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Je veux aller dans cette île: Roman souvenirs
Je veux aller dans cette île: Roman souvenirs
Je veux aller dans cette île: Roman souvenirs
Livre électronique292 pages4 heures

Je veux aller dans cette île: Roman souvenirs

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À propos de ce livre électronique

Découvrez les épisodes dramatiques, pittoresques, ou franchement comiques, qui émaillent la rude existence des îliens.

Sur l'île de Nag'ildo, le grand-père de Ch'ôr'i lui révèle que la naissance voit les humains descendre sur Terre, puis retourner au milieu des constellations lorsqu'ils meurent. Lorsqu'il devient père à son tour, il le révèle à la petite Song'i.

Ce que Lim Chul-woo restitue ici avec une immense tendresse, c'est l'authenticité des relations humaines dans ces communautés villageoises isolées du monde moderne qui apparaît à l'évidence et nous touche infiniment.

EXTRAIT

– L’esprit descend chez une personne qui va devenir mudang fidèle… ça, je l’a déjà entendu, mais pas possible que ç’arrive chez la mère Ŏpsun. Je veux dire, qui aurait pu imaginer ça ?
– Vraiment, qualle histoire étrange ! Est-ce qu’y aurait pas déjà eu des antécédents de mudang du côté eud sa famille à elle ?
– Y a pas eu du tout ce genre d’ascendance, à ce qu’y paraît. D’après la rumeur, c’est plutôt les esprits eud sa belle-famille qui l’ont possédée, pas ceux eud sa propre famille.
– L’esprit eud sa belle-famille l’a possédée, tu dis ?
– C’est ça. Il paraît que les esprits eud feu son beau-père et eud feu sa belle-mère et, en plus, l’esprit eud feu sa belle-sœur, la jeune fille qu’est morte noyée3, ils l’ont possédée tous à la fois. Hé, paraît que c’est la mère Ŏpsun alle-même qu’alle a dit ça.
– Oh, mon Dieu ! C’est mâme pas un seul, mais trois esprits qu’ils l’ont possédée, mais ça alors, comment fare ?
– Tu parles de fare quoi, toi ! Nous, on a qu’à regarder le spectacle et à manger du gâteau eud riz, et c’est tout ! En tout cas, ce soir, la partie de kut, ça va être vraiment qualque chose ! »
Dès potron-minet, les parages du grand puits bruissaient de rumeurs. Les femmes, venues chercher de l’eau, avaient posé leurs cruches et, par petits groupes, faisaient du tapage, se racontant les unes aux autres l’histoire de la mère Ŏpsun.
C’était en effet réellement une histoire surprenante et passionnante. Dans notre village vivaient côte à côte une centaine de foyers dont les toits, semblables à des coquillages, se touchaient. Le village entier semblait être agité par la curiosité et l’attente du kut qui devait avoir lieu cette nuit-là. La grave affaire de la mère Ŏpsun semblait soudain provoquer une agitation étrange chez les habitants, qui d’ordinaire vivaient dans la lassitude et le désœuvrement.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un livre étonnant, drôle et tendre, et terriblement authentique. On a devant les yeux un village traditionnel de Corée en dehors de tout circuit touristique. L'auteur n'édulcore pas la réalité souvent difficile, mais en même temps on sent une nostalgie et un attachement à ce moment de sa vie et à cette vie ainsi qu'à ses valeurs. Et l'humour est omniprésent. L'écriture est étonnante et participe beaucoup à la réussite de l'ensemble, une grande part doit en revenir à la traductrice. Une réussite et un grand plaisir de lecture. Je ne vais pas tarder à me procurer le deuxième livre de l'auteur disponible en français. - 5Arabella, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Lim Chul-woo, né en 1954, publie sa première nouvelle, Voleur de chien en 1981 et se fait rapidement connaître grâce à de nombreuses œuvres (dont La Terre de mon père, publié en français sous le titre Terre des ancêtres chez Imago en 2012). Je veux aller dans cette île (publié en français à l'Asiathèque en 2013) lui a gagné les suffrages du public coréen et un film en a été tiré (To the Starry Island) dont il a été le coscénariste avec Lee Chang-dong et le réalisateur, Park Kwang-su. Il est l'auteur du Phare (publié en français à l'Asiathèque en 2015).
LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2018
ISBN9782360571185
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    Aperçu du livre

    Je veux aller dans cette île - Lim Chul-woo

    Prost

    titre

    Ouvrage publié avec le concours

    du Literature Translation Institute

    of Korea (LTI Korea)

    Couverture : Jean-Marc Eldin

    Photographie en couverture : © Lim Chul-woo

    Composition et mise en pages : Jean-Marc Eldin

    Titre original : Geu seom-e gago sipta (Kŭ sŏm’e kago sipta)

    Édition coréenne : © Lim Chul-woo (Im Ch’ŏr’u), 1991

    Traduction française : © L’Asiathèque, 2013

    Le prologue et le mot de l’auteur ont été adaptés dans

    la version française avec l’accord de Lim Chul-woo.

    L’Asiathèque – maison des langues du monde,

    11 cité Véron, 75018 Paris

    www.asiatheque.com

    info@asiatheque.com

    ISBN : 978-2-36057-118-5

    Avec le soutien du

    Préface

    Im Ch’ŏr’u (임철우, Lim Chul-woo) est né en 1954 à l’extrême sud-ouest de la Corée, dans l’île de Wando, aujourd’hui reliée au continent. Il est donc originaire de la région du Chŏlla, dont il est question dans ce livre, région à l’époque misérable, ruinée par la guerre, encore peuplée de maquis communistes, phénomène qui ne fera qu’accentuer le sectarisme millénariste dont elle a été la victime de la part des autres régions et des gouvernements. Il n’y a qu’un an que l’armistice a été signé, trois ans que la région voit passer et repasser les troupes ennemies, quatre ans que la guerre civile dans sa phase militaire a éclaté, vingt ans que la guerre civile proprement dite a pris forme sur la base de la question nationale (le Japon colonial et l’ouverture moderne ne sont qu’une seule et même chose).

    C’est la clé de ce que lui et les autres écrivains du Chŏlla disent : au Xe siècle, une sorte de constitution a été rédigée par le nouveau régime à peu près unificateur du pays, la dynastie Koryŏ, répercutant de toute évidence des idées et des pratiques acquises et très antérieures. On y lit qu’il faut absolument exclure de toutes fonctions publiques les gens originaires de notre province. Tout y est, danger, éloignement, paysannerie, chamanisme, refus d’accepter les religions et pratiques venues d’en haut, à commencer par le bouddhisme et le confucianisme.

    L’occupation des sols au Chŏlla illustre la question. Descendons à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale provinciale, à Unjusa, le plus étonnant des monastères coréens. Enfin… monastère… disons que des dizaines de statues¹ et quelques pagodes attestent d’une étrange présence. Nous sommes dans le Chŏlla du Chŏlla, au sud-ouest du sud-ouest, une sorte de Finistère coréen, incompréhensible pour le reste du pays et les responsables que la capitale y envoie. Les têtes du Chŏlla résistent, à tous les sabres et à tous les goupillons. Ah ces paysans, ah ces ploucs, ah ces Jacques ! Il faut donc pour le pouvoir central prendre possession des lieux, économiquement et militairement, bien sûr, mais surtout symboliquement. Alors on plante des pagodes et des statues sur toutes les failles géomantiques qui attestent d’une énergie incontrôlable. Incroyable ? Mille ans après, la soldatesque japonaise va passer des années à planter des pieux à chaque angle géomantique afin de bloquer l’énergie coréenne. Il ne s’agit pas d’y croire, mais de croire qu’ils y croient. Mille ans après, les a priori concernant les habitants de la région restent profondément ancrés dans le reste du pays.

    Im fait des études d’anglais dans sa région, puis à l’université Sogang à Séoul. Son début dans les lettres a lieu en 1981, avec la nouvelle Kae toduk, « Voleur de chien », distinguée comme « nouveau printemps » par le quotidien Sŏul Shinmun dans sa sélection annuelle, puis sa première anthologie, en 1983, Abŏji’ŭi ttang, « la Terre de mon père ». Il se fait vite connaître par ses textes nombreux, très marqués par ses origines, comme « Sud regretté » en 1985 ou « la Chambre rouge » en 1988, qui lui vaut le prestigieux prix Yi Sang.

    Si Je veux aller dans cette île relève de la même veine régionaliste (ce n’est pas un terme péjoratif en Corée, où le pays natal est une valeur indiscutée, où la région est la nation première), les lecteurs ont bien senti que son auteur franchissait un cap avec cet ensemble de nouvelles omnibus. Comme si la plaque de béton posée sur les souvenirs, les frustrations, les drames enfouis, se soulevait enfin. En cela fidèle héritier du plus grand écrivain coréen moderne, Yi Ch’ŏngjun, né à quelques encablures, il fouille le seul sens possible à donner au mot han, qui est tout sauf ce sentiment national fondé sur la victimisation et façonné par le régime dictatorial de Pak Chŏnghŭi (Park Chung-hee). Chez Im Ch’ŏr’u, Yi Ch’ŏngjun ou le poète Hwang Chi’u (Hwang Ji-woo), il ne s’agit pas de confondre dans un discours national fumeux bourreaux et victimes, mais de rendre la parole à ces dernières, privées du droit à la mémoire et obligées de se réfugier dans les mythes, les rumeurs, les récits chamaniques. Le han, c’est le refus de continuer à se complexer de sa réputation de paysan, d’avare, de borné, de la revendiquer même, car en elle gît l’essentiel de la mémoire collective. La vraie question, c’est qu’être du Chŏlla c’est être coréen, mais c’est tout autant être le seul vrai Coréen, pendant que les autres pactisaient et collaboraient avec tous les nouveaux puissants de l’histoire.

    Il n’est sans doute pas exagéré d’affirmer que toute la carrière littéraire de Im Ch’ŏr’u a été déterminée par le massacre de Kwangju², qui n’a pas été le seul de ce siècle dramatique, mais le premier à être indiscutablement imputable à des Coréens (militaires) contre d’autres Coréens (civils). Dans chacun de ses textes ou presque, il a relié cette tragédie à la catastrophe de la guerre de Corée, syllogisme facilement lisible. Bien avant les historiens, les écrivains ont compris que le cœur du problème était une guerre civile, qu’il était inutile d’en rendre responsables les puissances étrangères, sauf à recourir à l’increvable victimisation qui n’explique rien. Des textes comme « Montagne rouge, Oiseau blanc » (1990) ou la série de cinq volumes « Jour de printemps » (1998), sont faits de ces drames historiques.

    Un film a été tiré de ce texte, éponyme, dont il faut signaler que le scénario, intéressant, n’a pourtant plus grand-chose à voir avec la fiction de Im Ch’ŏr’u.

    *       *

    *

    La traduction du dialecte est une sorte de monstre du Loch Ness de la traduction. Quand on veut embarrasser ( ?) un traducteur, on lui demande comment il s’en est tiré avec ce dialecte, et la réponse manque souvent, il faut le dire, de clarté.

    Il en va pourtant, d’abord, avec le dialecte comme avec le reste du texte : on traduit un texte précis, un dialecte dans un texte précis, et non un texte ou un dialecte en général.

    Naturellement, le dialecte pose un problème général, dans une langue donnée, ici le coréen, celui du statut du (des) dialecte(s) dans cette langue. En termes sociocritiques, il est à la fois trace, indice et valeur. Trace de la réalité linguistique de la province du Chŏlla, indice d’une inscription du social dans le texte, qui permet au dialecte d’être interprété, valeur en relation avec les autres valeurs du texte. C’est en tant que tel que le dialecte doit être traduit. Dans un texte spécifique.

    Qu’est-ce que Je veux aller dans cette île  ? Un regard rétrospectif – et autojustificatif autant qu’autocritique – sur l’île de son enfance posé par un adulte séoulite. Les écarts sont donc multiples : vérité – justification, Séoul – province, continent – île, rêve d’enfant – compromission d’adulte. C’est le dialecte qui est, largement, chargé de signaler ces écarts, sachant que le récit reste l’apanage du narrateur adulte séoulite se replongeant dans son enfance. Le texte n’est donc pas en dialecte ; il utilise le dialecte comme marque, en particulier dans les dialogues, selon une distribution littéraire, c’est-à-dire un choix effectué entre les personnages. Le dialecte est donc un phénomène littéraire avant d’être un phénomène linguistique.

    C’est d’ailleurs aussi un phénomène en littérature. Molière, Dom Juan, II, 1, Pierrot : « Aga guien, Charlotte, je m’en vas te conter tout fin drait comme cela est venu : car, comme dit l’autre, je les ay le premier avisez, avisez le premier je les ay. » Où il s’agit plutôt d’un jargon, c’est-à-dire à la fois un dialecte (celui des environs de Paris), un sociolecte (celui des paysans) et un parler (attribué au peuple dans la littérature). De ce point de vue, tout dialecte littéraire peut prétendre à cette triple fonction, qui rejoint trace, indice et valeur. La complexité de la chose apparaît à tout moderne : comment faire prononcer cela par un acteur sans ridiculiser ni le personnage ni les paysans ?

    Chez Im Ch’ŏr’u, la présence du dialecte, comme trace, vaut diplôme d’authenticité ; il renvoie à une réalité extérieure aussi clairement que la mention d’un lieu fictif (Nag’ildo) ou le recours à un lieu commun spécifique (traits de caractère supposés des gens de la province du Chŏlla et des îliens). Comme indice, il nous renvoie à la quantité de réalité que tout lecteur coréen d’aujourd’hui pourra y mettre, c’est-à-dire essentiellement les représentations induites par Séoul et l’île, autrement dit aujourd’hui/hier, richesse/pauvreté, industrialisation/authenticité, et surtout l’ostracisme séculaire (mille ans en vérité) subi par cette province martyre de tous les régimes, confucianistes ou porteurs d’uniformes. Comme valeur, nous sommes au cœur du texte, ce qui nous oblige à nous demander qui parle, comment, de quoi. Quels sont les personnages, pour quelles fonctions, qui ont droit au dialecte ?

    La parole autre, de l’autre, est d’abord un accent. Molière dans Dom Juan, ou le Nucingen de Balzac.

    « Cela nous remontera, dit-il, il ne vaut bas que nous ayons l’air te téfaillir tevant ces gens ; quoiqu’à notre blace, il y en a plus d’un qui se serait drouvé mal », dit Strengbach dans les Besoigneux d’Hector Malot. Même cela est problématique, sans exiger d’études de phonologie de la part de l’auteur. Pourquoi vaut est-il en italiques ? et surtout pourquoi cette hésitation t/d ? Qu’importe, cela signifie « germanique » : « […] un directeur, un Alsacien, que je crois Allemand […] » chap. I.XVIII.

    Mais l’auteur s’explique (I.XX) : « Quant à sa prononciation, elle avait cela de particulier qu’elle remplaçait partout les v par des f et les f par des v ; de même elle remplaçait les b par des p, les p par des b, les t par des d et les d par des t, sans qu’on pût savoir pourquoi, puisqu’il prononçait ces lettres aussi bien les unes que les autres. » Il y a donc plus qu’une information dans ce phénomène, il y a quelque chose qui ne s’explique que dans le texte, une valeur qui lui est propre.

    La traductrice de Im Ch’ŏr’u a ici levé l’essentiel des obstacles en s’inspirant des solutions choisies par Serge Quadruppani pour rendre compte du sicilien littéraire d’Andrea Camilleri : la langue de Camilleri joue à trois niveaux, l’italien officiel transcrit par un français standard familier ; le dialecte pur, toujours dialogué, traduit simplement ou bien doublement, le dialecte d’abord puis le français familier (comme fada). La difficulté vient du troisième niveau, de l’italien sicilianisé, truffé de régionalismes, compréhensible par le contexte ou la sonorité.

    Cela ne peut être traduit par des régionalismes français : soit désuets, soit incompréhensibles. Ce serait traduire une langue vivante par une langue morte ou sans rapport.

    Donc on utilise quelques mots du français du Sud pour l’italien du Sud : escagasser, la boîte fut gangassée, il resta à pensotter ; l’ordre littéral des mots :Montalbano, je suis ; la déformation de prononciation, pinser au lieu de penser ; la conjonction que utilisée systématiquement : un ronflement que c’était pire ; un autre temps verbal que le temps généralement utilisé : tu fis bien.

    Dans ce texte-ci, le relatif populaire analogique que systématique au lieu des autres pronoms relatifs et en soutien, le type que je te parle, un type qu’il est grand. Fortement méprisé par le bon usage, sauf si c’est chez Céline, on sait (avec Duneton, la Puce à l’oreille, par exemple), qu’il est d’un usage analogique ancien, depuis Rabelais au moins ; le redoublement insistant du sujet par un pronom : le soleil il va se lever ; l’inversion articulatoire du de en eud, à la picarde, si l’on veut ; les formes pronominales : elle se le mange, se faire un rêve, forme qui reprend de la vigueur dans le français oral actuel ; conservation de l’ordre des mots coréens, lorsque la phrase est en dialecte. Cela constitue donc un déplacement, en gros, de la morphologie à la syntaxe ; des mots traduits mot à mot, s’ils font effet de localisation ; même chose avec des métaphores ; des déformations de prononciation, rin, ben ; des changements de terminaison : on dira / on dirait, je m’en vas, je vas, vous faisez ; les interjections et onomatopées d’origine : Aïgŭ, ŭma, wak wak...

    Voici un exemple qui résume assez bien la technique employée (dans la limite des contraintes de l’orthographe française) :

    « Pŏlttŏngnyŏ, je m’en vas te le dire. Et d’où que c’est d’abord qu’il te vient, ce courage inouï eud venir là si tôt ? Oh ça, ce matin, le soleil il va sûrement se lever tout à coup à l’ouest, comme ton nom il l’indique. »

    Patrick MAURUS


    1  Il y en avait des centaines auparavant, mais le bouddhisme et les marchands ont fait le ménage.

    2  Du 18 au 27 mai 1980, la ville se soulève contre la dictature. L’armée, que le gouvernement de transition ne contrôle pas, massacre à qui mieux mieux, sans que les USA interviennent.

    Mes remerciements particuliers à Patrick Maurus pour sa relecture attentive et son regard critique d’expert, ainsi qu’à Henri Bossea et à ceux qui m’ont d’une manière ou d’une autre aidée à mener à bien cette traduction.

    NOTE SUR LA TRANSCRIPTION UTILISEE POUR LE COREEN

    J’ai utilisé le système McCune Reischauer, comme Patrick Maurus dans sa préface, pour transcrire les mots et les noms propres coréens. Le système McCune Reischauer restitue quasi scientifiquement la sonorité de la langue coréenne, ce qui n’est pas le cas de la transcription version 2000. Le système McCune Reischauer, grâce à la présence des signes diacritiques, fait entendre telles quelles par exemple les onomatopées, très abondantes dans l’œuvre de Lim Chul-woo et, d’une manière générale, dans la langue coréenne. La restitution exacte des sons coréens permet de suivre un texte dans sa spécificité prosodique et d’en saisir la force en son matériau langagier. De plus, le système McCune Reischauer, largement employé en Occident, a l’avantage d’aider les lecteurs français à aller chercher des connaissances essentielles, notamment sur l’histoire et la littérature coréennes, dans des ouvrages de référence qui, tous, utilisent le système McCune Reischauer. On notera que « j » se prononce comme « dj », « ch » comme « tch », « ŭ » comme « eu », « ŏ » comme « o » ouvert et que l’apostrophe sert à séparer deux voyelles successives, à signaler des consonnes finales ou à marquer des consonnes aspirées.

    Cho Soomi

    Aux noms regrettés de mon enfance

    que je ne peux oublier,

    je dédie

    ce petit recueil de souvenirs.

    Prologue

    Tout le monde l’a oublié, et c’est pour cela que personne ne veut y croire, que personne ne veut plus s’en souvenir, mais cela reste la vérité.

    À une époque, nous avons tous été des étoiles.

    Chacun d’entre nous brillait, avec une beauté, une clarté et une taille à sa mesure, quelque part dans le ciel crépusculaire, dans sa propre constellation et en son seul nom, chacun, sans exception, a été une splendide étoile.

    Mais nous ne sommes pas les seuls à avoir été des étoiles.

    Ceux qui sont venus vivre sur cette terre et l’ont quittée depuis longtemps, ceux qui naîtront dans un proche avenir ou bien les nombreux visages qui sont assis, roulant des yeux de tous côtés, attendant leur tour dans une gare d’un futur très lointain… tous sont aussi des étoiles.

    Si par hasard vous ne me croyez pas, refermez ce livre à l’instant même et allez voir dehors. Si votre maison n’a pas de cour, une ruelle sans réverbère suffira. Si vous habitez dans un appartement étroit et solide comme une cage à poules, la terrasse de l’immeuble devrait convenir.

    Puis, penchant la tête en arrière, observez le ciel nocturne.

    Votre regard un peu terne ayant trempé un bon moment dans l’ombre, respirez profondément, sans bruit, comme en priant, et restez-là, même un court instant. Quand la vague propre et claire de l’obscurité commencera à éclaircir vos pupilles, vous pourrez sans doute voir la mer des étoiles s’étendre indéfiniment devant vos yeux…

    Alors, en prenant davantage de temps, avec une respiration un peu plus maîtrisée que tout à l’heure, sans bouger, choisissez une étoile quelconque, ajustez votre regard sur elle, puis attendez patiemment.

    À un certain moment, vous verrez les petites nageoires transparentes de cette étoile. Chaque fois qu’elle secoue ces nageoires, transparentes comme des billes de verre et douces comme de petites plumes, c’est qu’indiscutablement – bien qu’insensiblement – elle se déplace.

    À ce moment enfin votre regard commencera à briller de surprise et de mystère et, quand vous découvrirez le banc de poissons d’argent des étoiles couvrant le ciel tout entier, vous pousserez un cri de joie, sans vous en rendre compte.

    C’est cela. Dans la mer nocturne, les étoiles vivent ensemble. Depuis la nuit des temps jusqu’à l’instant présent, d’innombrables bancs d’étoiles vivent et vivront, éternellement.

    Cependant ces étoiles sont en vérité les hommes innombrables qui ont vécu un moment sur cette terre et s’en sont retournés, et cette vérité-là, vous ne pouvez pas la connaître.

    À y réfléchir justement, même en ce moment précis, ah, combien de nouvelles vies d’hommes sont-elles en train de naître, continuellement, quelque part dans le monde, et, ailleurs encore, ah, combien de vies sont-elles en train de quitter la Terre sans même laisser de trace ?

    Dans une maternité, à côté d’un berceau dans la chambre d’un nouveau-né, un jeune couple chuchote tout ému, prenant précieusement dans les bras cette vie qui vient de commencer. Oh, oh, cette nouvelle vie toute petite et chaude, d’où vient-elle et comment donc est-elle venue à nous ?

    Sortant de la cour pour suspendre une lampe de condoléances chodŭng, ces pauvres gens encore, qui ont perdu un proche, se frappent la poitrine en pleurant. Ah, ah, ma mère si chérie, maintenant, où donc est-elle partie brusquement ?

    Comme c’est stupide !

    Ils ne savent rien du tout. Rien du fait que, justement, au même moment, quelque part dans un coin de cette mer nocturne d’étoiles éternelles qui coule au-dessus de leur tête, une étoile familière a disparu tout d’un coup, rien du fait qu’une étoile inconnue a surgi brusquement, en un endroit encore vide la veille, et a commencé à clignoter timidement.

    C’est cela.

    Chaque fois qu’une nouvelle vie naît sur cette terre, là-bas, dans le ciel, une étoile disparaît subitement, et chaque fois qu’une faible lampe chodŭng est suspendue dans une ruelle devant une maison, une étoile inconnue surgit soudain dans le ciel nocturne.

    Et nos nombreux enfants qui ne sont pas encore nés… car, en attendant pour l’instant leur tour, nos étoiles chéries font, elles aussi, scintiller leurs nageoires argentées, quelque part dans cette très lointaine mer de la nuit.

    Nous sommes donc tous des étoiles.

    Grands ou petits, rayonnants ou ternes, laids ou jolis, carrés ou ronds, longs ou courts, peu importe, nous sommes tous ces mêmes étoiles qui sont descendues, qui sait quand, de cette très lointaine mer nocturne et qui viennent du même pays natal.

    L’étoile stupide

    Quatre heures du matin.

    M’étant recouché et ayant éteint la lumière, je me tournai et me retournai dans mon lit pendant un bon moment avant de me relever.

    Il était inutile d’essayer de me rendormir. Ma femme et mon enfant dormaient à poings fermés. Quand je reçus ce coup de fil dans ma somnolence, je pensai d’abord à réveiller ma femme, mais je décidai aussitôt de la laisser dormir. De toute façon, le matin au plus tard, elle apprendrait la nouvelle.

    À vrai dire, ce ne fut pas pour cette seule raison. C’est qu’une idée me vint subitement : avant d’annoncer à ma femme la mort de Grand-Mère, il me restait peut-être une chose à faire. Même si j’en étais un peu navré pour ma femme, je savais que c’était une charge qui n’incombait qu’à moi et que personne ne pouvait m’y aider.

    Je cherchai à tâtons le pyjama que j’avais laissé sous mon oreiller, l’enfilai et, sans bruit, sortis de notre chambre pour entrer dans mon bureau. C’était une pièce minuscule. Sans allumer la lampe, je m’approchai de la petite fenêtre qui donnait vers le nord, l’ouvris et regardai vers le bas.

    La ville n’était pas encore éveillée. C’était l’heure où l’aube approchait, mais où la nuit pesant lourdement au-dessus des maisons était toujours solidement amoncelée en une masse obscure, dense et profonde, résistant avec ténacité, comme si elle se refusait à reculer sans lutter.

    À cette heure-là, les gens devaient être immergés dans un sommeil embrumé, chacun enseveli sous sa couette.

    Silence.

    Comme enfouie dans le lit lointain du fleuve, la ville était écrasée sous le volume épais de l’obscurité. Même le bruit de sa respiration avait faibli.

    La route, aperçue du treizième étage de l’immeuble, était totalement déserte, et l’obscurité, collante comme de la glu, s’était allongée au-dessus de l’asphalte, qui se devinait vaguement. Les policiers en patrouille devaient en avoir, eux aussi, terminé avec leur journée et rentrer chez eux, bâillant sans arrêt, traînant leurs pas éreintés, eux qui faisaient leur ronde par deux, donnant de temps en temps des coups de sifflet ; ou peut-être étaient-ils en train d’allumer tranquillement leur cigarette au poste de police, après avoir défait les lacets de leurs chaussures. Au vrai, c’était l’heure où l’homme sentait le plus la fatigue de la journée, c’est-à-dire deux ou trois heures avant le lever du soleil. Même les insomniaques, qui se retournent toute la nuit dans leur lit, commencent à ronfler faiblement à cette heure-là. Certains d’entre eux rencontrent dans leur rêve des personnes qu’eux seuls connaissent et ils tissent chacun leur histoire.

    Peut-être, dans leur lit d’hôpital, des malades qui, tout fiévreux, avaient poussé des gémissements douloureux jusque tard dans la nuit, étaient-ils exténués à cette heure-là et sombraient-ils dans un sommeil léger, sans avoir conscience du temps.

    Ou encore, dans la chambre isolée d’une auberge discrète d’une ruelle perdue, des parieurs, assis en groupe, jouaient-ils aux cartes tout en crachant sans arrêt la fumée épaisse de leurs cigarettes. Vers cette heure-là, les yeux rouges, peut-être usaient-ils leurs dernières forces à déchiffrer les cartes bariolées étalées en désordre sur le sol et, pour combattre le sommeil pleuvant sur eux comme une averse, frottaient-ils d’un revers de main leurs paupières qui tombaient lourdement.

    S’agissait-il seulement des hommes ? À la même heure, dans le grenier d’une maison pauvre, les petites souris malignes, jouant sans

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