Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Du Carmel au bordel
Du Carmel au bordel
Du Carmel au bordel
Livre électronique249 pages4 heures

Du Carmel au bordel

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Née dans la mouvance de la terrible crise de 1929, Thérèse Deschambault sera élevée comme toutes les jeunes filles de son époque. Déterminée à faire le bien et sauver le plus d’enfants possible, elle se fait carmélite, puis sœur grise, pour enfin défroquer et fonder un foyer. Au sortir d’un mariage malheureux, elle connaîtra cinquante-six métiers et cinquante-six misères, puis deviendra éventuellement hôtesse de l’air. Vive, curieuse, elle n’échappera pas au vent de libération qui soufflait sur les années 1960 et 1970 et deviendra adepte de l’échangisme. Exit Sainte-Thérèse, place au plaisir! Mais tout ne fut pas si simple pour cette femme débordante d’énergie qui élèvera souvent seule ses deux enfants, un garçon et une fille, en travaillant jour et nuit pour s’assurer qu’ils ne manquaient de rien. Elle-même artiste peintre, elle continue encore aujourd’hui d’aider les artistes à la tête du Club des arts de Montréal (The Arts Club) et compte aussi à son actif deux commentaires : Mon fils est mort du SIDA et Les dernières violences. Dans Mon fils est mort du SIDA, elle décrit le lent dépérissement de son fils adoré, atteint du VIH. Puis témoin d’un épisode de maltraitance envers sa mère dans un CHSLD, révolté, elle tourne un documentaire sur le sujet Les dernières violences.
LangueFrançais
ÉditeurClermont
Date de sortie16 oct. 2012
ISBN9782923899053
Du Carmel au bordel

Lié à Du Carmel au bordel

Livres électroniques liés

Biographique/Autofiction pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Du Carmel au bordel

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Du Carmel au bordel - Deschambault Thérèse

    Thérèse Deschambault

    Du Carmel au bordel

    Éditeur

    Clermont Éditeur

    230 Elizabeth, Rosemère (Québec) Canada J7A 2L4

    Téléphone : 514 802-7710

    Courriel : info@clermontediteur.ca

    www.clermontediteur.ca

    Dépôt légal : 3e trimestre 2012

    Bibliothèque nationale du Québec

    Bibliothèque nationale du Canada

    Distribué au Canada par Distribution Prologue

    www.prologue.ca

    ISBN : 978-2-89719-016-3

    Photo couverture : Veer

    Conception et mise en page : Cindy Bégin

    Conversion au format ePub : www.studioc1c4.com

    © Clermont Éditeur 2012

    © Thérèse Deschambault. Ottawa 1985

    Toute reproduction de quelque nature que ce soit est interdite sans le consentement écrit de l’auteur et de l’éditeur

    Les droits de reproduction sous forme de livre sont réservés par licence exclusive de 1349491 Canada limitée 1985

    À une femme formidable, Pat, mon amie et à mes deux enfants, ma douce Manon et mon révolutionnaire Michel (aujourd’hui décédé de cet épouvantable fléau nommé SIDA).

    INTRODUCTION

    « Un soir, enfin, j’ai laissé éclater sur le papier ce qui hurlait en moi depuis des années, comment je me suis sortie de ma vie de femme atrophiée… Comment j’ai secoué mes ailes, que j’ai découvertes plus fortes et plus longues que je le croyais… Comment je me suis libérée du poids d’un mariage raté… Et comment, même en y laissant des plumes, j’ai atteint une certaine paix intérieure et un bonheur plus humain ! »

    Thérèse Deschambault ex. sœur Sainte-Thérèse

    Née dans la mouvance de la terrible crise de 1929, Thérèse Deschambault sera élevée comme toutes les jeunes filles de son époque. Déterminée à faire le bien et sauver le plus d’enfants possible, elle se fait carmélite, puis sœur grise, pour enfin défroquer et fonder un foyer. Au sortir d’un mariage malheureux, elle connaîtra cinquante-six métiers et cinquante-six misères, puis deviendra éventuellement hôtesse de l’air. Vive, curieuse, elle n’échappa pas au vent de libération qui soufflait sur les années 1960 et 1970 et deviendra adepte de l’échangisme. Exit Sainte-Thérèse, place au plaisir ! Mais tout ne fut pas si simple pour cette femme débordante d’énergie qui éleva souvent seule ses deux enfants, un garçon et une fille, en travaillant jour et nuit pour s’assurer qu’ils ne manquaient de rien. Elle-même artiste peintre, elle continue encore aujourd’hui d’aider les artistes à la tête du Club des arts de Montréal (The Arts Club) et compte aussi à son actif deux documentaires : Mon fils est mort du SIDA et Les dernières violences. Dans Mon fils est mort du SIDA, elle décrit le lent dépérissement de son fils adoré, atteint du VIH. Puis témoin d’un épisode de maltraitance envers sa mère dans un CHSLD, révoltée, elle tourne un documentaire sur le sujet Les dernières violences.

    1.

    IL FALLAIT ABSOLUMENT QUE JE L’ÉCRIVE, CE LIVRE !

    ll y a deux ans, une de mes meilleures amies m’a confié qu’elle avait décidé de se faire ligaturer les trompes. Juste à voir dans ses yeux autant de désespoir que de résignation, j’ai tout de suite compris que cette décision n’était pas la sienne, mais celle de son cher mari. Et puis, je la connaissais bien, cette femme de 33 ans. Elle avait déjà un enfant de cinq ans, qu’elle adorait, et elle rêvait depuis toujours d’en avoir, d’en élever et d’en aimer au moins deux ou trois. Or, son mari, lui, n’en voulait plus. En fait, il n’en a jamais vraiment voulu, des enfants ; c’est donc Monsieur avec un grand M (comme dans emmerdeur) s’il vous plaît, qui a décidé du sort du corps de sa femme !

    J’étais hors de moi quand elle m’a appris cette nouvelle !

    — Je le sais que vous n’avez pas beaucoup d’argent, lui ai-je dit, alors. Mais tout de même, il charrie, ton mari ! S’il ne veut pas que vous ayez d’autres enfants, qu’il te fasse poser un stérilet ou qu’il te fasse lui-même avaler la pilule tous les soirs. Mais te fermer le ventre à jamais, contre ton gré ? C’est à toi, ce corps-là, ma chouette. Réagis. Dis non, bonté divine !

    — Je n’ose pas dire non, Thérèse. Après tout, c’est mon mari.

    Ouais, c’était vrai, ça. Et puis, je savais aussi qu’elle préférait plier sous un homme que de ne pas en avoir un, mari. Naturellement, dans ces cas-là…

    Eh bien, moi, ça n’a pas été mon cas. Du moins, moi, j’ai réagi. Moi aussi, j’avais un mari qui ne voulait pas d’enfants, mais je ne l’ai pas laissé gagner. Sur les quatre enfants que j’aurais voulus, je m’en suis au moins fait faire deux. Heureusement que j’ai agi ainsi, car maintenant je suis seule, sans ce mari qui ne voulait rien de la vie.

    Ainsi, quand cette amie m’a annoncé cette nouvelle, cela a fait déborder le vase ! Le soir même, dans mon lit, j’ai commencé à dire à mon magnétophone tout ce que j’avais envie de hurler depuis des années. Soudain, j’avais un besoin fou d’éclater, mais d’éclater en public.

    Il faut que je l’écrive, ce que j’ai vécu, moi ! Il faut que j’écrive comment je me suis sortie de ma vie de petite Québécoise atrophiée, mariée par tradition avec un de ces nombreux mâles québécois bourrés de tabous, de principes aveugles et coincés jusqu’aux oreilles.

    Il faut que je crie ce que je pense de ce mâle, à nous, les Québécoises ! Ce mâle qui prend sa femme pour une bonne gratuite, cet éternel enfant qui voit en sa femme, sa mère, celle-ci l’ayant toujours nourri, blanchi, écouté, dorloté, enduré, servi ! Tout cela sans dire un mot, avec dans les yeux, une admiration sans borne pour cet homme en puissance qu’elle a mis au monde dans la douleur.

    Il faut que je prouve aux femmes, et surtout à celles qui restent dominées par leur mari, comme mon amie, qu’il est possible pour la femme québécoise, et pour la femme en général, de se réveiller, de secouer ses ailes, qu’on a longues et fortes, croyez-moi, et de s’envoler un jour, chacune à son moment.

    Besoin de s’envoler vers soi-même pour commencer, puis vers les autres, vers les êtres humains qui sont libres ou libérés. Ça, c’est le bonheur. Un bonheur humain, certes, un bonheur fait d’aussi grandes tristesses que de grandes joies, un bonheur envahi de déceptions comme de satisfactions, un bonheur autant rempli d’obstacles que de succès.

    Mais un vrai bonheur humain quand même, tel que je le vis désormais. Souvent seule, mais bien dans ma peau de femme libérée !

    Et surtout, libre désormais de recommencer une vie à deux, mais avec un homme que j’aurai choisi, avec les yeux ouverts, des yeux plus mûrs, tout comme lui fera ce choix envers moi. Toutefois, je dois vous dire, malgré cette expérience qui m’a laissé un goût amer, que les hommes, je les aime et que je croirai toujours profondément que la femme et l’homme sont faits par la nature pour vivre ensemble, à deux.

    Mon expérience passée m’a coûté des plumes, j’ai même le bord des ailes qui repousse difficilement par endroits après les coups et les morsures qu’elles ont dû subir, les pauvres !

    Mais ça ne fait rien. J’ai un instinct de conservation plus fort que tout et je suis bien vivante, foncièrement heureuse.

    C’est ça qui compte et c’est ce que je viens ici partager avec vous.

    Le bonheur, certainement, j’y crois !

    2.

    QUELQUES BRANCHES GÉNÉALOGIQUES

    Mon père, un p’tit gars des Laurentides, était l’aîné de cinq enfants, tous bien élevés à Saint-Jérôme par des parents très bourgeois, sans histoire et plutôt du genre snob, surtout sa mère.

    Ma grand-mère paternelle était par ailleurs une femme en or et au tablier bien empesé, comme uniforme. Cette dame aurait bien voulu évoluer dans le bon sens, mais elle n’avait pas compris que pour y arriver, il aurait peut-être fallu qu’elle ne se marie pas, ou du moins, qu’elle n’épouse pas un bon gars. Or, c’est ce qu’elle a fait, comme ça se faisait à l’époque « parce qu’il fallait bien se marier, n’est-ce pas ? » Alors, tant qu’à faire, aussi bien marier un bon gars !

    Quant à ce bon gars, mon grand-père paternel, je suppose que si on oublie qu’il se paquetait la fraise à chaque occasion qui se présentait, et que dans ces moments-là, il bousculait un petit brin sa femme en rentrant à quatre pattes à toutes sortes d’heures de l’après-midi ou de la nuit, ou encore qu’il la poursuivait dans la maison, carabine en main, histoire de se confirmer sa virilité, j’imagine alors, je suppose qu’on peut dire que c’était un bon gars ! Après tout, il n’était pas courailleux, puisqu’il rentrait à la maison tous les soirs que le bon Dieu amenait, quel que soit son état et mieux encore, souvent il se paquetait à maison et non pas à taverne Ce qui, d’après ma grand-mère, était quand même bon signe. Il nourrissait bien sa famille ; il habillait les enfants, les envoyait à l’école ; et puis il n’avait jamais volé ni tué personne. De plus, il fumait la pipe. Ne personnifiait-il donc pas la perfection sur deux pattes, non ? Pour ma part, avec sa pipe et son nez proéminent, sa grosse moustache et son crachoir à côté de son fauteuil, je garde le souvenir d’un ben bon grand-père… que je craignais un peu, parce qu’il m’impressionnait !

    Ma mère, elle, était une fille de la ville, du macadam, comme disent les Français, élevée dans le coin de la rue Beaubien et de la rue Saint-Hubert. Ses parents étaient des gens pauvres, mais corrects.

    Je crois que, petite et jeune fille, ma mère n’a jamais vu sa propre mère autrement qu’en famille, étant elle-même la cinquième enfant d’une litée de dix-sept (une prolificité qui convient davantage aux rongeurs qu’aux humains), dont plusieurs sont morts à la naissance ou dans les mois suivants. Ma grand-mère pensait que si le curé de la paroisse ne la voyait pas enceinte, elle n’aurait pas l’absolution. À cette époque, on devait avoir des enfants par devoir, dixit les curés, sauf qu’eux, ils n’en avaient pas ! Si vous n’en aviez pas, vous étiez excommunié. Big fucking deal ! Excommunié, ça voulait dire que vous ne pouviez plus aller à la messe ni aller communier…

    Mon grand-père maternel, lui, était pompier. Entre deux feux, il venait faire des enfants à ma grand-mère. Au début de leur mariage, il avait voulu aller travailler aux États, comme beaucoup de monde d’ailleurs. Le jour, il travaillait dans une manufacture de rouleaux de fils de Nassau, Massachusetts, non loin de là, alors que ma grand-mère, elle, crevait de froid dans une cabane. L’hiver, pour réchauffer son dernier-né, elle faisait chauffer le poêle, ouvrait la porte du fourneau et le mettait dessus pour qu’il sente un peu d’air chaud. Ce pauvre petit est quand même mort d’une mastoïdite à l’âge de six mois.

    C’est Annette, l’aînée (ma tante), qui a donc élevé la famille, sa mère étant toujours soit fatiguée par une grossesse, soit se préparant à accoucher, ou alors occupée à s’en remettre. Comme les onze autres qui ont survécu, ma mère n’a par conséquent pas été gâtée, côté affection.

    3.

    YVETTE ET LIONEL

    Yvette, ma mère, était une jeune fille simple, renfermée par la force des choses, mais très intelligente ; elle aimait les études et s’y appliquait. Toutefois, elle n’a pas pu aller plus loin que sa neuvième année, car il lui fallait aider la famille. Elle s’est donc trouvée une job comme chocolatière chez Laura Secord où, à chaque occasion qui se présentait, elle remplissait les énormes poches de son grand tablier, de retailles de chocolat pour en gaver les jeunes, le soir, à la maison. Puis, ne tenant pas à se figer pour la vie dans le chocolat, elle s’est trouvée un emploi à la compagnie Bell, une belle job de prestige, à l’époque, et pour elle, l’affaire était chocolat !

    Toutefois, elle en a bientôt eu assez d’être obligée de monter sur un tabouret à tout bout de champ pour aller plugger ses lignes. C’était-tu ça, aller plus haut ? Ambitieuse, elle s’est inscrite à l’école de télégraphie sans fil. C’est là qu’elle rencontra son mari.

    Lionel, lui, était beau, mais, comme disait elle-même sa mère, il n’avait donc pas de talent ! Ma mère dit qu’elle est généreuse lorsqu’elle raconte que mon père a fini sa sixième année. Quant aux leçons de piano que ma grand-mère lui a fait prendre, il paraît que ce n’était pas riche, et que ça n’a pas duré très longtemps.

    Toutefois, comme son père, c’était un bon gars, sauf que lui ne buvait pas. Peut-être que s’il avait eu plus de sous, il en aurait eu le courage, mais quand il a atteint l’âge de commencer à se saouler, en 1929, c’était la grande dépression. Comme beaucoup de Canadiens et d’Américains, il n’avait pas d’emploi. Ma grand-mère a donc décidé de l’envoyer à l’école de télégraphie sans fil, sans nourrir un grand espoir de le voir réussir là plus qu’ailleurs.

    C’est là qu’il fit la rencontre de sa future. (Et que ma grand-mère a eu la surprise de sa vie ! Son sans-talent a suivi tous les cours et s’est ensuite trouvé une belle job pour le CPR. Elle a trippé, ma grand-mère ! Là, elle était fière de son aîné… enfin !)

    Yvette étant la seule jeune fille dans le cours à l’école de télégraphie sans fil, personne ne s’étonnera qu’après quelques leçons, elle se soit fait faire la cour par les étudiants de sa classe, Lionel inclus, quoique des yeux et du sourire seulement ; ils ne s’étaient pas encore adressé la parole, à part les banalités habituelles.

    Puis, un soir, Yvette en allant prendre les tramways, a vu un gentil monsieur courir clopin-clopant, après le même tramway. Réussissant à l’attraper, il est embarqué, l’a regardée et lui a demandé :

    — Est-ce que je peux aller vous reconduire chez vous ?

    — Si vous voulez, répondit timidement Yvette.

    — Mon nom est Lionel Deschambault. Et vous ?

    — Moi, je m’appelle Yvette Gervais.

    — Et que faites-vous à l’école de télégraphie ? Moi, je voulais améliorer mon sort. Est-ce que je pourrais vous inviter pour le bal des étudiants samedi prochain ?

    — Ah, je ne sais pas. Est-ce qu’il faut être en robe longue ?

    — Je crois que oui, car il faut que moi je porte un tuxedo.

    — Ah, vous voulez dire un coat à queue !

    — Euh, bien, oui.

    — Alors, je vais me faire une robe longue pour samedi.

    Il faut voir les deux photos souvenirs de la première date de mes parents ! Lionel était tout à fait à la mode avec ses cheveux séparés dans le milieu et des petites frisettes sur les côtés. Quant à Yvette, une de ses sœurs étant coiffeuse, elle lui avait fait une marcelle, le tout dernier cri en matière de coiffure féminine. Les cheveux longs étaient tirés en petit chignon par en arrière, avec plein de vagues sur les côtés, grâce au fer à friser. C’était joli, et toutes les filles de l’époque se ressemblaient.

    C’était la première fois qu’un garçon invitait Yvette à sortir. Elle avait 25 ans et n’en a pas dormi de la nuit, imaginez, son premier bal, son premier chum !

    Pour Lionel aussi, c’était une première, sa première blonde. Toutefois, lui n’avait que 24 ans.

    Après cinq ans de fréquentations et pour tout contact, quelques baisers quand ça adonnait, c’est-à-dire quand tout le monde jouait aux cartes dans la cuisine. Yvette entendait Lionel pianoter au salon. C’était le code lui enjoignant d’aller le rejoindre. Lionel se décida enfin à faire la grande demande, soit la main d’Yvette, au grand bonheur de celle-ci, qui était toute fière de pouvoir se marier, malgré ses pieds qu’elle trouvait affreusement grands et ses seins qu’elle trouvait trop plats.

    Ma mère parle encore de son voyage de noces de trois jours à l’hôtel Royal York de Toronto, et des passes gratuites du CPR. À son époque, pour arriver à l’extase, qu’est-ce que je raconte, pour se faire donner la claque (c’est une de mes expressions favorites), il fallait passer par l’église. On s’imaginait que d’avoir des pensées et des désirs était péché, alors, on allait à l’église et les désirs se changeaient en amour, en une élévation de l’âme ! Nos âmes s’élevaient vers le ciel, certes, mais il n’y avait pas que les âmes des gars qui pointaient à la verticale vers les horizons célestes ! Les jouissances refoulées des filles, elles, tombaient en extase, mais ce n’était pas toujours de l’extase et comme elles étaient soumises à leurs conjoints (dans certains cas, il s’agissait de cons joints), elles l’acceptaient ainsi. Que de résignation au nom de l’amour divin !

    Comment ce premier soir à Toronto s’est-il passé ? Facile à deviner et pas besoin de commentaires. Ma mère m’a d’ailleurs confié qu’il lui a fallu avoir trois enfants avant de savoir ce que c’était que de jouir. Quant à mon père, tout ce qu’il a longtemps dit à ma mère pendant qu’ils faisaient l’amour, c’est que ça lui faisait donc mal. Ça se comprend, car il n’était pas circoncis (gland bien lui fasse !), mais nous, les enfants, on y a vu, il n’y a pas longtemps. Ce ne fut ni long, ni compliqué. Un après-midi, un de mes frères et moi on l’a emmené à l’hôpital, puis zack ! Quelques jours après, il avait retrouvé toute sa vigueur, et le plaisir en plus… même s’il dit encore en soupirant gentiment : « Ta mère n’a jamais été bien chaude » !

    4.

    UNE ENFANCE SANS TROP D’HISTOIRES

    Premier rejeton de ce couple de nouveaux mariés, installé à Lanoraie, à une trentaine de milles de Montréal, je suis née le 6 juin 1930, dans le lit de ma mère, avec l’aide d’une sage-femme et d’une paire de forceps. Toutefois, ce n’est pas la tête qui s’est présentée en premier. Imaginez que vous attendiez un bébé, le premier en plus et que ce soient les fesses qui vous apparaissent. Ma mère me raconte encore comment le médecin du coin, qu’on avait appelé était tellement énervé, à cause des fesses, je suppose, qu’il n’avait pas servi à grand-chose (je serais portée à dire, que Dieu ait son âme, que ce médecin ne valait pas le c…).

    Pour ma part, sentant déjà, juste à les entendre s’énerver autour de mon derrière, que je ne pourrais probablement pas faire ma vie avec mes fesses si on me forçait à venir au monde par là et avec leur affreux instrument, je me suis retournée et, tel n’importe quel autre bébé normal, je me suis enfin présentée à la vie, la tête la première.

    On me baptisa Thérèse, en l’honneur de Sainte-Thérèse, la sainte de l’Enfant Jésus. C’était la mode, à l’époque, de vous donner le nom d’une sainte, et par chance, celle-là venait tout juste de se décrocher une auréole. Ma mère avait une grande confiance dans les saints et en leur grâce.

    Vinrent ensuite Claude, un garçon timide et au cœur d’or, aux cheveux noirs comme le jais, qui, aimant jouer des tours, les faisait exécuter par Robert, le troisième de la famille. Celui-ci, plus effronté, se faisait un plaisir, avec ses doux yeux pers, de s’exécuter à la place de son grand frère. Puis ce fut le tour de Suzanne, teint mat, yeux noirs et cheveux bruns, le souffre-douleur de ces deux garnements, celle qu’ils avaient surnommée le paquet d’os, surnom qui provoquait sa colère ou qui l’envoyait faire du boudin dans sa chambre.

    Finalement, arriva Nicole, la cadette, le beau bébé gâté des parents et des plus vieux, quitte à ce qu’en souffre Suzanne.

    J’ai passé toute mon enfance à la campagne, d’abord à Lanoraie, où, au grand désespoir de ma mère, qui était dans l’âme une vraie fille de ville, la compagnie de mon père l’avait transféré comme aiguilleur, ou agent de station, comme on disait. Il aurait refusé qu’il se serait retrouvé sans job (et pauvre comme Job) et il a donc obtempéré, puis ce fut le transfert à Piedmont, dans les Laurentides, où la famille a déménagé alors que j’avais deux ans et demi, mon père y ayant été nommé chef de gare. C’est là que j’ai vécu jusqu’à l’âge de douze ans.

    Mes frères, mes sœurs et moi avons été élevés à la québécoise, c’est-à-dire du mieux que mes parents pouvaient le faire, les pauvres ! Malgré le fait qu’on sentait qu’ils s’aimaient beaucoup, leur vie n’a pas été facile. Mon père travaillait de longues heures à la gare ; mais pour gagner plus de sous afin de nourrir toutes les bouches, il avait plein de jobs (boulots) on the side, avant ou après ses heures de travail régulières. En fait, avec cinq enfants, mon père trouvait la tâche de plus en plus lourde, surtout que lui, il n’en avait jamais voulu autant, des enfants. Comme tout le monde, à cette époque, mes parents suivaient la méthode Ogino-Knaus, la seule acceptée par l’Église catholique pour éviter la famille. Ainsi, avec le temps, mon père est devenu de plus en plus impatient ; il s’est mis à blasphémer de plus en plus, pour tout et pour rien ; et

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1