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La Porte de la mer: Roman initiatique dans une Algérie déchirée
La Porte de la mer: Roman initiatique dans une Algérie déchirée
La Porte de la mer: Roman initiatique dans une Algérie déchirée
Livre électronique137 pages1 heure

La Porte de la mer: Roman initiatique dans une Algérie déchirée

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À propos de ce livre électronique

Forcée à grandir trop vite, Amina lutte pour sa survie et celle de ses deux frères

À la mort de sa mère, la jeune Amina devient responsable de l’éducation de ses deux petits frères. Confrontée à des choix cruciaux dans une Algérie qu’elle aime profondément mais dont l’évolution l’attriste, elle va voir son destin inextricablement lié à celui de sa ville, Alger.

Dans le milieu de la nuit où elle choisit de faire ses premiers pas d’adulte, comme dans un miroir grossissant, elle découvre une image du monde et d’elle-même dans laquelle tous les traits sont exacerbés.
La Porte de la mer nous plonge dans le quotidien d’une société dont les rouages sont parfois défaillants. Bien que gangrénée par de nombreux maux et soumise à un silence assourdissant, l’Algérie et ses paysages majestueux forment le décor d’un théâtre d’ombres où les hommes et les femmes s’aiment et s’affrontent.

À travers l’histoire d’Amina, c’est un véritable parcours initiatique que nous propose Youcef Zirem. Parfois douloureux, souvent touchant, mais toujours juste.

EXTRAIT

Pendant dix jours, je restai cloîtrée à la maison. Je faisais la cuisine et méditais. Je revoyais ma vie d’avant et je pensais à ma mère. De là où elle se trouvait, elle m’observait certainement. Que se disait-elle ? De là où son âme se reposait désormais, essayait-elle de m’aider ? Pouvait-elle faire quelque chose pour me tirer de là ? Elle était partie trois années auparavant ; au terme de longues souffrances, le cancer avait eu raison d’elle. Maman avait essayé de se battre contre ce terrible mal, mais c’était peine perdue. On n’avait pas décelé la maladie à temps, expliquaient les médecins. Mon père l’avait soutenue ; il l’avait beaucoup aimée durant leurs premières années de mariage, et la maladie avait fait resurgir chez lui les sentiments d’autrefois. Mon père avait promis à ma mère de prendre soin de ses trois enfants. Il le lui avait juré plusieurs fois à l’hôpital.
C’était peut-être la mort prématurée de ma mère qui avait poussé mon père à se réfugier dans la religion et, plus tard, à n’accorder de l’importance qu’à la parole de Dieu, sans voir les réalités qui l’entouraient, sans se rendre compte de l’hérésie qui s’emparait de lui.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- « Zirem trempe avec courage sa plume dans le sang frelaté d’une nation qu’il ne sait plus comment aimer ni défendre. Simplement percutant. » - Pierre Vavasseur, Le Parisien
- « Avec un style d’une simplicité et d’une justesse déconcertante, Youcef Zirem porte un regard implacable sur les ressorts cassés de la société… » - Hamid Arab, Le Matin
- « La trajectoire contrariée vers la liberté d’une femme puissante dans une Algérie où la justice a cédé le pas au sein des instances dirigeantes au clientélisme -sinon au cynisme pur et simple. » - François Perrin, Focus Le Vif

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une carrière d’ingénieur d’État en pétrole, Youcef Zirem a démissionné du secteur industriel pour devenir journaliste à Alger après les tragiques événements d’octobre 1988. Durant près de 15 ans, il a fait partie d’une dizaine de rédactions dans la capitale algérienne dont La Nation, La Tribune, Le Quotidien d’Algérie... Son premier livre, Les Enfants du brouillard, est paru à Paris au mois de novembre 1995. Depuis, il a publié une dizaine de titres. Vivant à Paris depuis plus de dix ans, il anime l’émission littéraire « Graffiti, littératures du monde », sur BRTV.
LangueFrançais
ÉditeurIntervalles
Date de sortie9 juin 2017
ISBN9782369561514
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    Aperçu du livre

    La Porte de la mer - Youcef Zirem

    l’intranquillité

    Première halte

    L’irrésistible attrait de la lumière

    Et tes nuits ne sont plus qu’un espace violé que

    se disputent éclairs de balles et éclats de sabre.

    Makhlouf Bouaich, Élégies amères

    1.

    Je n’avais pas vraiment le moral, ce matin-là. Il faisait pourtant un soleil éclatant. Je m’étais levée de bonne heure ; je ne voulais pas rater ce nouveau rendez-vous car nous étions vraiment dans le besoin. Mes deux frères manquaient de tout, personne ne regardait plus dans notre direction, nous étions devenus des pestiférés. Après deux heures de marche ininterrompue, j’arrivai à la lisière de la forêt. La petite cabane au pied du massif forestier était presque invisible. De loin, elle se confondait avec le maquis. Constitué principalement de cistes, de petits chênes verts et de ronces épaisses, le buisson n’avait cessé de prendre de l’ampleur depuis que les habitants de la région avaient déserté les lieux. Ils avaient abandonné les modestes villages qui les avaient vus naître, ils s’étaient séparés, dans la douleur, des étendues magiques de leur enfance. Avec regret, ils étaient partis se réfugier ailleurs. À l’entrée de la ville voisine, ils étaient désormais acculés à survivre dans des taudis de fortune, construits à la va-vite avec les moyens du bord. Ils étaient ainsi contraints de propager la ceinture de bidonvilles qui entourait la vieille cité. Dans des abris en bois et en carton, ils attendaient la fin de la tourmente. Mais leur attente était interminable.

    Les agréables senteurs printanières m’avaient aidée à supporter le trajet. Avec toute la force dont j’étais encore capable, je frappai à la porte de la cabane, déglinguée et jaunie par le temps. Aussitôt, mon père me prit la main et me poussa furtivement dans la maisonnette obscure. Cette fois, aucun de ses compagnons n’était avec lui. Sans me demander de nouvelles de la famille, il commença à m’embrasser sur la bouche. J’étais étonnée, mais je me laissai faire. Puis, il m’enlaça fortement. Il avait une grosse barbe qui me piquait le menton, il dégageait une odeur nauséabonde. Mon père ne s’était pas douché depuis de longs mois, lui qui, autrefois, était un maniaque de la propreté. Lorsque j’essayai de me dégager de son étreinte, il s’écria : « Non, n’aie pas peur, mon enfant, je ne vais pas te faire de mal ! »

    Doucement, il se mit alors à me palper les seins. J’éprouvai une sensation étrange, je n’avais pas encore dix-huit ans et aucun homme, auparavant, n’avait touché ces parties de mon corps. En un rien de temps, mon père réussit à me déshabiller. J’étais presque hypnotisée et ne lui opposai aucune résistance. Il avait également enlevé son kamis et son pantalon et me poussait, maintenant, au coin de la cabane où se trouvait un amas de foin. Sans difficulté, il me fit allonger sur l’herbe sèche et se retrouva sur moi. Au bout de quelques minutes, il poussa un affreux cri de jouissance et je sentis couler le sang dégagé par mon hymen. Mon père s’était relevé, il avait subrepticement remis ses vêtements avant de se diriger vers l’autre côté de la cabane. Là, il prit sa kalachnikov et sortit. Sans dire un mot. C’était la cinquième fois que je venais le voir dans cet endroit isolé. D’habitude, il était toujours avec d’autres barbus, des membres de son groupe armé. Il était l’émir, ses amis se tenaient à l’écart ; il me demandait des nouvelles de la famille et parfois me donnait de l’argent. Mon père était le chef de la rébellion islamiste dans une grande partie du centre du pays. Il était craint et jouissait d’une autorité sacrée. Au maquis, il avait interdit les médias : pas de journaux, pas de radio, pas de télévision. Il imposait sa loi et n’en faisait qu’à sa tête. Quand il voulait supprimer un rival qui commençait à avoir de l’ascendant sur les autres combattants, il faisait circuler la rumeur que le type en question était un agent des renseignements, avant de le liquider. Il était impitoyable. Austère et imprévisible, mon père ne tolérait pas de femmes parmi son équipée de barbus sanguinaires.

    Je restais complètement nue près de deux heures. Ou peut-être plus. Mon cerveau était comme bloqué. J’étais seule, indécise et perdue. Finalement, je pris le chemin du retour, je n’avais pas d’autre choix. Depuis la mort de ma mère, j’étais responsable de mes deux frères. J’étais leur unique protectrice. Menach et Juba avaient besoin de moi ; au plus fort de ma détresse, cela, je ne l’avais pas oublié.

    2.

    Pendant dix jours, je restai cloîtrée à la maison. Je faisais la cuisine et méditais. Je revoyais ma vie d’avant et je pensais à ma mère. De là où elle se trouvait, elle m’observait certainement. Que se disait-elle ? De là où son âme se reposait désormais, essayait-elle de m’aider ? Pouvait-elle faire quelque chose pour me tirer de là ? Elle était partie trois années auparavant ; au terme de longues souffrances, le cancer avait eu raison d’elle. Maman avait essayé de se battre contre ce terrible mal, mais c’était peine perdue. On n’avait pas décelé la maladie à temps, expliquaient les médecins. Mon père l’avait soutenue ; il l’avait beaucoup aimée durant leurs premières années de mariage, et la maladie avait fait resurgir chez lui les sentiments d’autrefois. Mon père avait promis à ma mère de prendre soin de ses trois enfants. Il le lui avait juré plusieurs fois à l’hôpital.

    C’était peut-être la mort prématurée de ma mère qui avait poussé mon père à se réfugier dans la religion et, plus tard, à n’accorder de l’importance qu’à la parole de Dieu, sans voir les réalités qui l’entouraient, sans se rendre compte de l’hérésie qui s’emparait de lui.

    Mon père avait peiné à obtenir la main de ma mère malgré les réticences de mes grands-parents maternels. La situation s’était arrangée grâce à l’entêtement de ma mère, qui avait menacé de se suicider si elle n’épousait pas ce garçon qui n’était pourtant pas riche, mais qui avait fait des études et qui avait reçu une bonne éducation. Mon père lui envoyait des poèmes qu’elle conservait avec fierté. Sur les dalles de ciment de la fontaine du village, elle montrait parfois certains de ces mots doux à ses confidentes. La fontaine du village était un territoire libre pour les femmes ; c’était leur oasis, peut-être l’unique.

    Au village, nous avions vécu des années d’harmonie et de bonheur malgré les moyens dérisoires dont nous disposions. Mes frères n’étaient pas encore nés, j’étais encore l’unique enfant de mes parents, j’étais gâtée, mais c’était une chance toute relative. Le pays entier vivait surtout dans l’espoir des jours à venir, dans l’espoir de faire changer les choses, de voir cette pauvreté disparaître. On se contentait de la solidarité des uns envers les autres, on s’accrochait aux valeurs kabyles qui, à nos yeux, offraient une solution à tout. Au village, on ne prévoyait même pas d’emprisonnement pour ceux qui commettaient des fautes ; on se contentait de mettre le fautif en quarantaine. Mais, dans ces cas-là, la quarantaine était plus difficile à supporter que la prison.

    Grâce aux connaissances de mon père, je commençai mon instruction à l’école primaire du village à l’âge de cinq ans ; les autres enfants n’étaient admis qu’à l’âge de six ans. Tout de suite, j’obtins de bons résultats ; ma mère resplendissait de fierté en parlant de moi à la fontaine du village, ou dans les fêtes que les habitants de la région organisaient, pour une raison ou une autre. C’était une époque bénie. Mais cela ne tarda pas à changer après notre installation en ville. Tanina, ma douce mère, avait refusé durant une décennie de quitter les montagnes de ses ancêtres avant d’accepter d’accompagner son mari dans cette ville qu’elle n’avait jamais pu supporter. Elle avait toujours préféré son petit village perché sur les crêtes du Djurdjura. Maman était simple et détestait les complications de la vie citadine.

    La venue au monde de Menach et Juba, mes deux frères, diminua considérablement le chagrin de ma mère. Nous formions alors une petite famille qui s’acclimatait progressivement à l’ambiance et aux traditions de la ville. Nous voulions recréer l’atmosphère de la montagne et, parfois, nous réussissions. La maladie de ma mère gâcha tout et sa disparition nous plongea en enfer. Mon père devint solitaire. Il donnait ses cours au collège, revenait manger à la maison sans faire la moindre remarque sur les plats que je lui préparais et lisait le Coran. Seule la lecture du Coran l’apaisait un peu.

    Mon père ne voulait pas se remarier dans l’immédiat. À cette période, les partis politiques commençaient à éclore après la timide ouverture démocratique, consécutive à la révolte des enfants du fameux mois d’octobre. Dans la rue et même à la télévision nationale, on affirmait des choses osées, on voulait abattre l’autoritarisme qui avait prévalu jusque-là. Le rêve démocratique semblait possible.

    Au collège où il enseignait, mon père fut parmi les premiers adhérents au parti de Dieu, le nouveau Front. Tout de suite après, il devint pratiquement le chef des barbus de toute la ville ; il était instruit et avait une bonne réputation. Ma mère n’était plus là pour l’empêcher de s’enliser dans les dédales de l’obscurantisme et de l’intégrisme. Menach et Juba n’arrêtaient pas de me poser des questions, mais je ne répondais pas. Ils finirent par accepter mon silence pesant, soudain, et forcément étrange. Le programme des différentes chaînes de télévision, captées grâce à la parabole collective, firent place à nos discussions d’antan.

    — Si tu es malade, on peut te prêter de l’argent pour te soigner, me dit Juba, un jour, à son retour de l’école.

    — Non, je suis juste un peu fatiguée, ne t’inquiète pas, lui répondis-je.

    Le lendemain, je repris le chemin du lycée. Je n’eus aucun mal à convaincre l’administration de l’établissement scolaire

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