour l’occasion de Sainte-Marie-sur-Mer. Cinq kilomètres, ce n’est pas si loin que ça, mais il a quand même fallu bien marcher la veille, et une nouvelle bonne marche l’attend le soir. Pas d’époux pour l’accompagner, Jeanne et Gaston le déplorent souvent : Marie est restée vieille fille, sacrifiée à la famille. De toute façon, Marie s’en moque,