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Scènes de vie en Corée: Un essai d'interprétation
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Scènes de vie en Corée: Un essai d'interprétation
Livre électronique227 pages3 heures

Scènes de vie en Corée: Un essai d'interprétation

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À propos de ce livre électronique

Un voyage dans ce que la Corée a de plus authentique.

Vie quotidienne, relations familiales et professionnelles, loisirs, histoire, langue et écriture : 17 thèmes pour appréhender la culture de la Corée du Sud, avec des références à des termes spécifiques de la langue coréenne.

Grâce à cet ouvrage articulé autour de 17 thèmes, laissez-vous séduire par la Corée du Sud et apprenez à appréhender la culture de ce fascinant pays.

EXTRAIT

Ainsi va la mode telle que la pratique la société coréenne. Elle avance par vagues qui se propagent de proche en proche et vont s’échouer sur l’autel de la consommation avant d’être rattrapées par celles qui suivent. Le mouvement est perpétuel, à haute fréquence et magistralement orchestré. On dépense des fortunes — que l’on n’a pas toujours mais que l’on trouve — pour suivre le rythme et tenir son rang. Le « pas cher » n’a pas bonne presse et, même dans les milieux modestes, on se saigne pour être à la hauteur et ne pas perdre la face. On se ruine pour offrir un mariage luxueux à son enfant. On ne se demande pas ce que l’on veut réellement faire de sa vie, on suit. On ne se pose pas la question de savoir si on a vraiment besoin de se faire refaire le nez ou la mâchoire, on le fait. Autrefois il fallait sortir d’une bonne université ou se distinguer par sa générosité. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’être intelligent ou gentil. Il faut être BEAU. Le « look » donne une chance d’exister socialement. Il y a eu translation : on est passé d’une priorité d’ordre moral à une priorité d’ordre visuel. Si on en vient à délaisser son image, on aura beau être le plus génial des êtres de la terre, on aura loupé la chance de sa vie : être le plus envié. Car tout est là, on veut être beau pour être regardé et jalousé. Depuis bien longtemps, la poursuite de la notoriété a joué un rôle moteur dans la société coréenne mais c’est vraisemblablement la première fois que l’on accorde tant de pouvoir au oemo (외모), à « l’apparence (mo) extérieure (oe) ».

À PROPOS DE L'AUTEUR

Martine Prost, auteur de Scènes de vie en Corée et de Halabeoji, ouvrages publiés à l’Asiathèque en 2011, a été maître de conférences à l’UFR de langues et civilisations orientales de l’université Paris-Diderot et directrice de l’Institut d’études coréennes au Collège de France. Maintenant à la retraite, elle vit en Corée.

Pierre Cambon (né en 1955) a fait des études d’histoire, d’histoire de l’art et d’archéologie à la Sorbonne et à l’École du Louvre, tournées vers l’art du Gandhara ou bien l’Asie centrale. Séduit par la Corée, qu’il découvre en 1981, il en apprend la langue et épouse Kim Sang-lan, artiste et professeur alors à l’université Wonkwang. Attaché culturel auprès de l’ambassade de France à Séoul de 1988 à 1992, il est chargé, à son retour en France, de créer un département des antiquités coréennes au musée Guimet – jusque-là rattachées à la section Japon. Par deux fois, il est envoyé en Corée du Nord comme consultant par l’Unesco. En 2001, il a publié à la RMN L'Art Coréen au Musée Guimet (2001) et Paysages de Corée au pays des lettres (2001), puis y a dirigé la publication de Afghanistan : Une histoire millénaire (2002).
LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2018
ISBN9782360571178
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    Aperçu du livre

    Scènes de vie en Corée - Martine Prost

    Thomas.

    titre

    Composition et mise en pages : Jean-Marc Eldin

    En couverture :

    Photographies de Philippe Angelès et Danijela Vitasovich.

    Portrait de Martine Prost par Philippe Thiollier.

    © L’Asiathèque – maison des langues du monde,

    11, rue Boussingault, 75013 Paris, 2014.

    www.asiatheque.com

    info@asiatheque.com

    ISBN : 978-2-36057-117-8

    Avec le soutien du

    À mon mari, Seung-gheun IH

    Préface

    La Corée au fil des jours, « un essai d’interprétation »… Le propos de Martine Prost est ambitieux malgré la modestie du sous-titre. Il est de tenter d’expliquer la Corée, sa spécificité, par le prisme des mots et des comportements — analyse sensorielle autant qu’intellectuelle, entreprise sur un mode intimiste, avec une grande finesse et de façon très libre, l’originalité de l’ouvrage se voyant renforcée par la simplicité du ton, la qualité des sources, un sens aigu de la situation qui ne va pas sans humour et un talent indéniable de conteuse.

    La démarche est originale — une série de saynètes, de croquis sur le vif, prétextes à analyses, souvent à digressions, qui frappent par la justesse des points de vue et des observations. Le premier chapitre commence en fanfare avec le nettoyage à grandes eaux d’une salle de bains, morceau d’anthologie qui est en soi déjà tout un programme, car la Corée c’est le pays des montagnes, celui de l’abondance, celui où l’on aime à voir grand, qu’il s’agisse des avenues, des gratte-ciel, des idées ou des rêves — un pays marqué par l’empreinte du confucianisme, de sa rigueur et de son exigence, un pays qui rêve d’harmonie et où le groupe prévaut sur tout individu, un pays qui a le culte de l’élite et de la réussite et où chacun est responsable des malheurs qu’il subit. Une société somme toute où prime l’ambivalence, où les codes n’empêchent pas l’émotion, la fantaisie et l’individualisme, une société qui frappe par son goût du mouvement, sa réactivité, une souplesse que l’on n’attendrait pas au vu d’un modèle apparemment rigide.

    Car, il est vrai, et Scènes de vie en Corée le montre avec une étonnante fraîcheur, la liberté n’est pas toujours où on l’attend. Certes le modèle coréen, comme tout modèle, a ses zones d’ombre. Sa réussite toutefois réside en ce que chaque Coréen s’identifie à son pays, à sa culture, à son identité, et bien sûr à sa langue. C’est le haut niveau d’éducation, l’excellence dans le domaine des arts — de la musique aux arts plastiques et jusqu’au cinéma. C’est aussi le goût du défi, le sentiment d’être constamment en éveil, la soif de paix, de solidarité humaine. Martine Prost, par sa démarche très personnelle et sans jamais se départir d’un regard amusé et de son sens critique, nous entraîne avec générosité au sein d’un monde qu’elle aime et qu’elle nous fait aimer parce qu’il est attachant ; plutôt qu’un simple essai sur la Corée, ce qu’elle nous offre, c’est le portrait de son âme, de son identité.

    Le livre est une mine de renseignements, d’informations utiles, une source de réflexion souvent beaucoup plus riche que bien des thèses académiques et articles érudits parce que l’auteure sait en donner chaque fois le sens et le contexte et que sa lecture est toujours passionnante, le récit enjoué, facile et agréable, d’une grande liberté et d’une grande honnêteté. C’est un voyage dans ce que la Corée a de plus authentique, la vie de tous les jours avec sa gaieté, ses angoisses, une vitalité viscérale qui va de pair parfois avec un spleen quasiment baudelairien qu’exprime la musique.

    Mélange d’idéalisme et de volontarisme, d’ouverture et de repli sur soi, associé à un pragmatisme foncier, la Corée peut déstabiliser. Mais, dans ce pays du Matin clair, contradictions et paradoxes ne sont pas un problème parce qu’existe cette énergie vitale (le ki) et celle-ci Martine Prost sait la faire passer et en faire profiter le lecteur. On ne saurait trop recommander la lecture de l’ouvrage pour son approche qui fait fi de toutes les conventions et de tous les clichés, mais aussi pour les questions qu’il pose sur le monde d’aujourd’hui — la Corée pour elle-même, la Corée comme exemple, la Corée comme miroir et interrogation.

    Pierre CAMBON

    février 2011

    Avant-propos

    Je ne peux parler que de ce que je ressens. C’est là que se dressent mes limites. Et je ne peux pas ressentir sans partir à la recherche du pourquoi de ce ressenti. C’est là un voyage qui me comble, une respiration entre réalité sensorielle et analyse mentale qui me convient. Enfin, j’ai besoin de haltes. Ce livre en est une. Pour l’écrire, j’ai fermé les yeux afin de mieux voir. Je me suis plongée en moi-même pour saisir la Corée telle qu’elle s’y trouvait inscrite après des années de proximité. Ce livre n’est rien de plus que l’empreinte laissée par des scènes vues et revues en Corée et les idées qu’elles ont fait émerger en moi.

    Le texte est à double entrée : d’un côté, des « éclats de vie » ; de l’autre, des tentatives d’exploration. En tête de chapitre le récit authentique, que l’on ne peut remettre en cause ; à sa suite, le discours construit, que l’on peut rejeter. Je vous livre l’ensemble. N’écrire que des scènes de vie aurait été insuffisant pour moi. Ne proposer que des concepts désincarnés l’aurait été tout autant. Mon désir était de lier les deux et d’offrir aux lecteurs qui passeraient par là la possibilité de se retrouver dans l’un ou l’autre de ces deux espaces… ou dans les deux à la fois.

    Ce livre est fait de petites îles. Il est parcellaire. Il présente des choix de thèmes qui sont les miens et ne couvrent qu’une partie de tout ce qui peut être mis bout à bout pour dessiner le paysage de la Corée du Sud aujourd’hui. L’approche tente de déjouer les stéréotypes, de les tenir à distance en leur opposant les mots de la langue, qui parlent par eux-mêmes des Coréens et de la Corée, ce pays qui a arrêté mes pas en 1976 et continue à me saisir à bras-le-corps par tout ce qu’il a de brûlant, de vibrant, de déstabilisant aussi… et surtout !

    M. P.

    QUELQUES REMARQUES

    SUR LA ROMANISATION

    Le système utilisé pour transcrire les mots coréens figurant dans ce livre est le système de romanisation coréen dans sa version révisée en 2000. Il a l’avantage d’éviter les signes diacritiques, mais l’inconvénient — par rapport au système McCune-Reischauer largement employé en Occident — de soulever des difficultés dans la restitution des sons de la langue coréenne. Ainsi — et sauf en position intervocalique — la lettre « g » utilisée dans ce système de romanisation renvoie à un son souvent plus proche d’un « k » que d’un « g » ; de même, les « b », « d » et « j » se prononcent plus comme des « p », des « t » et des « dj ». Dans ce même système, les transcriptions en « k », « p », « t », « ch » renvoient à des consonnes aspirées, celles en « kk », « pp », « tt », « jj » à des consonnes fortes, dites « glottalisées ». Les suites de voyelles graphiques « eo » et « eu » ne doivent pas se lire « éo » ni « éou ». Elles correspondent à des sons proches d’un « o » et d’un « ou » français prononcés sans arrondir les lèvres. Les personnes habituées au système McCune-Reischauer ne devront pas s’étonner de voir le nom de la dynastie « Koryŏ » transcrit en « Goryeo » ou celui de « Chosŏn » apparaître sous la forme « Joseon ». On notera que, pour des raisons d’usage, les mots « kimchi » et « ki » ne sont pas transcrits avec un « g » mais avec un « k » et que la romanisation de certains noms de personnes, de lieux et d’entreprises échappe aux règles du nouveau système. On notera aussi que, pour éclairer le lecteur sur la valeur acoustique des sons du coréen comparée à celle du français (p. 178-180), on a eu recours au système McCune-Reischauer. On signalera enfin que dans les transcriptions de phrases un petit tiret a été volontairement introduit pour marquer la frontière entre un nom et la particule fonctionnelle qui s’y rattache.

    CHAPITRE PREMIER

    Célébration de l’eau

    ▶ Des slippers en plastique aux pieds, des gants rouges en caoutchouc montant jusqu’aux coudes, une pomme de douche en ébullition dans une main et un chiffon en pure cotonnade, plus blanc que drap de noces, dans l’autre, l’ajumma balaye les murs de la salle de bains avec la détermination d’un phare projetant son faisceau de lumière sur l’horizon marin. Rien ne résiste à l’attaque. Parti de la baignoire, le jet puissant de la douche atteint le lavabo, fait valser les savons dans leurs coupelles, déplace les brosses à dents, bouscule le dentifrice, monte sur le miroir, assiège le mur voisin, inonde le carrelage mural d’est en ouest, de la tête aux pieds et va terminer sa course au sol, là où la grille d’évacuation engloutit sans broncher la masse d’eau qui afflue vers elle. En deux temps, tout est lavé. Satisfaite, la femme de ménage dresse, semelles contre le mur, les slippers rose pâle et quitte les lieux. L’eau s’écoule tranquillement des chaussures en plastique en attendant qu’un utilisateur se présente et les enfile.

    L’ajumma a rejoint la cuisine et se plonge dans la vaisselle. Les bols de riz ouvrent le spectacle. L’eau jaillit en fusée du robinet grand ouvert et rebondit sur le flanc du bol que la femme de ménage tient en main. Elle l’éloigne un instant du jet, le temps de bien le frotter avec une lavette qu’elle prendra soin de réimbiber régulièrement de produit à vaisselle, le remet dans la foulée sous le robinet, le rince sous toutes ses faces et passe au suivant dans la pile. Le petit garçon de la maison réclame à boire, qu’à cela ne tienne, elle pose ses gants, va au frigo, sort un petit pack de lait, l’ouvre, y glisse une paille tricolore aux allures de sucre d’orge entortillé et, avec un grand sourire de satisfaction, retourne à son poste. Tout ce temps, l’eau n’a pas cessé de glousser en s’engouffrant en spirale dans la bouche de l’évier et nos bols de s’éclabousser les uns les autres. Au suivant de ces messieurs !

    Nous sommes en Corée. Les scènes n’ont pas été fabriquées. Elles se contentent d’être et de témoigner d’une réalité toute simple : les Coréens « vivent » l’eau différemment de nous, Français. Là où l’on joue dans la parcimonie, ils donnent dans le jubilatoire, la délectation, l’excès. L’eau, c’est fait pour couler. C’est l’expression de la vie, du mouvement, une source d’énergie, une plongée dans notre milieu d’origine. À la force de l’eau répond la force des gestes. De la force des gestes jaillit le contentement, le plaisir de frotter, la rage de vivre.

    Il serait trompeur d’assimiler la scène de nettoyage de la salle de bains à la description d’un lessivage à fond qui serait pratiqué une ou deux fois par semaine. On est quasiment dans un acte banal de la vie quotidienne en Corée. L’importance attachée à l’hygiène fait que tout est nettoyé à grande eau. L’eau doit pouvoir être utilisée en toute liberté et l’évacuation doit être à la hauteur des besoins. Cela coule de source. Pour cela, une solution a été trouvée : un écoulement aménagé dans le sol au centre des salles de bains. Ce système, qui existait dans les bains publics au Japon et en Corée, a été tout naturellement adopté dans les maisons privées.

    Lavabos, douches, baignoires, tout est venu d’Occident. Les baignoires, lors de leur introduction en Corée dans les années 1970, n’étaient utilisées qu’en tant que réservoirs. Une calebasse coupée en deux ou un bagaji (바가지) en plastique flottait à la surface, permettant à tout moment de s’en saisir et de puiser l’eau à volonté. On ne montait jamais dans la baignoire. Pas plus qu’on ne se savonnait dedans. Le savonnage en Asie, cela se fait à l’extérieur de la baignoire, certainement pas à l’intérieur ! La Corée importe ainsi des équipements de l’étranger mais l’utilisation qu’elle en fait lui permet de ménager les habitudes péninsulaires. Il y a à la fois modernisation à l’occidentale et préservation de la culture locale.

    Mais, sans même parler de bains, un simple sesu (세수, toilette) à la coréenne interpelle notre sensibilité marquée par des siècles de consommation contrôlée de l’eau pour des raisons essentiellement d’épargne et parfois, disons-le, de radinerie. Pour faire leur toilette à leur aise, les Coréens ont besoin de salles de bains qui ne craignent pas les éclaboussures. C’est comme cela qu’ils les ont conçues. Un sesu, en effet, n’en est pas un si on ne peut pas s’asperger copieusement le visage sans avoir à se soucier de mettre de l’eau partout. Les toilettes du bout du gant, les Coréens ne connaissent pas. Ça coince dans leurs têtes. Quel résultat ? Quel intérêt ? Et surtout quel plaisir peut-on trouver à se frotter avec un coin de tissu éponge ? Quoi de plus facile et bienfaisant qu’une bonne friction du visage à deux mains ! Que le contact de l’eau sur la peau ! Ne parlons même pas de notre crainte de l’eau froide. Les Coréens restent incrédules. Pour eux, plus l’eau est froide pour se laver le visage, plus l’effet énergétique est grand et plus agréable en est la sensation (sangkwaehada 상쾌하다). Le deungmul est un « bain de dos » à l’eau très froide. Il se pratique dans les campagnes, l’été, au retour du travail. Une bassine d’eau fraîchement sortie du puits est versée par l’épouse sur le dos de son mari qui, dévêtu jusqu’à la ceinture, attend tête en bas, postérieur en l’air, mains en appui au sol, que l’eau coule en trombe le long de son dos et lui arrive dans le cou avant de tomber en cascade par terre.

    L’absence d’une traduction adéquate pour sesuhada (세수하다) montre le décalage entre nos vécus et nos ressentis respectifs. Traduire l’expression par « se laver la figure » n’évoque en rien l’ambiance d’une séance d’ablutions répétées, mêlées infailliblement d’expirations forcées et de soupirs de contentement. Se limiter à cette formulation, c’est gommer l’essentiel : le plaisir de l’acte. La solution serait de paraphraser. Ce n’est qu’à cette condition qu’on rendrait la dimension physique et psychologique de cet acte. Si on ne le fait pas, on souffre d’un déficit culturel et c’est bien là le problème que pose la traduction. Peut-elle tout dire ? Doit-elle tout dire ? Sachant qu’au bout du compte chacun aura, de toute façon, sa propre appréciation en fonction de son expérience, de son éducation, de sa personnalité et de bien d’autres paramètres.

    Le rapport privilégié que les Coréens entretiennent avec l’eau se retrouve dans divers comportements. Grands consommateurs de ce bien précieux, ce n’est pas un hasard s’ils utilisent la locution adverbiale mul sseudeus-i (물 쓰듯이, tout comme on utilise de l’eau) pour indiquer que quelqu’un fait grand usage de quelque chose. Ils diront, par exemple, don-eul mul sseudeus-i handa (돈을 물 쓰듯이 한다), ce qui littéralement signifie « utiliser son argent comme on utilise de l’eau » et correspond donc à notre « jeter l’argent par les fenêtres ». Plus naturelle en français, cette formulation a cependant l’inconvénient de nous faire passer à côté d’une différence culturelle inscrite dans la langue.

    Il est probable que, du fait des problèmes liés à l’importance de la préservation de notre environnement, on voie des changements intervenir dans les pratiques sociales entraînant, à plus ou moins long terme, la disparition de cette proposition comparative. Pour l’heure, l’eau s’utilise en masse et elle doit être propre, on la laisse donc couler. L’eau sale gêne les Esprits (sin, 신). Rien de pire que la vue des verres et assiettes trempant dans de l’eau souillée ! Le nettoyage de la vaisselle à la française avec une bassine d’eau pour laver et une bassine d’eau pour rincer est inconcevable ! Les Coréennes ont leurs habitudes. La scène de la femme de ménage en plein travail nous le montre bien. On pourrait d’ailleurs croire que, compte tenu de l’ultramodernisation de la Corée du Sud, les machines à laver la vaisselle ont envahi les cuisines coréennes. Eh bien, non ! Même si elles sont un peu plus nombreuses qu’autrefois, elles ne sont pas aussi courantes que chez nous. Cela va même plus loin. Il est fréquent que la vaisselle soit repassée à l’eau avant utilisation, à la campagne en particulier mais aussi dans les quartiers populaires des villes. Une habitude surprenante pour nous puisqu’elle n’est plus exposée à la poussière, comme elle l’était jusqu’au milieu du siècle dernier, mais rangée dans des placards. En France, on évite l’eau. On aime le sec. Un verre lavé, on l’essuie. On ne le tend pas à quelqu’un encore mouillé. La salade, on l’essore. En Corée, on sert les feuilles de sangchu (상추, sorte de laitue) encore couvertes de gouttelettes d’eau. Celles-ci font le plaisir de l’œil et du palais. Elles rassurent sur l’hygiène alimentaire, offrent une sensation de fraîcheur et relient l’homme à son milieu naturel. En deux mots, chez nous, l’eau dérange ; en Corée, elle réjouit.

    L’eau continue d’incarner un aspect fondamental du rapport que les Coréens ont avec la nature, une nature qui les a gâtés, eux, par rapportà certaines autres contrées du monde qui n’ont pas la chance d’être un bok badeun nara (복 받은 나라, lit. « un pays qui a reçu du bonheur »), comprendre « un pays béni des dieux ». La Corée en est un. Elle est fière de ses quatre saisons bien distinctes, fière de ses nombreuses montagnes et de l’eau qu’elles recèlent en abondance. L’eau est partout. Elle s’inscrit visiblement dans le paysage du fait de l’irrigation des terres liée à la riziculture. Même si la péninsule est loin d’avoir les pieds dans l’eau 365 jours sur 365 puisqu’on n’y fait qu’une récolte de riz par an, par opposition aux pays du Sud-Est asiatique, on la retrouve en force dans

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